31 octobre 2025

Coin de l’économie – Europe – impasses budgétaires françaises

L’Europe : la première victime du protectionnisme américain

Depuis le début de l’année, les exportations européennes de biens vers les États-Unis ont chuté de 57 milliards de dollars en janvier à 44,6 milliards en juillet 2025, soit une baisse de 22 %. Ce recul, inédit depuis la crise financière de 2009, résulte à la fois du protectionnisme de Donald Trump, des achats anticipés réalisés par les importateurs en début d’année et de l’affaiblissement de la demande intérieure américaine.

Entre 2010 et 2024, les importations américaines de biens européens avaient plus que doublé, passant de 30 milliards de dollars par mois à près de 60 milliards. L’Union européenne représentait alors près de 18 % des importations totales des États-Unis, contre 12 % dix ans plus tôt. Or, depuis avril 2025, la tendance s’est inversée. La série mensuelle publiée par le Bureau of Economic Analysis (BEA) fait apparaître une rupture nette : –13 milliards de dollars en quatre mois. En volume, les livraisons de machines-outils, d’automobiles et de produits pharmaceutiques ont chuté respectivement de 9 %, 11 % et 7 %. L’Europe perd ainsi son principal client, tandis que la Chine, malgré les tensions géopolitiques, regagne du terrain aux États-Unis en jouant sur les prix et la valeur de sa monnaie.

Depuis le mois d’avril 2025, les États-Unis imposent 15 % de droits de douane sur l’ensemble des produits européens, 50 % sur l’acier, l’aluminium et le cuivre, et 25 % sur les voitures, déjà lourdement taxées lors du premier mandat Trump. Cette hausse tarifaire est sans précédent depuis les années 1930. Selon les calculs du BEA, elle concerne environ 240 milliards de dollars d’exportations européennes annuelles, soit 1,5 % du PIB de la zone euro. Les exportateurs ont réduit leurs marges pour absorber la majoration des tarifs douaniers, sans pour autant sauver leurs ventes.

La faiblesse de la demande intérieure américaine a également pesé sur les ventes européennes. Au premier semestre 2025, la croissance du PIB américain n’a été que de +1,5 % en rythme annualisé, contre une moyenne de 2,4 % entre 2015 et 2023. La consommation des ménages n’a progressé que de 0,9 %, et l’investissement privé non résidentiel s’est limité à +1,1 %. Ce ralentissement s’explique par l’essoufflement du marché du travail : les créations d’emplois sont passées de 280 000 par mois en 2023 à moins de 100 000 depuis mai 2025, tandis que la progression des salaires réels a cessé. La politique budgétaire expansive – avec un déficit public supérieur à 7 % du PIB – n’a pas relancé la consommation, étouffée par la hausse des taux et une inflation persistante (3,5 %).

Historiquement, l’élasticité des importations américaines à la demande intérieure est de 2 : une baisse de 1 % de la demande entraîne un recul de 2 % des importations en volume. La contraction de la demande de 1,3 % au premier semestre 2025 justifierait donc une baisse d’environ 2,6 % des importations, mais certainement pas la chute de 22 % observée sur les exportations européennes.

L’Europe n’a pas réussi à réorienter ses ventes. Depuis le début de l’année, les exportations vers la Chine ont stagné (0 %), celles vers le Royaume-Uni n’ont progressé que de +1,2 %. Les marchés africains et latino-américains demeurent marginaux (moins de 5 % du total). L’hypothèse d’un détournement via le Mexique ou le Canada – deux pays bénéficiant de droits de douane nuls sur 84 à 90 % de leurs échanges avec les États-Unis (accord USMCA) – ne se vérifie pas : les exportations de ces deux pays vers les États-Unis n’ont pas augmenté depuis janvier 2025.

La baisse des échanges avec les États-Unis a frappé de plein fouet les économies européennes. L’Allemagne, dont 8 % du PIB provient des exportations vers les États-Unis, a enregistré une baisse de sa production industrielle de 3 % au deuxième trimestre 2025. Les Pays-Bas ont subi un recul de 4 % de leurs ventes de biens d’équipement, et la France, plus orientée vers les services, un repli de 1,5 %.

Jusqu’à la pandémie, les États-Unis et l’Europe évoluaient de concert : l’investissement industriel américain stimulait les exportations européennes, et la demande européenne suivait la même courbe que celle des ménages américains.

Depuis 2023, cette corrélation s’est effondrée. Tandis que les États-Unis privilégient une stratégie de relocalisation (IRA, Inflation Reduction Act), l’Europe reste ouverte et dépendante des importations. Les grandes entreprises américaines investissent désormais massivement sur leur propre territoire : l’investissement manufacturier aux États-Unis a bondi de 57 % entre 2021 et 2024, alors que l’investissement industriel européen n’a progressé que de 4 % sur la même période.

Parallèlement, l’administration américaine conduit une politique de réindustrialisation ambitieuse : 2 600 milliards de dollars d’investissements publics fédéraux ont été fléchés vers les infrastructures, l’énergie et les semi-conducteurs. Les subventions conditionnées à la production locale atteignent 400 milliards de dollars. Les clauses de contenu américain (Buy American Act) s’appliquent désormais à plus de 60 % des marchés publics fédéraux.

Les pouvoirs publics exercent également une pression considérable sur les entreprises américaines exportatrices d’équipements électriques, de véhicules ou de produits pharmaceutiques, les incitant à implanter des filiales sur le sol américain pour conserver l’accès au marché.

Selon la Banque centrale européenne, chaque recul de 10 % des exportations vers les États-Unis coûte 0,3 point de PIB à la zone euro. La baisse actuelle (–22 %) pourrait donc amputer le PIB européen de plus de 0,6 point, expliquant près de la moitié du ralentissement de la croissance de la zone euro, qui ne devrait atteindre que 0,8 % en 2025, contre 2 % en 2023.

L’Europe paie aujourd’hui le prix de sa dépendance aux achats américains. En 2025, la part des exportations européennes destinées à des pays hors OCDE est retombée à 21 %, contre 27 % en 2015. La dépendance vis-à-vis du marché américain demeure totale pour certains secteurs : les États-Unis absorbent 44 % des ventes de l’aéronautique française, 37 % des équipements allemands et 31 % des produits pharmaceutiques irlandais.

Si la croissance américaine reste autour de 1 %, la part de l’Europe dans les importations américaines pourrait tomber à 15 % avec des droits de douane durablement majorés. Dans un tel scénario, l’Europe perdrait environ 1 point de PIB de manière structurelle – soit l’équivalent d’un choc pétrolier.

Le recul des exportations européennes vers les États-Unis pourrait annoncer une transformation durable du commerce mondial : les États-Unis se recentrent sur leur marché domestique. La mondialisation ne disparaît pas, mais elle se régionalise. Et dans cette nouvelle géographie du commerce, l’Europe demeure passive. Elle aurait tout intérêt, dans un tel contexte, à densifier ses relations commerciales internes et à développer ses échanges avec le Canada, la Nouvelle-Zélande, l’Australie et les pays d’Amérique latine.

Europe : sortir du piège

L’Europe est confrontée à une série de difficultés : une croissance en berne, une productivité en déclin, des dettes publiques élevées, des marges budgétaires inexistantes, des coûts énergétiques persistants, une industrie fragile, une absence sur les secteurs porteurs des technologies de l’information et de la communication, ainsi qu’une démographie déclinante. La menace du déclin, voire de la marginalisation du continent, rôde.

La croissance potentielle de l’Europe est structurellement faible en raison de l’évolution de sa population et des faibles gains de productivité. En 2027, le PIB de la zone euro ne devrait pas augmenter de plus de 0,8 %. L’Allemagne, jadis locomotive économique, pourrait connaître une troisième année consécutive de récession avec une contraction de 0,3 %. La croissance atteindrait au mieux 0,8 % en France et 0,5 % en Italie. Seuls l’Espagne et le Portugal tirent leur épingle du jeu avec des taux supérieurs à 1,5 %. Le Royaume-Uni, hors Union européenne, devra pour sa part se contenter d’une croissance de +0,6 % en 2025.

Sur dix ans, la croissance potentielle moyenne de la zone euro plafonne à 1,1 %, contre 1,9 % aux États-Unis. Depuis 2010, le PIB américain par habitant a augmenté de 18 %, contre 7 % pour la zone euro. Cet écart s’explique avant tout par la faiblesse de la productivité totale des facteurs (PTF), qui n’a progressé que de 0,3 % par an en Europe depuis 2010, contre 0,9 % aux États-Unis. L’économie européenne produit de moins en moins de valeur par heure travaillée.

La productivité reflète la capacité d’un système économique à transformer les innovations en production. Or, l’Europe ne sait plus le faire, étant passée à côté des révolutions technologiques depuis les années 1990. Les dépenses de R&D représentent 2,2 % du PIB dans l’Union européenne, contre 3,5 % aux États-Unis. Les investissements numériques ne s’élèvent qu’à 0,7 % du PIB en Europe, contre 1,8 % aux États-Unis. Les investissements en infrastructures énergétiques atteignent 1,5 % du PIB dans l’UE, contre 2,6 % outre-Atlantique. L’Europe souffre d’un sous-investissement chronique : le taux d’investissement net des entreprises européennes ne représente plus que 10,5 % de leur valeur ajoutée, contre 13 % en 2008. Dans le même temps, leur taux de marge moyen a reculé de 3 points. Cette érosion du capital productif pèse directement sur la croissance potentielle.

L’Europe doit également faire face à une contrainte budgétaire inédite. Le déficit public moyen de la zone euro atteindra 3,8 % du PIB en 2025. La dette publique dépasse 88 % du PIB, avec de fortes disparités : 115 % en France, 140 % en Italie, 65 % en Allemagne. Dans un contexte de taux longs avoisinant 3,4 %, le service de la dette représente désormais plus de 3 % du PIB pour la France et l’Italie, soit 70 milliards d’euros par an pour la première. Ce coût pourrait atteindre 100 milliards d’euros d’ici 2029. Les marges de manœuvre budgétaires sont très réduites, les dépenses publiques représentant 57 % du PIB en France, 53 % en Italie et 50 % en Allemagne — des niveaux sans équivalent au sein de l’OCDE.

La BCE a, de son côté, cessé de jouer le rôle d’amortisseur. Le resserrement monétaire entamé en 2022 a porté le taux de dépôt à 3,75 %, limitant toute relance par le crédit. Avec la fin des rachats d’obligations souveraines, le financement des États devient plus coûteux, tandis que la croissance, trop faible, ne suffit plus à stabiliser les dettes. Dans la majorité des pays européens, les taux d’intérêt sont désormais supérieurs à la croissance nominale, rendant plus difficile la maîtrise de la dette publique.

L’Europe affronte en outre un vieillissement démographique de grande ampleur. La population active (15-64 ans) devrait reculer de –0,3 % par an jusqu’en 2040. Le taux de fécondité moyen de l’Union européenne n’est plus que de 1,46 enfant par femme (1,59 en France, 1,35 en Allemagne, 1,23 en Italie et 1,19 en Espagne). La part des personnes âgées de plus de 65 ans passera de 21 % en 2025 à 30 % en 2050.

Cette transition accélérée se traduit par une hausse des dépenses de retraite, qui passeront de 13,5 % du PIB en 2024 à 16 % d’ici 2040. Les dépenses de santé progresseront plus vite que la croissance du PIB, tandis que la productivité tend à baisser dans une société vieillissante.

Le taux d’emploi des 55-64 ans, bien qu’en progrès (63 % dans l’UE contre 58 % en 2015), demeure insuffisant pour répondre aux besoins. Ce déficit d’emploi chez les seniors pèse sur la croissance potentielle et sur les comptes sociaux, en particulier en France et en Italie.

L’Europe reste handicapée par le prix élevé de l’énergie : le gaz y est 40 % plus cher qu’aux États-Unis, et l’électricité industrielle y coûte deux fois plus. Les importations d’énergie représentent 4 % du PIB européen, contre 1 % aux États-Unis. Les politiques de transition énergétique (Green Deal, Fit for 55) imposent des coûts de conformité élevés. 250 milliards d’euros d’investissements publics par an sont prévus jusqu’en 2030, mais les contraintes réglementaires pèsent sur la compétitivité des industries intensives en énergie (acier, chimie, ciment). L’Europe décarbone, mais se désindustrialise : le solde commercial industriel de la zone euro est passé de +220 milliards d’euros en 2019 à –30 milliards en 2025.

L’Europe se trouve désormais coincée entre deux pôles de la mondialisation : d’un côté les États-Unis, devenus protectionnistes (droits de douane moyens de 15 %, subventions massives à la production locale), de l’autre la Chine, dont la surproduction déverse sur le monde ses excédents industriels. Les exportations européennes vers les États-Unis ont chuté de 22 % depuis janvier 2025, tandis que celles vers la Chine stagnent. En revanche, les importations chinoises vers l’Europe ont augmenté de 18 % sur un an. Le solde commercial de la zone euro, autrefois excédentaire de 250 milliards d’euros, est désormais quasi nul. Or, le commerce extérieur constituait l’un des principaux moteurs de la croissance européenne. Si l’Espagne et le Portugal conservent des taux de croissance dynamiques, c’est essentiellement grâce à la vitalité de leur secteur touristique.

L’Europe est aussi menacée de fragmentation interne, plusieurs grands États connaissant de graves difficultés économiques et politiques, à l’image de la France ou de l’Allemagne. D’autres pays, notamment en Europe du Nord et du Sud, résistent mieux. Les écarts de productivité se creusent : 63 €/h en Allemagne, contre 48 €/h en France, 43 €/h en Italie et 40 €/h en Espagne. Cette divergence se retrouve également dans les niveaux d’endettement : 65 % du PIB en Allemagne, 115 % en France, 140 % en Italie et 112 % en Espagne.

Dans de nombreux États, les populations, lassées des politiques d’austérité, rejettent toute discipline budgétaire supplémentaire. Les réformes des retraites sont de plus en plus contestées : en France, le gouvernement de Sébastien Lecornu a été contraint de suspendre celle de 2023 — une première. Le risque majeur est celui d’une croissance molle auto-entretenue, à la japonaise : faible inflation, faibles taux, stagnation des revenus réels et montée du populisme.

Pour enrayer ce déclin, une relance de l’investissement productif est indispensable, notamment en portant les dépenses de R&D à 3 % du PIB d’ici 2030. La création d’un fonds européen de 500 milliards d’euros pour la transition industrielle (énergie, numérique, santé), financé de manière mutualisée, constituerait un outil décisif. L’allègement des contraintes réglementaires pesant sur les entreprises de taille intermédiaire est également nécessaire pour favoriser les gains de productivité.

Une hausse du taux d’emploi des 55-64 ans à 70 % doit devenir une priorité. Par ailleurs, l’Europe ne pourra pas résoudre ses problèmes sans recourir à une immigration maîtrisée, accompagnée de politiques d’insertion et de formation adaptées.

L’Union européenne doit enfin sortir de l’inertie politique et économique qui la caractérise depuis une décennie. Après le Brexit, en 2026, elle a échappé à la désintégration, mais elle attend toujours un sursaut. Elle subit les chocs extérieurs sans y répondre, investit trop peu, réforme trop tard et dépense trop peu pour l’avenir

Les impasses françaises

La France n’est pas au bord de la banqueroute, mais elle s’enlise dans ses contradictions au point d’apparaître comme l’État malade de l’Europe. Sa croissance stagne, sa dette s’alourdit, sa productivité recule, sa dépense publique ne cesse de progresser tout comme les prélèvements obligatoires. Une langueur s’installe, sur fond de moral des consommateurs et des chefs d’entreprise miné. Un long hiver semble s’installer sur la France.

En 2025, la croissance française ne dépassera pas 0,8 %, après 0,9 % en 2024 et 1,6 % en 2023. Sur cinq ans, la moyenne annuelle est de 1 %, contre 2,3 % dans les années 1990 et 1,5 % encore dans les années 2010. Cet affaiblissement de la croissance est structurel. La productivité horaire a reculé de 1,5 % depuis 2019. La productivité par tête est inférieure de 2,2 % à son niveau d’avant-Covid.

Cette sous-productivité tient à l’insuffisance des dépenses de R&D (2,2 % du PIB contre 3,5 % aux États-Unis), au poids du secteur public dans l’emploi total (24 % contre 16 % en Allemagne), et à l’inefficacité du système éducatif : la France est passée du 13e au 25e rang dans l’étude PISA 2022 de l’OCDE. Chaque génération d’actifs entre sur le marché du travail avec un niveau de compétences stagnantes, alors que le capital technologique progresse ailleurs.

La France est confrontée à un sous-emploi chronique, en particulier chez les moins de 25 ans et chez les plus de 55 ans. Le taux d’emploi des 15-64 ans reste limité à 67 %, contre 77 % en Allemagne et 79 % aux Pays-Bas. Le taux d’activité des 55-64 ans n’est que de 56 %, contre 72 % en Allemagne. Le chômage des jeunes (15-24 ans) atteint 16 %, soit le double de la moyenne européenne. Depuis la réforme des retraites de 2010, le taux d’emploi des seniors progresse lentement, mais reste insuffisant pour compenser la baisse du nombre de cotisants. L’inadéquation entre compétences et besoins des entreprises demeure criante : 300 000 postes dans l’industrie et la santé restent vacants.

Le taux de marge des entreprises ne représente plus que 30 % de la valeur ajoutée, contre 33 % en 2017. Cette stagnation s’explique par plusieurs causes imbriquées : vieillissement démographique, sous-investissement technologique, complexité réglementaire et baisse du temps de travail effectif. La France reste riche en capital humain, mais pauvre en efficacité productive.

La France souffre d’une hypertrophie des administrations publiques. Les dépenses publiques s’élèvent à plus de 58 % du PIB, soit le taux le plus élevé de l’OCDE. Le poids des dépenses publiques est de 50 % en Allemagne, 47 % en Espagne, 55 % en Italie ; il est en moyenne de 44 % au sein de l’OCDE et de 49 % dans la zone euro.

En France, cette dépense est composée aux deux tiers de dépenses sociales : retraites (15 % du PIB), santé (11 %), prestations familiales et chômage (10 %). La croissance de ces dépenses dépasse celle du PIB depuis vingt ans. Entre 2000 et 2025, le PIB en volume a augmenté de +33 %, les dépenses sociales de +54 %. Le déficit public est devenu chronique : la France cumule 50 ans de déficits successifs. À chaque crise, il s’accroît et ne revient jamais à son niveau initial. Il devrait atteindre 5,4 % du PIB en 2025. Le déficit primaire (hors charges d’intérêts) demeure à 3,3 %, niveau qui ne permet pas de réduire le poids de la dette. Les administrations publiques devraient consentir un effort de plus de 130 milliards d’euros pour inverser la tendance. La dette atteint 115 % du PIB (environ 3 250 milliards d’euros). La charge d’intérêts dépassera 60 milliards en 2025, soit l’équivalent du budget de l’Éducation nationale ; sans inversion de tendance, elle pourrait atteindre 100 milliards d’euros d’ici 2029.

Aucune majorité politique n’ose engager une véritable réduction des dépenses publiques ni un retour à l’équilibre, comme l’illustrent les discussions parlementaires des projets de loi de finances pour 2026. Les dégradations de la notation souveraine n’ont de résonance que l’espace de leur annonce. Si le diagnostic est connu, aucun consensus n’existe pour changer de trajectoire.

L’écart de taux entre l’OAT 10 ans et son équivalent allemand est remonté à 0,8 point, un plus haut depuis 2012. La France conserve la confiance des marchés, mais en dépend totalement : un choc de +100 points de base renchérirait la charge d’intérêts d’environ 30 milliards d’euros par an.

La France souffre aussi d’un déficit commercial persistant. Depuis 2003, elle importe plus qu’elle n’exporte. En 2025, le déficit atteint 85 milliards d’euros, après le record de 160 milliards en 2022. Le solde industriel est négatif de plus de 60 milliards. Les excédents de services (tourisme, luxe, aéronautique) ne suffisent pas à compenser durablement. Le taux de couverture est tombé à 93 %, contre 105 % dans les années 1990. La part de la France dans les exportations mondiales est passée de 5,7 % en 2000 à 2,7 % en 2025. Ce recul tient à la compétitivité-coût (salaires, énergie) et hors coût (innovation insuffisante, petite taille des entreprises, bureaucratie).

La politique économique est devenue un empilement d’urgences contradictoires sans cap clair, évoluant au gré des capacités de blocage. Elle cherche tout à la fois à soutenir la consommation par la dépense publique, l’investissement par la baisse des impôts de production, et la réduction du déficit sans diminuer la dépense — sans y parvenir. Elle veut accélérer la transition énergétique sans compromettre la compétitivité. Cette stratégie d’équilibriste a épuisé l’efficacité de l’action publique.

Les multiplicateurs budgétaires s’affaiblissent. Selon l’OFCE, 1 euro de dépense publique n’ajoute plus que 0,4 euro de PIB, contre 0,8 avant 2020. La politique industrielle reste fragmentée : 25 dispositifs d’aides coexistent, rendant la stratégie de réindustrialisation illisible. 15 milliards d’euros par an de subventions, dispersées, sont octroyés sans effet mesurable sur la productivité.

La sortie de crise passe par un relèvement de la croissance potentielle. Celui-ci suppose un accroissement du volume de travail, ce qui impliquerait soit une réduction du nombre de jours de congés, soit un allongement du temps de travail. Pour l’heure, ces options sont fermement rejetées. La restauration de la compétitivité et de la productivité exige un effort d’investissement productif privé accru : il devrait passer de 11 % à 13 % du PIB d’ici 2030. La R&D, le numérique et les technologies propres doivent devenir trois priorités.

Les pouvoirs publics devraient stabiliser les dépenses sociales en volume, alors qu’elles ont crû de +7,6 % depuis 2019. Le gouvernement devrait viser un retour du déficit public à 2 % du PIB afin de stabiliser la dette. Un véritable programme de simplification doit être engagé : aujourd’hui, plus de 400 000 normes s’appliquent aux entreprises. La France conserve des atouts — démographie moins dégradée que la moyenne de la zone euro, épargne abondante, infrastructures de qualité, secteurs dynamiques (aéronautique, défense, banques, assurances, tourisme) — mais ils ne suffisent plus à compenser ses faiblesses structurelles. Pour échapper à un déclin de plus en plus prégnant et à l’étau de la dette publique, la France doit se réconcilier avec la production et le risque.