3 août 2019

Le Coin des Tendances du 3 août 2019

La dépendance, un défi incontournable à nuances territoriales

En 2050, la France pourrait compter près de 5 millions de personnes dépendantes, contre 2,5 millions en 2015. Actuellement 15 % des personnes de 60 ans ou plus sont concernées. Parmi elles, 700 000 peuvent être considérées en perte d’autonomie sévère.

Le taux de prévalence de la perte d’autonomie progresse fortement avec l’âge. Ainsi, en 2015, il s’élevait à 30,2 % pour les individus de 75 ans, contre 6,6 % des individus âgés de 60 à 74 ans. Si l’espérance de vie à 60 ans a fortement progressé ces dernières décennies, en revanche, celle des personnes âgées en bonne santé augmente très lentement. Selon les dernières statistiques Eurostat portant sur l’année 2016, la France se situe sous la moyenne européenne dans ce domaine. Elle est de 64,1 ans chez les femmes et 62,7 chez les hommes quand la moyenne en Europe est respectivement de 64,2 et 63,5 ans. Avec la Suède, l’écart est de presque dix ans (73,3 ans chez les femmes, 73 chez les hommes). Les comportements, les habitudes alimentaires et l’accès aux soins expliquent cet écart. La France apparaît en retard dans le domaine de la prévention.

Des différences territoriales sensibles

Le taux de prévalence de la dépendance (ratio du nombre de personnes souffrant d’une perte d’autonomie à un moment donné, par le nombre de personnes exposées au risque), varie fortement d’un département à un autre. Dans le cas présent, les écarts en nombre de personnes âgées dépendantes s’expliquent non seulement par la proportion plus ou moins importante de seniors âgés mais aussi par des différences au niveau de la déclaration des pertes d’autonomie. Selon les départements, l’appréciation de la dépendance peut varier.

En 2015, les taux de prévalence de la perte d’autonomie sont les plus élevés dans les départements du Massif central. 20,9 % des seniors sont en perte d’autonomie dans la Creuse. Territoire rural avec une forte population âgée, il est assez logique que le taux de prévalence y soit élevé. En outre, du fait de la faible urbanisation, le recours aux services du département pour bénéficier de soins y est significatif d’où l’importance de pouvoir être identifié comme personne dépendante.

Dans le Pas-de-Calais, la population des seniors est plus jeune, mais la part de personnes en perte d’autonomie (18,8 %) y est proche de celle des départements du Massif central. Le problème dans ce département est d’ordre social et sanitaire. Les personnes âgées disposent de peu de moyens financiers et font appel à la solidarité publique pour être prises en charge, ce qui conduit à une augmentation du taux de prévalence. Historiquement, les conditions de travail pénibles qu’a connu une proportion non négligeable des seniors habitant dans le Nord de la France pèsent aujourd’hui sur le taux de prévalence de la dépendance dans cette partie du pays.

Fort logiquement, les taux de prévalence sont moins élevés en Île-de-France, en particulier à Paris où 11,6 % des seniors sont en perte d’autonomie. Les seniors ont tendance à quitter la région parisienne au moment du départ à la retraite. Ceux qui demeurent à Paris ont des revenus plus importants que la moyenne des retraités. Par ailleurs, la présence de nombreux services à proximité du domicile rend moins nécessaire de se déclarer comme dépendant.

Dans les départements de l’Ouest, les taux sont également plus faibles qu’en moyenne nationale, avec 13,2 % de seniors en perte d’autonomie dans le Morbihan, 13,7 % en Loire-Atlantique et 13,8 % en Ille-et-Vilaine. Ce sont des départements où la solidarité familiale et la solidarité de proximité jouent traditionnellement un rôle important. Il en est de même en Corse du Sud où la proportion de plus de 75 ans est nettement supérieure à la moyenne (11,5 % contre 9,3 %) sans que cela ait des conséquences marquées sur le taux de prévalence.

La part de seniors en perte d’autonomie est plus élevée dans les DOM qu’en France métropolitaine : 19,1 % de seniors en moyenne, et même jusqu’à 20,6 % en Guadeloupe. Pourtant, les seniors sont beaucoup plus jeunes dans les DOM qu’en France métropolitaine. La problématique sociale explique une nouvelle fois cette différence. Par ailleurs, le niveau de santé de la population y est moindre qu’en métropole. En Guyane, si la population était aussi âgée que la moyenne française, le taux de prévalence serait, selon l’INSEE de 22,3 % (contre 16,3 % observé), soit le pourcentage de personnes en perte d’autonomie le plus élevé de tous les départements.

Part de personnes de 60 ans ou plus en perte d’autonomie en 2015

source INSEE

Maintien à domicile ou hébergement en établissement, tous les territoires ne sont pas égaux

En 2015, 1,9 million de personnes dépendantes vivaient à domicile pour 540 000 en établissement. Les taux de seniors en institution sont plus faibles dans les DOM, à Paris et en Corse (respectivement 3,1 %, 4,1 % et 4,6 % des seniors de 75 ans ou plus contre 8 % en moyenne). Ces départements disposent d’une offre de places en institution plus faible que la moyenne nationale (1,6 place pour 100 seniors dans les DOM, 3,2 à Paris contre 4,7 au niveau national). Ces écarts sont liés à des problèmes de coûts du foncier mais aussi aux usages des populations locales. Ainsi, en Corse, les familles accueillent plus facilement qu’ailleurs les personnes dépendantes à leur domicile. À Paris, les retraités peuvent accéder plus facilement à des services de proximité. En outre, leurs revenus permettent de faire face aux dépenses générées par le maintien à domicile.

Il est à signaler que les départements présentant les plus forts taux de seniors vivant en institution ne correspondent pas aux départements ayant les plus forts taux de perte d’autonomie. En outre, il convient de prendre en considération le décalage entre le taux d’équipement (nombre de places en établissement pour 1000 personnes âgées de 75 ans et plus) et le dynamisme démographique qui relativise l’offre de places en institution. En particulier dans les départements attractifs pour leur qualité de vie qui accueillent nombre de personnes âgées qui, une fois installées, ne peuvent pas toujours compter sur des solidarités familiales sur place.

Le défi de ces trente prochaines années

La problématique de la dépendance est relativement connue du fait des lois de la démographie. Compte tenu des tendances en cours, 4 millions de seniors seront en perte d’autonomie en 2050, soit 16,4 % des personnes âgées de 60 ans ou plus (contre 15,3 % en 2015). Les personnes en perte d’autonomie sévère représenteront 4,3 % de la population des seniors, contre 3,7 % en 2015. En France hors Mayotte, une augmentation de 100 seniors entre 2015 et 2050 impliquerait une hausse de 18 seniors en perte d’autonomie sur la même période. Dans les DOM, compte tenu d’un état de santé moins favorable, la croissance du nombre de personnes en perte d’autonomie serait plus intense : une hausse de 100 seniors entre 2015 et 2050 engendrerait une augmentation de 28 seniors en perte d’autonomie.

Aujourd’hui, en matière de traitement de la dépendance, nous sommes entre deux eaux. En effet, le nombre de personnes perdant leur autonomie augmente lentement car ce sont des générations creuses d’avant la Seconde Guerre mondiale qui sont concernées. Il en sera autrement dans dix ans. À partir de 2027, le taux de prévalence national augmenterait, passant de 14,8 % à 16,4 % en 2050. Cette augmentation sera due à l’arrivée des baby-boomers aux grands âges. L’amélioration de l’état de santé moyen à chaque âge ne compenserait pas l’effet de structure de l’arrivée aux grands âges des baby-boomers. Sous les hypothèses retenues dans la projection, les taux franciliens étant plus faibles en 2015, ces différences se maintiendraient jusqu’en 2050. Dans les DOM, les taux de prévalence de la perte d’autonomie sévère augmenteraient continûment à partir de 2028, alors qu’ils s’infléchiraient en France métropolitaine vers 2045.

Les prévisionnistes officiels estiment que la répartition entre les personnes dépendantes à domicile et celles en hébergement restera identique à ce qui est constaté aujourd’hui. Le nombre de personnes hébergées de façon permanente en établissement, qui est d’environ 600 000 en 2015, s’accroîtrait de 0,8 % par an en moyenne jusqu’en 2021, puis entre 1,5 % et 2,0 % par an de 2023 à 2040. Il dépasserait les 700 000 en 2030, soit + 20 %, et s’élèverait à 900 000 en 2045, soit une augmentation de plus de 50 % entre 2015 et 2045. Avec le vieillissement de la population, le nombre d’aidants familiaux risque de se réduire. Le nombre de célibataires a fortement progressé surtout en milieu urbain lors de ces trente dernières années. L’éclatement géographique des familles ne favorisera pas le maintien à domicile. 60 % des femmes de plus de 60 ans vivent seules. Le nombre de célibataires a progressé de 40 % en vingt ans. Selon l’INSEE, la proportion de célibataires est passée de 38,6 à 41,3 % au sein de l’ensemble de la population. La proportion de personnes mariées s’élève à 42,5 % quand celle des veufs est de 7,4 % et des divorcés de 8,8 %. Certes, pour l’INSEE, les personnes en concubinage sont recensées parmi les célibataires. En soustrayant les personnes en concubinage ou pacsés, un tiers des résidents français serait célibataire. 

Cette évolution de la société impose de réfléchir sur la construction de nouveaux établissements afin de pouvoir prendre en charge d’ici une dizaine d’années les personnes dépendantes. Elle suppose également la mise en place de réseaux de soins adaptés, professionnalisés et répartis sur l’ensemble du territoire afin de répondre aux besoins de la population. En particulier pour les personnes âgées de plus en plus nombreuses souffrant de la maladie d’Alzheimer ou de troubles du comportement qui nécessitent une médicalisation adaptée. Ce qui pose d’ores et déjà, et demain plus encore, le problème des personnels formés et en nombre suffisant en établissement comme au domicile, et nécessite de revaloriser une filière médico-sociale pénalisée par un déficit d’image.

Des actions de prévention, de formation, de suivi de la population devraient être également menées afin d’améliorer sensiblement l’espérance de vie en bonne santé. La mise en place d’une politique proactive en la matière serait une source tout à la fois de meilleures conditions de vie pour les seniors et une source d’économies pour les pouvoirs publics.