17 juin 2023

Coin de l’Economie – épargne – chômage – emploi

Faudra-t-il travailler plus pour décarboner ?

Dans les prochaines années, les besoins d’investissement seront importants au sein de la zone euro. Les différents États membres devront investir dans la transition énergétique, favoriser les relocalisations industrielles, accroître leurs dépenses en matière d’éducation, de santé, de recherche, et augmenter leur effort de défense. Ces dépenses supposent un relèvement du taux d’épargne. Ce relèvement repose sur une augmentation de l’activité générant un surplus de revenus.

Depuis la crise financière, les États de la zone euro ont réduit leurs investissements publics qui sont passés de 3,6 % en 2008 à 2,6 % du PIB en 2017. Depuis la crise sanitaire, un léger rebond est constaté. En 2022, ils se sont élevés à 3 % du PIB. Pour décarboner les économies, les dépenses publiques d’investissement devraient être portées à plus de 4 points de PIB. Par ailleurs, les dépenses publiques devraient être réorientées en faveur de l’éducation, de la santé, de la dépendance, de la retraite et de la défense. Les États de la zone euro ont, en effet, déjà considérablement augmenté en termes réels leurs dépenses. De 2002 à 2022, elle se sont accrues de plus de 35 %. En France, les dépenses publiques atteignent plus de 58 % du PIB.

En parallèle à l’effort public, les entreprises devront également accroître leurs dépenses d’investissement afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Au sein de la zone euro, l’investissement des entreprises en 2022 représentait 12,8 % du PIB, soit un taux inférieur à son niveau d’avant 2008. Les entreprises européennes doivent également investir pour rattraper leur retard en matière digitalisation et de robotisation.

Pour financer ce supplément d’investissement public et privé et de dépenses publiques, une augmentation du taux d’épargne est nécessaire. Le recours à l’endettement extérieur sera, en effet, plus difficile car tous les pays sont dans la même situation. De 2008 à 2021, au sein de la zone euro, le taux d’épargne national était supérieur au taux d’investissement. Les excédents d’épargne finançaient les pays hors zone euro. Depuis 2022, avec la réduction de l’excédent commercial, en lien avec l’augmentation des prix de l’énergie, des matières premières et des produits agricoles ainsi qu’avec la reprise de l’investissement, les deux taux sont à égalité.

Pour financer les investissements et les dépenses publics, la première solution consiste à recourir aux prélèvements obligatoires. Cependant, les États de la zone euro se caractérisent déjà par des taux de prélèvements élevés : 40 % du PIB en moyenne et 45 % pour la France. Une augmentation de la pression fiscale pourrait peser sur l’activité et générer des tensions sociales. La deuxième solution conduirait à augmenter le taux d’endettement, ce qui suppose un accroissement de l’épargne disponible. Pour financer leurs besoins en équipement, les entreprises pourront soit recourir à l’autofinancement, soit faire appel à l’épargne par augmentation de leurs fonds propres ou par l’endettement. L’augmentation de l’épargne passe soit par une diminution de la consommation, soit par une progression de l’activité qui dégagera un supplément de revenus.

L’augmentation de la production peut être obtenue de deux manières qui peuvent se combiner : amélioration du taux d’emploi et la hausse de la productivité. Le taux d’emploi des 15/64 ans était au sein de la zone euro de 69 % en 2022. Il était de 62 % en 2002. Des pays comme la France ou l’Italie peuvent améliorer leur taux d’emploi pour les tranches d’âge 18/24 ans et 55/64 ans. La productivité qui est un des facteurs clefs de la croissance est en panne depuis trois ans. Elle a baissé de 2 % sur cette période au sein de la zone euro. Depuis 2002, elle n’a progressé que de 10 % au sein de la zone euro, soit bien moins qu’aux États-Unis, au Japon ou en Corée du Sud.

Le déficit de productivité de la zone euro s’explique par un effort de recherche & développement plus faible, 2,2 % du PIB en 2022, contre 3,4 % du PIB aux États-Unis et 3,3 % du PIB au Japon. Le stock de robots industriels pour 100 emplois manufacturiers est de 2,4 en zone euro en 2022, contre 3,8 au Japon et 2,8 aux États-Unis. La zone euro se caractérise par ailleurs par une baisse de la durée annuelle du travail par salarié. Celle-ci est passée de 1 650 heures à 1 550 heures de 2002 à 2022. Cette baisse est bien plus forte que celle enregistrée aux États-Unis et au Japon.

Pour faciliter le financement de la transition énergétique et des dépenses afférentes notamment au vieillissement, une augmentation du volume de travail apparaît indispensable. Or, pour le moment, les opinions publiques sont plutôt enclines à souhaiter travailler moins.

Chômage, structurel ou keynésien ?

Le taux de chômage au sein de la zone euro était de 6,3 % au mois d’avril 2023. Plusieurs pays dont la République tchèque, la Pologne ou l’Allemagne, ont des taux de chômage inférieurs à 3 %. La nature du chômage a changé depuis le début des années 2010. De keynésien, il est devenu essentiellement structurel.

De 2010 à 2016, au sein de la zone euro, la demande a pesé sur la production et donc sur l’emploi. Les contraintes financières ont également freiné la production de 2010 à 2016. Ces contraintes étaient imputables à la sortie de la crise financière. À partir de 2016, elles disparaissent avec la mise en place en Europe de politiques monétaires accommodantes. Les difficultés d’embauche commencent à se manifester à partir de 2016 et augmentent fortement en sortie de crise sanitaire en 2021. Par ailleurs, depuis deux ans, le manque d’équipements est le principal facteur qui freine la production, que ce soit dans l’industrie ou que dans les services.

À l’exception de l’année 2020, marquée par les confinements, l’insuffisance de la demande n’apparaît plus comme un facteur explicatif du freinage de la production et de l’emploi. La zone euro est donc passée d’un chômage keynésien à un chômage structurel qui ne peut pas être réduit par une stimulation de la demande.

Les entreprises ne recrutent pas comme elles le souhaiteraient pour deux raisons : par manque d’investissements et par incapacité de trouver des salariés répondant à leurs exigences. Elles sont pénalisées par la faiblesse de l’investissement dans les années 2010. Le taux d’investissement qui était de 13 % du PIB avant la crise financière est passé à 10 % dans les années 2009/2016. L’augmentation du taux d’investissement des entreprises depuis 2021 pourrait contribuer à rattraper le retard accumulé. La hausse des taux d’intérêt commence néanmoins à peser sur l’investissement et le stock de capital des entreprises européennes.

La hausse des prix se traduit par une réduction de la demande de la part des ménages en Europe qui, pour le moment, ne puisent pas dans leur épargne. La consommation de biens est en recul depuis plusieurs mois, ce qui à terme pourrait avoir des conséquences sur l’emploi. Pour le moment, ce n’est pas le cas car les entreprises craignent de ne pas trouver de salariés disponibles en cas de reprise de l’activité. Les difficultés de recrutement demeurent élevées malgré le tassement de la croissance. Elles s’expliquent par un nombre important de départs à la retraite et par le refus croissant de la part des salariés d’occuper des emplois à forte pénibilité ou à horaires décalés.

Le chômage est essentiellement structurel en Europe, lié à l’inadéquation entre offre et demande de travail ainsi qu’à l’insuffisance de l’investissement. Le chômage keynésien malgré la baisse de la consommation est actuellement marginal. La lutte contre le chômage structurel passe par un effort de formation accru et par un accroissement du stock de capital.

Épargne, divergence de part et d’autre de l’Atlantique !

Face à l’inflation, les Américains et les Européens ont des comportements opposés. Les premiers puisent dans leur épargne quand les seconds préfèrent réduire leur consommation.

Les taux d’épargne des ménages américains et européens ont augmenté durant l’épidémie de covid. Ils ont dépassé alors 20 % du revenu disponible brut. À partir de 2021, ils ont baissé mais beaucoup plus vite aux États-Unis qu’en Europe. Ils ont retrouvé leur niveau d’avant crise sanitaire chez les premiers en 2022, autour de 5 % quand chez les seconds, ils demeurent deux points au-dessus (14 % au lieu de 12 %). La guerre en Ukraine a conduit, au sein de la zone euro, les ménages à accroître leur épargne de précaution.

Aux États-Unis, la cagnotte constituée au temps du covid aurait été dépensée à 70 %. En 2023, le taux d’épargne est même passé en-dessous de son niveau de 2018/2019. Les ménages américains ont, en outre, eu massivement recours au crédit à la consommation dont le taux de progression a atteint 10 % en rythme annuel au premier trimestre 2023. Dans ces conditions, les dépenses de consommation continuent de progresser : +2 % en rythme annuel et sont au plus haut. Elles ont augmenté de 10 % par rapport à leur niveau de 2019. En zone euro, en revanche, la progression des crédits à la consommation est faible, soit moins de 2 % en rythme annuel toujours au premier trimestre 2023. Les ménages ont peu puisé dans leur cagnotte covid. La consommation est en stagnation et peine à retrouver son niveau d’avant crise sanitaire. Le rebond technique de 2021 a été éphémère.

Les ménages européens maintiennent un taux d’épargne plus élevé que les Américains en raison d’un effort d’investissement dans l’immobilier plus important. Ce dernier représente 10 % du PIB en zone euro, contre 5 % aux États-Unis. Chez ces derniers, les dépenses d’investissement en logement des ménages est en recul de près de 20 % en rythme annuel au premier trimestre. En zone euro, la baisse est de moins de 2 %. Les prix des logements diminuent bien plus rapidement aux États-Unis qu’en zone euro du fait d’une forte baisse des transactions chez les premiers en lien avec la hausse des taux.

La divergence entre les taux d’épargne des ménages aux États-Unis et dans la zone euro traduit donc un plus grand appétit pour la consommation des premiers et une plus grande acceptation de l’endettement. Plus profondément, les Américains ont une plus grande confiance dans l’avenir que les Européens. Cette confiance concerne la croissance, la capacité à réussir la transition énergétique et la possibilité à terme de financer les retraites. Cette confiance s’explique également par la structure comparée des deux populations, celle des États-Unis étant plus jeune que celle de l’Europe. Compte tenu du poids de la consommation des ménages dans le PIB, Les États-Unis bénéficient d’un supplément de croissance cumulé de 6 points par rapport à la zone euro depuis trois ans. La consommation des ménages représente 71 % du PIB aux États-Unis, contre 53 % en zone euro. Chez cette dernière, la consommation ne porte pas la croissance qui dépend plus de l’investissement.