9 décembre 2017

2018, sous quels auspices ?

2018, sous quels auspices ?

L’année 2017 aura été celle de l’affermissement de la reprise de l’économie mondiale avec la sortie de récession de deux pays importants, le Brésil et la Russie, ainsi que l’accélération de la croissance en Europe. Dans un contexte économique porteur, avec des prix pétroliers raisonnables, des taux d’intérêt faibles au sein des pays avancés, une politique budgétaire globalement accommodante, de nombreux indicateurs sont restés bien orientés durant toute l’année. Les taux de confiance des dirigeants d’entreprise comme des consommateurs ont retrouvé leur niveau d’avant crise. Le chômage est en recul en Europe ; plusieurs pays sont même en situation de plein emploi, les États-Unis, l’Allemagne, la République tchèque, les Pays-Bas voire le Royaume-Uni. Le taux de chômage, est également en net recul en Espagne comme en Grèce après y avoir atteint des sommets.

Dix ans après la récession de 2008, la plus sévère à laquelle a été confrontée l’économie mondiale depuis 1929, la situation économique s’améliore. Les stigmates de cette crise s’effacent les uns après les autres même si le retard de croissance demeure important. La récession de 2008/2009 marque bien une rupture au niveau du rythme de croissance. L’affaissement des gains de productivité qui concernait les pays avancés touche désormais les pays émergents. Même s’il a repris le chemin de la hausse, le commerce international croît moins rapidement qu’auparavant.

Plusieurs autres facteurs positifs doivent être signalés. L’augmentation de l’investissement des entreprises au sein de l’Union européenne constitue un atout pour la croissance de demain. Elle devrait, en outre, contribuer à la progression des gains de productivité. Au regard du retard de croissance accumulé en Europe ces dix dernières années, un rattrapage sur les États-Unis est attendu.

Des facteurs de risques pour contrarier l’épanouissement de la croissance

Le risque de taux d’intérêt anormalement bas constitue une des menaces fréquemment avancée. Ces taux sont faibles en raison des politiques monétaires pratiquées ces dix dernières années de part et d’autre de l’Océan atlantique. Compte tenu de la progression du PIB et de l’inflation, ils sont au minimum 2 points en deçà de leur niveau normal en ce qui concerne les obligations d’État à 10 ans. Par ailleurs, le risque sur les obligations d’entreprise à fort rendement serait mal apprécié. Une normalisation des taux entraînerait des pertes potentielles pour de nombreux investisseurs qui ont accumulé durant des années des actifs à faibles taux ou à avec des primes de risque trop basses. Cette menace est pour le moment sous contrôle car elle est relativement bien appréhendée par les banques centrales. La remontée graduelle et lente des taux aux États-Unis et la sortie progressive de la politique monétaire non conventionnelle par la Banque centrale européenne visent à réduire autant que possible les à-coups sur les taux d’intérêt. Le retour à la normale est lissé sur une longue période pour en diminuer l’impact sur les acteurs économiques et notamment financiers.

Ce maintien de taux bas est d’autant plus nécessaire que le niveau de la dette des différents agents économiques (États, entreprises et ménages) continue de progresser. Ainsi, pour l’ensemble des pays de l’OCDE, elle représentait en 2016 plus de 250 % du PIB contre 210 % en 2002. Les faibles taux d’intérêt ont permis de réduire la charge de dette de 50 % en dix ans. Tout choc sur les taux poserait des problèmes de solvabilité pour de nombreux agents économiques. Il entraînerait une brusque chute des investissements, ce qui pèserait sur le taux de croissance.

Les faibles taux posent un autre problème, celui de la constitution de bulles sur certains actifs. Les politiques monétaires non conventionnelles ont abouti à une rapide augmentation des liquidités, la masse monétaire étant multipliée par trois au sein de l’OCDE. L’affaissement des taux d’intérêt et l’abondance de liquidités ont conduit les investisseurs à privilégier les actions et l’immobilier. Les indices boursiers sont en forte progression dans tous les grands pays. Ils ont, en moyenne, doublé depuis 2012. Le PER sur les résultats futurs (price earning ratio), c’est à dire le rapport entre la valeur en bourse d’une entreprise et ses profits escomptés, a doublé de 2009 à 2017, passant de 9 à 18 pour l’ensemble constitué des États-Unis, de la zone euro, du Royaume-Uni et du Japon. Pour le même ensemble, le prix des maisons a dépassé son niveau d’avant la crise des subprimes, en hausse de 21 % depuis 2009. Par rapport à 2002, les prix des logements ont progressé de plus de 70 %. L’immobilier commercial enregistre également une forte progression, +70 % depuis 2009. Dans certains pays dont la France, la hausse est plus sensible.

Des ajustements pas impossibles à terme

Néanmoins, au regard du ratio prix des actions / dividendes actuels, la menace de bulles ne doit pas être exagérée. Ce ratio est de 50 aux États-Unis contre 60 en 2007. En France, il est de 30 pour 50 il y a 10 ans.

Plusieurs économistes alertent sur les dangers de la déformation du partage des revenus. Ils mettent en avant le fait qu’après taxes, au niveau de l’OCDE, les intérêts et les dividendes progressent plus vite que la masse salariale. De même, les salaires augmentent moins vite que la productivité par tête depuis une quinzaine d’années. Ce constat s’applique avant tout aux États-Unis ; en revanche, ce n’est pas le cas en France. Une répartition des revenus défavorable aux salariés pèse sur la demande intérieure et aboutit à un excès d’épargne des entreprises. Cette situation est de nature à alimenter une spirale déflationniste conduisant à un ralentissement de la croissance. Cette évolution de la répartition est liée à des changements dans les structures de production et de la montée du chômage. Elle est également provoquée par la digitalisation de l’économie qui se traduit par la diminution des emplois occupés par les classes moyennes et par l’augmentation des emplois à faibles qualifications (emplois à temps partiel, en CDD, en intérim, autoentrepreneurs).

Le FMI comme l’OCDE soulignent qu’un ralentissement de la croissance est inévitable à partir de 2018 ou 2019 en raison de la faiblesse des gains de productivité. Ces gains lissés sur 5 ans atteignent pour les pays de l’OCDE moins de 1 % en 2017  contre 2 % en 2002. Par ailleurs, la stagnation voire la diminution de la population active dans un certain nombre de pays avancés freinera l’expansion économique. La croissance potentielle qui se situait à 2,5 % avant la crise est désormais proche de 1 %.

Des économistes considèrent que plusieurs grandes zones économiques pourraient prochainement connaître un fort ralentissement. Ainsi, le plein emploi, les faibles gains de productivité et le niveau élevé de l’endettement aux États-Unis constituent des signaux permettant de prédire la fin du cycle de croissance commencé en 2009. Ce dernier est le troisième le plus long depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le cycle de croissance le plus long est celui des années 1991/2001 suivi de celui de 1961/1969. La durée moyenne des cycles est aux États-Unis de 6 ans. L’ampleur des destructions provoquées par la récession de 2008 (moindre création de richesse, disparition de capital productif) et la faible croissance connue depuis (autour de 2 %) doivent être pris en compte pour apprécier le cycle économique en cours. Sa durée actuelle ne compense pas les pertes subies depuis 10 ans par rapport à la tendance de longue période. Le cycle de croissance en cours pour l’Europe n’est vieux que de quatre ans avec, de surcroît, un long amorçage. Le faible effet du plein emploi sur l’inflation traduit le changement de structure de l’économie. Certes, cela traduit une modification dans le partage de revenus, en revanche, cela évite une baisse de la rentabilité du capital qui serait nuisible à l’investissement. La chine pourrait également enregistrer une baisse de sa croissance en raison du surendettement et de la baisse des gains de productivité. Pour le moment, l’activité se maintient à un niveau correct grâce à la reprise du marché européen.

Dans les prochains mois, plusieurs facteurs géostratégiques pourraient fragiliser, l’édifice économique. L’Europe n’a pas fini de gérer le Brexit. Le départ du Royaume-Uni, deuxième puissance économique de l’Union qui dépendait des importations du reste de l’Europe, premier pôle financier de l’Union et principal pays d’accueil des migrants intra-européens, constitue un défi à relever. L’année 2018 sera cruciale pour élaborer un cadre qui nuise le moins possible aux intérêts européens et britanniques. Derrière la question du départ du Royaume-Uni, se posera le problème éventuel de la sécession de l’Écosse. L’autre écueil européen est constitué par la volonté d’indépendance de la Catalogne. Les élections du 21 décembre prochain devraient permettre de connaître le rapport de force entre les indépendantistes et les tenants de l’Espagne unie. L’indépendance de la Catalogne créerait une onde de choc avec des risques de contagion (Italie, France) et affaiblirait l’Union européenne. Enfin, pour clore le dossier européen, les élections législatives en Italie, au mois de mars 2018, sont susceptibles de générer quelques tensions en cas de victoire du parti « cinq étoiles » qui réclame la sortie de la zone euro. Selon les sondages réalisés fin novembre, ce dernier est  en tête en étant crédité de 29 % mais ne peut en l’état gouverner seul compte tenu du système électoral en vigueur. Toujours sur le vieux continent, la relance de la construction européenne sera un point important pour générer un environnement favorable à l’activité, l’investissement et la recherche. Une avancée vers plus de fédéralisme du moins au sein de la zone euro est attendue. Elle suppose que qu’une coalition stable puisse se constituer en Allemagne.

La politique américaine constituera, en 2018, un foyer d’incertitudes. Les effets économiques du plan fiscal s’il est adopté par le Congrès sont difficiles à apprécier. Une relance d’une économie en plein emploi ne peut aboutir qu’à accroître le déficit commercial. Elle pourrait favoriser l’augmentation des taux et créer des tensions financières internationales. La tentation protectionniste avec une éventuelle remise en cause de l’accord avec le Canada et le Mexique (ALENA) serait un mauvais signal. La multiplication des tensions diplomatiques (Corée du Nord, Moyen Orient) pourrait à terme créer un climat de défiance.