18 avril 2020

Le Coin de la conjoncture

Comment endiguer la désindustrialisation en France ?

L’épidémie du COVID-19 a souligné la dépendance de la France pour un certain nombre de biens et d’équipements (médicaments, principes actifs, respirateurs, masques de protection, etc.). Cette situation concerne le secteur pharmaceutique qui constituait un des points forts de l’économie française. Cette dépendance n’est pas spécifique à notre pays. Pour des principes actifs ou des productions basiques (médicaments génériques, masques, etc.), le recours aux importations est ancien.

En France, le poids de l’industrie a reculé fortement depuis le début du siècle. Ce recul s’est accéléré avec la crise financière. L’emploi manufacturier est passé en France de 15 à 9 % de la population active de 1995 à 2019 contre respectivement 22 et 17 % pour l’Allemagne. Pour l’ensemble de la zone euro (hors France), le recul est de 6 points comme pour la France mais la part des emplois industriels en 2019 est plus élevée (14 %).

La valeur ajoutée de l’industrie française représente 10 % du PIB contre 20 % en Allemagne et 16 % pour la zone euro (hors France). Les capacités de production de l’industrie française sont étales depuis vingt ans. Elles sont même légèrement inférieures à leur niveau d’avant la crise de 2008. Depuis 2003, le solde commercial industriel de la France est négatif traduisant une perte de compétitivité structurelle.

Depuis une vingtaine d’années, les investisseurs ont privilégié les secteurs des services et de l’immobilier jugés plus rentables que l’industrie. Cette dernière a souffert de marges faibles, contraintes par des coûts de production élevés et par l’impossibilité d’augmenter les prix en raison du positionnement en gamme moyenne de la production française. Depuis 2005, le coût salarial augmente plus vite que le prix de la valeur ajoutée. La dégradation de la compétitivité de l’industrie française s’est accélérée après l’instauration des 35 heures et cela malgré la mise en place de dispositifs de compensation. A partir de 2017, la réduction des charges sociales a amélioré la profitabilité des entreprises industrielles françaises qui se sont mises, par ailleurs, à renouer avec les créations d’emploi. Le positionnement en gamme moyenne de l’industrie française a conduit les entreprises à opter pour des délocalisations. Celles-ci visaient à conserver leurs positions sur leurs marchés traditionnels et à conquérir de nouveaux clients au sein des pays émergents. Positionnée en haut de gamme, l’Allemagne a opté pour un mode de croissance différent. Les entreprises, souvent familiales et très liées à leur territoire d’origine, ont recours à des sous-traitants issus des pays émergents ou d’Europe centrale pour tous leurs biens intermédiaires. En revanche, l’assemblage est resté sur le territoire allemand.

Le choix des services en France se justifie également par l’évolution des prix et de la demande. Le prix de valeur ajoutée des services a augmenté beaucoup plus vite que celui des produits industriels (+60 % de 1995 à 2019 pour les premiers, -8 % pour les seconds). Une population vieillissante et urbanisée privilégie les services aux biens industriels (loisirs, santé, tourisme, etc.).

Pour inverser la désindustrialisation, deux options existent. La première repose sur un interventionnisme plus important de l’État qui pourrait exiger des relocalisations. Ce dernier pourrait être plus directif pour tous les secteurs jugés stratégiques : la santé, l’informatique, l’électronique, etc. Par le passé, cette stratégie a été source de nombreuses désillusions. Les différents plans « calcul » n’ont pas permis l’émergence d’une informatique nationale. Que ce soit au niveau de la sidérurgie que ou des papetiers en passant par la machine-outil, l’intervention de l’État n’a pas été couronnée de succès.

L’autre voie passe par l’investissement permettant un repositionnement de l’outil productif français. Pour cela, le niveau des prélèvements supportés par les entreprises devrait baisser. Les impôts payés par les entreprises françaises est supérieur de 7 points de PIB à ceux de l’Allemagne et de 5 points à ceux de la zone euro (hors France) (respectivement 17, 10 et 12 % du PIB). Les seuls impôts pesant sur la production atteignent en France 3,5 % du PIB contre 0,5 % en Allemagne et 1 % en zone euro (hors France).

Secteurs d’activité, pas tous égaux face à la crise

Conséquence de l’épidémie de COVID-19 et du confinement, l’activité a diminué de 40 % entre la mi-mars et la mi-avril. Ce mouvement de repli concerne tout particulièrement la construction, une partie de l’industrie, le commerce non alimentaire, la restauration-hébergement et les transports. Pour le transport aérien, le trafic a été réduit dans sa quasi-totalité avec à la clef la mise en veille d’Orly, une première depuis son inauguration en 1961 (un arrêt de quelques jours était néanmoins intervenu en 2010 lors de l’éruption en 2010, du volcan islandais Eyjafjöll). Des secteurs d’activité sont moins touchés par la crise que d’autres parce qu’ils sont prioritaires comme l’agro-alimentaire, ou ont pu s’adapter en recourant au télétravail.

Des situations très contrastée selon les secteurs

Dans son enquête de conjoncture sur le mois de mars, l’INSEE a mesuré les conséquences du COVID-19 branche par branche. Les secteurs moins touchés sont l’agriculture et l’industrie agro-alimentaire (baisse de 6 % du chiffre d’affaires), la cokéfaction, le raffinage et la production d’énergie (- 15 %), et les services financiers (-12 %). Ces secteurs pèsent un peu moins de la moitié du PIB français. Les secteurs les moins touchés comptent, par voie de conséquence, peu de salariés en chômage partiel. Moins 3 % des effectifs des secteurs de l’énergie-eau-déchets, de l’agriculture-sylviculture-pêche, de l’alimentation-boissons, de l’information-communication, des activités financières et d’assurance, sont en chômage partiel.

L’industrie tourne à moitié régime

La situation dans l’industrie est très variable. La chute globale de l’activité a atteint 40 % durant la première quinzaine de confinement. Des entreprises en particulier dans l’automobile ont choisi de fermer rapidement des usines quand d’autres ont maintenu autant que possible leur production. L’industrie pharmaceutique utiliserait 79 % de ses capacités, l’industrie agroalimentaire 71 %, les produits électronique-informatique-optique 68 %, l’industrie chimique 67 %, et le Bois-papier-imprimerie 58 %. Les entreprises industrielles ont dû faire face à la réticence des salariés à occuper leur poste de travail en raison du risque sanitaire. Dans l’urgence, elles ont dû adapter leur outil de production aux règles de distanciation sociale. Elles ont tenté de minimiser le nombre de jours de fermeture. De mi-mars à début avril, la durée de fermeture exceptionnelle a été de 5 jours en moyenne, mais cette durée a été d’une journée pour l’industrie pharmaceutique, 1,5 journée pour l’industrie agroalimentaire, 2 jours pour l’industrie chimique, 4 jours pour les produits électronique-informatique-optique, et 4,5 jours pour le secteur du bois-papier-imprimerie. Le confinement induit un surcroît d’achats de produits alimentaires par les ménages. Il en résulte une demande accrue de cartons et de plastiques, ce qui a amené l’industrie de l’emballage à augmenter ses cadences de production.

L’adaptation de l’outil de production

Air Liquide avec PSA, Valeo et Schneider ont décidé de fabriquer des respirateurs tout comme Renault. Michelin a décidé de se lancer dans la fabrication de masques. LVMH comme de nombreuses PME se sont lancés également dans ce type de production. Au-delà de ces cas atypiques, les entreprises industrielles ont, depuis la fin de mars, pris des mesures pour adapter leur outil de production. Les postes de travail ont été espacés et les salariés ont été équipés de masques. Ainsi, après avoir atteint un point bas fin mars, la production industrielle serait en hausse depuis.

Les services, la loi du tout ou rien ?

Les secteurs de service peuvent plus aisément recourir au télétravail que l’industrie. Néanmoins, pour certaines activités de services, commerce hors-alimentaire, hôtellerie, restauration ou ventes immobilières, le chiffre d’affaires a été nul depuis le début du confinement. Dans le secteur de l’assurance, le personnel s’est mobilisé pour la gestion des contrats en cours. Il est amené également à répondre à la demande des clients confrontés à des baisses totales ou partielles d’activité. En revanche, du fait du confinement, il est impossible pour les commerciaux de réaliser de nouvelles affaires. La vente en ligne de contrats d’assurance IARD (Incendie, Accidents et Risques Divers) est assez faible notamment du fait de l’absence de ventes de voitures et du report de la grande majorité des déménagements. L’activité des banques a également évolué. Si les demandes de nouveau prêts immobiliers sont au point mort, les demandes de rééchelonnement, de prêts de trésorerie en lien avec les plans du Gouvernement ont augmenté au fil des jours.

La surprise de cette crise provient du recul assez marqué de la vente en ligne (-20 %) bin que cette contraction soit plus faible que celle enregistrée par les ventes physiques (-60 %). Elle s’explique par des problèmes d’approvisionnement et de distribution. Selon une enquête réalisée fin mars par la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (Fevad), sur 94 % des sites de vente toujours ouverts, seulement 18 % des sites ont un chiffre d’affaires en hausse (alimentaire, téléphonie-informatique, produits culturels et éducatifs), et 76 % déclarent un recul de leurs ventes depuis le début du confinement (dont la baisse est supérieure à 50 % pour la moitié d’entre eux). La situation anxiogène générée par le COVID-19 dissuaderait les ménages à acheter des biens non indispensables. Les produits alimentaires qui étaient jusqu’à maintenant marginaux dans la vente en ligne progressent. Le « drive » connaît un fort essor et conquiert de nouvelles parts de marché en-dehors de la grande distribution (restauration, librairies, bricolage, pépinières, etc.). Dans le secteur des transports aériens, l’activité de fret se maintient afin d’alimenter en biens l’ensemble du territoire français. Le fret aérien ne pèse 2 % des volumes de marchandises transportées dans le monde, mais représente 35 % en valeur. Pour Air France, le fret représentait 800 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2019.

La demande en biens de communication en forte hausse

Le confinement entraîne une utilisation accrue d’Internet. Les débits ont augmenté de plus de 20 % en quelques jours. Les plateformes comme Netflix vidéos ont été contraintes de dégrader la qualité de leurs vidéos pour éviter un ralentissement important des chargements. Si la vidéo en ligne a connu une forte demande, il en est différemment pour le streaming musical. Ce dernier est surtout utilisé dans les transports en commun et en dehors du domicile.

Internet a permis à de nombreux salariés de poursuivre leurs activités à distance. Selon une enquête réalisée à la fin du mois de mars par Odoxa, près d’un actif sur quatre (24 %) pratiquait le télétravail, dont 20 % le plus souvent à temps plein. 78 % des actifs interrogés indiquent avoir utilisé au moins un outil permettant le travail collaboratif dont les visio-conférences, le partage de document, les conversations à plusieurs. Ce mouvement accompagne la montée en charge des plateformes collaboratives comme Microsoft Team ou Zoom. 

Les entreprises ont dû, à très grande vitesse, accroître les possibilités d’accès à distance à leurs applications pour leurs salariés. Le recours à la formation en ligne s’est accru tout comme la mise en place pour les clients de vidéos, de tchats et de conférences en ligne.

La crise a également permis le développement des téléconsultations au niveau médical. Elle pourrait aboutir la mise en place d’applications visant à faciliter le suivi de l’évolution de l’épidémie.