14 mars 2020

Le Coin de la Conjoncture

Des mesures d’urgence à la reconstruction de l’économie de la zone euro

Avant la survenue de la crise du coronavirus, le taux de croissance pour la zone euro était prévu selon les instituts économiques entre 0,9 et 1,3 % en 2020 après avoir été de de 1,2 % en 2019 et de 1,9 % en 2018.

La propagation du virus sur l’ensemble des continents génère, dans la zone euro, à la fois un choc de demande et un choc d’offre négatifs avec un risque de crise financière qui pourrait se nourrir du krach boursier. Compte tenu des éléments d’information disponibles, la crise sanitaire devrait durer de 4 à 12 semaines. La crise économique pourrait, en fonction des réponses apportées, durer de quelques mois à quelques années. Lors de la précédente crise, les stigmates n’ont disparu en moyenne au bout de 6 à 10 ans. La crise actuelle est plus traditionnelle dans sa forme mais elle est plurielle et internationale.

Du sanitaire à la finance en passant par l’offre et la demande, une crise totale

Au niveau de la zone euro, le choc a commencé avec la baisse des exportations en direction de la Chine et de la zone asiatique en lien avec l’affaissement de la consommation et de l’activité. L’industrie allemande est la première concernée par ce ralentissement. Les indices des directeurs d’achat en Chine (PMI manufacturier et services) ont plongé à compter du mois de janvier passant de 55 à 30 (en-dessous de 50, signe de contraction de l’économie). Les exportations de la zone euro sont en baisse depuis plus de deux mois. L’Europe est également confrontée, depuis la fin du mois de février, à un choc de demande en relation avec la diminution du nombre de touristes étrangers. Ce choc de demande concerne désormais tous les secteurs qui dépendent du public, loisirs, hôtels-restauration, distribution. Le confinement aboutit à freiner à un niveau sans précédent la consommation. L’anxiété générée par la crise pousse de toute façon les consommateurs à repousser leurs achats.

Le choc d’offre s’est matérialisé au début par la rupture des chaînes d’approvisionnement de produits finis comme de produits intermédiaires. Les secteurs des transports, de l’électronique, de l’informatique mais aussi du médicament sont concernés Il s’amplifie par la réduction du nombre d’actifs au travail. en raisin d’un nombre croissant de personnes infectées et du confinement. La fermeture des établissements scolaires et universitaires peut également pénaliser la production, les parents devant s’occuper de leurs enfants.

Le choc financier prend deux formes. Le premier en cours est un choc émotionnel, d’anticipation de la destruction potentielle de valeurs que la crise porte en elle. Le second pourrait toucher le cœur même de la sphère financière. Cette dernière pourrait faire face à un problème de solvabilité avec des faillites en chaîne en liaison avec la multiplication des créances non recouvrables.

Face à cette crise totale, la priorité pour les pouvoirs publics est de maintenir les capacités de production et de distribution de leur pays. Le maintien d’un minimum de transports est crucial pour assurer l’approvisionnement de biens intermédiaires et de produits finis. Les services vitaux doivent être assurés.

Pour enrayer une spirale récessive qui engendrait un chômage massif avec un affaiblissement de la demande, les pouvoirs publics soutiennent l’offre en autorisant des reports de charges et d’impôts. Le recours au chômage partiel indemnisé est également une solution. Quand le pic de la crise sera passé, les gouvernements pourront prendre des mesures de soutien à l’investissement pour conforter l’appareil productif. Au niveau de la demande, ils joueront sur les prestations sociales qui joueront le rôle d’amortisseurs. Le chômage partiel devrait être fortement pratiqué.

Le maintien de faibles taux d’intérêt est certainement incontournable pour favoriser l’investissement et réduire le poids de l’investissement. En revanche, cette politique fragilise, en revanche, l’ensemble de la sphère financière ce qui conduira à des mesures spécifiques en faveur de ce secteur qui sera, en outre, confronté aux faillites d’entreprise et au report d’échéances pour les crédits.

La crise en cours devrait aboutir à un accroissement du déficit public au sein de la zone euro qui s’élevait 0,5 % du PIB en 2019. Pour mémoire, il avait atteint plus de 6 % en 2009 lors de la crise financière. Un déficit moyen de 3 à 4 % du PIB est probable en raison de la baisse des recettes fiscales et l’augmentation des dépenses publiques. L’endettement public qui s’élevait à 85 % du PIB devrait à nouveau vivement augmenter et se rapprocher de 100 % du PIB. Les Etats italien et français, fortement endetté pourraient subir des écarts de taux avec l’Allemagne en l’absence de coordination au niveau européen.

La nécessaire réparation de l’économie

La crise devrait aboutir à une réduction du stock de capital en lien avec la multiplication des faillites, à une hausse du stock de dette des entreprises provoquant une fragilité financière accrue des entreprises, et à une augmentation du stock de dette publique, donc une dégradation de la solvabilité budgétaire des États. Dans ces conditions, le ralentissement de la croissance devrait réduire la croissance potentielle de la zone euro. Cette croissance qui est celle que la zone euro peut normalement obtenir, compte tenu de l’évolution de la population active, des gains de productivité et de la demande extérieure, autour de 1 %.

Après l’épidémie, les gouvernements seront contraints de conforter l’économie et d’essayer de relever le taux de la croissance potentielle. Il devrait en résulter pendant une période plus ou moins longue un interventionnisme public plus élevé. La situation pourrait alors s’apparenter à une sortie de guerre, sachant que tous les pays n’avaient pas récupéré de la même façon de la crise de 2008.

L’Allemagne qui depuis 1949 se refuse d’assumer son rôle de grande puissance économique et industrielle, sera sans nul doute amener à jouer un rôle international plus élevé, pour se sauver et pour sauver l’Europe. Par son poids économique et ses résultats, elle est de fait la puissance clef de la zone euro. Jusqu’à maintenant, ses dirigeants optaient pour un pouvoir en creux, ils devront certainement s’afficher davantage et prendre leurs responsabilités. Ils devront également tirer les conséquences de la fin de l’alliance privilégiée avec les Etats-Unis qui a modelé la vie économique et politique de l’Allemagne fédérale depuis soixante-dix ans.

Le commerce international en pleine tourmente

La crise du coronavirus a démontré la dépendance économique de nombreux Etats aux exportations chinoises. Les ruptures d’approvisionnement ont des conséquences en chaine compte tenu de l’éclatement des chaines de valeur. Certains secteurs jugés stratégiques comme celui des médicaments sont également concernés.

La crise sanitaire en cours a surtout confirmé que le commerce international est fragile. Cette fragilité s’est manifestée avec la crise de 2008 et ne fait que s’accroître depuis. Un sommet dans la mondialisation a été atteint à la fin des années 2000. Ce qui pouvait être délocalisé l’a été. Avec l’augmentation des coûts salariaux et l’aversion croissante aux risques ainsi qu’avec l’évolution de la demande des ménages, le commerce international augmente moins vite qu’auparavant. Sa croissance qui dans les années 8 à 2000 pouvait être deux fois celle du PIB est depuis dix ans inférieure. La montée du protectionnisme ne fait que conforter cette tendance. Ainsi, la guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis ont en 2019 fortement pesé sur les exportations. Par ailleurs dès le dernier trimestre de l’année dernière, la Chine était confrontée au problème du coronavirus comme le souligne ses résultats commerciaux. Le commerce international de marchandises (corrigé des variations saisonnières et exprimé en dollars courants des États-Unis) du G20 a, selon l’OCDE, poursuivi sa tendance à la baisse au quatrième trimestre de 2019 avec une contraction de 0,1 % des exportations de 1,3 % des importations. Le niveau atteint fin 2019 en matière d’échanges était le plus faible enregistré depuis 2017. LOCDE a constaté des signes de perturbation importante des chaînes d’approvisionnement (en particulier) asiatiques, liée à l’épidémie Covid-19.

Toutes les économies nord-américaines du G20 ont vu leur commerce international de marchandises se contracter au quatrième trimestre de 2019. Le plus touché a été le Mexique, où les exportations ont diminué de 3,4 % et les importations de 3,2 %. Le Canada a enregistré des baisses de 1.6 % et 1.8 % respectivement et les États-Unis ont enregistré des baisses de 0,6% et 3,2%.

Les grandes économies européennes du G20 s’en sont un peu mieux sorties, avec des exportations en hausse en France (1,1 %), en Italie (1,0 %) et, légèrement, en Allemagne (0,2 %). Les importations ont baissé en France et en Italie (de 0,8% et 2,3% respectivement) mais ont repris, à nouveau légèrement, en Allemagne (de 0.2% – bien que le commerce international allemand reste environ 6 % en dessous de ses sommets récents). Au Royaume-Uni, grâce à une forte appréciation de la livre sterling par rapport au dollar des États-Unis au quatrième trimestre, les exportations et les importations ont repris, avec une augmentation de 2,4 % et 1,1 % respectivement. Elles ont cependant diminué par rapport au trimestre précédent lorsqu’elles sont mesurées en livre sterling.

En Asie, le différend commercial en cours entre le Japon et la Corée continue également de peser sur le commerce international, les exportations et les importations ayant baissé considérablement dans les deux pays : au Japon, de 3,4 % et 3,6 % respectivement, et en Corée de 2,6 % et 2,4 %. Au cours des deux dernières années, la Corée a vu ses exportations diminuer de 12,3 % et ses importations de 8,0 %.

En Chine, malgré le coronavirus et les sanctions américaines, les exportations et les importations ont augmenté de 0,4 % et de 2,8 % respectivement. En Inde, les exportations ont augmenté de 2,8 % tandis que les importations ont diminué de 4,4 %. En Indonésie, les exportations sont restées inchangées tandis que les importations ont augmenté de 2,6 %.

Avec la diffusion mondiale du virus, un repli sans précédent du commerce international est attendu pour le premier trimestre 2020 qui pourrait se poursuivre en avril avant de connaître un rebond. Les exportations chinoises après avoir atteint un point bas en février seraient à nouveau en hausse depuis la première semaine de mars. Un rebond des échanges est attendu quand l’épidémie sera entrée dans sa phase dégressive à l’échelle mondiale, c’est-à-dire dans le courant du mois d’avril voire avant si les mesures de confinement donnent rapidement des résultats. Au-delà de l’épidémie, les échanges mondiaux devraient jouer un moindre rôle économique dans les prochaines années en raison de la tertiarisation croissante des économies et de la contrainte environnementale qui favorise les circuits courts. L’écart des coûts de fabrication entre pays émergents et avancés tend à se réduire limitant d’autant les délocalisations lointaines. La crise sanitaire pourrait inciter certains Etats à préciser de manière plus stricte la notion de secteurs stratégiques afin de limiter une dépendance extérieure trop forte ; ceci concerne en premier lieu la santé. Les tentations protectionnistes pourraient s’accroitre surtout si le choc économique généré par le coronavirus s’avérait profonde et durable.