2 mai 2025

Coin des tendances -visas payants – nucléaire

Le grand marchandage de la citoyenneté 

Tout se marchande, même la nationalité. Une douzaine de pays vendent des passeports, et plus de soixante, dont les États-Unis, proposent des visas ou des titres de séjour en échange d’un investissement ou d’un don. Le système des « visas dorés » prend de l’ampleur. À Singapour, il faut investir plus de 7 millions de dollars pour en obtenir un ; 3,8 millions à Hong Kong, et 2,5 millions aux Bermudes.

Donald Trump a porté le prix du visa doré américain de 800 000 à 5 millions de dollars. Il prévoit d’affecter les recettes au remboursement de la dette publique. Ce visa permettrait d’obtenir la résidence permanente, avec une voie vers la citoyenneté. Généreusement, le président américain a précisé que les bénéficiaires n’auraient pas à payer d’impôt sur leurs revenus étrangers — une faveur dont ne bénéficient ni les citoyens américains ni les titulaires d’une green card.

Le Département de l’efficacité gouvernementale serait chargé de concevoir un logiciel de gestion de ce programme. Aucun décret présidentiel n’a encore été signé ; les juristes estiment que le Congrès devra l’autoriser. L’équipe Trump affirme pouvoir vendre un million de visas, générant ainsi 5 000 milliards de dollars. Une telle somme permettrait de rembourser un septième de la dette fédérale. La cible ? Les 37 millions de personnes dans le monde supposément capables de se payer ce visa.

Le visa doré actuel des États-Unis, le programme EB-5, est jugé peu rentable par la nouvelle équipe républicaine. L’investissement de départ (800 000 dollars) peut être récupéré, et le programme est limité à 10 000 visas par an. Les citoyens chinois et indiens en sont les principaux demandeurs, mais les délais d’attente sont longs : jusqu’à dix ans pour les Chinois, cinq pour les Indiens, du fait du plafonnement par pays.

Le programme EB-5 profite davantage à l’immobilier qu’aux finances publiques. Les investissements sont souvent structurés comme des prêts à taux très faible, destinés à créer au moins dix emplois. Le programme est devenu une manne pour les promoteurs et les intermédiaires. Les investisseurs, eux, acceptent des rendements faibles (entre 0,5 et 1 %) en échange du précieux sésame, note Madeleine Sumption (Université d’Oxford).

Donald Trump estime qu’une clientèle plus fortunée est prête à payer davantage pour obtenir plus rapidement un visa. Des petits États insulaires, comme Vanuatu, génèrent déjà une part importante de leurs recettes en vendant des passeports. Dans ces pays, ces ventes peuvent représenter plus de 10 % des ressources publiques, selon Kristin Surak (London School of Economics).

Pourtant, les projections de l’équipe Trump sont difficilement crédibles. Dans l’industrie des visas d’investissement, la règle empirique est que l’on ne consacre pas plus de 10 % de son patrimoine net à l’achat d’un tel visa. Cela signifie que les candidats à une carte à 5 millions de dollars devraient disposer d’au moins 50 millions. Or, on ne recense qu’environ 100 000 personnes à ce niveau de fortune dans le monde, dont beaucoup vivent déjà aux États-Unis (source : Dominic Volek, Henley & Partners).

Pour déterminer un prix optimal, il serait plus judicieux de recourir à une mise aux enchères ou à une tarification dynamique, comme pour les concerts de Taylor Swift. Par ailleurs, l’exonération fiscale promise soulève un problème d’égalité devant l’impôt. Le Congrès pourrait refuser d’entériner une telle mesure. Sans cet avantage, la demande serait bien plus faible.

Il semble donc illusoire d’imaginer des dizaines, voire des centaines de milliers de millionnaires prêts à débourser une somme aussi importante, tout en acceptant une imposition élevée, pour obtenir un visa doré. D’autres voies existent, moins onéreuses : le visa E-2 (investissement dans une entreprise américaine) ou le visa L-1 (ouverture d’une filiale).

Trump souhaiterait remplacer le programme EB-5 par sa « gold card ». Mais ce programme reste inscrit dans la loi jusqu’en 2027.

Depuis le retour de Donald Trump, ce ne sont plus les riches étrangers qui souhaitent immigrer aux États-Unis, mais les Américains aisés qui cherchent à s’établir ailleurs. Ce mouvement pourrait s’intensifier si les réformes républicaines affectent la recherche ou l’enseignement supérieur. Plusieurs pays européens proposent d’accueillir des chercheurs américains sans frais excessifs.

L’achat de visas, de cartes de séjour ou de passeports soulève des questions éthiques et sécuritaires. Pour prévenir les abus, l’Union européenne a interdit cette pratique en mars 2022. Plusieurs États membres s’y opposent encore. Cette mesure visait notamment à empêcher l’octroi de citoyennetés européennes à de riches investisseurs russes.

La Cour de justice de l’Union européenne a ainsi jugé illégal, en avril 2024, le dispositif de citoyenneté par investissement de Malte. « Une telle commercialisation du statut de citoyen est incompatible avec la conception fondamentale de la citoyenneté de l’Union », a-t-elle tranché.

Le programme maltais, révisé en 2020, permettait d’obtenir la nationalité contre un investissement de 600 000 euros, un achat immobilier, un don de 10 000 euros à une ONG et trois ans de résidence — ramenés à un an en cas d’investissement de 750 000 euros. Ce mécanisme a rapporté 1,4 milliard d’euros à Malte en dix ans. Seize bénéficiaires se sont révélés être des personnes politiquement exposées ou sanctionnées, notamment dans le cadre de la guerre en Ukraine.

En 2020, l’Autriche, la Bulgarie, Chypre et Malte proposaient encore des passeports contre argent. Une vingtaine d’autres pays, dont la France, accordaient des titres de séjour en échange d’un investissement. La Commission européenne critique ce marché de la citoyenneté, accusé de favoriser la corruption et le blanchiment. Le Portugal ou l’Irlande ont abandonné leurs programmes en raison de leur impact sur les prix de l’immobilier. D’autres, comme la Grèce, continuent, avec des seuils relevés à 800 000 euros.

À Malte, sur un demi-million d’habitants, la diaspora russe dépasse plusieurs milliers de personnes. Environ 2 000 Russes sont visés par des sanctions européennes. Depuis le début de la guerre en Ukraine, la France a refusé 1 200 demandes de visa, notamment pour des conférences.

La citoyenneté devient un actif monnayable, au risque d’éroder le lien démocratique entre les citoyens et leurs institutions. Le rêve américain vaut-il cinq millions de dollars ? La communauté de destin qui façonne les nations y perd sans nul doute un peu de son sens. La marchandisation de la nationalité ou des droits de séjour pose également un problème de sécurité en particulier au sein de l’Union européenne qui repose sur la libre circulation, des biens, des services et des personnes.

La nouvelle bataille de l’atome

Selon Peter Thiel, un  investisseur visionnaire de la Silicon Valley, les Etats-Unis font fausse route en privilégiant les logiciels, le software par rapport au hardware, en privilégiant les applications au détriment de l’atone et de l’énergie. Il aime à rappeler que le Projet Manhattan — qui donna naissance à la première bombe atomique — incarnait la capacité de l’État américain à initier des avancées technologiques. La grande majorité des inventions qui aujourd’hui peuplent notre quotidien proviennent de technologies militaires initiées après la Seconde Guerre mondiale et durant la guerre froide. Il en est ainsi par exemple d’Internet.

Dès 2015, Peter Thiel plaidait pour l’avènement d’une « nouvelle ère atomique » afin de produire une énergie propre et abondante. Dix ans plus tard, il compte parmi ses alliés des proches du président Donald Trump, qui partagent cette vision. Faute de pouvoir compter sur l’appui de l’Etat, il a regroupé des investisseurs privés pour financer des projets centrés sur l’énergie nucléaire. Il a ainsi financé une start-up, General Matter, ambitionnant de devenir la première entreprise privée américaine à enrichir de l’uranium. L’entreprise entend développer une technologie capable de produire de l’uranium enrichi à un niveau jusqu’à quatre fois supérieur aux standards commerciaux actuels, destiné à alimenter une nouvelle génération de réacteurs nucléaires. Le projet pourrait nécessiter des investissements de plusieurs milliards de dollars. General Matter promet de réduire la dépendance américaine à l’égard de l’uranium russe qui aujourd’hui, malgré les embargos, couvre une partie des besoins américains (35 % du combustible nucléaire américain proviennent de Russie. Elon Musk suit de près l’évolution de cette société qui entend profiter d’un programme du Département de l’Énergie (DOE) visant à produire du HALEU (High-Assay Low-Enriched Uranium), un combustible nucléaire enrichi entre 5 % et 20 %, destiné aux petits réacteurs modulaires (SMRs). Ces réacteurs sont considérés comme l’avenir de la filière nucléaire. Tout le HALEU utilisé aux Etats-Unis est actuellement d’origine russe.

General Matter refuse de révéler la technologie d’enrichissement qu’elle développe ni l’État où sera implantée son usine. Fin 2024, General Matter figurait parmi les quatre entreprises sélectionnées pour concourir à un contrat de 2,7 milliards de dollars pour la fourniture de HALEU au gouvernement, ainsi que parmi les six prétendantes à un autre contrat portant sur du LEU, d’une valeur allant jusqu’à 3,4 milliards de dollars. L’entreprise s’attend à bénéficier d’un soutien plus important de la part de l’administration républicaine. General Matter a été longtemps dénigrée par les entreprises traditionnelles du secteur de l’énergie nucléaire. Appliquer les méthodes d’ingénierie de SpaceX au nucléaire, c’est prendre un risque dans un secteur ou ce dernier est interdit. Peter Thiel est néanmoins considéré comme un investisseur avisé. Premier investisseur majeur de Facebook et de SpaceX, il a bâti une fortune de 16,5 milliards de dollars en sachant aller à contre-courant. Il a avec son fonds, Founders Fund,  connu de nombreux succès en finançant des entreprises utilisant des technologies encore non éprouvées. Parmi elles, Palantir — fondée en 2003 pour aider à lutter contre le terrorisme, est désormais valorisée à 180 milliards de dollars ; Anduril, fabricant d’armes autonomes qui a bousculé le complexe militaro-industriel américain, est valorisée à 14 milliards de dollars.

Selon Trae Stephens, associé de Founders Fund et cofondateur d’Anduril, estime que General Matter une pièce clef afin de doter l’Amérique des technologies énergétiques nécessaires pour battre la Chine dans la course à l’IA. Il souligne par ailleurs comme indispensable que Founders Fund travaille à la relocalisation d’autres maillons critiques, notamment les machines de lithographie en lumière extrême ultraviolette, indispensables à la fabrication des semi-conducteurs les plus avancés.

Pour le moment, le business model de General Matter reste fragile. Sans une filière d’approvisionnement en HALEU, la construction de réacteurs avancés demeure difficile. Mais tant que la viabilité de ces réacteurs reste incertaine, produire du HALEU constitue un pari coûteux et spéculatif. Le soutien du Département américain de l’énergie vise à briser cet enchaînement. Le 9 avril dernier, le ministère a annoncé fournir un premier lot de HALEU pour des petits réacteurs nucléaires mais il ne peut garantir ni l’avenir de ces réacteurs, ni celui d’une chaîne d’approvisionnement nationale pour l’uranium. Autre écueil pour la start-up trumpiste, les entreprises traditionnelles du secteur de l’énergie ne souhaitent pas abandonner la partie. Les trois autres entreprises retenues par le DOE pour produire du HALEU sont des acteurs confirmés ayant une expérience reconnue. Figurent les filiales américaines de deux groupes européens (Urenco, consortium des gouvernements britannique, néerlandais et allemand, Orano, entreprise publique française et Centrus Energy, société américaine. Centrus a produit en 2023 20 kg de HALEU, la première production nationale depuis 70 ans. General Matter espère faire mieux : produire plus, à moindre coût. Ses rivaux rappellent que l’entreprise n’a pas encore sollicité de licence auprès de la Nuclear Regulatory Commission, un processus pouvant durer des années.