Coin de l’Economie – dollar – Japon
Le dollar : un désamour est-il possible ?
Le dollar est, depuis quatre-vingts ans, la première monnaie mondiale. En 2024, il représente 58,4 % des réserves de change mondiales (source : FMI). La deuxième monnaie du système de change est l’euro, dont le poids n’est que de 20 %. Le yuan chinois, quant à lui, ne représente que 2,6 % des réserves mondiales. Par ailleurs, 88 % des transactions sur le marché des changes (Forex) impliquent le dollar (source : BRI). Plus de 60 % des importations mondiales sont facturées en dollars. Ce dernier est également la monnaie de référence pour la fixation des prix des principales matières premières : pétrole, gaz naturel (LNG), métaux (cuivre, or, aluminium, etc.), produits agricoles (blé, soja, etc.). Environ 60 % de la dette mondiale émise en devises étrangères est libellée en dollars. Plus de 50 % des titres obligataires internationaux (hors marchés domestiques) le sont aussi. Les bons du Trésor américain restent le placement privilégié des banques centrales, avec plus de 7 000 milliards de dollars détenus par des non-résidents. En avril 2025, le dollar représentait environ 46 % des paiements SWIFT, devant l’euro (22 %) et le yuan (4,5 %).
Avec la politique menée par Donald Trump depuis janvier dernier, le rôle du dollar comme monnaie mondiale peut-il reculer ?
Les politiques économiques de l’administration Trump (fortes hausses de droits de douane, rejet de l’immigration, préférence pour un dollar faible) pèseront négativement sur la croissance des États-Unis, avec pour corollaires une hausse des prix et une diminution de la consommation. Le ralentissement économique combiné à des baisses d’impôts conduit à une forte augmentation du déficit public, déjà porté à 7 points de PIB en 2024.
À ces risques économiques s’ajoutent des risques institutionnels, liés à un régime politique plus autoritaire, respectant moins les règles de séparation des pouvoirs, avec à la clé une remise en cause de l’indépendance de la Banque centrale.
Les difficultés économiques et les menaces pesant sur l’évolution démocratique des États-Unis peuvent-elles se traduire par une moindre demande de dollars et de titres publics américains ?
Un tel phénomène est-il déjà perceptible ? Un recul de la demande de dollars se manifesterait par une dépréciation de la devise, non liée à une baisse anticipée des taux d’intérêt à court terme aux États-Unis.
Depuis le 20 janvier 2025, date de l’investiture de Donald Trump, la dépréciation du dollar par rapport à l’euro est réelle — l’euro passant de 1,05 à 1,14 dollar — mais reste modérée. En outre, la dépréciation du dollar vis-à-vis du renminbi chinois demeure très faible. Certes, la zone euro et la Chine ont abaissé leurs taux d’intérêt, ce qui aurait dû peser sur leurs monnaies, d’autant plus que la Fed a décidé de temporiser la baisse de ses propres taux directeurs.
La dépréciation du dollar reste limitée, car les investisseurs demeurent optimistes quant à l’issue des négociations commerciales entre les États-Unis et leurs partenaires. Les droits de douane pourraient être inférieurs à ceux annoncés le 2 avril 2025.
Un recul de la demande de titres américains se traduirait par une hausse des taux d’intérêt à long terme ou par une résistance à la baisse des taux longs par rapport aux taux courts ou aux anticipations d’inflation à long terme. Depuis janvier, les taux d’intérêt à long terme sont orientés à la hausse aux États-Unis.
En comparant les taux d’intérêt à 10 ans avec ceux à 2 ans, ou avec les taux à 3 mois anticipés, on observe un élargissement de l’écart entre les taux longs et les taux courts. En comparant les taux à 10 ans avec l’inflation anticipée à 10 ans (mesurée par le swap d’inflation à 10 ans), il apparaît que la hausse des taux longs récemment observée n’est pas imputable à une augmentation des anticipations d’inflation. On constate en revanche une baisse de la demande de titres américains de la part des Chinois. Les Européens et les Japonais, en revanche, maintiennent leurs achats.
Pour l’instant, le recul de la demande de dollars et de dette publique américaine reste limité. Malgré les incertitudes et les foucades de Donald Trump, les investisseurs internationaux continuent de faire confiance au dollar. Son poids est tel qu’il demeure difficile, en quelques mois, de lui trouver une monnaie de substitution. Le déclin éventuel de la devise américaine ne pourrait être qu’un processus lent et progressif.*
Le retour de l’inflation au Japon ?
Depuis le début des années 1990, le Japon se bat contre la déflation, mettant un terme à un cycle d’expansion sans précédent qui avait hissé le pays au deuxième rang des puissances économiques mondiales. Le 29 décembre 1989, l’indice Nikkei atteint un record de 38 915 points. Il faudra plus de trente ans pour dépasser ce niveau. Dès le 30 décembre 1989, la bulle boursière et immobilière japonaise commence à se dégonfler. Entre 1990 et 1992, la capitalisation de la Bourse de Tokyo est divisée par deux. Le prix moyen des terrains à Tokyo perd jusqu’à 70 % de sa valeur en une décennie. Pendant trente ans, l’économie japonaise devra affronter la déflation. Celle-ci résulte d’une crise de bilan, et non d’une crise de demande : entreprises et ménages, lourdement endettés après avoir participé à la spéculation financière et immobilière, doivent se désendetter. Pour ce faire, ils réduisent leur épargne et limitent leur consommation. Malgré la baisse des taux d’intérêt, l’investissement ne repart pas. Le Japon découvre alors la trappe à liquidité, théorisée par Keynes.
Tout au long des années 1990, la politique économique japonaise se révèle trop timide, trop tardive et souvent contre-productive. La Banque du Japon, soucieuse de stabilité des prix, tarde à abaisser ses taux de manière significative. Les plans de relance budgétaire, notamment en 1995 et 1998, sont aussitôt contredits par des hausses d’impôts ou des mesures d’austérité. En avril 1997, l’augmentation de la TVA de 3 % à 5 % constitue une erreur stratégique majeure, provoquant une chute de la consommation suffisante pour entraîner le pays en récession.
Au-delà des erreurs de politique conjoncturelle, le Japon est confronté à un déclin démographique de grande ampleur. Dès le milieu des années 1990, la natalité ne permet plus le renouvellement des générations. À partir de 2008, la population active commence à diminuer en valeur absolue. En 2024, le Japon compte un tiers de personnes âgées de plus de 65 ans. Cette année-là, la population totale a reculé de plus de 500 000 personnes. Moins de consommateurs, moins d’actifs, moins de gains de productivité, plus d’épargne de précaution : tout concourt à alimenter la déflation.
Parallèlement, l’économie japonaise souffre de rigidités structurelles. Le marché du travail est segmenté, figé entre les emplois à vie et le précariat. Le système bancaire, conservateur, tarde à se restructurer. Les entreprises « zombies », maintenues artificiellement en vie par des établissements publics ou privés peu enclins à reconnaître leurs pertes, freinent la productivité. Le secteur des services reste peu numérisé et peu ouvert à la concurrence étrangère. Le recours à l’immigration demeure limité.
Le Japon n’a pas échappé à la vague inflationniste consécutive à la pandémie de Covid-19 et à la guerre en Ukraine. Contrairement à l’Union européenne et aux États-Unis, l’inflation semble s’y maintenir à un niveau durablement plus élevé.
Une inflation plus forte depuis 2022
L’inflation atteint près de 4 % au cours du premier semestre 2025, tandis que l’inflation sous-jacente (hors énergie et produits agricoles) s’élève à 3 %. Cette dernière tend à s’accélérer ces derniers mois. En cette fin de premier trimestre 2025, 60 % des ménages estiment que l’inflation dépassera 5 % dans un an. Les swaps d’inflation à long terme au Japon confirment également une tendance haussière.
Cette inflation s’explique en partie par l’accélération des salaires. Le salaire nominal progresse de plus de 2 % en rythme annuel, alors qu’il restait inférieur à 1 % pendant des années. Désormais, cette hausse n’est plus compensée par des gains de productivité. Depuis 2018, la productivité du travail est en recul, notamment dans l’industrie manufacturière.
Cette évolution du marché du travail s’explique par la diminution de la population active, qui crée des tensions et pousse les salaires à la hausse. Le vieillissement s’accompagne également d’un ralentissement des gains de productivité, d’autant plus que la structure de l’offre se transforme en faveur des services domestiques, structurellement peu productifs. Depuis 2021, la population active se contracte de 0,5 % par an. Le ratio entre la population âgée de 15 à 39 ans et celle de 40 à 64 ans est passé de 0,9 à 0,72 entre 2010 et 2024.
Un tournant dans la dynamique salariale
Dans ce contexte, le coût salarial global augmente à un rythme proche de 4 % par an depuis 2023. Pour l’instant, la Banque du Japon reste prudente face aux tensions inflationnistes, maintenant ses taux directeurs à des niveaux historiquement bas. Le fort endettement des administrations publiques et des acteurs privés limite la possibilité d’un relèvement rapide des taux. Après plus de trente années de déflation, les autorités monétaires peinent à évaluer pleinement l’ampleur de la vague inflationniste actuelle.
Celle-ci pourrait néanmoins s’installer dans la durée. Longtemps déflationniste, le vieillissement démographique du Japon pourrait devenir un facteur d’inflation, sous l’effet de la hausse des salaires qu’il induit et d’une demande croissante en services à la personne.