26 avril 2025

Coin des tendances – dollar – euro – Espagne

Dollar : fin de partie ?

Quand les actions baissent, les rendements obligataires se contractent et le dollar monte : telle était la loi des marchés avant le 2 avril 2025. Cette relation fiable entre les sociétés américaines cotées, les obligations d’État et la valeur de la monnaie a été respectée pendant la majeure partie de l’histoire financière moderne. En 2008, en 2020 comme en 2022, le dollar a joué son rôle traditionnel de valeur refuge en s’appréciant.

Depuis quelques semaines, les investisseurs évitent les bons du Trésor. Les rendements des obligations d’État américaines à dix ans sont ainsi passés de 4,2 % à 4,5 % au cours du mois dernier. Parallèlement, le dollar a perdu plus de 9 % face à un panier d’autres devises depuis la mi-janvier. Les investisseurs internationaux, qui depuis des années privilégiaient les États-Unis, deviennent soupçonneux. Or, l’Oncle Sam a besoin d’eux. Au 3 avril 2025, la dette publique totale des États-Unis s’élevait à plus de 36 220 milliards de dollars. La dette détenue par le public représente 28 960 milliards de dollars, soit environ 80 % du total, le solde prenant la forme d’une dette intragouvernementale.

Les investisseurs étrangers détiennent une part significative de la dette publique américaine. Le Japon détient ainsi 1 103,5 milliards de dollars de titres souverains américains, la Chine 834,1 milliards, le Royaume-Uni 670,0 milliards, le Luxembourg 330,1 milliards, et le Canada 329,0 milliards. La Réserve fédérale des États-Unis détient environ 4 800 milliards de dollars en titres du Trésor, représentant environ 14 % de la dette détenue par le public. Les agences fédérales, tel le fonds fiduciaire de la sécurité sociale, détiennent environ 7 100 milliards de dollars en titres du Trésor, représentant la dette intragouvernementale.

Le dollar peut-il être détrôné et perdre son statut de monnaie dominante ? Cent fois imaginé, rêvé, ce scénario relevait jusqu’ici du fantasme. Le poids économique des États-Unis, leur puissance militaire, leurs marchés profonds et rentables, leur ouverture aux flux de capitaux et la fiabilité de l’État de droit étaient autant d’atouts pour faire du dollar la monnaie de référence mondiale.

Depuis huit décennies, la monnaie américaine est le pilier du commerce et de la finance. Environ la moitié des prêts transfrontaliers sont libellés en dollars, et cette monnaie intervient dans 88 % des transactions de change. Le billet vert est la clef de voûte du système économique mondial et la manifestation la plus concrète de l’impérialisme américain.

Au sein de l’administration républicaine, le souhait d’un dollar moins internationalisé est partagé par de nombreux responsables. Quand il était sénateur, J.D. Vance, aujourd’hui vice-président, soulignait que l’accumulation de titres américains par des étrangers avait artificiellement augmenté sa valeur, portant préjudice à l’industrie nationale. En novembre, Stephen Miran, aujourd’hui à la tête du Conseil des conseillers économiques de la Maison-Blanche, a publié une note suggérant que le Président pourrait taxer unilatéralement les bons du Trésor détenus en réserves à l’étranger afin de dissuader les investisseurs de les acheter.

Ces positions incitent les investisseurs à réduire leur exposition au dollar. Ils ont commencé à le faire avant même le retour de Donald Trump au pouvoir, jugeant la situation américaine plus instable qu’auparavant en raison de la fragmentation du pays et de la forte progression de la dette publique. La part du dollar dans les réserves mondiales est passée de 73 % en 2001 à 58 % aujourd’hui. Au cours de la même période, la part de diverses devises – dollars australien et canadien, couronne suédoise, franc suisse – a augmenté. Les banques centrales ont également diversifié leurs réserves : elles ont acheté plus de 1 000 tonnes d’or par an au cours des trois dernières années, soit une augmentation de plus de 140 % par rapport aux trois années précédentes. La part du dollar pourrait perdre dix points au cours de la prochaine décennie. Cette prévision ne prend pas en compte l’éventuelle conséquence d’une entrée en vigueur des monnaies digitales de banque centrale qui pourraient rebattre les cartes en façonnant un nouveau système monétaire international.

Ces dix dernières années, la demande internationale d’actifs en dollars émanait surtout des fonds de pension et des compagnies d’assurance-vie, notamment en Asie. Ces derniers détiennent souvent des investissements de plusieurs centaines de milliards de dollars, gérés par des comités qui se réunissent peu fréquemment, ce qui limite les changements brusques de stratégie. Malgré cet effet d’amortissement, leur enthousiasme pour les États-Unis diminue. Beaucoup d’investisseurs internationaux s’inquiètent de la fin de l’exception économique américaine et de la fin d’un cycle économique porté par les technologies.

Longtemps, l’imposant déficit public américain était perçu comme une source de placements attractifs. Ce déficit, qui a atteint 7 % du PIB en 2024, ne devrait pas se réduire dans les prochaines années. Le 10 avril dernier, la Chambre des représentants a approuvé le projet de budget du Sénat, susceptible d’alourdir les déficits de 5 800 milliards de dollars d’ici à 2035, selon le Committee for a Responsible Federal Budget. Ce montant dépasse celui du premier mandat de Donald Trump, ainsi que celui lié à la pandémie de Covid-19 et aux plans de relance et d’infrastructures de Joe Biden.

Les doutes vis-à-vis du dollar se multiplient, mais le billet vert reste incontournable. Les alternatives sont limitées. Le dollar n’a pas de successeur évident. Après la Seconde Guerre mondiale, la paupérisation de la Grande-Bretagne empêchait la livre sterling de conserver son statut mondial ; le dollar s’était alors imposé naturellement. Aujourd’hui, aucune devise ne semble en mesure de s’y substituer. Les marchés européens de la dette d’entreprise sont de petite taille. La dette allemande, considérée comme la plus sûre, s’élève à environ 3 000 milliards de dollars, soit un douzième du total américain.

Le yuan pourrait-il gravir les échelons de la hiérarchie monétaire ? L’économie chinoise est assez puissante, mais les progrès en matière d’internationalisation de sa monnaie restent timides. Le yuan représente un peu plus de 2 % des réserves mondiales – un chiffre en baisse depuis quatre ans. Pékin ne souhaite pas assouplir ses contrôles des capitaux. L’interventionnisme du Parti communiste chinois constitue un risque plus grave, aux yeux des investisseurs, que les politiques menées par Donald Trump. La Chine préfère renforcer son système financier : la Banque populaire de Chine a multiplié les lignes de swap avec des banques centrales étrangères, et a mis en place sa propre plateforme de paiements internationaux pour réduire sa dépendance au système SWIFT.

Ces innovations ne permettent pas encore au yuan de concurrencer sérieusement le dollar, mais elles pourraient limiter l’influence du billet vert, en offrant une alternative aux pays exclus de la finance occidentale. Pékin fonde ses espoirs sur une future monnaie digitale de banque centrale, basée sur la blockchain, permettant de contourner le dollar de façon transparente. Ce système pourrait voir le jour d’ici la fin de la décennie.

Pour l’heure, le dollar demeure l’alpha et l’oméga du système monétaire international, mais son magistère n’est plus incontesté. Plutôt qu’un effondrement, on pressent un lent reflux de l’absolu vers le relatif, comme un passage de l’unipolarité monétaire à une polyarchie hésitante. Par touches successives, le désenchantement progressif des investisseurs, les fractures internes américaines, l’activisme monétaire de puissances émergentes et l’essor des technologies financières souveraines — notamment les monnaies digitales de banque centrale — recomposent, les contours d’un nouvel ordre monétaire encore indécis. Ce changement de paradigme, s’il s’accentue, redéfinira non seulement les équilibres financiers mais aussi les leviers géopolitiques du XXIe siècle. À l’heure où l’économie mondiale vacille entre fragmentation et recomposition, le dollar continue de régner mais son trône est moins assuré que dans le passé.

La revanche de l’euro

La première monnaie de réserve européenne fut le tétradrachme, orné d’un hibou. Ce symbole de sagesse était destiné à inspirer confiance aux habitants de l’Athènes antique. Cet oiseau figure aujourd’hui sur la version grecque de la pièce de 1 euro. Les monnaies dominantes à travers l’histoire présentent des caractéristiques communes : elles sont l’apanage d’États politiquement stables et puissants, tant sur le plan économique que militaire. La transparence des institutions, notamment monétaires, constitue également un atout, donnant un avantage aux monnaies des pays démocratiques par rapport à celles des régimes autoritaires. Depuis la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis réunissaient toutes les conditions pour imposer le dollar comme monnaie dominante. Toutefois, les tensions politiques internes, le retour du protectionnisme et la tentation de remettre en cause l’indépendance de la banque centrale américaine sont autant de facteurs susceptibles d’éroder ce leadership.

Avec les difficultés du billet vert, l’euro pourrait-il connaître son heure de gloire ? Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne (BCE), et Paschal Donohoe, président de l’Eurogroupe, ont récemment évoqué les moyens de renforcer le rôle international de l’euro. Pour l’heure, la devise européenne occupe la place de brillant second dans le classement des monnaies. Selon les données du FMI, 59 % des réserves mondiales de change sont libellées en dollars, contre 20 % en euros. En 2024, le dollar reste la monnaie dominante dans les transactions commerciales mondiales, bien que sa part ait légèrement reculé au profit d’autres devises, notamment l’euro. D’après les chiffres de SWIFT, le dollar représente environ 42 % des paiements internationaux, contre 35 % pour l’euro. En troisième position, le yen ne représente que 5 % des réserves et 6 % des transactions commerciales, devançant la livre sterling et le yuan.

Depuis sa création en 1999, l’euro s’est positionné comme un prétendant au statut de monnaie mondiale, sans jamais parvenir à l’obtenir pleinement. À la veille de la crise financière de 2007-2009, les responsables européens espéraient qu’il pourrait, à terme, rivaliser avec le dollar. Mais la crise de la zone euro dans les années 2010, marquée par les problèmes d’endettement des pays d’Europe du Sud, a mis un coup d’arrêt à ces ambitions. À l’époque, la BCE n’était pas conçue pour être un prêteur en dernier ressort, ce qui rendait les obligations d’État vulnérables aux turbulences financières. Contrairement au dollar, l’euro ne peut pas s’appuyer sur des titres publics massivement émis par l’Union européenne. Le marché financier européen manque de profondeur : il reste fragmenté et les volumes d’actifs sûrs sont limités, d’autant plus que la première économie de la zone, l’Allemagne, a longtemps été un émetteur parcimonieux d’obligations. Les perspectives de croissance économique peu enthousiasmantes se traduisent par des rendements faibles pour les obligations européennes, qui ont été, entre 2015 et 2022, souvent inférieurs à zéro.

Ces dernières années, des avancées notables ont été réalisées pour consolider le rôle international de l’euro. La BCE est devenue un prêteur en dernier ressort de fait, dans un processus amorcé sous la présidence de Mario Draghi lors de la crise de l’euro. Pendant la pandémie de Covid-19, elle a lancé un programme d’achat d’obligations doté d’un budget de plus de 1 800 milliards d’euros. En 2022, face à la montée des écarts de taux sur les obligations souveraines dans un contexte inflationniste, les autorités ont mis en place un mécanisme d’achats illimités afin d’éviter une fragmentation de la zone. Cette action a été épaulée par l’Union européenne qui, pour la première fois, a lancé un plan de relance de 807 milliards d’euros, financé par une dette commune. Fait inédit, les fonds ont été répartis non selon le poids économique des pays, mais en tenant compte de leurs besoins.

La BCE s’est également affirmée comme le superviseur des 114 plus grandes banques de la zone euro, représentant 82 % des actifs bancaires. Le plan de relance européen a certes généré une dette commune encore insuffisante pour rivaliser avec celle émise par l’État fédéral américain, mais il marque un tournant. L’Allemagne, sous l’impulsion du nouveau chancelier Friedrich Merz, s’apprête à accroître ses dépenses publiques, avec un déficit qui pourrait passer de 2 % à 3,5 % du PIB dans les prochaines années.

L’euro bénéficie désormais d’institutions plus attractives, surtout comparées à celles des États-Unis. Si l’absence d’un État fédéral européen a longtemps été perçue comme un handicap, elle est aujourd’hui vue comme un gage d’indépendance pour la BCE, à l’heure où Donald Trump menace de limoger Jerome Powell, président de la Fed. En Europe, tout changement du statut de la BCE nécessite l’unanimité des États membres, garantissant ainsi sa stabilité. En un quart de siècle, la BCE a su se forger une forte légitimité, au point que les partis extrémistes sont de moins en moins nombreux à remettre en question l’existence de la monnaie commune.

L’euro pourrait tirer avantage du poids économique de l’Union européenne dans le commerce international. Déjà premier espace commercial mondial, l’UE pourrait bénéficier de l’isolationnisme américain. Une utilisation accrue de l’euro permettrait l’émergence de marchés auxiliaires dans cette devise : financement du commerce, assurance, produits dérivés sur les taux d’intérêt et les devises. Bien que les produits dérivés de change de gré à gré restent dominés par le dollar, ceux liés aux taux d’intérêt en euros ont récemment dépassé ceux en dollars. De nouveaux circuits commerciaux entraîneront la création de comptes libellés en euros dans le monde entier, alimentant la demande d’actifs en euros et, in fine, les réserves détenues par les banques centrales.

De nombreux pays se tournent vers l’euro pour facturer leurs échanges, contribuant à son ascension, qui ne pourra toutefois se poursuivre que sous certaines conditions. Pour éviter une nouvelle crise de la dette souveraine, les pays fortement endettés — notamment la France et l’Italie — devront assainir leurs finances publiques et renouer avec une croissance plus dynamique. À l’inverse, l’Allemagne, les Pays-Bas et les pays scandinaves devront utiliser leurs marges de manœuvre budgétaires pour investir, générant ainsi des actifs sûrs et stimulant la croissance européenne. Celle-ci rendra les actifs financiers de la zone euro plus attractifs. Enfin, l’Europe devra se doter de marchés de capitaux plus vastes et plus intégrés pour offrir aux investisseurs une gamme complète d’instruments financiers. Les dirigeants européens souhaitent réduire la dépendance du continent à l’égard des États-Unis et de la Chine. Un euro plus international permettrait aux États membres d’emprunter à moindre coût — un atout précieux dans un contexte de hausse des dépenses de défense.

L’internationalisation de l’euro ne se décrète pas, elle se construit. Elle dépend d’un enchaînement vertueux mêlant crédibilité monétaire, profondeur des marchés financiers, stabilité politique et cohésion économique. Si l’euro n’est pas encore en mesure de détrôner le dollar, il n’en reste pas moins un acteur majeur du système monétaire international. Dans un monde marqué par la fragmentation géopolitique et l’incertitude économique, sa montée en puissance pourrait offrir à l’Europe non seulement une meilleure autonomie stratégique, mais aussi une influence accrue dans la gouvernance économique mondiale. L’heure de l’euro n’a peut-être pas encore sonné, mais elle pourrait bientôt arriver.

Le miracle espagnol en question

« L’avenir est prometteur » aime à répéter José Manuel Entrecanales, PDG d’Acciona, une entreprise de construction espagnole, devenu un des acteurs majeurs des infrastructures d’énergies renouvelables. A Madrid, l’optimisme est de rigueur quand à Berlin ou à Paris, l’inquiétude prédomine.

L’économie espagnole a enregistré en 2024 une croissance de 3,2 %, soit près de quatre fois la moyenne de la zone euro. À titre de comparaison, le PIB de la France n’a augmenté que de 0,8 %, tandis que celui de l’Allemagne a reculé pour la deuxième année consécutive. L’indice boursier IBEX 35, qui suit les 35 plus grandes entreprises cotées à la Bourse de Madrid, a progressé de 14,8 %, soit l’une des plus fortes hausses parmi les grands indices européens. Le secteur du tourisme, durement frappé par la pandémie, a accueilli un nombre record de 94 millions de visiteurs dans un pays de 48 millions d’habitants. Il en attend 100 millions cette année, soit un niveau comparable à celui de la France. Le tourisme contribue directement à hauteur de 13 % du PIB espagnol, et indirectement à hauteur de 20 %, via les dépenses en restauration, transports et commerce de détail. « C’est notre pétrole », plaisante José García Cantera, directeur financier de la banque Santander. Les recettes touristiques de l’Espagne sont près de deux fois supérieures à celles de la France.

De nombreuses grandes entreprises espagnoles prospèrent et deviennent des références mondiales. Inditex s’est imposé comme l’un des plus grands groupes mondiaux de distribution de vêtements. Fondé en 1985 par Amancio Ortega, l’un des hommes les plus riches d’Europe, le groupe détient des marques telles que Zara, Pull & Bear, Massimo Dutti, Bershka, Stradivarius ou Oysho. Présent dans plus de 90 pays, avec plus de 5 700 magasins à fin 2023, Inditex affiche un chiffre d’affaires de 35,9 milliards d’euros pour un bénéfice net supérieur à 5 milliards d’euros.

L’Espagne abrite également deux des dix premières banques européennes en termes de capitalisation boursière (BBVA et Santander), ainsi que plusieurs géants de la construction et des infrastructures (Grupo ACS, Acciona, Ferrovial, FCC). Repsol reste une des grandes majors pétrolières européennes, et Iberdrola s’est imposé comme un des plus grands producteurs d’électricité du continent. Sener, société d’ingénierie basée à Bilbao, emploie environ 4 000 personnes et participe à de nombreux projets d’infrastructure à travers l’Europe.

Deux facteurs majeurs expliquent en partie le dynamisme actuel de l’Espagne. Le premier est le coût relativement faible de l’électricité, quasiment aussi bas qu’aux États-Unis. Il y a vingt ans, l’Espagne importait la moitié de son électricité. Aujourd’hui, elle est quasiment autosuffisante, grâce à un recours massif aux énergies solaire, éolienne et hydroélectrique. Selon BBVA, la part des énergies renouvelables dans la production d’électricité est passée de 45 % en 2021 à 65 % en 2024, entraînant une baisse de 20 % des prix de l’électricité. Ce ratio devrait atteindre 80 % d’ici 2030, permettant une baisse supplémentaire des coûts.

La deuxième explication est l’immigration, facteur de dynamisme démographique et économique. En douze ans, la population est passée de 46 à 49 millions. Sur les six dernières années, la main-d’œuvre née à l’étranger a augmenté de 1,2 million de personnes. Grâce à une intégration globalement réussie, l’immigration ne suscite pas les tensions observées ailleurs en Europe. Vox, parti d’extrême droite, concentre ses attaques sur des thèmes sociétaux (avortement, famille), mais aborde peu la question migratoire. Toutefois, cette croissance démographique accentue les tensions sur le marché immobilier. En avril, des dizaines de milliers de personnes ont manifesté à Madrid et dans une quarantaine d’autres villes pour réclamer davantage de logements abordables. Selon la Banque centrale espagnole, près de 40 % des ménages locataires consacrent plus de 40 % de leurs revenus à leur logement. Sur les dix dernières années, les loyers ont doublé, tandis que les salaires n’ont progressé que de 20 %.

D’autres défis menacent l’économie espagnole. L’insuffisance de l’investissement privé, toujours inférieur à son niveau de 2019, pèse sur la productivité. Depuis dix ans, la croissance de la productivité du travail n’a été que de 0,2 % par an en moyenne, contre 0,9 % dans l’OCDE. La complexité administrative, tant au niveau central que régional, freine l’activité économique. La mise en œuvre des réformes est entravée par l’absence de majorité politique stable. Ainsi, de nombreux projets d’infrastructures prennent du retard : l’extension de l’aéroport de Barcelone est bloquée depuis plus de 15 ans.

L’Espagne affiche un dynamisme économique remarquable, porté par un tourisme florissant, une politique énergétique ambitieuse et une intégration migratoire relativement apaisée. Des groupes industriels et bancaires puissants y contribuent, renforçant son image de nouveau moteur de croissance en Europe. Toutefois, des fragilités demeurent : tensions immobilières, productivité stagnante, et difficultés politiques à mener des réformes structurelles. L’avenir espagnol est peut-être prometteur, mais son plein accomplissement dépendra de sa capacité à relever ces défis dans la durée.