7 décembre 2019

Le Coin de la Conjoncture

Éco fiction : l’Allemagne aurait-elle intérêt à sortir de l’euro ?

Vladimir Poutine a annoncé que l’Union européenne aura disparu d’ici 10 ans. Cette prévision intervient au moment où l’Union européenne est confrontée à la sortie du Royaume-Uni et à des tensions internes sur de nombreux sujets comme celui de l’immigration. Si, depuis quelques mois, la question de l’implosion de la zone euro est moins d’actualité, des voix émergent cependant en Allemagne pour en sortir. Les mouvements d’extrême droite mettent en avant les pertes de revenus subies notamment par les épargnants et en premier lieu les retraités allemands du fait du maintien sur longue période des taux d’intérêt négatifs. Les intérêts perçus par les ménages représentent désormais moins de 0,5 % du PIB en 2019 contre 3,4 % en 2002 (source Datastream).

Les adversaires de l’euro en Allemagne mettent également en avant la divergence budgétaire avec les autres États membres. Ces derniers abuseraient de la rigueur allemande en se permettant, sous couvert de l’euro et des bas taux d’intérêt, de s’endetter à bon compte. À terme, ils exposeraient l’Allemagne à un fort risque financier par effet de solidarité et de contagion. La dette publique de la zone euro hors Allemagne est de 98 % du PIB. Elle est stable depuis 2013 quand celle de l’Allemagne est passée de 80 à 60 % du PIB en dix ans.

Si les autorités allemandes décidaient de sortir de l’euro, la nouvelle monnaie allemande pourrait connaître une forte appréciation en raison de l’existence d’importants excédents commerciaux. La balance courante dégage depuis plusieurs années un solde positif de 6 à 8 % du PIB. Les actifs extérieurs nets de l’Allemagne s’élevaient en 2018 à près de 70 % du PIB contre 20 % en 20 % en 2008. Le cours de l’euro est aujourd’hui déprécié du fait de la faiblesse structurelle de certains États membres au niveau de leur commerce extérieur (la France en particulier). La valeur du nouveau deutschemark serait portée à la hausse en raison d’une demande accrue des investisseurs internationaux vis-à-vis des obligations allemandes. Cette appréciation buterait néanmoins sur plusieurs autres réalités moins positives.

Politiquement, la sortie de l’Allemagne de l’euro constituerait un échec majeur de l’Europe. Toute la zone entrerait en turbulence ; elle serait confrontée à des risques économiques et financiers importants. Les investisseurs se détourneraient un certain temps des pays qui en faisaient partie. L’Allemagne serait également touchée sur le plan financier par la dépréciation des actifs étrangers qu’elle détient. Même si aujourd’hui, une renationalisation est en cours au niveau des titres obligataires, à l’échelle européenne, l’Allemagne est le pays le plus exposé au risque de dépréciation. Les épargnants allemands seraient une nouvelle fois perdants.

Au niveau économique, au-delà de l’effet récessif de son éventuelle sortie de la zone euro, l’Allemagne serait confrontée à deux problèmes : l’un de nature conjoncturelle avec l’élévation de ses coûts ; l’autre de nature structurelle avec la fin d’un cycle industriel.

L’appréciation du nouveau mark entraînerait une augmentation du prix des biens intermédiaires importés. En outre, la compétitivité des produits fabriqués en Allemagne serait altérée. Les exportateurs allemands sont en outre confrontés à une évolution de l’économie mondiale. Les pays émergents ont une moindre appétence en biens d’équipements allemands car ils en sont désormais bien pourvus et ont développé des fabrications locales. Il en est de même avec les achats de voitures. La demande mondiale est de plus en plus centrée sur les services. L’Allemagne pourrait donc connaître des pertes de parts de marché, ce qui nuirait alors à la valeur de sa monnaie.

La sortie de l’euro serait fortement préjudiciable à l’économie et aux épargnants allemands. Les gains possibles seraient plus que compensés par des effets négatifs. Conscients de cette situation, les dirigeants allemands ont jusqu’à maintenant accepté les contraintes et les risques que génère l’appartenance de leur pays à la zone euro. Le prix à payer est des taux faibles et un soutien éventuel à des pays en difficulté comme ce fut le cas avec la Grèce. La difficulté pour les femmes et les hommes politiques est de faire comprendre aux électeurs qu’ils ne sont pas pénalisés par l’euro quand tout semble prouver le contraire.

La France, ses crises, ses dépenses, ses impôts

Lors de chaque crise sociale, les gouvernements français optent pour l’augmentation des dépenses publiques. Ainsi, après les manifestations à répétition des « gilets jaunes », le gouvernement d’Édouard Philippe a décidé d’effectuer un surcroît de transferts sociaux portant sur 17 milliards d’euros (hausse de la prime d’activité, réindexation sur les prix des petites pension, hausse du minimum vieillesse, baisse de l’impôt sur le revenu, réduction de la hausse de la CSG pour les retraites, défiscalisation des heures supplémentaires, etc.). La crise s’est soldée par la plus forte augmentation du pouvoir d’achat des ménages, près de 2 % en 2019, soit le double du taux de croissance du PIB et par l’aggravation du déficit public qui devrait dépasser 3 % du PIB. D’autre part, face à la montée des mécontentements sectoriels, les pouvoirs publics ont engagé une série de plans devant aboutir à une augmentation des dépenses publiques : plan pour les urgences dans les hôpitaux, plan en faveur des transports régionaux, mesures en faveur de la police, plan pour l’éducation dans les quartiers difficiles. Le mouvement de grèves lié à la réforme des retraites pourrait aboutir, à son tour, à une nouvelle série d’augmentation de dépenses. Ainsi, les rémunérations des enseignants et de certains personnels hospitaliers pourraient-elles être relevées.

Depuis plusieurs années, les mécontentements se nourrissent de l’absence de perspective pour une part croissante de la population, de l’augmentation des prix de l’immobilier dans les grandes villes provoquant le départ des classes moyennes en périphérie, et de l’allongement par ricochet de la durée des transports domicile/travail. En vingt ans, malgré la baisse des taux d’intérêt, le coût du logement par Français a progressé 50 % plus rapidement que les salaires. En 2019, pour 35 % des actifs, la durée moyenne aller-retour domicile/travail est supérieure à 1 heure 30 contre 28 % en 1998 (source DARES – INSEE).

La pression à la hausse des dépenses publiques en France est également la conséquence d’un fort rejet des inégalités sociales, inégalités qui sont par ailleurs parmi les plus faibles de l’OCDE. Les dépenses publiques représentent 56 % du PIB et les dépenses sociales plus de 34 % du PIB, ce qui constitue deux records absolus au sein de l’Union européenne. Toute modification de la répartition des dépenses publiques est source de tensions importantes.

Malgré des efforts budgétaires importants, les pouvoirs publics peinent à résoudre les problèmes structurels auxquels est confrontée la société française depuis quarante ans, parmi lesquels figurent l’accès au logement, la répartition des emplois sur les territoires, la mobilité sociale et l’éducation.

Malgré des efforts publics importants (plus de 40 milliards d’euros par an), le nombre de logements construits demeure insuffisant. Ces derniers demeurent mal répartis sur le territoire. 420 000 mises en chantier ont été enregistrées en 2018, soit moins qu’avant crise. Il en faudrait au minimum 500 000 à 600 000 par an. En outre, les infrastructures de transports publics sont vieillissantes et insuffisantes dans la très grande majorité des métropoles et des agglomérations de plus de 100 000 habitants. Les grandes villes françaises connaissent des saturations en début et fin de journée de plus en plus importantes. Les reports et les retards pris sur les chantiers du Grand Paris ne permettront pas de régler, avant la fin de la prochaine décennie, les problèmes de transports dans l’agglomération parisienne.

La France souffre également d’un ralentissement de la mobilité sociale. Ce ralentissement est la conséquence de la désindustrialisation. Durant les Trente Glorieuses, l’ascenseur social passait par l’usine. Les bons éléments pouvaient accéder à la formation professionnelle et devenir cadres. Le système tertiaire segmente plus fortement les différentes catégories sociales. Le recours au travail à la tâche, aux micro-entrepreneurs rend plus difficile la seconde chance. Cette situation n’est pas corrigée par le système éducatif qui, en France, tend à reproduire les inégalités sociales plus qu’à les corriger (enquête PISA 2018). En 2015, 50 % des enfants de cadres supérieurs appartiennent à la même catégorie sociale que leur père et 23 % exercent une profession libérale ou sont chefs d’entreprise ; pour les enfants d’ouvriers, 43 % sont des ouvriers qualifiés et 44 % des ouvriers non qualifiés (enquête INSEE).

Les pouvoirs publics disposent de peu de marges de manœuvre en raison du poids des dépenses de fonctionnement qui intègrent les prestations sociales. L’endettement croissant de l’État a servi à financer ces dépenses et non l’investissement. Face au ralentissement de la croissance économique, les gouvernements ont joué sur les amortisseurs publics mais en négligeant la réalisation d’infrastructures. La décentralisation, censée amener une responsabilisation de l’échelon local, a conduit avant tout à des transferts de charges. Le départ des services de l’État dans les communes de taille moyenne a accentué la tendance de métropolisation de la France.

La succession de crises et l’incapacité à diminuer les dépenses publiques quand la croissance est de retour ont pour conséquences un niveau de prélèvements obligatoires élevé en France, le plus important au sein de l’OCDE qui comprend 34 pays. Selon le dernier rapport de l’organisation internationale publié le 5 décembre, le taux de prélèvements atteint en France le record de 46,1 % du PIB. Notre pays devance le Danemark et la Belgique. La moyenne au sein de l’OCDE est de 34 % du PIB.

En France, le poids des cotisations de Sécurité sociale est supérieur à la moyenne de l’OCDE (36,4 % du total contre 26 % en moyenne). L’impôt sur le revenu des personnes physiques y est plus faible (18,6 % contre 23,9 %) tout comme la TVA (15,3 % contre 20,2 %). À l’inverse, les impôts sur les sociétés ne représentent dans l’Hexagone que 5,1 % contre une moyenne de 9,3 %.