19 octobre 2019

Le Coin des tendances du 19 octobre 2019

La délicate problématique de l’emploi des seniors

En France, le taux d’emploi des salariés de 55 à 64 ans a augmenté depuis les années 2000 avec la fin des préretraites, l’allongement de la durée de cotisation pour obtenir une retraite à taux plein et le report de deux ans de l’âge de la retraite. Au début de l’année 2019, il atteignait 52,3 % contre 36 % en 2003. Il demeure néanmoins inférieur à celui de la moyenne de l’Union européenne (59,1 %), du fait de la faiblesse du taux d’emploi des 60-64 ans.

Les départs à la retraite avant l’âge de 62 ans restent importants en France. Dans son rapport sur la Sécurité Sociale de 2019, la Cour des Comptes les évalue à 400 000 en 2017. Le retrait précoce du monde du travail repose sur plusieurs facteurs. Il y a une forte appétence des actifs à partir tôt qui peut rejoindre le souhait des employeurs. Selon l’enquête du Cercle de l’Épargne de 2019, une majorité relative de Français est favorable à un retour à la retraite à 60 ans. Les années précédant l’âge légal de départ à la retraite sont marquées pour un nombre non négligeable de Français par le basculement volontaire ou subi dans l’inactivité. Le recours à l’assurance chômage dans l’attente d’une prise en charge par l’assurance vieillesse constitue un moyen non négligeable de sortie du marché du travail.

Le taux de chômage des seniors reste inférieur de loin à moyenne nationale, 6,5 % contre 8,7 % au début de l’année 2019. Ces deux dernières années, le nombre de demandeurs d’emploi de plus de 50 ans s’est accru du fait de l’augmentation des effectifs des générations en âge de travailler, du recul des âges de départ à la retraite, ainsi que de la transformation accélérée des métiers. Selon les données de l’INSEE, le nombre de chômeurs de 50 ans et plus a été multiplié par deux depuis 2008 (576 000 en 2017 et encore 554 000 au premier trimestre 2019), soit une hausse beaucoup plus importante que celle du nombre de chômeurs âgés de 15 à 24 ans (+11 %) et de 25 à 49 ans (+26 %).

La durée du chômage des plus de 50 ans tend à s’allonger. Elle était en 2018 de 673 jours contre 388 jours pour l’ensemble des demandeurs d’emploi. 41 % des seniors au chômage le sont depuis plus de deux ans. Ce chômage accru se traduit par une demande plus forte de prestations sociales non contributives. La part des personnes âgées de 60 à 64 ans est celle qui, au cours des dix dernières années, a le plus progressé parmi les allocataires de ces prestations, à la fois en termes d’effectifs, de poids dans leur classe d’âge et de montants alloués. Le poids des allocataires âgés de 60 à 64 ans dans leur classe d’âge a ainsi augmenté de 111 % en dix ans depuis 2009 pour le RSA, et de 192 % depuis 2010 pour l’Allocation aux Adultes Handicapées (AAH). Quant aux montants totaux versés à des personnes de cette tranche d’âge, leur hausse a été de 157 % pour le RSA socle contre 47 % sur l’ensemble des bénéficiaires de France métropolitaine, et de 288 % pour l’AAH contre 27 % pour l’ensemble des allocataires. Cette augmentation est très concentrée sur le segment des 60 à 62 ans.

Selon les évaluations de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) ainsi que de la Cour des Comptes, le coût des mesures de report d’âge de liquidation des droits à la retraite s’élevait, au début 2018, à plus de 700 millions d’euros au titre de la solidarité nationale et près de 800 millions d’euros pour le régime d’assurance-chômage, soit un total de 1,5 milliard d’euros par an. Cette évaluation ne prend pas en compte le montant des dépenses couvertes par les régimes complémentaires de prévoyance. Des travaux menés par la Drees en 2018 montrent ainsi que 56 % des ménages composés de séniors qui ne sont ni en emploi, ni en retraite perçoivent des minima sociaux, contre seulement 12 % pour l’ensemble des ménages de séniors. Ces revenus de solidarité représentent, à eux seuls, 30 % de leur revenu disponible. Quant aux revenus de remplacement (pensions d’invalidité et allocations chômage), ils composent 44 % du revenu disponible des ménages de séniors ni en emploi, ni en retraite qui les reçoivent, quand cette part est de 4 % pour l’ensemble des ménages de séniors. Les pouvoirs publics tentent depuis plusieurs années de favoriser l’emploi des plus de 50 ans. Un plan « séniors » avait été adopté en 2006. Les préretraites ont été progressivement supprimées tout comme la dispense de recherche d’emploi. Une obligation de négociation collective au sein des branches et des entreprises sur l’emploi des séniors a été instituée en contrepartie de la suppression de la contribution Delalande calculée en fonction des licenciements de salariés âgés de plus de 50 ans, François Hollande a créé en 2013 le contrat de génération en faveur de l’emploi des seniors. Ce dispositif a été supprimé en 2017 en raison de son insuccès tout comme l’obligation de négociation dans les branches. Dans le cadre du contrat génération, les pouvoirs publics avaient prévu le doublement de l’aide à l’embauche quand elle donne lieu à l’emploi simultané d’un sénior et d’un jeune. Un contrat de professionnalisation avait par ailleurs été introduit pour les plus de 45 ans afin de faciliter l’accès à la formation. Pour la Cour des Compte, l’ensemble des mesures prises lors de ces dix dernières années sont décevantes.

Le levier de la formation professionnelle reste mal utilisé. Ainsi, le taux d’accès à la formation diminue nettement avec l’âge. Cette situation s’applique également aux chômeurs. Selon les données de Pôle emploi, les demandeurs d’emploi âgés de plus de 55 ans avaient, en 2017, un taux d’accès à la formation de 3,2 %, inférieur de 8,8 points à la moyenne des demandeurs d’emploi. Les seniors sont moins épaulés par les services de Pôle Emploi que les autres demandeurs d’emploi. Les difficultés qu’ils rencontrent à retrouver un emploi décourageraient le personnel de Pôle Emploi à leur consacrer du temps. Pour autant, le contrôle de la recherche d’emploi ne révèle pas d’insuffisance de recherche plus marquée chez les séniors. Au contraire, dans le cadre du contrôle aléatoire, le taux de radiation des séniors (9 %) est plus faible que celui de l’ensemble des demandeurs d’emploi (12 %). La Cour des Comptes préconise qu’un accompagnement dédié soit institué en faveur des demandeurs d’emploi seniors.

La gestion des fins de carrière soulève la question de l’organisation du départ à la retraite ainsi que celle de l’évolution des rémunérations. Le départ progressif à la retraite est pour le moment un échec.

La retraite progressive est un dispositif créé en 1988 et qui a été modifié à plusieurs reprises. Depuis la réforme des retraites de 2014, ce mécanisme d’aménagement de fin de carrière est accessible deux ans avant l’âge légal d’ouverture des droits. Ce dispositif permet de percevoir une partie de la pension tout en exerçant une activité à temps partiel. La durée globale de travail doit représenter entre 40 % et 80 % de la durée de travail à temps complet. Pour bénéficier du dispositif, l’assuré doit justifier d’au moins 150 trimestres de durée d’assurance. Avant la réforme des retraites de 2014, la retraite progressive était un dispositif confidentiel, avec moins de 2 500 bénéficiaires au régime général en 2012. Les modifications de ce régime intervenues depuis ont permis d’atteindre péniblement 10 000 bénéficiaires en 2017. Le dispositif apparaît trop contraignant et entre en concurrence avec celui du cumul emploi retraite qui concernait en 2017 environ 500 000 personnes (tout régime de retraite confondu).

Outre l’assouplissement du départ progressif à la retraite, l’instauration d’un index senior au sein des entreprises est étudiée. Les aides publiques pourraient être modulées en fonction de cet index qui serait calculé à partir de plusieurs critères tels que le nombre de seniors dans l’entreprise, l’accès à la formation, l’embauche de plus de 50 ans. Ce système peu libéral pourrait générer des effets pervers en termes de coûts, d’égalité de traitement au sein et entre les entreprises. Ainsi, les start-ups pourraient être pénalisées.

La question de l’ancienneté est un sujet également pouvant donner lieu à des évolutions. La France se caractérise par une rémunération qui progresse avec le nombre d’années passées dans l’entreprise et par un droit social rendant plus coûteux les licenciements après 50 ans. Les conventions collectives confortent bien souvent ces caractéristiques. Ces deux aspects peuvent rendre difficile l’embauche des seniors. Par ailleurs, les entreprises craignent un nombre plus important d’arrêts maladie voire d’invalidités avec des personnes de plus de 50 ans. La mise en place de mécanisme assurantiel visant à lisser les coûts induits par l’emploi des seniors pourrait être étudiée au niveau des branches professionnelles.

L’augmentation du taux d’emploi des seniors est considérée comme une des solutions pour garantir l’équilibre à terme des régimes de retraite. Cette augmentation ne peut pas être exclusivement quantitative, elle se doit d’être aussi qualitative, faute de quoi elle pourrait déboucher sur un jeu de bonneteau au niveau des caisses en charge de la protection sociale. Elle suppose une adaptation du droit du travail afin de prendre en compte les spécificités de l’emploi des seniors en permettant une meilleure adéquation entre offre et demande de travail pour cette catégorie d’âge d’actifs.

L’intelligence artificielle au service de la régulation sociale et politique

En Chine, de plus en plus de villes mettent en place le permis social à points par lesquels les citoyens sont notés et surveillés. L’élaboration d’un système de crédit social a commencé au début du XXIe siècle. Les autorités ont craint que la montée en puissance du capitalisme ne débouche sur celle de l’individualisme et remette en cause l’ordre restauré en 1949 avec l’arrivée au pouvoir de Mao. Le système de crédit social chinois visait aussi à lutter contre certaines pratiques pouvant nuire à la bonne réalisation des échanges économiques et financiers. L’objectif était de créer une société chinoise « plus civilisée » et « plus harmonieuse ». Le déploiement de ce système intervient au moment où le Président Xi Jinping entend restaurer des pratiques confucéennes « vertueuses » au sein de la société chinoise.

La Chine repose sur une culture multiséculaire dont l’ordre et la primauté du collectif sur l’individuel constituent la clef de voûte. Les déviances par rapport à l’ordre établi sont perçues comme des menaces pouvant porter atteintes à la stabilité et au progrès de l’ensemble qui est apprécié sur une longue période. En Occident, l’individualisme et le court terme sont sacralisés. Le rapport à la liberté est donc totalement différent. Elle est un des éléments du pacte occidental quand elle est accessoire aux yeux des autorités chinoises. Le permis social à points n’est que la déclinaison des permis de travail ou de déplacement.

Le système de crédit social devrait être institué en 2020 au niveau national. Il concernera non seulement les citoyens mais aussi les entreprises et les organismes publics. Ce système permettra de sérier les personnes morales et physiques en mettant l’accent sur des critères d’honnêteté. Les individus et les entreprises mal classés seront pénalisés pour l’accès aux prestations, aux subventions et aux services publics. Le projet en cours d’élaboration rencontre quelques retards du fait des problèmes de logistique qu’il pose. Le recours à l’intelligence artificielle pour traiter le grand nombre de données est envisagé. Le Gouvernement pourrait confier la gestion de ce système aux autorités locales dont certaines ont déjà mis en œuvre des outils de contrôle des comportements. 43 municipalités ont institué des projets pilotes. Le système de contrôle de Rongcheng, dans le Shandong, classe les individus en six catégories en fonction du nombre de points possédés par chacun :

  • AAA (plus de 1 050 points) : citoyen exemplaire ;
  • AA (entre 1030 et 1 049 points) : citoyen excellent ;
  • A (entre 960 et 1 029 points) : citoyen honnête ;
  • B (entre 850 et 959) : relativement honnête ;
  • C (entre 600 et 849) : niveau d’avertissement ;
  • D (549 et moins) : malhonnêteté.

Au départ, tous les citoyens se voient attribuer un capital de 1 000 points, capital qu’ils peuvent améliorer en réalisant de bonnes actions ou qu’ils peuvent perdre en ayant de mauvais comportements.

À Shanghai, les habitants de la ville peuvent entrer leur numéro personnel d’identification administrative sur une application dénommée Honest Shanghaï pour obtenir une évaluation de leur crédit social fondée sur leur statut professionnel, le paiement de leurs assurances et de leurs impôts, leur casier judiciaire, etc.

La ville de Pékin étudie également la possibilité d’instaurer un système de notation des citoyens avec la création de « listes noires ».

L’accès aux services publics, la possibilité de création d’entreprise de déplacement ou de voyage ainsi que la recherche d’emploi seraient conditionnés à la possession d’un certain volume de points. Les personnes de confiance bénéficieront d’un traitement accéléré de leurs requêtes, de facilités de crédits ou d’accès privilégiés aux voyages et évènements. Le système de listes noires déjà en vigueur sera amplifié avec la mise à jour en permanence des niveaux de crédits des entreprises et des particuliers non fiables. Des mécanismes de sanctions pour les personnes « non fiables » sont prévus. 

La perte de points pourra intervenir non seulement en cas de délits ou de crimes mais aussi en cas de défaut de paiement dans le cadre d’un crédit ou d’amendes pour non-respect du code de la route. Le fait de ne pas rendre visite régulièrement à des parents âgés, de manger dans le métro, de tricher dans le cadre de jeux en ligne et d’appartenir à un « culte hérétique » (toute religion non reconnue par le pouvoir communiste et athée) engendrera une perte de points. Il en sera de même si les citoyens contribuent à véhiculer des « rumeurs » sur Internet. À l’inverse, ils pourront gagner des points quand leur comportement aura « influence positive » sur leur entourage et la société. Donner son sang et s’occuper des personnes âgées permettront d’obtenir une majoration du crédit social.

Pour bâtir leur projet, les autorités chinoises prévoient de recourir à la vidéosurveillance avec reconnaissance faciale, aux décisions de justice, aux réseaux sociaux, et aux informations recueillies auprès des entreprises de transport, des entreprises de crédit, des banques, des systèmes de paiements dématérialisés omniprésents en Chine.

En Chine, à fin mars 2019, 13,49 millions de personnes étaient jugés « indignes de confiance » et placées sur des listes noires. 20,47 millions de demandes de billets d’avion et 5,71 millions de demandes de billets de train à grande vitesse ont été rejetées pour « malhonnêteté ». Les autorités chinoises ont prévu des dispositifs de réhabilitation des personnes placées sur listes noires afin d’éviter une stigmatisation excessive.

Ce système de contrôle devrait concerner les personnes morales et physiques étrangères installées ou réalisant des affaires en Chine. Les autorités chinoises indiquent que les États-Unis pratiquent de même en imposant les décisions qu’ils prennent en matière d’embargo aux entreprises étrangères. Le non-respect des règles américaines se traduit par de possibles amendes et interdiction de commercer, ce qui, aux yeux des Chinois, n’est guère différent de leur système de crédits. Le Gouvernement chinois estime que les pays occidentaux sont en proie à un déclin tant moral qu’économique. La crise des subprimes a révélé que le système capitaliste traditionnel n’était pas infaillible, que l’individualisme et l’hédonisme pouvaient entraîner un collapse civilisationnel.

La surveillance collective en Chine est une vieille pratique. Durant le régime impérial, ce rôle est dévolu aux Baojia qui rassemble les familles au niveau local dans un système communautaire. Les Baojia apparus 350 ans avant Jésus Christ prennent leur essor à partir de l’an 10000. Ils ont comme mission veiller à la bonne application des lois. Au Lorsqu’une faute était commise, elle se devait d’être rapportée aux autorités et l’ensemble du groupe était menacé de sanction. Les Baojia jouaient un rôle de caution solidaire. Si les Baojia disparaissent a priori en 1949, le Parti communiste chinois a dès la fin de l’année 1954, créé des « comités de quartier » qui y ressemblent. Ils ont comme missions d’informer, de surveiller et de dénoncer les actes répréhensibles. L’urbanisation du pays ainsi que la montée en puissance des classes moyennes réduisent l’efficacité des conseils de quartier. Le permis social vise donc à compenser la perte d’influence des structures de surveillance contrôlées par le Parti