17 avril 2025

Coin de l’économie – taux – obligations – dollar

Taux obligataires : des ajustements à venir ?

Avec la guerre commerciale déclenchée par le président américain le 2 avril dernier, les marchés actions sont entrés dans une période d’extrême volatilité. Les taux obligataires connaissent également, de leur côté, des fluctuations et n’échappent pas aux réactions émotionnelles. En raison de la recherche de valeurs refuges par les investisseurs, ils sont plutôt orientés à la baisse, mais avec des écarts non négligeables de part et d’autre de l’Atlantique. Des évolutions sont sans nul doute à attendre dans les prochaines semaines.

Après l’annonce par Donald Trump de l’instauration de droits de douane, un mouvement de correction à la baisse de l’ensemble des taux d’intérêt à long terme a été observé. Aux États-Unis, le taux à 10 ans sur la dette publique est passé de 4,80 % le 14 janvier 2025 à 4,19 % le 7 avril 2025. Cette baisse est imputable à l’anticipation d’un ralentissement de la croissance américaine. Les politiques menées par l’administration Trump (droits de douane, expulsions d’immigrés, réduction des moyens des agences fédérales et des universités) devraient contribuer à une hausse des prix et à une efficacité moindre des dépenses publiques sur l’activité. Des doutes subsistent par ailleurs sur la réalité des économies budgétaires annoncées. Il n’en demeure pas moins que la confiance des consommateurs se dégrade depuis plusieurs semaines.

Le risque de récession reste néanmoins, pour le moment, exagéré. L’indice avancé d’activité (Leading Indicator) du Conference Board est certes inférieur à son niveau de 2018, 2019, 2022, 2023 et 2024, mais demeure supérieur à celui de toutes les années comprises entre 2000 et 2016. Les indices PMI et ISM montrent encore une dynamique favorable dans les services. Les données relatives à l’industrie manufacturière indiquent une stabilisation de l’activité, et non une entrée en récession.

L’inflation demeure soutenue (3,1 % hors énergie et alimentation en février 2025). Elle pourrait s’accroître dans les mois à venir sous l’effet conjugué des droits de douane, de la hausse des salaires et de la progression du déficit public, qui a atteint 1 110 milliards de dollars entre octobre 2024 et février 2025. Ce chiffre dépasse déjà le montant total du déficit de l’année fiscale 2024, qui s’élevait à 6,4 % du PIB. Les besoins de financement de l’État fédéral commencent à inquiéter les investisseurs, en particulier dans un contexte de croissance ralentie. La baisse actuelle des taux à long terme pourrait donc être suivie d’un ajustement à la hausse.

Dans la zone euro, le taux d’intérêt à 10 ans sur la dette publique allemande est passé de 2,08 % à la fin novembre 2024 à 2,37 % début février 2025, atteignant 2,64 % le 7 avril 2025 après un pic de 2,89 % le 12 mars. Cette hausse est liée à l’anticipation de déficits publics plus élevés, notamment en Allemagne. Initialement, la BCE prévoyait un déficit de 3 % du PIB en 2025, identique à celui de 2024, et de 3,1 % en 2026.

Les investisseurs ont ajusté leurs anticipations à la lumière de l’adoption des nouvelles règles budgétaires européennes, qui autorisent un dépassement du seuil de 3 % si celui-ci est imputable à un effort accru de dépenses militaires. La Commission européenne a lancé un plan de financement du réarmement de l’Europe à hauteur de 150 milliards d’euros. En 2024, l’Allemagne a enregistré un déficit de 2,5 % du PIB, la France de 5,8 %, l’Italie de 3,4 %, et l’Espagne de 3 %. S’agissant des dépenses militaires, elles représentaient 2,1 % du PIB en Allemagne, 2 % en France, 1,5 % en Italie et 1,3 % en Espagne. Cette dernière prévoit de porter cet effort à 2 % d’ici 2029, tandis que l’Italie vise le même objectif pour 2028, bien que sa capacité à y parvenir soit incertaine.

Au total, les nouvelles règles budgétaires n’entraîneront qu’un impact limité sur le déficit global de la zone euro. En Allemagne, la réforme de la règle d’or permet désormais un déficit fédéral supérieur de 1,5 point de PIB au plafond antérieur (0,35 % du PIB), si ce dépassement est lié aux dépenses militaires. Elle autorise également les Länder à présenter un léger déficit public (0,35 % du PIB). L’annonce d’un plan de 500 milliards d’euros sur dix ans pour les infrastructures et la transition énergétique en Allemagne contribue à la pression haussière sur les taux, sous réserve toutefois que les financements soient effectivement débloqués.

De son côté, la Banque centrale européenne entend poursuivre l’assouplissement de sa politique monétaire afin de soutenir la croissance. Le ralentissement économique consécutif à la guerre commerciale pourrait également peser sur les taux à long terme. En raison des incertitudes américaines, l’Europe pourrait bénéficier d’un afflux de capitaux, ce qui accentuerait la tendance baissière des taux sur le Vieux Continent.

À l’heure où les tensions commerciales redessinent les trajectoires économiques des grandes puissances, les taux d’intérêt naviguent entre espoirs d’atterrissage en douceur et craintes de dérapages budgétaires. Si les marchés semblent encore chercher leur boussole, entre inflation persistante et signaux de ralentissement, la zone euro pourrait, paradoxalement, tirer son épingle du jeu en capitalisant sur une relative stabilité et une politique monétaire plus accommodante.

Un dollar faible est-il un bon plan pour les Etats-Unis ?

En parallèle de la hausse des droits de douane, le Président américain compte sur une dépréciation du dollar pour équilibrer la balance commerciale de son pays. Or, la baisse de la devise américaine pourrait avoir des effets négatifs sur l’économie en raison de sa forte dépendance aux importations qui sont loin de pouvoir être substituées par des productions locales.

Depuis 2020, le taux de change effectif du dollar par rapport aux autres grandes monnaies s’est accru de 20 % quand sur la même période le déficit de la balance commerciale des biens et services a doublé. Les conseillers de Donald Trump impute en partie cette aggravation du déficit à la hausse du dollar. Celle-ci renchérirait le prix des exportations américaines les rendant moins compétitives et diminueraient la valeur des importations ce qui favoriserait leur progression. Dans la réalité, le lien entre le taux de change du dollar et la balance commerciale des Etats-Unis n’est pas aussi simple. Les importations américaines sont difficilement substituables avec des produits fabriqués aux Etats-Unis. Il en est de même avec les exportations américaines vis-à-vis des productions locales. En outre, importations et exportations sont imbriquées dans le cadre de l’éclatement des chaines de valeur.

Les variations du taux de change réel du dollar ont peu d’effets sur le poids des importations en volume des Etats-Unis dans le PIB en volume. Les importations ont augmenté entre 2005 et 2017, période durant laquelle le dollar était faible. Elles sont passées alors de 22 à 15 % du PIB. Elles ont poursuivi leur hausse mais de manière plus modérée malgré la forte appréciation de la devise américaine, les importations représentant 16 % du PIB en 2024. Le poids des exportations américaines dans les exportations mondiales varient peu entre 2005 et 2024 et de manière indépendante du taux de change.

La baisse du dollar pourrait être contreproductive. Elle aurait comme conséquence une augmentation des prix des produits importés. Comme les Etats-Unis sont fortement déficitaires, la dépréciation serait inflationniste et se répercuterait sur l’ensemble des chaines de valeurs pouvant nuire à la compétitivité de l’économie. L’effet dépréciation sur les exportations pourrait être plus que compenser par l’augmentation des coûts de production. Le relèvement des droits de douane ne ferait qu’aggraver la situation. Contrairement à ce que suppose les conseillers économiques, les Etats-Unis ont tout avantage d’avoir une devise forte pour attirer les capitaux et pour réduire le montant des importations. L’Allemagne a bâti sa stratégie économique sur une monnaie forte. Une devise faible n’est intéressante que s’il y a des possibilité de substitution locale aux importations.

Le dollar et les apprentis sorciers

De manière surprenante, au sein des équipes de Donald Trump, la thèse du caractère négatif du rôle dominant du dollar est amplement partagée. Stephen Miran, le nouveau président du Council of Economic Advisors, est l’un des partisans les plus zélés de la remise en cause du dollar comme monnaie mondiale. Il estime que le dollar, en tant qu’actif de réserve international, conduit à son appréciation, ce qui pénalise l’économie américaine en favorisant la désindustrialisation. De 2005 à 2024, le poids de l’industrie dans le PIB est, en effet, passé de 12 % à 10 %.

L’argument n’est pas nouveau. Dès les années 1960, l’économiste belge Robert Triffin soulignait que pour fournir au monde les liquidités nécessaires au commerce international, les États-Unis devaient inévitablement enregistrer des déficits extérieurs croissants, au risque de saper la confiance dans leur propre monnaie. Valéry Giscard d’Estaing parlera plus tard du « privilège exorbitant » du dollar. Ce privilège est désormais ouvertement contesté… depuis Washington.

En observant le taux de change du dollar depuis 1995, on constate que le billet vert s’est apprécié par rapport à l’euro depuis 2008, au yen depuis 2012, et au renminbi chinois depuis 2014. Par rapport à l’ensemble des principales devises, le dollar s’est globalement renforcé depuis 2008. Pour endiguer ce processus, le conseiller économique de Donald Trump propose de contraindre les partenaires économiques des États-Unis à vendre une partie de leurs réserves en dollars, dans le but de provoquer une dépréciation de la monnaie américaine, sous la menace d’une hausse des droits de douane.

La corrélation entre l’évolution du taux de change du dollar et le poids de l’industrie n’est cependant pas évidente. La faiblesse du billet vert entre 2004 et 2014 n’a pas enrayé la désindustrialisation. Par ailleurs, le poids du dollar dans les réserves de change mondiales décline : il est passé de 70 % en 1999 à 58 % en 2024.

Le dollar demeure un formidable atout pour l’économie américaine. Il permet aux États-Unis d’afficher en permanence un déficit de leur balance courante et d’accumuler une dette extérieure nette très importante. Le déficit courant américain s’est ainsi élevé à 4 % du PIB en 2024. La dette extérieure nette du pays est passée de 10 % à 80 % du PIB entre 2006 et 2024. Le rôle de valeur refuge du dollar attire des flux massifs de capitaux internationaux, qui financent à la fois les administrations publiques et les entreprises. Une large part des investissements dans le secteur des technologies de l’information et de la communication est d’ailleurs financée par des capitaux étrangers. Ces investissements sont passés de 3 % à 4 % du PIB entre 1995 et 2025, un niveau nettement supérieur à celui observé dans l’Union européenne.

La montée en gamme de l’économie américaine a été rendue possible grâce au « privilège exorbitant » du dollar. Si celui-ci venait à être remis en cause en tant qu’actif de réserve mondial, les États-Unis seraient contraints d’équilibrer leur balance courante. Un tel rééquilibrage s’accompagnerait vraisemblablement d’une récession, avec à la clé une baisse des investissements.

La critique du dollar, jadis apanage de puissances émergentes comme la Chine ou la Russie, rejoint aujourd’hui les rangs d’un nationalisme économique américain qui confond dépendance et puissance. Dans ce domaine, toute initiative unilatérale comporte un risque de retour de flamme. La Chine, les BRICS, voire certains pays du Golfe, travaillent déjà à contourner le dollar dans leurs échanges. Si les États-Unis eux-mêmes s’engagent dans cette direction, ils pourraient perdre plus qu’ils ne pensent gagner. En jouant avec la monnaie, les apprentis sorciers finissent souvent par se brûler les doigts.