28 février 2015

L’Amérique latine en proie à ces vieux démons

L’Amérique Latine est toujours à la recherche d’un mode croissance vertueux. Les économies de la grande majorité des Etats de ce continent pratiquent les montagnes russes. Après quelques années d’euphorie provoquées par l’augmentation des cours des matières premières et des produits agricoles, les pays d’Amérique Latine doivent faire face à des déficits de leur balance des paiements courants, à des fuites de capitaux, à l’inflation, à une hausse des taux d’intérêt et à une dégradation de leur compétitivité. La croissance diminue de trimestre en trimestre ; certains Etats étant même en récession.

Brésil, vivement la fin des jeux

Le Brésil résume bien la situation dans laquelle se trouve le continent. Le déficit du compte courant brésilien a été en 2014 de 91 milliards de dollars soit le troisième plus important du monde après ceux du Royaume-Uni (120 milliards de dollars) et des États-Unis (410 milliards de dollars). Ce déficit provient principalement de la dégradation de la balance commerciale.

La faiblesse des prix des matières premières et l’aggravation des problèmes de compétitivité liés à des goulots d’étranglement en matière d’infrastructures, l’étroitesse du marché du travail, l’augmentation des coûts salariaux ont pesé sur les exportations. En outre la dépréciation de la monnaie a renchéri le coût des importations. Par ailleurs, la balance des services est également déficitaire.

Du fait de sa taille le Brésil n’a pas pour le moment de problème pour couvrir aisément ses besoins de financement. Néanmoins, pour attirer les capitaux et réduire les tensions inflationnistes, les autorités doivent consentir des taux d’intérêt élevés réduisant d’autant la croissance. La concurrence des taux américains qui sont amenés à augmenter est problématique. La nouvelle équipe économique au pouvoir a opté pour une politique d’assainissement budgétaire tout en laissant la devise se déprécier (de 9,3% face à l’USD au cours des 2 derniers mois). Les prochains mois risquent d’être compliqués surtout que se profilent les Jeux Olympiques. La croissance brésilienne ne devrait pas dépasser 0,3 % en 2015. Elle pourrait atteindre 1,5 % en 2016.

D’autres pays d’Amérique Latine sont dans une situation bien plus complexe.

L’Argentine, de la crise financière à la crise politique ?

L’Argentine habituée aux crises de financement ne finit pas de chasser les fantômes. Sa dernière grande crise des paiements date de 2001. Le pays semble se rapprocher à toute vitesse d’une nouvelle grande crise même si la situation de son secteur bancaire est meilleure qu’il y a une dizaine d’années. L’Argentine est fortement pénalisée par son manque d’accès aux  marchés internationaux de capitaux. Elle soit rembourser 11 milliards de dollars cette année tout en faisant face à la baisse des cours des produits agricoles et à la poursuite des fuites de capitaux. Les produits agricoles représentent 60 % des exportations totales. Les cours du soja, du blé et du maïs ont perdu entre 13 % et 19 % au deuxième semestre de 2014.La baisse des revenus tirés de ces exportations est évaluée à près de 20 %. Avec l’accroissement du déficit de la balance des paiements, le pays commence à souffrir d’un manque de réserves de change d’autant plus que les investissements d’origine étrangère se tarissent. Le pays semble entrer dans une période compliquée avec la fin agitée du mandat de Christina Kirchner ; la prochaine élection présidentielle est prévue en juin 2015. L’assassinat du procureur Alberto Nisman qui accusait la Présidente de protéger les responsables d’un attentat réalisé en 1994 accroit les tensions intérieures. L’Argentine devrait donc continuer d’être en récession avec une contraction du PIB de 2 % attendue sur l’année.

L’après Chavez n’est pas rose

Le Venezuela, le premier pays pétrolier du Continent, est certainement au bord d’une crise grave des paiements courants. La baisse des recettes pétrolières a débouché sur une crise économique s’accompagnant d’une pénurie de dollars. La faiblesse des réserves de change (21 milliards de dollars) et les fuites des capitaux imposent l’engagement de mesures de sauvegarde rapides faute de quoi une crise de liquidités pourrait rapidement survenir. Pour le moment, les autorités vénézuéliennes ont eu recours à une politique de contrôles quantitatifs en rationnant les importations et les dollars. Les importations de biens et services sont passées de 71 à 58 milliards de dollars en un an. Pour éviter la crise il faudrait réduire le montant des importations en-dessous à moins de 50 milliards de dollars. Après un recul du PIB de 3 % en 2014, une nouvelle contraction est attendue, en 2015, d’au moins 1 %.

La Colombie, un nouvel eldorado ?

La Colombie qui a bénéficié du niveau élevé des cours du pétrole pour se développer dans les années 2000doit gérer le tarissement de la rente. Le pétrole représente la moitié des exportations de ce pays. De ce fait, le déficit du compte courant colombien est le deuxième plus important de la région, derrière celui du Brésil. Pays souvent mis en avant avec l’amélioration des conditions de sécurité le pays a bénéficié d’importants investissements d’origine étrangère qui génèrent des rapatriements élevés de bénéfices et de dividendes.

La Colombie peut néanmoins se reposer sur la demande intérieure qui demeure relativement solide. Les investissements dans le BTP, comme les dépenses publiques, ont compensé dans une certaine mesure la dégradation des termes de l’échange et l’atonie de la demande étrangère.

La Colombie n’est pas dans la même situation que le Venezuela car les flux nets de capitaux couvrent le déficit du compte courant. Par ailleurs la Banque centrale a accumulé des réserves de change, près de 50 milliards de dollars. Les autorités ont également laissé filer la monnaie, le peso a perdu près du quart de sa valeur par rapport au dollar en 2014. La Colombie développe un fort secteur touristique en s’adressant de plus en plus à une clientèle aisée en provenance d’Amérique du Nord voire de l’Europe. La croissance devrait atteindre 4 % en 2015 comme en 2016.

Le Chili s’en sort bien

Le Chili est avec l’Uruguay l’un des pays les plus solides du Continent. Il a bien résisté à la chute des cours du cuivre sa principale richesse naturelle. Le cuivre a perdu 17 % de sa valeur l’année dernière. Néanmoins, le solde du compte courant Chilien s’est amélioré durant l’année avec la progression de l’excédent.

Le Chili qui est fortement importateur de pétrole (près de 20 % de ses importations) a bénéficié de la diminution des cours. Le Chili attire les investisseurs internationaux. Ainsi, les investissements d’origine étrangère représentent le double du déficit du compte courant. Par ailleurs, les fonds de pension constituent un levier important du financement de ce pays.Il convient de noter que grâce à ses fonds de pension, le Chili a été créancier net. Ceci explique pourquoi les investissements de portefeuille étaient négatifs avant la crise. La seule menace actuelle qui pèse sur ce pays est la remontée des taux américains qui pourrait le priver de capitaux. Le Chili devrait connaître une croissance de 1,7 % cette année quand elle était initialement attendue à 4 %. Le Chili conservera, cette année, sa deuxième place au niveau du PIB par habitant du continent après l’Uruguay.

 L’Uruguay, la Suisse locale tente de passer entre les gouttes

L’Uruguay de son côté qui tente de se spécialiser en place financière du Continent devrait enregistrer une croissance au mieux de 2 à 3 %. Ce pays est impacté par le ralentissement de ses grands voisins et des moindres entrées de capitaux.