18 juin 2025

Economie – pétrole – Etats-Unis – Europe et épargne

Pétrole : pressions contradictoires

Les bombardements croisés entre Israël et l’Iran ont conduit à une hausse de 10 % du cours du baril de pétrole. Les craintes d’un emballement du conflit, avec à la clé un possible blocage du détroit d’Ormuz, expliquent cette flambée. Avant le 13 juin, jour du déclenchement de l’attaque de Tsahal, le cours du pétrole était orienté à la baisse, sur fond de ralentissement de la croissance mondiale et d’augmentation de l’offre. Dans ce contexte, quel pourrait être le prix du baril dans les prochaines semaines et quelles en seraient les conséquences sur la croissance ?

Jusqu’à l’intervention militaire israélienne, le marché était déflationniste, marqué par l’engagement d’une guerre des prix au sein du cartel. La prime de risque sur le pétrole est désormais supérieure à celles observées en avril et en octobre 2024, lors des précédents incidents entre Israël et l’Iran. Les investisseurs estiment que le risque d’embrasement est aujourd’hui plus élevé. Le baril de Brent n’avait plus atteint ce niveau depuis mars, avant le déclenchement de la guerre commerciale par Donald Trump. L’Iran est le septième producteur mondial. En moyenne, le pays a produit l’an dernier 3,26 millions de barils de brut par jour, une production en hausse de 13 % par rapport à 2023. La moitié de cette production est exportée, essentiellement vers la Chine. Pour ce pays soumis à des embargos divers et variés depuis des années, les recettes pétrolières — qui ont atteint 67 milliards de dollars en 2024 — constituent l’une de ses rares ressources à l’exportation. Priver Téhéran de cette manne est sans nul doute une tentation pour Israël afin d’affaiblir le régime. Les pays de l’OPEP ont la capacité de compenser l’arrêt de la production iranienne (soit environ 3 % de la production mondiale), ce qui impliquerait néanmoins une hausse des cours.

Au-delà de la production iranienne, les investisseurs s’inquiètent de l’accès au détroit d’Ormuz, partiellement contrôlé par l’Iran. Ce détroit est un passage stratégique pour les cargaisons de pétrole et de gaz du Moyen-Orient à destination de l’Asie et de l’Europe. Par le passé, Téhéran a menacé de bloquer le trafic dans cette zone, même si le gouvernement n’a jamais mis ces menaces à exécution, sachant qu’il en serait lui-même la première victime. Plus de 20 % du pétrole mondial et du gaz naturel liquéfié (GNL) transitent par ce couloir maritime. Le détroit d’Ormuz est notamment stratégique pour le Qatar, qui y expédie son GNL vers les pays asiatiques. Un blocage du détroit provoquerait une forte hausse des cours du pétrole et du gaz.

Le conflit israélo-iranien intervient dans un contexte de marché baissier. Le prix du pétrole avait atteint un pic en juin 2022, au début de la guerre en Ukraine (123 dollars le baril de brut). De 2022 à 2025, les cours ont régulièrement reculé pour revenir autour de 60 dollars. Ce déclin s’explique par l’anticipation d’un ralentissement de la croissance mondiale, notamment en Chine. La consommation mondiale de pétrole stagne depuis le milieu de l’année dernière autour de 105 millions de barils par jour.

La baisse des cours est également imputable à l’augmentation de la production des pays de l’OPEP+, à hauteur de 411 000 barils par jour. Donald Trump a, de son côté, libéralisé l’ouverture de nouveaux gisements pétroliers aux États-Unis, favorisant ainsi l’essor de la production.

Plusieurs États membres de l’OPEP souhaitaient maintenir des prix élevés, compte tenu de leurs besoins budgétaires importants, en lien avec les dépenses liées à la transition écologique et à la réduction progressive de la dépendance au pétrole. Selon le FMI, l’Arabie saoudite aurait besoin d’un prix de 91 dollars le baril pour équilibrer ses finances publiques ; le Koweït, de 82 dollars ; et l’Irak, de 92 dollars. La Russie, en raison de ses besoins de financement liés à la guerre en Ukraine, aurait besoin d’un baril à 77 dollars. Les États-Unis ont également intérêt à un prix élevé du pétrole : la production de pétrole de schiste n’est rentable qu’à partir de 58 dollars le baril pour les grands producteurs, et de 67 dollars pour les plus petits, selon les estimations de la Réserve fédérale de Dallas. À 65 dollars le baril, la rentabilité n’était donc pas assurée, ni pour les États, ni pour les producteurs.

Le conflit entre Israël et l’Iran constitue une aubaine pour les pays producteurs — qu’il s’agisse de l’OPEP, de la Russie ou des États-Unis. En revanche, l’Europe, le Japon et la Chine sont les principales victimes de cette hausse. Un prix du pétrole à 100 dollars le baril représenterait une progression de 15 à 20 % par rapport à son niveau actuel (mai–juin 2025). Compte tenu du poids de l’énergie dans l’indice des prix à la consommation (10 % dans la zone euro), l’inflation pourrait augmenter de 0,3 à 0,5 point sur une période de neuf mois. La croissance serait amputée de 0,1 à 0,3 point. La Banque centrale européenne pourrait dès lors être contrainte de ralentir, voire d’interrompre, son cycle de baisse des taux.

Le regain de tension au Moyen-Orient ressuscite une « prime géopolitique » sur les marchés pétroliers, longtemps contenue par une offre excédentaire et des anticipations déflationnistes. Ce retour de la volatilité pourrait peser sur les équilibres macroéconomiques mondiaux, entravant la désinflation en cours dans les économies développées et fragilisant les perspectives de reprise. Pour les grandes banques centrales, l’arbitrage entre stabilité des prix et soutien à l’activité redevient incertain

L’Europe et son épargne

Les ménages européens mettent beaucoup d’argent de côté. Mais cette épargne finance peu les entreprises européennes. Elle sert principalement au financement des pouvoirs publics et des entreprises situées hors de la zone euro, notamment aux États-Unis. Or, l’Europe a besoin de capitaux pour moderniser ses infrastructures, renforcer sa défense et soutenir ses entreprises. Selon le rapport de Mario Draghi, les besoins de financement s’élèveraient à 800 milliards d’euros par an, en cumulant les investissements publics et privés : 450 milliards seraient nécessaires pour la transition énergétique, 150 milliards pour les technologies numériques, 50 milliards pour les industries de défense et 150 milliards pour les innovations de rupture.

Il est donc crucial que l’Europe parvienne à mobiliser son épargne afin de réaliser ces investissements supplémentaires, qui représentent environ 4,7 % du PIB de l’Union européenne. Toutefois, si elle y parvient, un déficit d’épargne pourrait émerger aux États-Unis, entraînant une hausse des taux d’intérêt à long terme. C’est ainsi qu’une « guerre de l’épargne » pourrait s’engager entre les États-Unis et l’Union européenne.

La fuite de l’épargne européenne vers les États-Unis

L’analyse des flux de capitaux à long terme dans la balance des paiements de la zone euro montre une sortie nette d’épargne vers les États-Unis. En moyenne ces dernières années, cette fuite représente environ 3 % du PIB européen. Elle s’explique en grande partie par la meilleure rentabilité des entreprises américaines. En 2024, le RoE (Return on Equity) s’élève à 16 % aux États-Unis contre 10 % dans la zone euro. L’écart de croissance est également en faveur des États-Unis : entre 2010 et 2024, le PIB américain a progressé de 42 %, contre 20 % pour la zone euro.

En 2024, les investissements dans les technologies de l’information et de la communication atteignaient 3,8 % du PIB aux États-Unis, contre 2,4 % en zone euro. Les dépenses de recherche et développement représentaient 2,7 % du PIB américain, contre seulement 1,4 % pour la zone euro.

L’évolution des indices boursiers contribue également à l’attractivité du marché américain pour les épargnants européens. De 2010 à 2024, le Nasdaq a été multiplié par huit, le S&P 500 par plus de cinq, contre seulement un doublement de l’EuroStoxx 50. Les fonds indiciels américains, en particulier ceux indexés sur le S&P 500, attirent donc massivement l’épargne européenne.

Le marché financier américain présente plusieurs atouts, à commencer par sa profondeur. Il offre une vaste palette de titres, notamment dans le secteur des hautes technologies. En 2023, les levées de fonds en capital-risque ont atteint 250 milliards de dollars aux États-Unis, contre seulement 21 milliards d’euros dans l’Union européenne.

Un besoin vital de réorientation de l’épargne européenne

Pour financer sa transition énergétique, ses innovations de rupture, ses industries de défense et son virage numérique, l’Europe doit dégager chaque année l’équivalent de 4,7 % de son PIB en investissements. La mobilisation de l’épargne domestique est essentielle pour éviter une pression haussière sur les taux d’intérêt, qui nuirait à la fois à l’investissement privé et au financement des États, souvent déjà lourdement endettés. L’investissement des entreprises reste relativement faible en zone euro (environ 11,5 % du PIB) contre plus de 13 % aux États-Unis. Le déficit public de la zone euro tend également à s’accroître, notamment depuis la remise en cause du frein budgétaire allemand. Il devrait atteindre environ 1,5 point de PIB en 2025.

L’unification du marché européen des capitaux est un levier majeur pour mieux orienter l’épargne vers le tissu productif. Cela suppose des avancées concrètes : création d’un régulateur unique des marchés financiers, harmonisation du droit des faillites et de la fiscalité de l’épargne, mise en place d’un système de règlement-livraison commun. Les banques devraient aussi pouvoir transférer librement leur liquidité vers leurs filiales dans d’autres pays de l’Union.

Toutefois, ces mesures techniques ne suffiront pas à inverser la tendance tant que la rentabilité des entreprises européennes restera inférieure à celle des concurrentes américaines. Pour attirer l’épargne, il faut donc d’abord rehausser cette rentabilité, ce qui passe par une intensification de l’investissement, en particulier dans les technologies. Une révision des ratios prudentiels pourrait être envisagée, notamment en allongeant l’horizon des stress-tests actuellement fixé à un an. De même, l’émission massive de titres de dette publique européens permettrait d’approfondir le marché obligataire et d’accroître son attractivité.

Un changement de cap stratégique

Une réorientation de l’épargne des ménages vers des actifs européens serait une mauvaise nouvelle pour les États-Unis. Si la zone euro parvenait à retenir l’ensemble de son épargne à long terme, elle bénéficierait de 3 points de PIB supplémentaires à investir. Ce manque à gagner pour les États-Unis se traduirait par une remontée des taux d’intérêt et une contraction de l’investissement. La hausse des taux réels à long terme pèserait sur les indices boursiers, sur l’immobilier commercial et résidentiel, et pourrait provoquer une correction sur certains marchés d’actifs.

Durant les années 2000 et 2010, l’abondance de l’épargne mondiale a contribué à la baisse des taux d’intérêt. Mais cette situation a évolué. Les besoins de financement se multiplient : vieillissement démographique, transition écologique, réarmement stratégique, réduction de la dépendance énergétique. Même les pays producteurs de pétrole, historiquement exportateurs de capitaux, mobilisent désormais leurs ressources pour diversifier leur économie.

Dans ce contexte, l’Europe a tout intérêt à conserver une plus grande partie de son épargne sur son territoire. Cela implique une meilleure rémunération de cette épargne et une transformation en profondeur de son modèle de financement.

La bataille de l’épargne mondiale prend des accents nationalistes et protectionnistes dont les épargnants risquent d’être les perdants. L’épargne est un carburant de l’économie. Mais, depuis une quarantaine d’années, cette épargne, avec la libre circulation des capitaux, a facilité l’essor de nombreux pays et par ricochet a contribué à l’augmentation de la croissance de l’économie mondiale. Sa renationalisation n’est peut être pas la meilleure des évolutions possibles.

Donald Trump et les limites de la disruption

Depuis le 20 janvier dernier, jour de son investiture, Donald Trump n’a pas manqué de jouer de l’effet de surprise en multipliant les annonces chocs pour tenter de déplacer les lignes. Que ce soit en matière de droits de douane, d’immigration ou de dépenses publiques, le président américain a souvent été contraint de reculer, soit en raison de l’hostilité de l’opinion ou de ses alliés, soit par calcul politique. Ces revirements sont désormais de plus en plus anticipés par les acteurs économiques et politiques.

Donald Trump s’est spécialisé dans les annonces spectaculaires. Il a ainsi promis des droits de douane pouvant atteindre 145 % sur les importations de produits chinois, jusqu’à 50 % sur celles d’acier ou d’aluminium, et jusqu’à 25 % sur les voitures importées. Il a également déclaré vouloir imposer des droits de 50 % sur les produits européens. Parallèlement, il a annoncé un frein brutal à l’immigration, la suppression du droit d’asile, et la suspension du système de protection des réfugiés. Son projet de budget initial prévoit une aggravation du déficit d’au moins 330 milliards de dollars, en raison notamment de la prolongation du Tax Cuts and Jobs Act, de la défiscalisation des pourboires, des heures supplémentaires et des intérêts sur les crédits automobiles. Il envisage aussi une taxation de 10 % des revenus générés aux États-Unis par les résidents de pays pratiquant des politiques commerciales jugées distorsives — une mesure visant en particulier les pays européens ayant instauré une taxe sur les services numériques. Il a en outre promis des coupes budgétaires massives dans les crédits fédéraux alloués aux organismes de recherche (NIH, NSF, NASA…) et aux universités, malgré leur rôle essentiel dans l’attractivité du pays et dans l’innovation technologique.

Le président américain a été contraint de composer, notamment sur la question des droits de douane, en reportant leur application au 9 juillet. Il a accepté leur réduction dans le cadre de discussions avec la Chine, et a accordé plusieurs dérogations pour ménager certains secteurs clés (médicaments, microprocesseurs, etc.). Sur l’immigration, bien qu’il ait accentué la pression sur les grandes métropoles, notamment en Californie, il a assoupli ses positions pour certains secteurs (comme l’agriculture) ou certains États.

Ces allers-retours suscitent une interrogation croissante des investisseurs sur la crédibilité des annonces présidentielles. Donald Trump a tendance à corriger systématiquement, et dans des délais très courts, les mesures qu’il annonce avec fracas.

Les marchés financiers réagissent désormais de moins en moins aux déclarations présidentielles, comme en témoigne l’évolution récente de l’indice S&P 500. Après le choc du 2 avril, surnommé « Liberation Day », les actions américaines ont repris leur trajectoire, indépendamment des discours. Les indices n’ont ainsi pas été significativement affectés par l’annonce de droits de douane de 50 % sur l’acier et l’aluminium, ni par celle d’une taxe sur les revenus des entreprises ou investisseurs issus d’États accusés de pratiques anticoncurrentielles.

Le taux d’intérêt à 10 ans des obligations d’État américaines a d’abord reculé après le 2 avril, sous l’effet d’anticipations de ralentissement économique, avant de remonter à la faveur de craintes inflationnistes liées aux droits de douane. Il s’est ensuite stabilisé autour de 4,40 %-4,50 %, malgré la poursuite d’annonces imprévisibles en matière de fiscalité et de commerce extérieur.

L’indifférence croissante des investisseurs à l’égard des déclarations de Donald Trump est-elle justifiée ? Sur les droits de douane, des compromis seront probablement trouvés, car l’économie américaine reste fortement dépendante des importations. Des droits de douane élevés induiraient une hausse des prix, une baisse du pouvoir d’achat et un ralentissement de la croissance — un scénario incompatible avec une campagne de réélection efficace en 2026. En revanche, les marchés semblent sous-estimer les risques d’un dérapage budgétaire massif, qui pourrait engendrer une hausse durable des taux d’intérêt, avec à la clé une déstabilisation des marchés actions. Ce risque serait amplifié si la taxation des revenus des non-résidents — notamment européens — venait à se concrétiser.

’hyperactivité verbale de Donald Trump et ses volte-face permanentes ont, en apparence, désensibilisé les marchés financiers. Mais sous cette apparente indifférence se cache une fragilité. Si les annonces protectionnistes trouvent des contreparties négociées, le risque budgétaire, lui, est structurel et croissant. En promettant plus de baisses d’impôts et moins de recettes, tout en fragilisant l’économie de la connaissance, le président américain joue avec la soutenabilité de la dette publique. Une remontée durable des taux d’intérêt pourrait être le vrai talon d’Achille du modèle économique américain sous Trump. Ce que les marchés tolèrent aujourd’hui pourrait se retourner brutalement demain.