20 octobre 2018

Coin de la Conjoncture du 20 octobre 2018 – Immobilier, Brexit, Russie

Brexit, à qui perd gagne !

Les Chefs d’État et de Gouvernement de l’Union européenne avaient initialement prévu de se réunir le 17 et le 18 novembre pour entériner l’accord concernant la sortie du Royaume-Uni. Sauf rebondissement de dernière minute, ce sommet est reporté en raison de l’absence de propositions acceptables de la part de Theresa May, en particulier sur la question irlandaise. Malgré tout, le négociateur européen, Michel Barnier a été invité à « poursuivre ses efforts pour aboutir à un accord ».

Si tous les représentants États membres souhaitent l’obtention d’un accord, il n’en demeure pas moins qu’ils se disent prêts à accepter un « hardbrexit », afin de peser sur les Britanniques.

À défaut d’accord dans les prochaines semaines, certains estiment qu’il serait envisageable d’allonger la période de transition. Une telle solution sera réellement étudiée en toute fin de la période de négociation. Si cet allongement donne plus de temps aux Britanniques pour négocier le cadre de leur relation future avec l’Union, il posera également plusieurs problèmes. En effet, le Royaume-Uni devra alors continuer à contribuer au budget de l’Union européenne. Les Européens ont commencé à élaborer leur budget pluriannuel sans les Britanniques. Il faudrait donc réviser le budget du moins le temps de la période transitoire. Les réglementations et les normes européennes resteraient également en vigueur sans que les Britanniques aient leur mot à dire sur leur élaboration. Pour le Royaume-Uni, la prolongation de la transition pourrait freiner l’investissement en raison du maintien d’un grand nombre d’incertitudes.

Pour des raisons de politique intérieure, Theresa May ne peut pas pour le moment accepter le maintien de l’Irlande du Nord au sein de l’Union douanière européenne. En effet, sa majorité ne tient que par l’apport de représentants du parti conservateur nord-irlandais (DUP) qui ne souhaitent pas un régime d’exception pour l’Irlande. La Première Ministre britannique joue de sa faiblesse à l’intérieur de son pays pour tenter d’obtenir des concessions de la part des Européens en ce qui concerne le coût d’adhésion à l’Union douanière ou le maintien du principe de libre prestation de services. En cas de crise politique au Royaume-Uni, Theresa May pourrait être remplacée par un Premier Ministre plus anti-européen comme Boris Johnson. Une telle crise pourrait également aboutir à des élections législatives anticipées et à l’arrivée au pouvoir d’une coalition dominée par le Parti Travailliste, lui aussi très divisé sur la question européenne. Dans tous les cas, la négociation pour le Brexit serait ralentie. Les négociateurs européens commencent néanmoins à douter de la capacité de Theresa May à signer un accord qui, par nature, créera des crispations au sein de son parti et au sein de son pays. Ils doivent néanmoins tenir compte de la volonté nombreux acteurs économiques européens d’obtenir au plus vite un accord. Ainsi, le patronat allemand estime que la croissance pâtira de la sortie de l’Union douanière du Royaume-Uni. Cet avis est partagé également par les États d’Europe du Nord et par ceux de l’Est, traditionnellement anglophiles.

 

Une bouteille de vin peut-elle annoncer l’éclatement d’une bulle immobilière ?

Samedi 13 octobre, une bouteille de Romanée-Conti de millésime 1945, est adjugée 558 000 dollars à New York. Cette année-là, 600 bouteilles de ce vin avaient été produites, juste avant que le domaine n’arrache les vignes pour les replanter ensuite. Ce prix sans précédent traduit-il un dérèglement dans l’échelle des valeurs. Constitue-t-il un signe d’une prochaine grande crise financière ? Les crises économiques et financières sont, en effet, précédées de valorisation de certains actifs ne répondant à aucune rationalité, à moins que cette vente ne soit qu’un épiphénomène en aucun cas assimilable à la crise des tulipes de 1637.

Plusieurs experts économiques, dont ceux du FMI, commencent à s’inquiéter des conséquences de la progression de l’endettement favorisée par les politiques monétaires non conventionnelles des banques centrales japonaise, américaine, européenne et chinoise. Si les États tentent tant bien que mal de maîtriser leur endettement, les agents privés ont accru ces dix dernières années le volume de leurs crédits du fait des faibles taux pratiqués par les banques. Cet endettement constitue une menace en cas de retournement de la conjoncture, surtout s’il s’accompagne d’une hausse des taux empêchant un rééchelonnement à moindre coût. Cette hausse pourrait provoquer une brutale correction des prix de certains actifs. Tous les pays ne sont pas égaux face à ce risque. Ceux dont les prix de l’immobilier ont le plus progressé, accompagnés par une hausse de l’endettement, pourraient évidemment être plus exposés que les autres.

Ce risque même s’il ne doit pas être exagéré n’est pas imaginaire au regard des précédents historiques. Dans un passé assez proche, plusieurs pays ont dû faire face à un éclatement soudain de bulles immobilières ou de bulles financières en relation avec un retournement rapide des taux d’intérêt. Les crises immobilières se révèlent les plus dures à juguler compte tenu des effets dominos qu’elles peuvent entraîner.

Sur ces trente dernières années, les prix de l’immobilier ont connu des évolutions rapides et fortes. Ainsi, au Japon, les prix se sont accrus, de 170 % de 1988 à 1991, aidés en cela par une augmentation de l’encours de prêts immobiliers. Cette bulle immobilière a éclaté en 1993 avec une chute des prix qui a atteint plus de 50 %. Cette crise est intervenue dans un climat déflationniste avec une progression des taux d’intérêt réels.

Aux États-Unis, de 1998 à 2008, les prix de l’immobilier ont progressé de 180 %. La dette immobilière des ménages est, de son côté, passé de 60 à 100 % du PIB sur cette même période. La légère remontée des taux en 2008 et la crise des subprimes ont provoqué une chute des prix de 36 % entre 2008 et 2012. Depuis 2012, les biens immobiliers se sont appréciés de plus de 55 %, retrouvant leur niveau de 2008. En revanche, la dette immobilière des ménages est revenue à son niveau de 2002, 70 % du PIB. Cette relative sobriété des ménages américains limite les risques d’une nouvelle crise immobilière. Les menaces dans ce pays concernent les prêts étudiants et les crédits pour l’achat de voiture. L’amélioration des salaires et le plein emploi rendement supportables ces deux risques.

Au sein de la zone euro, les prix de l’immobilier ont connu, de 1998 à 2008, une hausse de 80 % avant de baisser de 10 % de 2008 à 2012. Ils ont depuis progressé de 20 %. La dette immobilière des ménages est passée de 35 à 60 % du PIB de 1998 à 2008. Les prix de l’immobilier résidentiel augmentent fortement depuis 10 ans en Suède (multiplié par 2), au Royaume-Uni (+50 %), aux Pays-Bas (+30 %), en Allemagne (+40 %), en France (+15 %), en Belgique (+20 %). Les pays qui n’ont pas retrouvé les niveaux d’avant crise sont l’Espagne, le Portugal et la Grèce. Dans ce dernier pays, les prix de l’immobilier ont été divisés par deux depuis 2008.

Les taux d’intérêt à long terme sont aujourd’hui nettement inférieurs à la croissance en valeur dans la quasi-totalité des pays de l’OCDE. Cela concerne notamment le Royaume-Uni, les États-Unis, le Canada, la Suède, la France, l’Espagne, l’Allemagne, le Japon, les Pays-Bas ou la Belgique. La dette immobilière des ménages est en baisse en Espagne, au Portugal et en Irlande. En revanche, elle augmente en Suède (135 % du PIB en 2018 contre 110 % en 2008), en France (70 % du PIB en 2018 contre 70 % en 2008), en Belgique (85 % du PIB contre 60 %). Elle est également en forte progression en Suisse. La dette immobilière des ménages atteint des niveaux élevés au Danemark (230 % du PIB), en Suisse (140 % du PIB) et aux Pays-Bas (120 %).

Les pays les plus fragiles sont ceux qui connaissant des bas taux d’intérêt, des prix élevés de l’immobilier et un fort niveau d’endettement des ménages. Sont concernés, le Canada, la Suède, les Pays-Bas, la Belgique et l’Autriche. La France se situe dans une position intermédiaire avec des taux bas et des prix immobiliers en hausse mais, même si elle s’accélère, la progression de l’endettement des ménages reste dans des limites – pour le moment – acceptables.

 

Russie, il n’y a pas que le football dans la vie

Les autorités russes ont établi le bilan économique de la Coupe du monde de football qui a été remportée par l’équipe de France. Elle aurait permis une augmentation du PIB de 1 %. L’évènement aurait rapporté 12,5 milliards d’euros à l’économie russe entre 2013 et 2018. Entre 2013 et 2018, 315 000 emplois auraient été créés chaque année pour l’organisation de cette manifestations sportive qui a contribué à relancer l’économie. En effet, l’économie russe après avoir connu une forte récession en 2015 et 2016 a renoué, depuis, avec la croissance. Cette dernière est néanmoins décevante au regard des résultats passés. Si la Russie peut, depuis peu, compter sur le relèvement du prix du baril, elle est toujours confrontée aux effets des embargos décidés par les États-Unis et l’Union européenne en rétorsion à l’annexion de la Crimée intervenue en 2014. Du fait d’un éventuel durcissement des sanctions de la part de Washington, le rouble a connu une période de forte dépréciation, en perdant 13 % de sa valeur par rapport au dollar. La banque centrale russe a été contrainte de mettre un terme à son processus de baisse des taux afin de freiner la fuite des capitaux et l’inflation.

La croissance économique de la Russie s’est élevée à 1,6 % en glissement annuel au premier semestre 2018. Elle a été soutenue par le dynamisme de la demande intérieure Elle a été portée par l’amélioration des revenus pétroliers. Les entreprises ont par ailleurs repris le chemin de l’investissement.

Un ralentissement économique est attendu en raison de la dépréciation du rouble, de la hausse des taux d’intérêt et de la hausse de la TVA qui devrait intervenir au 1er janvier 2019. La hausse de la TVA de 2 points de pourcentage sur le taux standard concerne 66,1 % des biens de consommation. Par ailleurs, 25,7 % des biens consommés seront affectés par une augmentation du taux de TVA de 10 à 20 %.

Sur les huit premiers mois de l’année, la hausse des prix est restée contenue. Elle a atteint en moyenne annuelle, 2,4 %. Cependant, depuis le mois de juin 2018, les pressions inflationnistes ont légèrement augmenté (+3,1 % en août). La banque centrale a révisé à la hausse le taux d’inflation à 4 %. L’inflation devrait s’accélérer dans les prochains mois du fait de la hausse de la TVA et de la dépréciation de la monnaie. En outre, du fait du sous-investissement des dernières années, le taux d’utilisation des capacités de production est élevé provoquant des tensions tarifaires.

La situation des finances publiques reste très positive. Ainsi, sur les huit premiers mois de l’année, le solde budgétaire du gouvernement fédéral a enregistré un équivalent de 3,1 % du PIB. Quand il était en déficit il y a un an à la même époque, de 0,7 % du PIB. Pour l’ensemble de l’année, le ministère des finances projette un excédent d’au moins de 1,3 % du PIB mettant ainsi fin à une période de 6 ans de déficit. Cette amélioration est imputable en grande partie à l’augmentation des recettes pétrolières en hausse de 15 % en 8 mois). Il convient de souligner que le déficit budgétaire hors pétrole et gaz a baissé de plus de 11 % sur les huit premiers mois de l’année. Le déficit hors pétrole et gaz a atteint un plus bas en six ans. L’accroissement des recettes pétrolières et gazières a permis de renflouer le fonds de richesse nationale (« National Wealth Fund ») de 10 milliards de dollars. Son encours dépasse désormais 75 milliards de dollars. En fin d’année, il devrait bénéficier d’un apport de 38 milliards de dollars en provenance de la banque centrale.

Les autorités russes ont décidé d’accroître les dépenses publiques durant les trois prochaines années afin d’accélérer la mise en œuvre du programme de modernisation du pays. Par voie de conséquence, l’excédent budgétaire devrait se tasser. Il passerait de 1,8 à 0,8 % du PIB de 2019 à 2021. Le ratio des dépenses publiques rapportées au PIB devrait augmenter l’année prochaine de 1,1 point de pourcentage. Le programme de modernisation porte sur 7 % du PIB. Il devrait aboutir à la réalisation d’infrastructures, à accroître le niveau de l’éducation et à augmenter les dépenses de santé publique. L’objectif du nouveau gouvernement est d’élever le taux d’investissement de 21,7 % du PIB en 2017 à 25 % du PIB en 2024.

Grâce à la bonne tenue des cours pétroliers, la Russie a enregistré un excédent de son compte courant de 6,7 % du PIB au premier semestre 2018 (contre 3,3 % du PIB un auparavant). En revanche, en dépit de l’amélioration des fondamentaux macroéconomiques, le pays a enregistré d’importantes sorties de capitaux après le durcissement des sanctions américaines. Les ventes d’actifs russes par les investisseurs étrangers ont atteint 17 milliards de dollars pour le seul 2e trimestre 2018. Ce montant est néanmoins bien plus faible que celui constaté au moment de l’annexion de la Crimée (entre le 3e trimestre 2014 et le premier trimestre 2015 elles s’étaient élevées à plus de 32 milliards de dollars par trimestre en moyenne). Malgré ces ventes d’actifs, les tensions sur le marché monétaire et sur la dette obligataire sont restées contenues. Entre avril et septembre 2018, les rendements à dix ans sur la dette du Gouvernement ont augmenté de seulement 100 points de base. La menace la plus importante pour l’économie russe est actuellement liée à l’éventuelle adoption par le Congrès américain de deux projets de loi, le Deter Act et le Daskaa Act, qui limiteraient l’accès des banques publiques russes au marché en dollars et qui interdiraient aux investisseurs américains de détenir des titres de dette russe nouvellement émis. À l’heure actuelle, ces deux projets ont toutefois peu de chances d’aboutir faute de majorité au Sénat mais a situation pourrait changer après les élections américaines de mi-mandat. Ce risque pour la Russie doit être relativisé. Les besoins de refinancement de la dette extérieure, estimés à 79 milliards de dollars d’ici fin 2019, restent très largement couverts par les réserves de change qui s’élevaient à 373 milliards de dollars fin août.

La Russie a d’importants besoins de capitaux pour moderniser son outil productif et ses infrastructures notamment dans les transports. Les projets avec les occidentaux étant bloqués du fait des embargos, les autorités russes se tournent de plus en plus vers les pays d’Asie. Ainsi, 7 des 40 milliards d’euros d’investissement dans les infrastructures pourraient être financés par des compagnies chinoises ou sud coréennes. Par ailleurs, Vladimir Poutine défend l’idée d’une « dédollarisation » des échanges commerciaux mondiaux.