20 mai 2017

Le Coin de la Conjoncture – 20 mai 2017

Dépensons-nous à bon escient ?

La France se caractérise par un niveau très élevé de dépenses publiques, 56,4 % du PIB et de prélèvements obligatoires, 44,4 % du PIB (source INSEE pour 2016). Le poids de ces dépenses constituerait, aux yeux de certains, un frein à la croissance. Elles nuiraient à la compétitivité de l’économie française et favoriseraient les délocalisations. L’écart avec la moyenne des pays membres de l’Union représente 4 à 5 points de PIB. Au-delà de la question de l’efficience, cet écart est également la traduction de certains choix collectifs. En France, le deuxième pilier de la couverture retraite étant obligatoire et par répartition, il est intégré dans les dépenses publiques quand il ne l’est pas chez certains de nos partenaires européens. Les dépenses d’éducation sont plus élevées en France notamment du fait d’une démographie plus dynamique. Enfin, notre pays consacre un peu plus de moyens à sa défense nationale qui dispose tout à la fois de l’arme nucléaire et de forces de projection.

En matière de dépenses retraite, l’écart entre la France et le reste de la zone euro était, en 2015, de 3,5 points de PIB contre 1,5 point en 2002. Pour les dépenses d’éducation, la France consacre 1,2 point de PIB de plus que le reste de l’Europe, cet écart étant resté constant de 2002 à 2015. Il en est de même pour les dépenses de santé (8,2 % du PIB contre 7 % en 2015). Pour les dépenses en faveur de la famille, la France consacre 2,5 % de son PIB contre 1,5 % dans le reste de l’Europe. Les dépenses de logement représentent 0,9 % du PIB en France contre 0,3 % dans le reste de l’Europe. L’écart est de 1,25 point en ce qui concerne les dépenses en faveur de l’emploi et de 2 points pour celles liées au soutien à l’économie.

En matière d’investissement public, même si un net recul est constaté depuis 2009, la France continue à dépenser un peu plus que ses partenaires (3,4 % du PIB contre 2,4 % en 2015). Les dépenses publiques militaires s’élèvent, en France, à 1,6 % du PIB contre 0,9 % en moyenne dans les autres pays membres de la zone euro  mais la France a, depuis 2002, davantage réduit ses dépenses militaires que ses partenaires.

En revanche, la France dépense moins que ses partenaires pour l’aide économique extérieure (2 points de PIB en moins) et l’ordre public (-0,2 % de PIB pour la  sécurité et la justice).

Dépenses efficientes et dépenses inefficientes

Les dépenses familiales peuvent être jugées pertinentes au vu des résultats démographiques. Il en est de même pour celles liées à l’armée qui permettent à la France d’assurer sa protection et de continuer à jouer un rôle international. S’il est admis que la France dispose d’infrastructures de qualité et que le niveau de couverture en matière de santé et de retraite est élevé, des doutes peuvent être exprimés en ce qui concerne l’éducation. En effet, selon l’enquête PISA de l’OCDE, la France recule depuis une quinzaine d’années (voir également l’article sur l’innovation ci-dessous).

Enquête PISA OCDE

 

  France Reste

de la zone euro

2000 511 489
2003 500 500
2006 498 495
2009 497 499
2012 500 503
2015 496 498

L’efficience des dépenses de logement peut être également mise en cause. La part du revenu des ménages consacrée au logement en France est supérieure au reste de la zone euro, soit 16 % contre 14 %. Ce ratio dépasse 20 % pour les jeunes actifs. Les Français sont confrontés à des prix de l’immobilier et à une insuffisance en zone urbaine et en zone touristique de logements. Les mises en chantier qui atteignaient près de 500 000 avant la crise de 2008 ont atteint un point bas en 2015 à 330 000 avant de légèrement remonter depuis.

Les dépenses d’assurance-vieillesse sont élevées en France en raison du départ précoce à la retraite, 61 ans en moyenne contre 64 au sein de la zone euro.

Pour les dépenses du marché du travail, la différence est liée au poids des dépenses passives provenant de la longue période d’indemnisation du chômage (2 ans de couverture voire 3 ans pour les salariés âgés) et du nombre élevé de demandeurs d’emploi. Les dépenses actives sont grevées par un système de formation professionnelle reconnu inefficace.

Taux d’emploi des 60-64 ans en de la population active concernée

 

  France Reste de la zone euro
2002 11,9 23,7
2003 13,2 24,5
2004 13,4 25,2
2005 13,5 25,6
2006 15,7 27,8
2007 16,0 30,4
2008 16,8 31,6
2009 17,6 31,8
2010 17,8 32,7
2011 19,4 33,5
2012 21,9 35,0
2013 22,4 37,6
2014 25,8 40,0
2015 27,2 41,5
2016 28,0 44,2

Source : Eurostat

 

La réduction des dépenses publiques ne doit pas masquer que la première des priorités et d’en améliorer l’efficience en particulier en ce qui concerne l’éducation et l’emploi. Les marges de manœuvre sur les retraites ou sur la santé sont faibles voire inexistantes compte tenu de l’évolution de la démographie. Pour le logement, l’efficacité du lobbying du secteur du bâtiment rend les changements de politique très difficile à opérer.

 

La baisse des gains de productivité est-elle une mauvaise affaire ?

Depuis une vingtaine d’années, les gains de productivité sont orientés à la baisse en France comme dans la plupart des pays occidentaux. Ils sont, par ailleurs, depuis peu également en diminution au sein des pays émergents. Cet affaiblissement structurel des gains de productivité est, en règle générale, considéré comme un facteur pénalisant pour la croissance. Néanmoins, pour certains, cette évolution permettrait d’enrichir cette dernière en emplois. Si auparavant, il fallait 2 % de croissance pour créer des emplois (en net), ce taux a été ramené depuis quelques années à 1,2 %.

La faiblesse des gains de productivité ne relève pas exclusivement du changement, en France, de la structure de l’emploi ; elle repose également sur la moindre modernisation du capital et sur la baisse relative des compétences de la population active. Les investissements dans les technologies de l’information et de la communication représentaient en 2015, en France, moins de 0,6 % du PIB contre 1,4 % aux États-Unis et 1 % en moyenne au sein de la zone euro.

 

Le transfert d’emplois du secteur secondaire vers le secteur tertiaire explique également la diminution des gains de productivité. Les emplois dans les services domestiques ont augmenté de 30  % ces vingt-cinq dernières années, quand ils ont diminué de 33 % dans le secteur industriel. Sur la même période, la productivité a fortement augmenté dans l’industrie (près de 100 % pour la productivité par tête en 25 ans), quand elle n’a progressé que de 25 % dans les services domestiques. Selon l’économiste, Patrick Artus, la hausse du poids de l’emploi dans les services peu sophistiqués depuis 1990, compte tenu du niveau relatif de la productivité dans ces services explique, en 2016, un ralentissement des gains de productivité d’ensemble de 0,1 point par an par rapport à 1990.

La création d’emplois dans le secteur tertiaire domestique génère peu de croissance mais contribue à la baisse du chômage. En revanche, la faible rémunération de ces emplois limite les capacités de consommation des ménages et peut alimenter le ressentiment d’une partie de la population. La politique d’exonération des bas salaires mise en œuvre depuis près de 30 ans a été, en la matière, contreproductive. Elle freine la montée en gamme de la production française en dissuadant les entreprises d’investir tant physiquement que dans la formation, l’élévation des compétences des salariés signifiant potentiellement la perte des exonérations de charges sociales. Même si cela n’est pas la seule raison, l’application constante de cette politique fait que la France est un pays de gamme moyenne entrant en concurrence directe avec les pays émergents, les pays d’Europe du Sud ou de l’Est.

 

Le 21ème siècle est celui du savoir et des compétences

Depuis les années 2000, la France a peu augmenté sa participation dans les chaînes de valeur mondiales, se classant légèrement au-dessus du dernier quart des pays de l’OCDE. La désindustrialisation, une mauvaise spécialisation, tout comme le choix collectif en faveur des emplois faiblement qualifiés, contribuent à cette mauvaise intégration au sein de l’économie mondiale. Par son positionnement en gamme moyenne, la France s’exclut progressivement de l’organisation mondialisée de la production. La France importe ainsi deux fois moins de pièces intermédiaires que l’Allemagne. Les entreprises de ce pays importent des produits issus des pays émergents et des pays d’Europe de l’Est afin de les assembler sur son territoire. Les entreprises françaises ont préféré délocaliser leur chaîne de production dans les pays à bas coûts car la demande de leur production est très sensible à l’évolution de leur prix (élasticité prix élevée en France à la différence de l’Allemagne). En France, 29 % des emplois du secteur marchand sont soutenus par la demande finale provenant de l’étranger, dont la moitié est issue de ses partenaires de l’Union Européenne (OCDE, 2017).

Même si notre pays demeure une économie spécialisée dans les secteurs les plus avancés (aéronautique, médicaments, télécommunication, chimie, etc.), depuis une vingtaine d’années, il a peu intensifié cette spécialisation. La France est pénalisée de plus en plus par le niveau de compétences de ses actifs. En effet, le premier quart des adultes les plus performants en lettres et en mathématiques affiche des résultats en dessous de la moyenne des pays de l’OCDE, ce qui peut s’avérer insuffisant pour développer un avantage comparatif dans les secteurs technologiquement avancés qui exigent des travailleurs dotés de fortes compétences cognitives.

Le Programme international pour l’évaluation des compétences des adultes (PIAAC) mesure dans chacun pays la « numératie » et la « littératie ». La « numératie » correspond à « la capacité d’une personne de comprendre et d’utiliser des données mathématiques à l’école, au travail et dans la vie de tous les jours; par exemple, pour utiliser de la monnaie et établir des budgets, pour utiliser des mesures en cuisine ou pour lire une carte ». Or, les derniers résultats de l’OCDE soulignent que près d’un tiers des adultes en France (31 %) souffre d’un manque de compétences en « numératie » et/ou « littératie », soit cinq points de plus que la moyenne des pays membres (26 %).

Cette situation ne devrait pas s’améliorer dans les prochaines années en raison des dernières enquêtes PISA de l’OCDE qui indiquent que les scores des élèves de 15 ans se sont affaiblis, en France, en mathématiques depuis 2006 alors qu’ils n’ont pas augmenté en science et en lecture.

En France, 17 % des jeunes diplômés de l’enseignement supérieur ont des compétences inférieures à la moyenne de l’OCDE. Ces diplômés ont des compétences qui ne sont pas suffisamment en phase avec leur niveau de diplôme.

En raison des faiblesses structurelles de la formation continue, les résultats PIAAC des actifs français sont également inférieurs à la moyenne. Par rapport aux autres pays membres, les travailleurs français figurent parmi les moins engagés dans les programmes d’apprentissage des adultes (OCDE, 2017). Les adultes au chômage ont également peu participé à l’enseignement ou à la formation. L’organisation internationale pointe du doigt l’existence d’un cercle vicieux pour les adultes se trouvant en dehors du marché du travail. Exclus de la communauté du travail, ils ont difficilement accès à des programmes d’apprentissage. Or, ce sont ceux dont les compétences de base sont les plus faibles qui sont au chômage. Par ailleurs, les formations professionnelles demeurent très scolaires ; or, elles s’adressent avant tout à des publics ayant été bien souvent en échec scolaire durant leur jeunesse. Ces derniers sont, de ce fait, réfractaires aux formes traditionnelles de formation.

En 2014, 40 % des candidats en doctorat en France viennent d’un pays étranger, situant la France bien au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE. Si la France accueille de nombreux étudiants étrangers, leur profil n’est pas assez diversifié. En outre, notre pays ne participe pas suffisamment aux différents réseaux mondiaux d’éducation, de formation et d’innovation au regard de la taille de notre économie. Les activités de brevetage menées en coopération avec des partenaires internationaux et la mobilité internationale des chercheurs français sont en dessous de la moyenne des pays de l’OCDE. Par ailleurs, La France se situe juste au niveau de la moyenne des pays de l’OCDE en termes de collaboration académique internationale. Même si des progrès ont été réalisés ces dix dernières années, les programmes enseignés en anglais sont plus rares en France que dans beaucoup d’autres pays européens non anglophones. Un développement de l’offre permettrait de renforcer l’attractivité de l’enseignement supérieur.

Sur le terrain des compétences, l’OCDE insiste sur la nécessité de renforcer l’éducation pré-primaire afin de garantir à chaque enfant un bon départ dans son éducation. De plus, des méthodes d’enseignement innovantes dans les écoles et un soutien fort des professeurs à tous les élèves sont indispensables pour atteindre un niveau correct de compétences cognitives, sociales et émotionnelles.

L’OCDE recommande à la France d’améliorer la qualité de ses programmes d’éducation et de formation professionnelle en développant un apprentissage orienté autour du monde professionnel et de ses exigences. En revanche, l’OCDE considère que la gestion des ressources humaines est de bonne qualité au sein des entreprises avec néanmoins de fortes variations entre elles.

Enquête PIAAC de l’OCDE

 

  enquête PIAAC de l’OCDE, score global par score décroissant (2016)
Japon 292,8
Finlande 286,4
Pays-Bas 283,6
Suède 282,0
Norvège 281,1
Australie 278,9
Flandre 278,9
République tchèque 277,6
Danemark 277,4
Slovaquie 276,9
Autriche 276,2
Nouvelle Zélande 275,9
Estonie 275,5
Allemagne 275,5
Canada 274,7
Corée 273,0
Royaume-Uni 271,6
Pologne 267,2
Irlande 266,3
États-Unis 265,4
France 258,2

 

Afin de garantir les bénéfices sociaux et économiques de cette inclusion dans les marchés mondiaux, la France doit donc rapidement doter sa population d’un éventail de compétences plus en phase avec son positionnement économique, offrir plus d’équité dans l’apprentissage et encourager les adultes de à développer et adapter leurs compétences tout au long de leur vie. L’Allemagne et les pays d’Europe du Nord ont prouvé ces quinze dernières années qu’il était possible d’améliorer sensiblement le niveau de la formation notamment initiale de la population.