3 octobre 2025

Economie – politique monétaire – mur budgétaire France – Etats- Unis démographie

La politique monétaire européenne accommodante ou restrictive

La Banque centrale a depuis le milieu de l’année 2024 baissé à huit reprises ses taux directeurs. La politique est-elle devenue pour autant accommodante ? Pour certains pays dont la France, certainement pas. La situation de la zone euro en cette fin d’année 2025 est en effet marquée par des divergences sur le terrain de la croissance, des taux de long terme et de la croissance rendant complexe l’appréciation de la politique monétaire.

Le taux de dépôt de la Banque centrale européenne (BCE) est passé en un an de 3,75 à 2 %. Ce taux est inférieur à la croissance en volume de la zone euro, estimé autour de 3 % en 2025, semblant attesté d’une orientation favorable à l’activité, un encouragement implicite à l’investissement et à la consommation.

Décisions de baisses des taux directeurs par la BC

Date de décision de la BCETaux de la facilité de dépôtTaux de refinancement principalTaux de prêt marginal
12 juin 20243,75 %4,25 %4,50 %
18 septembre 20243,50 %3,65 %3,90 %
23 octobre 20243,25 %3,40 %3,65 %
18 décembre 20243,00 %3,15 %3,40 %
5 février 20252,75 %2,90 %3,15 %
12 mars 20252,50 %2,65 %2,90 %
23 avril 20252,25 %2,40 %2,65 %
11 juin 20252,00 %2,15 %2,40 %

Si en moyenne, la politique de la BCE peut apparaître accommodante, la situation est tout autre pour un certain nombre d’Etats. La croissance nominale prévue pour 2025 diverge fortement au sein de l’Union. Elle ne devrait pas dépasser 2,7 % en Allemagne, 2,0 % en France ou 2,5 % en Italie. En revanche, elle devrait se situer autour de  5,0 % en Espagne. Les taux longs ne suivent pas par ailleurs l’évolution des taux de court terme compte tenu de la progression des besoins de financement croissants des Etats. Les taux d’intérêt à dix ans sur la dette publique atteignent respectivement 2,8 % en Allemagne et 3,3 % en Espagne contre 3,6 % en France et en Italie. L’écart de taux entre la France et l’Allemagne tend à s’accroitre. La France et l’Italie subissent un coût de financement supérieur à leur croissance nominale, sgne indiscutable d’une politique restrictive.  L’Espagne bénéficie encore d’une prime de croissance excédant le poids de ses taux. Pour l’Allemagne, la politique monétaire est plutôt neutre.

La discordance entre court et long terme

Cette dissociation entre la politique monétaire de court terme et les conditions de financement à long terme ainsi que les divergences de croissance ou d’inflation au sein des Etats membres n’est pas sans posé problème à la BCE. Cette dernière insiste sur la maîtrise des anticipations d’inflation. Elle a été néanmoins contrainte de passer le taux de dépôt en-dessous de la progression des prix et de l’activité afin de faciliter la relance de l’économie. Le marché obligataire ne suit pas pour le moment le signal monétaire en traduisant la défiance croissante des investisseurs face aux trajectoires budgétaires et à la soutenabilité des dettes souveraines. En France et en Italie, le rendement des obligations publiques dépasse la croissance, ce qui signifie qu’à dette constante, le poids des charges financières augmente. L’effort à conduire pour stabiliser et encore plus pour réduire la dette est de plus en plus élevé. Cette situation n’est pas sans rappeler les débats qui agitaient la zone euro au milieu des années 2010 à la nuance près que désormais, c’est la France qui est dans l’œil du cyclone.

La hausse des taux longs est alimentée par l’attrition de la base monétaire de la zone euro. Cette réduction est logique après le gonflement historique de la base monétaire entre 2015 et 2022. Elle avait été multipliée par plus de 5. Depuis 2024, en ne rachetant plus de nouvelles obligations, la BCE a ramené sa base monétaire de 7000 à 5000 milliards de dollars. La BCE n’a pas vocation à être le banquier permanent des Etats.

La hausse des taux d’intérêt à long terme fragilise la zone euro d’autant plus que les taux de croissance diffèrent fortement d’un Etat à un autre. L’Allemagne est engluée dans une stagnation liée aux difficultés rencontrées par son industrie et à la montée du protectionnisme. La France connait une croissance positive mais faible du fait de la disparition des gains de productivité sur fond de désindustrialisation. L’Italie est confrontée à un déclin démographique qui atrophie sa croissance. L’amélioration de la situation financière de l’Etat permet néanmoins une légère décrue de l’écart de taux avec l’Allemagne. L’Espagne, en revanche, continue de surprendre avec un taux de croissance de 3 % portée par l’essor de l’activité touristique et la bonne résistance du secteur agro-alimentaire.

En réduisant son bilan et en acceptant la divergence des taux longs, la BCE envoie un message de responsabilité budgétaire aux États membres. Elle refuse de se substituer aux réformes structurelles et aux ajustements fiscaux. Mais cette posture comporte un risque, celui de nourrir certaines rancœurs au sein des Etats voire une montée des votes populistes. .

PaysCroissance réelle 2025 (%)Inflation sous-jacente (%)Croissance nominale (%)Taux d’intérêt 10 ans (%)Diagnostic monétaire
Allemagne0,02,72,72,8Neutre
France0,81,22,03,6Restrictive
Italie0,42,12,53,6Restrictive
Espagne2,62,45,03,3Expansionniste

La France face au mur budgétaire

Le constat de départ est d’une rigueur implacable. Avec un taux d’intérêt à long terme avoisinant 3,5 % et une croissance nominale estimée à 2,5 % (1 % en volume, 1,5 % en inflation), la France se trouve dans une situation où le coût de financement de la dette excède la progression de ses ressources. Dans un tel contexte, la stabilisation du ratio dette/PIB ne peut se faire qu’au prix d’un excédent budgétaire primaire. Les calculs sont simples : il faudrait dégager 1,1 % du PIB en excédent, alors que la France affiche en 2025 un déficit primaire de 3,2 %. L’écart est donc de 4,3 points de PIB, soit environ 130 milliards d’euros. L’impasse est majeure. Sachant que la moitié des titres publics émis par le Trésor sont acquis par des investisseurs étrangers et essentiellement américains, chinois, japonais ou allemands, il suffirait que quelques banques émettent des doutes sur la signature française pour provoquer une envolée des taux.

L’assainissement budgétaire apparait impossible à réaliser compte tenu des demandes de financement public : la retraite, la santé, la dépendance, l’éducation, la transition écologique et la défense. Le rapport Draghi, publié un an plus tôt, préconise un effort considérable pour l’Union européenne, 4,5 points de PIB supplémentaires, moitié à la charge du public, moitié du privé. Pour la France, cela représente 2,2 points de PIB à financer par les finances publiques.  À 2 % du PIB aujourd’hui, la dépense de défense devrait être portée à 3 % pour respecter les engagements de l’OTAN. Soit un surcroît d’effort d’un point de PIB. Au total, l’ajustement nécessaire s’élève à 7,5 points de PIB, soit environ 230 milliards d’euros. Ce chiffre n’est pas seulement colossal : il est proprement irréalisable dans le contexte politique et social français. Le climat social tendu complique enfin la situation. Les revendications en faveur de la revalorisation des salaires deviennent, en effet, de plus en plus prégnantes.  

L’absence de marges de manœuvre illusoires

L’histoire budgétaire française, depuis les années 1980, est marquée par une constance, l’incapacité chronique à dégager des excédents primaires durables. La dépense publique, aujourd’hui encore, culmine à près de 58 % du PIB, un record parmi les pays développés. Les dépenses de protection sociale représentent à elles seules 32,3 % du PIB. Si l’on ajoute culture, environnement, subventions et aides diverses, ce sont 40,6 % du PIB qui échappent à toute compression rapide.

La non-indexation de ces dépenses sur l’inflation permettrait, à long terme, de réduire progressivement leur poids. Cette mesure ne génèrerait néanmoins qu’une baisse de 0,6 point de PIB par an. Douze années seraient nécessaires pour réduire la dépense de 7,5 points. Politiquement, socialement, cela relève de l’utopie. Côté recettes, les marges sont tout aussi étroites. La fameuse « taxe Zucman », imaginée pour prélever 2 % sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros, ne rapporterait que 0,5 à 0,8 point de PIB. À peine un dixième de l’effort nécessaire. Les hausses massives de TVA ou d’impôt sur le revenu sont politiquement et socialement sensubles. .

Vers une dette à 115 % du PIB

Après avoir franchi les 110 % en 2020, la dette française continue sa croute vers les 120 %. Elle a franchi la barre des 115 % au deuxième trimestre 2025, inexorablement, au-delà de 115 % du PIB. Le spread OAT-Bund, c’est-à-dire l’écart de taux avec l’Allemagne, ne peut que s’élargir. En septembre 2025, il a dépassé 80 points de base, et rien n’indique une inversion de tendance.

Si, à moyen terme, le Trésor se heurte à une défiance des investisseurs, il devra se tourner vers la BCE. Le Transmission Protection Instrument (TPI), nouvel outil mis en place à Francfort, autorise la Banque centrale à acheter sans limite les titres de dette d’un État menacé mais ce soutien n’est pas inconditionnel. Il s’accompagne d’exigences strictes de consolidation.

Le spectre d’une « troïka » à la française

Le FMI, la BCE et la Commission européenne ont-elles la possibilité politique de placer la France sous tutelle. Cette dernière peut-elle ignorer ses devoirs de bonne gestion car elle est « too big to fail ». Il n’est pas certain que la mansuétude des partenaires européens soient sans limite. L’arithmétique budgétaire ouvre à plus ou moins long terme, un risque de mise sous tutelle. Les dépenses sociales – retraites, santé, allocations – apparaissent comme les seules variables d’ajustement réellement significatives. Dès lors, une réforme drastique du système de retraite ou une réduction brutale des dépenses de santé ne peuvent être écartées, si la BCE conditionne son aide à une « crédibilité » budgétaire retrouvée. Or, la classe politique et l’opinion ne sont pas préparés à faire face à de telles demandes. Le débat sur l’abrogation de la réforme des retraites de 2023 en est un des symboles. La proximité de l’élection présidentielle ne facilite pas l’élaboration d’un consensus sur le sujet de l’assainissement des comptes publics, aucun candidat, aucun parti ne souhaitant endosser d’ici 2027 l’impopularité d’un plan de rigueur.

Une croissance atone

La situation française est compliquée par la faiblesse de croissance qui pèse sur les rentrées fiscales. La faible confiance des ménages en l’avenir contribue à la stagnation de la consommation. Le pessimisme des dirigeants d’entreprise se traduit sur le niveau de l’investissement. Les perspectives d’une rigueur inévitable génèrent des anticipations négatives.

Depuis l’épidémie de Covid, la France fait du surplace. La fragmentation du pays rend la mise en œuvre de toute réforme impossible. Le combat politique se place de plus en plus sur le terrain du populisme ce qui ne facilite pas la prise de conscience par l’opinion de la gravité de la situation financière. Seule l’idée que les riches peuvent tout payer fait aujourd’hui consensus.

L’économie américaine victime de la démographie

L’économie américaine a bénéficié, ces dernières années de flux migratoires importants. Le retour de Donald Trump a fortement réduit ces derniers. En durcissant drastiquement sa politique migratoire, l’administration américaine a bouleversé la dynamique de l’emploi et de la croissance.

 Selon le Pew Research Center, le nombre d’immigrants vivant aux États-Unis a reculé de 53,3 millions en janvier 2025 à 51,9 millions en juin, soit une baisse de 1,4 million en six mois. Cette contraction résulte à la fois de la réduction des flux d’entrées et des expulsions massives décidées par l’administration en place.

Par voie de conséquence, la population active, calculée comme la somme des personnes en emploi et au chômage, a commencé à diminuer. Avec la contraction du solde migratoire, quand 150 000 créations nettes d’emplois par mois étaient nécessaires pour maintenir le chômage stable, ce seuil est aujourd’hui tombé à un niveau quasi nul. La faible niveau du taux de chômage traduit une économie en état de pénurie de main d’œuvre. Le paradoxe américain est donc le suivant. La machine économique peine à générer des emplois nouveaux, mais le chômage n’augmente pas, car la population active diminue.

La Réserve fédérale, gardienne de la stabilité économique et financière, se trouve confrontée à un dilemme inédit. Si elle privilégie le taux de chômage, elle constatera une stabilité exemplaire et n’aura aucune incitation à abaisser rapidement ses taux directeurs. Elle considérera que le plein emploi est maintenu et que la progression des salaires, soutenue par la rareté relative de la main-d’œuvre, appelle à la vigilance contre l’inflation qui pourrait être alimentée par la hausse des salaires. En effet, Le salaire hebdomadaire progresse encore de près de 4 % sur un an. Ce rythme, supérieur à la productivité, alimente une pression inflationniste persistante. Là encore, le paradoxe est patent : la croissance réelle ralentit (1,2 % en rythme annuel au premier semestre 2025), les créations d’emplois s’effondrent, mais les salaires augmentent, soutenant la demande et les coûts. Si elle se concentre sur les créations d’emplois, elle observera au contraire une diminution préoccupante de l’activité. Dans ce cas, la tentation sera grande d’assouplir la politique monétaire pour compenser le ralentissement économique.

Ce dilemme statistique révèle une incertitude inédite. La Fed, habituée à se fier à des indicateurs robustes et convergents, doit désormais composer avec des signaux divergents, dont l’interprétation dépend du poids accordé à la démographie et à l’immigration. Pour les marchés financiers, cette situation nourrit l’incertitude. Les anticipations de politique monétaire oscillent entre deux scénarios ; celui d’un maintien des taux élevés pour contenir l’inflation salariale, et celui d’une baisse rapide pour contrer l’essoufflement de l’emploi et de l’activité.

La nature même du modèle américain est en question. La prospérité du pays a toujours reposé sur l’apport d’une main-d’œuvre étrangère abondante et sur une démographie en expansion. En fermant ses portes, les Etats-Unis se privent de leur moteur historique. Le marché du travail apparaît alors comme un trompe-l’œil : plein emploi apparent, fragilité profonde. Au fil des mois, les tensions devraient se multiplier sur le marché du travail pouvant contraindre Donald Trump à revoir sa politique.