16 juin 2018

Le Coin de la Conjoncture du 16 juin 2018

États-Unis, une croissance qui n’en finit pas

Le cycle de croissance entamée après la Grande Récession de 2008/2009 est le plus long de l’histoire économique des États-Unis (plus de 9 ans), ce qui permet à tout un chacun d’annoncer sa fin prochaine. Ce cycle n’a pas permis pour le moment d’effacer les stigmates de la dernière crise. Le taux de croissance reste moyen par rapport aux performances passées. Les chocs provoqués par la mondialisation et l’automatisation, restent visibles dans l’ensemble du pays et alimentent les tentations protectionnistes.

Selon la dernière étude économique des États-Unis réalisée par l’OCDE, les perspectives à court terme restent bien orientées. La consommation privée demeure solide, pouvant compter sur le dynamisme du marché de l’emploi et le niveau élevé de la confiance des consommateurs. La réforme fiscale et la relance de l’investissement public devraient générer un accroissement du PIB d’un point cette année et la suivante. La réduction des normes réglementaires devrait également favoriser l’activité. Dans ce contexte, le PIB devrait enregistrer une croissance de 2.9 % en 2018 et de 2.8 % en 2019.

L’OCDE pointe néanmoins plusieurs risques pour l’économie américaine. Les ratios d’endettement des entreprises commencent à devenir préoccupants. Les écarts de taux d’intérêt entre les États-Unis et les autres pays deviennent importants, contribuant ainsi à l’appréciation du dollar et à des transferts de capitaux pouvant désorganiser l’économie mondiale.  L’aggravation des tensions commerciales avec les principaux partenaires pourraient à moyen terme peser sur la croissance. Par ailleurs, les déséquilibres budgétaires pourraient à terme constituer un problème.

Le taux de chômage est tombé à 3,8 %. Ce bon résultat masque une situation contrastée. Des bassins d’emploi à dominante industrielle peuvent connaître de forts taux de chômage et un accroissement rapide de la pauvreté. La crise du cœur industriel et traditionnel du pays explique la popularité des mesures protectionnistes annoncées par le Président Donald Trump. La baisse du taux d’activité par rapport à la situation observée dans d’autres pays de l’OCDE constitue une évolution préoccupante. Le taux d’activité des femmes s’est redressé quelque peu, mais les hommes jeunes ayant un faible niveau d’instruction restent en marge du marché du travail. Le resserrement du marché du travail et l’accélération de la progression des salaires enregistrés au cours des dernières années sont censés inciter certains travailleurs inactifs à reprendre un emploi et endiguer la montée de la pauvreté.

Les États-Unis tout comme la France doivent faire face à un problème de qualification de la main-d’œuvre. Les secteurs de pointe peinent à trouver des actifs disposant des compétences suffisantes. Par ailleurs, la croissance de l’automatisation des tâches obtenue grâce aux robots et à l’intelligence artificielle supprime des emplois occupés par les membres de la classe moyenne et provoque aussi des pertes d’emplois et des tensions salariales. Selon l’OCDE, pour amoindrir ces effets, il faut adopter des mesures plus vigoureuses et intervenir au plus tôt pour aider les travailleurs à acquérir de nouvelles compétences et à tirer profit des nouvelles perspectives ainsi créées, avant qu’ils ne soient laissés pour compte.

Les États-Unis doivent par ailleurs faire face à deux problèmes de santé publique ayant des effets économiques de plus en plus importants : la drogue et l’obésité. La consommation d’opiacés est considérée comme préoccupante d’autant qu’elle est de plus en plus liée à des prescriptions médicales. Les taux de prescription varient fortement à l’intérieur du pays. Une corrélation est constatée dans les régions entre des taux de prescription élevés et un faible taux d’activité. L’OCDE demande que les pouvoirs publics prennent de nouvelles mesures pour limiter la dépendance, en adoptant de meilleures pratiques prescriptives, en retirant de la circulation les produits non consommés, en élargissant l’offre de traitements médicalement assistés de l’addiction et en aidant les personnes concernées à trouver un travail et un logement afin de réduire les risques de rechute.

 

L’obésité constitue certainement le plus grave problème de santé publique auquel est confronté les Etats-Unis. Liée à de mauvaises pratiques alimentaires et au manque d’activité, elle est un marqueur social important. Elle se concentre dans les États connaissant un déclin industriel. En 2017, le taux d’obésité dans la population des États-Unis s’élevait à 39,6 %, ce qui constitue un nouveau record. Parmi les jeunes Américains, âgés de deux à 19 ans, 18,5 % sont obèses, selon le rapport. En 1999, le taux d’obésité chez les jeunes était de 13,9 %. Selon l’administration américaine, le poids moyen d’une femme américaine d’aujourd’hui est supérieur au poids moyen d’un homme américain en 1960 (75 kg). En 1960, le poids moyen d’une femme américaine était 63 kg. Le poids moyen actuel des hommes est de 88 kg. De 1960 à 2017, la taille moyenne des Américains n’a augmenté que de 2,5 cm. L’obésité provoque une forte augmentation de la prévalence du diabète de type II, accroît le nombre de décès par crises cardiaques et favorise la survenue de certains types de cancer. Le coût pour la santé publique aux États-Unis de l’obésité est évalué à près de 200 milliards d’euros.

La drogue et l’obésité expliquent en grande partie la baisse de l’espérance de vie constatée depuis plusieurs années aux États-Unis. La montée des inégalités et le difficile accès aux établissements de santé pour certaines catégories défavorisées de la population contribuent également à ce déclin.

L’euro, bientôt vingt ans mais pas encore complètement majeur !

L’euro aura vingt ans l’année prochaine. La monnaie commune a surmonté deux crises, celle de 2008 et celle de 2011. Elle s’inscrit dans le quotidien des Européens depuis une génération. Elle est la deuxième monnaie après le dollar. Or, cette monnaie unique au monde, au sens où elle n’est pas rattachée à un État, apparaît toujours aux yeux de certains fragile.

L’euro est accusé de tous les maux par certains partis politiques au sein de plusieurs États membres de l’Union européenne. Il est accusé de favoriser le chômage, la montée de la pauvreté, les déficits publics et les pertes de pouvoir d’achat. Si au moment de son introduction, la monnaie unique fut jugée responsable de la hausse des prix, elle a également été considérée comme responsable du climat déflationniste qui a eu cours de 2012 à 2016. Le procès de l’euro est souvent à charge. Nul ne s’étend sur ses avantages et sur les conséquences éventuelles durant la Grande Récession pour les États membres si elle n’avait pas été créé.

Les débats sur l’appartenance à la zone euro à l’occasion de chaque grand rendez-vous électoral au sein de plusieurs États membres ne peuvent être traités à la légère. Plusieurs partis politiques qui accèdent désormais au pouvoir mettent en avant, au sein de leur programme, la sortie de leur pays de la zone euro même si pour le moment, aucun État n’a demandé formellement à en sortir. En cas d’accroissement des difficultés économiques et sociales, un gouvernement aux abois pourrait être tenté de passer à l’acte. Le populisme avec l’appui des nouvelles techniques de communication s’encombre de moins en moins de considérations rationnelles. Cette perpétuelle remise en cause de l’euro mine sa légitimité et provoque un raidissement des positions au sein des États membres.

Au mois de septembre dernier, le Président de la République Française, Emmanuel Macron, s’était prononcé pour une réforme d’inspiration fédérale de la zone euro avec la création d’un fonds monétaire européen, d’un budget spécifique et la possibilité d’émettre des titres européens. Neuf mois après, Angela Merkel a répondu au Président français dans le cadre d’une interview au Frankfurter Allgemeine Zeitung rendu publique début juin. Les difficultés rencontrées par la Chancelière allemande pour constituer une majorité parlementaire expliquent, en partie, ce long délai. Son interview intervient quelques jours après la constitution d’un gouvernement anti-européen en Italie et à moins d’un mois d’un sommet européen censé approuver une grande réforme de l’Europe, réforme qui a été initiée par les États membres après la décision des Britanniques de quitter l’Union. Angela Merkel, tout en ne dérogeant pas aux principes d’orthodoxie financières allemandes, accepte l’idée d’une petite dose de mutualisation budgétaire. Elle a reconnu que la nécessité d’une « plus grande convergence économique entre États membres au sein de la zone euro », et s’est déclarée favorable à « un budget d’investissement » pour la zone euro. Ce budget spécifique serait inclus dans celui, plus large, de l’Union européenne. Elle a tenu à préciser que ce budget devrait rester limité. La chancelière a mentionné pour son montant un chiffre « limité à deux chiffres en milliards d’euros », soit quelques dizaines de milliards d’euros. Emmanuel Macron avait avancé l’idée d’un budget de « plusieurs points du PIB de la zone euro », soit plusieurs centaines de milliards d’euros. Les Allemands sont toujours très réticents à financer un budget qui favoriserait des pays impécunieux. La volonté d’abandonner la politique d’assainissement budgétaire du nouveau gouvernement italien constitué de représentants du Mouvement 5 Étoiles et de la Ligue renforce leurs appréhensions. Angela Merkel a fixé clairement les limites en déclarant « la solidarité entre partenaires de la zone euro ne doit jamais conduire à une union de l’endettement ». En revanche, elle n’est pas hostile à la création d’un Fonds monétaire européen (FME), venant en aide aux pays aux difficultés, en échange toutefois d’une surveillance étroite. Ce FME inter-gouvernemental reprendrait d’une part les prérogatives du Mécanisme européen de stabilité (MES), chargé aujourd’hui d’aider à financer la dette de pays en crise comme la Grèce, en leur accordant des prêts de très long terme. La Chancelière considère que ce fonds pourrait accorder des lignes de crédit à court terme destinées « à soutenir des pays confrontés à des difficultés d’origine extérieure ». Elle a précisé que ce FME devrait disposer d’un droit de regard sur les politiques nationales des pays aidés. Ce FME serait chargé d’« évaluer la solvabilité des États membres » et à l’aide « d’instruments adaptés » pourrait « rétablir » cette solvabilité. Ce pouvoir d’ingérence risque d’être fort mal apprécié par certains États membres de l’Union. Compte tenu des prises de position de la Chancelière allemande et des dirigeants de plusieurs États de la zone euro, le prochain sommet européen ne devrait pas amener d’importantes avancées.

Les Allemands ont tout intérêt à maintenir la zone euro au-dessus de la ligne de flottaison. En effet, la monnaie unique leur permet d’exporter aisément au sein de l’Union sans se préoccuper des problèmes de change. En outre, la présence de pays confrontés à des problèmes économiques au sein de la zone euro pèse sur le cours de la monnaie, ce qui favorise les exportations allemandes. Par ailleurs, l’Allemagne serait la principale perdante sur le plan financier en cas de démantèlement de la zone euro.

Le détricotage de la zone euro serait d’une rare complexité. Il est plus facile d’embarquer dans la zone euro que d’en sortir. Des liens financiers inextricables se sont noués. Les pays de la zone euro ont accumulé des dettes et des actifs extérieurs bruts de très grande taille, dont une partie importante est en euros.

Si un pays en difficulté sort de la zone euro et dévalue par rapport à l’euro, la valeur en monnaie nationale de sa dette extérieure brute augmente du montant de la dévaluation ; les emprunteurs de ce pays soit subissent une hausse considérable du service de leur dette, soit font défaut.

Les actifs extérieurs bruts de l’Allemagne atteignaient, en 2017, près de 260 % du PIB contre 100 % en 1999. Sur la même période, la dette extérieure allemande est passée de 100 à 190 % du PIB. La France a un ratio de dette extérieure brute légèrement supérieur à celui de ses actifs extérieurs, 310 contre 290 % du PIB. En 1999, ces deux ratios s’élevaient à 140 % du PIB. Pour l’Italie, la dette extérieure est de 165 % du PIB quand les actifs extérieurs s’élèvent à 155 % du PIB. Pour l’Espagne et le Portugal, la dette extérieure a progressé bien plus rapidement que les actifs extérieurs. L’écart est passé de 20 à 90 points de PIB en Espagne lors de ces vingt dernières années et de 30 à 80 points de PIB au Portugal. Même si l’époque est à la renationalisation des dettes au sein de la zone euro, depuis la crise de 2011, le stock de dettes détenues par les Européens du Nord sur les Européens du Sud demeure important.

L’accumulation de ces dettes n’est pas sans poser un problème aux États membres. Elles sont avant tout l’expression de l’existence de déficits commerciaux associés à des déficits publics importants. Entre 1970 et 1999, le taux de change de la lire par rapport à l’Allemagne avait été divisé par 5. Depuis 1999, il est constant. Au regard des fondamentaux de l’économie italienne, la lire aurait dû perdre entre 40 à 60 % de sa valeur. Du fait de la disparition de l’arme de la dévaluation, les États n’ont d’autres choix que de jouer sur leurs coûts de production. Si l’Espagne et le Portugal ont diminué leurs coûts salariaux après 2010, il en a été différemment pour l’Italie. Une inflexion a été constatée en France avec la mise en place du CICE et du pacte de responsabilité qui ont permis une stabilisation des coûts. L’évolution de ces coûts explique notamment pour l’Italie et la France les pertes de parts de marché. Depuis 1999, les exportations allemandes ont été multipliées par 2,75 quand elles ne se sont accrues que de 72 % pour l’Italie, de 80 % pour la France et de 100 % pour l’Espagne.

Avec la constitution d’un Gouvernement anti-européen à Rome, l’écart de taux à 10 ans sur les obligations d’État est passé de 1,5 à 3 points avant de redescendre légèrement. Cette augmentation est assez irrationnelle. En effet, la sortie de la zone euro de l’Italie sonnerait sans nul doute le glas de la monnaie unique. L’Allemagne serait alors la première victime de cette tragédie. Un démantèlement de la zone euro supposerait un accord monétaire international pour éviter un effet contagion de la crise financière qui en résulterait. Les partis populistes jouent avec le feu afin d’obtenir le cas échéant des concessions de la part des autorités européennes au risque de décevoir l’opinion publique qui pourrait finir par croire aux bienfaits d’une solution radicale.

Les débats en cours au sein de plusieurs États membres devraient, en revanche, servir de catalyseur pour la mise en place d’un réel gouvernement économique de la zone euro, question sans réponse depuis la signature du Traité de Maastricht en 1991. La monnaie unique a été instituée en considérant que la vie économique est un long fleuve tranquille et que tous les États devaient converger. Par nature, l’économie est sujette à des crises et la convergence escomptée a cédé la place à une spécialisation, d’un côté les pays industriels, de l’autre les pays tertiaires à vocation touristique. Le problème est que les gains de productivité diffèrent entre les deux catégories de pays avec à la clef le gonflement des déficits. Or, avec le principe en vertu duquel les États membres sont collectivement responsables de la monnaie mais individuellement de leurs politiques économiques et budgétaires, aucun mécanisme de compensation n’existe. Au sein d’un État, les prestations sociales, les dotations, les subventions permettent de restaurer les équilibres financiers. Pour le moment, les États forts ne veulent pas entrer dans un processus de régulation qui aboutirait à des transferts financiers du Nord vers le Sud. La relance du processus de construction européenne est indispensable pour éviter que ce dernier s’érode au fil des années. Sans projet, sans objectif, l’idée européenne est amenée à s’étioler et à laisser place aux traditionnelles rivalités nationales. De 1957 aux années 70, la réalisation du marché commun et la mise en œuvre de la Politique Agricole Commune qui s’accompagnaient d’une forte progression du pouvoir d’achat des populations ont porté l’idéal européen. La construction européenne était synonyme de paix et de démocratie. C’est au nom de ces valeurs que l’Espagne, le Portugal, la Grèce ont intégré le club. La construction ne s’est pas réalisée sans heurt. Les crises sont légions et la France en a bien souvent été à l’origine. De son refus de s’engager dans la Communauté Européenne de la Défense en 1954 au rejet du référendum de 2005, elle a pratiqué la politique de la chaise vide avec le Général de Gaulle qui s’est conclue par l’accord de Luxembourg institutionnalisant le vote à l’unanimité sur de nombreux sujets. Depuis l’échec du traité constitutionnel de 2005 initié par la France et rejeté par elle après référendum, l’Europe est en panne d’idéaux. La relance de la construction européenne nécessite que les dirigeants de plusieurs Etats membres, partagent les mêmes objectifs. La cristallisation du débat sur le couple franco-allemand est sans nul doute contreproductive, les autres Etats dont certains comptent en termes de PIB et de population, la Pologne, l’Epagne, l’Italie, la Suède, se sentent exclus du jeu. Par ailleurs, les arrière-pensées des gouvernements français et allemand empêchent d’avancer vers une refonte de l’Europe.