26 juillet 2024

Economie – France – Etats-Unis

Les choix cornéliens de la France

Lors des dernières élections législatives, une majorité des Français s’est prononcée en faveur d’une hausse du pouvoir d’achat et de l’abandon de la réforme des retraites de 2023. Dans le même temps, le pays est censé, d’ici 2050, aboutir à la neutralité carbone, moderniser ses équipements de défense et faire face au vieillissement démographique (santé, retraite, dépendance), sachant que les finances publiques sont dans une situation extrêmement dégradée. Pour relever ses défis, trois voies sont possibles : la réalisation d’économies budgétaires sur certains postes, la hausse des prélèvements ou l’intensification de la croissance. Sur ces différentes solutions, aucun consensus politique n’existe pour le moment.

Les Français favorables à une hausse des rémunérations

Les Français réclament une hausse de leur pouvoir d’achat. Entre 2014 et 2024, le revenu réel des ménages (déflaté de l’inflation) a – malgré deux baisses, en 2020 et 2022 – augmenté. Le ressenti est cependant tout autre en raison de l’envolée des prix des produits alimentaires et de l’énergie après le déclenchement de la guerre en Ukraine et de la hausse de l’immobilier (location ou achat). Les consommateurs sont, par ailleurs, plus sensibles aux augmentations de prix qu’à leur baisse. Les variations des prix des achats quotidiens sont évidemment plus remarquées que celles concernant des biens achetés de manière épisodique. Les ménages les plus modestes ont les plus touchés par la hausse du coût des transports, l’augmentation des prix des produits alimentaires et de celle de l’immobilier. Le poids de leurs dépenses pré-engagées (logement, chauffage, abonnements, frais financiers) a fortement augmenté ces dernières années. Elles représentent 31 % des revenus des ménages les 20 % les plus modestes contre 10 pour les ménages du dernier quintile  (source INSEE – 2017). La hausse du pouvoir d’achat peut prendre la forme d’une augmentation des salaires, dont le SMIC, qui peut être décidée par décret par le Gouvernement, par la hausse des prestations sociales ou par la diminution des prélèvements. Une augmentation substantielle du SMIC pénaliserait les petites et moyennes entreprises, en particulier celles exerçant leurs activités dans le secteur des services domestiques. Cette mesure aurait un effet inflationniste et certainement récessif.

Les Français, contre la réforme des retraites

Les Français restent opposés à la réforme de retraite 2023 qui vise à reporter de 62 à 64 ans l’âge légal sauf pour les Français ayant commencé à travailler avant 21 ans. Ces derniers, en fonction de l’âge du début d’activité professionnel et du nombre de trimestres cotisés, peuvent partir avant 64 ans. Ceux ayant commencé à travailler dès 18 ans peuvent partir, sous certaines conditions, à partir à 60 ans. Ce rejet du report de l’âge de départ à la retraite s’accompagne du maintien d’une forte anxiété concernant le pouvoir d’achat à la retraite. Selon l’enquête Amphitéa – Cercle de l’Épargne de 2024, seulement un tiers des Français (34 %) estime vivre ou pouvoir vivre correctement à la retraite avec leur pension. Chez les non retraités, ce taux n’est que de 29 %. Les femmes qui perçoivent des retraites plus faibles que les hommes indiquent à 79 % que leur pension est ou sera insuffisante pour vivre à la retraite. 79 % des actifs de plus de 50 ans partagent cette crainte.

Des dépenses publiques supplémentaires en hausse

La transition écologique est une source importante d’augmentation des dépenses. L’effort annuel « net », qui correspond au besoin additionnel de financement à trouver d’ici 2030, a été évalué selon le rapport « Pisani-Mahfouz » à 67 milliards d’euros par an (entreprises et ménages, pour 33 milliards d’euros et État pour 24 milliards d’euros).

Les dépenses de santé, liées au vieillissement démographique devraient fortement augmenter dans les prochaines années. Le poids des plus de 65 ans dans la population totale devrait passer de 18 à 24 % de 2010 à 2030. Les dépenses de santé ont déjà augmenté de plus d’un point de PIB en vingt ans, malgré la mise en place de mesures malthusiennes comme le numerus clausus qui a été abandonné en 2021.

La France doit également consacrer un effort plus important en matière d’éducation et de recherche, compte tenu des retards accumulés ces dernières années. La France a fortement reculé dans le classement PISA qui suit le niveau des élèves au sein de l’OCDE. Le poids des dépenses de recherche et développement peine à dépasser 2 % du PIB quand il atteint 3,8 % aux États-Unis.

Le besoin d’investissements publics et privés et de dépenses publiques supplémentaires est évalué à plus de 5 points de PIB. Pour faire face à ce surcroît de dépenses, les solutions sont peu nombreuses : la hausse des prélèvements, la réalisation d’économies sur des postes non-prioritaires, le renforcement de la croissance. Certes, les pouvoirs publics pourraient décider, comme ces dernières années, de laisser dériver le déficit public qui a atteint 5,5 points de PIB en 2023. Les partenaires européens et les investisseurs ne tolèreront pas indéfiniment le laxisme budgétaire français. La Grèce et, plus récemment, le Royaume-Uni ont appris à leurs dépens que les déficits ne sont pas sans limites.

La hausse des prélèvements, des marges réduites

Pour compenser l’augmentation des dépenses, les pouvoirs publics pourraient opter pour un alourdissement de la pression fiscale de plusieurs points du PIB. Un tel relèvement poserait un problème de compétitivité et de soutenabilité sachant que la France a déjà un des taux les plus élevés de prélèvements au sein de l’OCDE. Ce taux avoisine 45 % du PIB quand il est, en moyenne, pour la zone euro (hors France) de 39 %. La tentation est néanmoins importante pour procéder à des relèvements. Parmi les pistes les plus souvent avancées figurent la hausse des cotisations retraite, la réintroduction de l’impôt sur la fortune sur les placements financiers, la création d’un impôt sur les très hauts revenus, le renforcement de la progressivité de l’impôt sur le revenu, l’instauration d’une progressivité sur la CSG et la fin du prélèvement forfaitaire unique pour les placements financiers.

La réalisation d’économies budgétaires

Depuis une quarantaine d’années, les pays qui ont réussi à assainir leurs comptes publics (Allemagne, Pays-Bas, Canada, Suède, Nouvelle Zélande) l’ont fait en réduisant leurs dépenses publiques. La France, depuis le début des années 1980, n’a que de manière épisodique, emprunté cette voie. La réalisation d’économies supposerait une remise à plat des dépenses sociales qui sont, de loin, le premier poste de dépenses publiques. Une réorganisation des structures publiques est, depuis des années, préconisée avec la suppression d’au moins un échelon de collectivités territoriales. Une rationalisation des agences ou autorités administratives indépendantes qui font bien souvent doublon avec des services de l’État pourrait être étudiée.

L’intensification de la croissance

La croissance potentielle de la France est désormais faible, inférieure à 1 % en raison de la disparition des gains de productivité et de l’augmentation réduite de la population active. Or, sans croissance, le financement du surcroît de dépenses publiques est compliqué. Si la France avait le même taux d’emploi que l’Allemagne, c’est-à-dire 78 % et non 68 %, toute chose étant égale par ailleurs, les comptes publics seraient globalement à l’équilibre. La France rencontre des difficultés budgétaires parce que son économie est en état d’attrition. Or, pour le moment, il n’y a pas de consensus pour fortifier le moteur économique. Le taux d’emploi est faible en France aux deux extrémités de la population active : chez les jeunes et chez les seniors. Son augmentation passe ainsi par un effort accru de formation et par un report de l’âge de la retraite.

Des choix cornéliens

La France a-t-elle les moyens d’augmenter les rémunérations en période de recul de la productivité et de réduire le taux d’emploi ? Pour éviter une crise d’endettement, une hausse des prélèvements obligatoires serait alors nécessaire. Une telle hausse pourrait avoir un effet récessif. L’absence d’amélioration des déficits publics pourrait rapidement s’accompagner d’une hausse des taux d’intérêt à long terme, mettant l’État et le gouvernement sous tension. La diminution du taux d’emploi pourrait également avoir un effet inflationniste, de nombreux secteurs d’activité étant déjà confrontés à des pénuries de main-d’œuvre. Cet effet serait accru en cas d’augmentation des salaires.

Le programme économique iconoclaste de Donald Trump

Donald Trump, candidat à l’élection présidentielle américaine du mois de novembre 2024, a prévu l’application d’un programme économique assez iconoclaste au regard de la situation économique. Il entend supprimer l’Inflation Reduction Act qui est un puissant levier en faveur de l’investissement des entreprises, augmenter les avantages fiscaux des ménages les plus aisés, instaurer des droits de douane et freiner fortement l’immigration. L’application de ces différentes mesures pourrait se traduire par un ralentissement de la croissance, la reprise de l’inflation et une aggravation du déficit public.

Les effets d’une remise en cause de l’Inflation Reduction Act

L’inflation Reduction Act (IRA), promulgué le 16 août 2022, prévoit des réductions d’impôts sur les voitures électriques, les batteries électriques, les panneaux solaires, les éoliennes produits aux États-Unis, au Mexique et au Canada et sur les travaux de rénovation thermique des logements. Le gouvernement avait initialement évalué le coût pour les finances publiques à 369 milliards de dollars sur 10 ans. Dans les faits, ce coût pourrait se situer 800 à 1200 milliards de dollars. L’IRA a contribué à une augmentation des investissements de la part des entreprises américaines mais aussi étrangères. Les investissements directs étrangers sont en hausse depuis deux ans et dépassent 1 % du PIB. Ce flux d’investissements a provoqué l’ire des États de l’Union européenne qui ont souligné le caractère déloyal de cette loi. Sa remise en cause pourrait entraîner une baisse de l’investissement et une diminution de la compétitivité américaine.

L’IRA permet aux États-Unis de réduire ses émissions de CO2. D’ici 2030, cette loi devrait provoquer une contraction de 30 % des émissions américaines. Elle a également facilité l’essor de la production de véhicules électriques sur le territoire américain. Le respect des Accords de Paris par les États-Unis n’étant pas la priorité de Donald Trump qui entend relancer l’industrie pétrolière sur le territoire américain ne saurait constituer un argument en faveur du maintien de l’IRA.

L’augmentation des droits de douane, un danger pour le consommateur et la croissance

Donald Trump a proposé d’instaurer des droits de douane de 60 % sur les produits importés de Chine. Ce taux serait porté à 200 % sur les voitures électriques importées de Chine. Pour les produits importés du reste du monde, un taux de 10 % serait appliqué. Les importations en provenance de la Chine représentent 2 % du PIB et celles du reste du monde 10 % du PIB. Aujourd’hui les droits de douane moyens appliqués sur les importations des États-Unis sont de 3,5 %. Contrairement à certains préjugés, les États-Unis ont un des tarifs douaniers le plus faible de l’OCDE même si, sur certains produits, des droits exceptionnels sont appliqués. Les droits américains sont, en moyenne, inférieurs, à ceux pratiqués en Europe. Plusieurs étude montrent que pratiquement 100 % de la hausse des droits de douane aux États-Unis est transférée aux prix domestiques des biens importés. L’instauration de droits élevés entraînera des mesures de rétorsion qui pénaliseront les exportations américaines. Le relèvement des droits de douane diminuerait par conséquent le pouvoir d’achat des consommateurs, le chiffre d’affaires des entreprises et donc la croissance.

La limitation de l’immigration, un risque inflationniste

65 % de l’accroissement total de la population américaine est lié à l’immigration. De 2021 à 2023, la population immigrée (nombre de personnes nées à l’étranger) aux États-Unis a augmenté de 4,5 millions (en termes nets, le solde des entrées et des sorties), dont 2,5 millions d’immigrés clandestins. Sur la même période, l’immigration brute (nombre de personnes nées à l’étranger entrant aux États-Unis) est de 6,3 millions. Sur 333 millions d’habitants, 48 millions sont nés à l’étranger. Cette immigration permet la forte croissance de l’emploi et la diminution des tensions sur le marché de l’emploi. Les États-Unis sont en situation de plein emploi avec un chômage variant entre 3,7 et 4 % depuis la crise Covid. Le ratio entre nombre d’emplois vacants et demandeurs d’emploi est de 1,4 en juin 2024, contre 0,5 en 2014. Une diminution drastique du nombre d’immigrants risque de favoriser l’inflation et de peser sur la production de biens et de services.

Donald Trump entend, sur le terrain économique, favoriser le secteur de l’énergie et améliorer les salaires des cols bleus. En revanche, une application stricte de sa politique pourrait amener une stagflation combinant inflation et faible croissance. L’application de son programme économique sera, en partie, conditionnée, aux résultats des élections à la Chambre des Représentants et du Sénat. Si la Chambre des Représentants était majoritairement démocrate, ses marges de manœuvre seraient réduites.