8 février 2020

Le Coin de la Conjoncture

L’économie n’est pas soluble dans le social

La forte tension sociale en France a aussi des causes économiques : le coût croissant du logement, la faiblesse de la mobilité sociale, la dégradation de la structure des emplois, ainsi que la pression sur les systèmes de protection sociale due au vieillissement démographique. Ces tensions ne doivent cependant pas faire oublier que, en réalité, la situation économique de la France s’améliore.

Le maintien de tensions sociales et d’un climat de défiance

La France se caractérise par le maintien d’un fort niveau de tension sociale. La réforme des retraites contestée par une part importante de la population en est une des manifestations. Un des éléments clefs du malaise français provient des difficultés que rencontre la population pour se loger au sein des grandes agglomérations. L’augmentation des prix de l’immobilier favorisé par la baisse des taux d’intérêt s’explique également par le manque de logements. Depuis deux ans, le nombre de logements construits baisse. L’insuffisance de foncier constructible, la multiplication des contentieux sur les permis de construire, les règles d’urbanisme très contraignantes sont autant d’éléments qui pèsent sur la construction. D’un côté la population française augmente et se concentre, de l’autre côté les villes avec le soutien des électeurs refusent les immeubles de grande hauteur et privilégient les espaces verts ou de loisirs. La conséquence est que depuis 1999, le ratio du prix des maisons par rapport au salaire nominal a augmenté de plus de 40 points.

Les transports constituent une autre source de tensions sociales. Avec la tertiarisation des activités, les emplois se sont concentrés au cœur des agglomérations quand la population est contrainte pour des raisons de coûts d’habiter en périphérie. Il en résulte un allongement des temps de transports. Les infrastructures n’ont pas suivi l’évolution de la population d’où un engorgement des routes et des transports publics. Le budget transport tend à augmenter surtout pour les habitants des périphéries éloignées du cœur des agglomérations.

Depuis la fin des années 80, la mobilité sociale tend à se ralentir. Si près de 90% des candidats sont admis au bac, l’accès aux meilleurs établissements de l’enseignement supérieur reste réservé aux enfants des catégories les plus aisées. Certains établissements comme Sciences Po Paris ont créé des filières pour recruter au sein des établissements scolaires des zones d’éducation prioritaire mais cette pratique reste assez marginale. Le nombre de places dans les grandes écoles n’a pas augmenté à due concurrence de celui des bacheliers. Il en résulte une sélection plus forte.

La réduction des effectifs industriels et des emplois dits intermédiaires complique l’ascension sociale. Dans les années 60 et 70, les salariés de l’industrie accédaient par leur travail et leurs compétences à des postes d’encadrement et de direction. La formation professionnelle est, par ailleurs, plus développée que dans les services où les entreprises sont de plus petite taille.

Moins de 10 % des enfants de parents agriculteurs ou ouvriers appartiennent à la catégorie des cadres ou des professions intellectuelles. En revanche, 50 % des enfants dont les parents sont cadres le deviennent également.

En vingt ans, l’emploi industriel a diminué de 25 % quand celui dans les services domestiques a progressé de 20 %. Les emplois intermédiaires tendent à disparaître, Les emplois à faible salaire sont, en revanche, de plus en plus nombreux. L’écart de rémunération entre les salaires dans l’industrie et dans les services domestiques tend à s’accroître. En 2019, l’écart de rémunération était de 12 000 euros par an (salaire par tête dans l’industrie manufacturière de 41 0000 euros par an contre 29 000 euros dans les services domestiques) contre 7 000 euros par an en 1999 (salaire par tête dans l’industrie manufacturière de 25 0000 euros par an contre 18 000 euros dans les services domestiques).

L’augmentation de la précarité avec le développement des emplois en CDD, intérim, temps partiel ou sous la forme de mico-entreprise contribue à accroître les tensions sociales. L’absence de perspectives rend très sensible tout projet de réforme concernant la protection sociale. Lors de ces trente dernières années, les prestations sociales ont rempli un rôle d’amortisseur des crises. Elles ont permis le maintien du niveau de vie d’une partie de la population.

Le vieillissement de la population constitue un défi collectif et une source de craintes majeures pour la population et source de tension entre générations. La proportion des plus de 65 ans devrait passer de 16 % en 1999 à 27 % en 2040, le taux actuel étant de 20 %. Ce vieillissement occasionne une progression rapide des dépenses santé et de retraite qui ont atteint 20 % du PIB en 2019 contre 17 % en 1999. Le système de retraite occupe une place très particulière en France. Il vise à assurer un niveau de vie décent aux anciens travailleurs mais il est aussi perçu comme un outil d’indemnisation des souffrances endurées durant la vie professionnelle. La sacralisation de la retraite rend, par ricochet, très difficile, toute réforme.

L’attractivité et la compétitivité de la France en nette amélioration

Malgré ces tensions sociales persistantes, la situation économique de la France s’améliore significativement et en particulier sur le front de l’emploi.

Le taux d’emploi et le taux de participation augmentent. Depuis 2002, le taux de participation au marché du travail a augmenté de 5 points atteignant 85 % en 2019. Cela signifie que plus de quatre résidents en France d’âge actif (16 – 65 ans) est sur le marché du travail. Sur la même période, le taux d’emploi (personnes d’âge actif réellement occupés) est passé de 74 à 78 %. Même si la France reste en retrait par rapport à ses partenaires, cette amélioration est un gage positif pour la croissance. Depuis 2015, la proportion de nouveaux emplois en CDI augmente et met ainsi fin à une baisse engagée en 2002. Cette remontée des CDI est liée aux difficultés croissantes que rencontrent les entreprises pour embaucher. L’industrie qui a longtemps enregistré des destructions d’emploi en crée à nouveau depuis deux ans. Les capacités de production de l’industrie française tout en restant encore inférieures à leur niveau de 2007 sont en hausse depuis 2018. En revanche, ces améliorations ne se traduisent par une augmentation des exportations de biens manufacturiers. La France est handicapée par un positionnement de son industrie en gamme moyenne et par des coûts qui restent élevés. En 2019, il convient de souligner que le coût unitaire salarial dans l’industrie française est égal au coût moyen enregistré au sein de la zone euro.

La France se caractérise par un fort dynamisme en matière de créations d’entreprise. En 2019, près de 800 000 créations ont été enregistrées contre 200 000 en 2003. Hors micro-entrepreneurs, le bilan reste positif (400 000 contre 200 000). L’investissement productif sans être exceptionnel est assez stable sur longue période en France. Par ailleurs, les entreprises s’équipent en robots industriels. Le stock de robots industriels représentait en 2019 1,7 % de l’emploi manufacturier contre 0,7 % en 2002.

L’investissement direct d’origine étrangère qui était en fort recul de 2007 à 2017 est à nouveau en hausse prouvant que l’image de la France à l’extérieur s’améliore malgré la persistance des tensions sociales. Les flux d’investissement atteignent, depuis trois ans, en rythme annuel 1,5 % du PIB.

La croissance française sans être remarquable est assez proche de la moyenne de la zone euro. En 2019, elle a été ainsi supérieure à celle de l’Allemagne.

Les citoyens mettent du temps à appréhender les améliorations économiques, sachant que les effets des crises sont longs à s’estomper dans les esprits. Cette situation est accentuée par la défiance à l’encontre des pouvoirs publics, voire à l’encontre des statistiques économiques. L’idée que celles-ci seraient fausses est partagée par une partie de l’opinion. Une amélioration collective ne se traduit pas automatiquement sur la situation de chacun des individus. En outre, la France est empreinte de nostalgie embellissant le passé au détriment du présent et de l’avenir.

Vieillissement démographique et inflation font-ils bon ménage ?

Le vieillissement démographique a été longtemps perçu comme un facteur inflationniste. Les faits semblent donner tort aux économistes partageant cette thèse. 

L’inflation au sein des pays avancés de l’OCDE est à un niveau très faible. Elle avoisine 1,5 %. L’inflation sous-jacente (hors prix de l’énergie, des produits alimentaires) est proche de 1 %. Cette faible hausse des prix se démarque de la situation qui prévalait au XXe siècle, durant lequel le combat contre l’inflation a été permanent. Le niveau d’inflation actuel conduit à des taux d’intérêt historiquement bas et à des ratios d’endettement sans précédent. De 1998 à 2018, la dette publique, au sein de l’OCDE, est passé de 70 à 118 % du PIB quand celle des ménages est passée de 130 à 142 % du PIB après avoir atteint un sommet à 160 % en 2008.

Un retournement inflationniste modifierait en profondeur les équilibres économiques qui se sont mis en place depuis une dizaine d’années. Or, l’accélération du vieillissement est potentiellement susceptible de générer de l’inflation.

Au sein de l’OCDE, la proportion des plus de 65 ans atteindra 27 % en 2040 contre 19 % en 2019. Logiquement, si au sien d’une économie, le nombre de retraités augmente avec en contrepartie une diminution de celui des actifs, la proportion de production décline, ce qui est synonyme d’augmentation des prix. La diminution du nombre d’actifs a des effets, tout particulièrement pour les services. Une population vieillissante a des besoins plus élevés en services à la personne. Une demande accrue génère, en règle générale, une augmentation des prix. Quels sont les facteurs pouvant empêcher l’inflation par une diminution de producteurs ? Le recours aux importations peut atténuer cet effet mais il suppose, à moyen ou long terme, un rééquilibrage de la balance des paiements sur moyenne période. Les États doivent disposer soit de ressources provenant de leurs exportations, ce qui suppose une maîtrise des coûts, soit la capacité à générer des entrées de revenus étrangers via le tourisme ou les investissements étrangers. Les revenus des placements effectués à l’étranger peuvent également contribuer à cet équilibre. Le recours à l’endettement extérieur est également à moyen de résoudre ce problème. La dernière solution pour rééquilibrer la balance extérieure passe par la cession de capital (entreprises, terres, infrastructures). L’obtention de gains de productivité permettrait également de compenser le déficit de producteur. Or, actuellement, les gains ont tendance à s’éroder.

La diminution du nombre de producteurs a un effet faible sur les prix au sein des pays à fort vieillissement car les plus de 65 ans achètent moins de biens de consommation que les jeunes actifs. Par ailleurs, ils continuent à épargner par précaution ou pour leurs héritiers. Ils consomment davantage des services socialisés dont la fixation des prix est en partie déconnectée de la confrontation de l’offre et de la demande.

Le Japon malgré un vieillissement ancien et important de sa population ne connait pas, bien au contraire, d’augmentation des prix. Les plus de 65 ans représentent au Japon 33 % de la population contre 23 % au sein de l’OCDE. En 2040, leur proportion au Japon atteindra 42 %. Depuis vingt ans, l’inflation au Japon évolue entre 1 et 2 %. Les seuls pics d’inflation ont été occasionnés par les hausses de TVA en en 1997, 2014, 2019 ou par la forte dépréciation du yen en 2013-2014.

L’inflation peut être en partie masquée. La baisse des produits manufacturiers importés contribue à la faible inflation tout comme les politiques de dérèglementation du marché du travail. L’inflation a été entravée par le changement des règles de partage des revenus qui s’effectue au détriment des salariés depuis les années 90 sauf en France. Au Japon, la proportion des emplois atypiques est passée de 35 à 38 % de 2013 à 2019. Les salaires sont stables depuis vingt ans quand la productivité s’est accrue de 15 %.