4 janvier 2020

Le Coin de la Conjoncture

De la déflation industrielle à la désindustrialisation

Depuis le début du siècle, les prix des produits industriels sont orientés à la baisse. Depuis 2014, la production industrielle croît moins vite que celle des services. Par ailleurs, l’industrie supporte des taux d’intérêt supérieurs à ceux des services. De fait, les investisseurs estiment que l’industrie constitue un secteur à risques. Le taux d’intérêt réel, calculé avec les prix des produits industriels, est nettement supérieur (150 à 200 points de base pour l’OCDE, 100 à 150 points de base pour la zone euro) au taux d’intérêt réel calculé avec les prix des services. Dans l’industrie, le taux d’intérêt réel à long terme est supérieur au taux de croissance alors que, dans les services, le taux d’intérêt réel à long terme est inférieur au taux de croissance. Toutes ses caractéristiques démontrent l’existence d’une déflation industrielle.

Ce processus inédit depuis le début de la révolution économique provoque une désindustrialisation à l’échelle mondiale. Elle touche fortement les pays de l’OCDE mais désormais également les pays émergents.

Depuis 1998, le PIB des pays de l’OCDE a augmenté de 50 % quand la croissance de la production manufacturière n’a été que de 18 %, en baisse depuis 2018. Au niveau mondial, l’écart entre le PIB et la production manufacturière se creuse depuis la survenue de la crise de 2008. La production industrielle a augmenté de 70 % en vingt ans mais elle est stable depuis 2016 quand le PIB mondial a progressé de 120 % et de manière constante à l’exception de la période 2008/2010.

La montée en puissance des pays émergents s’est accompagnée d’une progression sans précédent des capacités de production avec des gains de productivité importants amenant à des baisses des prix. Ce processus ayant abouti à un formidable éclatement des chaînes de production, a été rendu possible dans les années 1990/2000 avec l’essor du transport maritime lié la multiplication du nombre de porte-conteneurs. La crise de 2008 a été un point de rupture. Un effet de saturation est constaté. Les besoins d’équipement au sein des pays émergents ont été en grande partie satisfaits, le marché est de plus en plus porté par le simple renouvellement. Par ailleurs, plus une population s’enrichit, plus elle vieillit, plus la demande en services augmente au détriment de celle en biens industriels. Après avoir accédé aux biens de consommation, les Chinois souhaitent à présent bénéficier de services de santé, voyager, se cultiver, etc. Au sein des pays avancés, cette évolution constatée depuis plusieurs décennies s’est amplifiée avec le vieillissement. D’autres facteurs ont contribué plus récemment à peser sur la demande en produits industriels. Le durcissement des normes environnementales pèse sur certains produits dont, en premier lieu, l’automobile. Les campagnes contre l’obsolescence programmée, pour le recyclage ou l’économie circulaire, freinent la demande. La moindre consommation de produits industriels a des effets multiplicateurs : elle ralentit le besoin d’investissement et donc la demande de biens d’équipement. Depuis 2018, la production de biens d’équipement est en recul de 5 %.

Cette désindustrialisation s’accompagne d’une réduction des emplois dans ce secteur d’activité. Au sein de l’OCDE, depuis 1998, il s’est contracté de 20 %. Elle contribue à la poralisation de l’emploi avec à la clef une montée des inégalités salariales. L’industrie a été un facteur important de l’avènement des classes moyennes et de la convergence des niveaux ainsi que des conditions de vie. L’industrie offre des salaires plus élevés que les services (hors informatique et finance). Les entreprises de ce secteur d’activité sont celles dont les comités d’entreprise étaient les plus dynamiques et où les avantages non salariaux étaient également les plus importants. Depuis vingt ans, les emplois augmentent dans les services domestriques (+20 %) et dans une moindre proportion dans les secteurs de la communication et de la finance (+15 %). Ces derniers années, les emplois se sont multipliés dans les secteurs des transports, de la logistique et des loisirs. Au sein de l’OCDE, les salaires pratiqués dans le secteur des services domestiques est deux foix plus faible que ceux du secteur de la finance. L’écart avec l’industrie est de 40 %. Toujours, au sein de l’OCDE, l’indice de Gini qui permet de mesurer les inégalités sociales est en augmentation depuis 1998.

La multiplication des formes atypiques d’emploi, mini jobs, micro-entrepreneurs, etc. renforce les effets de la désindustrialisation et pose la question de la couverture sociale des personnes concernées. La tertiarisation génère une précarisation d’une part croissante de la population favorisant ainsi la multiplication des tensions sociales.

Fonds de pension, épargne retraite en quelques mots

En France, l’épargne retraite assure 2,3 % des revenus des retraités. L’encours de tous les produits de retraite par capitalisation s’élevait en 2018 à 230 milliards d’euros loin derrière l’assurance vie (1700 milliards d’euros). Leur poids est même inférieur au Livret A. Au sein des pays de l’OCDE, la France est un des pays où le rôle des fonds de pension est le plus faible. En moyenne, la capitalisation représente 17 % des revenus des retraités. En France, seulement 10 % de la population active est couverte par un produit d’épargne retraite quand ce taux est de 100 % en Suède et aux Pays-Bas, de 60 % au Canada et aux États-Unis, de 50 % au Royaume-Uni et de 40 % en Allemagne.

  Poids des fonds de pension  en % du PIB
Pays-Bas 171
Royaume-Uni 104,5
Etats-Unis 76,3
Allemagne 6,7
Suède 4,1
France 0,7

Source : OCDE- Cercle de l’Epargne

En France, le fonds de pension le plus important est celui du Régime Additionnel de la Fonction Publique. Il est alimenté par les cotisations assises sur une partie des primes perçues par les fonctionnaires, soit plus de 4,5 millions de personnes. L’encours de ce fonds atteint 30 milliards d’euros. La Prefon qui propose aux fonctionnaires des plans d’épargne retraite dispose d’un encours de 14 milliards d’euros.

Selon l’enquête 2019 du Cercle de l’Épargne/Amphitéa, 57 % des Français sont pour un système de retraite comportant une dose de capitalisation. Ce taux est de 75 % chez les cadres supérieurs et de 46 % chez les ouvriers. Plus de 55 % des Français déclarent épargner en vue de leur retraite afin d’améliorer leur niveau de revenus. Ce choix est justifié par la baisse du taux de remplacement de pension (rapport pensions/ revenus d’activité) et cela quel que soit le mode de calcul des pensions. Il peut se justifier également sur le plan financier. Selon Patrick Artus, directeur de la recherche et des études de Natixis, de 1982 à aujourd’hui, le rendement réel de la répartition a été en moyenne de 1,8 % par an. Si la France s’était dotée de fonds de pension ayant investi dans des actions et des obligations, sur la même période, le rendement réel (corrigé de l’inflation) aurait été supérieur à 8 % (le rendement moyen d’un portefeuille actions étant de 11,4 % par an et celui d’un portefeuille d’obligations de 6,1 % par an).

Un euro de 2019 de cotisation retraite investi en 1982 fournit en 2019 une richesse de retraite de 1,9 euro en répartition et 21,9 euros en capitalisation, avec un fonds de pension investi 50 % en actions et 50 % en obligations.

Durant les années 50 à 70, le rendement de la retraite par répartition était supérieur à celui de la capitalisation. Le faible nombre de retraités, la croissance de la masse salariale en lien avec l’augmentation de la population active en emploi explique alors le bon rendement de la répartition. L’inversion des facteurs a changé la donne.

Les calculs de Patrick Artus soulignent la complémentarité des deux techniques de gestion. L’hostilité aux fonds de pension a pour conséquence que les résultats des entreprises françaises financent non pas les pensions des retraités français mais celles des Américains, des Britanniques, des Néerlandais. Les entreprises françaises pour attirer des investisseurs étrangers sont contraintes d’offrir des dividendes plus élevés qu’à des acteurs français du fait que les premiers intègrent une prime de risque plus importante au nom de l’adage « ce qui est loin est moins bien connu… ». Sur longue période, les pays dotés de fonds de pension ont tendance à avoir des taux de croissance supérieurs à ceux qui en ont peu comme la France ou l’Italie. 42 % de la capitalisation des entreprises françaises du CAC 40 sont détenus par des non-résidents, soit un pourcentage supérieur à celui des pays de taille comparable ayant des fonds de pension. Par définition, des investisseurs ont tendance à défendre les intérêts des entreprises de leur pays. A contrario, les investisseurs auront moins de scrupules sur les questions d’emplois ou de salaires pour des établissements relevant d’un pays qui n’est pas le leur.