3 juin 2017

Le Coin de la Conjoncture (3 juin 2017)

Royaume-Uni, des élections législatives sous tension

 A l’approche des élections législatives britanniques prévues le 8 juin prochain, les résultats des sondages témoignent d’un rapprochement des intentions de vote entre les Travaillistes et les représentants du Parti conservateur. Ces derniers emmenés par la Première ministre, Theresa May, ne disposent plus que de 6 points d’avance sur les travaillistes de Jeremy Corbyn. À la mi-avril, l’écart était de 21 points entre les deux formations. Dans le détail, les Tories restent crédités de 43 % des intentions de vote contre 37 % au Labour.

 Le parti conservateur au pouvoir est confronté à deux polémiques, la première concernant les mesures de sécurité en matière de lutte contre les attentats après celui de Manchester qui avait entraîné une suspension provisoire de la campagne et la seconde visant la « taxe sur la démence ». Pour financer les dépenses liées à la dépendance, Theresa May souhaitait contraindre les personnes concernées à vendre leur logement. Face aux réactions négatives des électeurs, la Première Ministre a été contrainte d’abandonner ce projet.

 La croissance britannique en 2016 a été de 2 % avec un excellent dernier trimestre (+0,7 %). Néanmoins, un ralentissement a été constaté au cours du premier trimestre de cette année, +0,3 % soit moins que la France (+0,4 %). Le secteur des services qui représente une grande majorité de l’activité du pays, n’a progressé que 0,3 % contre 0,8 % au quatrième trimestre. L’institut statistique britannique, ONS, souligne par ailleurs que la consommation des ménages commence à souffrir de l’augmentation des prix des produits importés, augmentation provoquée par la dépréciation de la livre sterling. Hors produits pétroliers, l’indice des prix à l’importation a, en rythme annuel, atteint un sommet au mois de novembre 2016, à 9,4 %. Pour mémoire, cet indice avait reculé aussi bien en 2014 qu’en 2015. En début d’année, s’est ajoutée à ce mouvement, l’augmentation des produits pétroliers. De ce fait, le taux d’inflation s’est élevé à 2,7 % au mois d’avril. Les économistes estiment que l’indice des prix pourrait dépasser 3 % au cours de l’année. Comme les salaires ne suivent pas l’évolution des prix, le pouvoir d’achat des Britanniques baisse ce qui conduit à un recul des ventes détail, -0,8 % sur le premier trimestre. Sur la même période, la production industrielle ne s’est accrue que de 0,3 % et la construction de 0,2 %. Les emprunts contractés par les entreprises comme par les ménages ont quelque peu diminué depuis le début de l’année, signe d’un léger ralentissement de l’activité. Les économistes de l’Office for Budget Responsability ont, dans ces conditions, revu à la baisse leurs prévisions. L’organisme prévoit une croissance de 1,6 % en 2018 (contre 1,7 % prévu en novembre), 1,7 % en 2019 (contre 2,1%), 1,9 % en 2020 et 2 % en 2021. Le FMI est plus optimiste maintenant le taux de croissance à 2 % pour cette année.

 En ce qui concerne l’emploi, la situation reste, en revanche, très favorable. Le taux de chômage est tombé à 4,6 % à la fin du mois de mars dernier, soit le taux le plus faible enregistré depuis 1975. 381 000 emplois ont été créés en un an dont 282 000 dans le cadre du salariat et 82 000 dans le cadre du travail indépendant. Le Royaume-Uni compte 27,7 millions de salariés (84,4 % de la population active) et 4,78 millions de travailleurs indépendants. Le taux d’emploi est de 74,8 %, ce qui constitue un nouveau record. Les salaires de janvier à mars n’ont augmenté que de 2,1 % sur un an, alors que les économistes tablaient sur une hypothèse de 2,2 %. Si l’on prend en compte l’inflation, les salaires ont baissé de 0,2 %, ce qui constitue un premier recul depuis le troisième trimestre 2014. Par ailleurs, les personnes bénéficiant d’une prestation chômage sont désormais 793 000, un chiffre en hausse de 19 400 au mois d’avril. Ces derniers résultats témoignent du retour sur le marché du travail de personnes qui en étaient sorties du fait qu’elles n’espéraient pas trouver d’emploi. Mais, cela peut aussi être le symptôme précurseur d’un ralentissement de l’économie qui pourrait toucher le Royaume-Uni.

 Un ralentissement économique de l’économie britannique n’est pas en soi illogique compte tenu que le cycle actuel de croissance a commencé avant celui de l’Europe continentale. Par ailleurs, le modèle de croissance reposant sur un déficit public et un déficit commercial élevés atteint ses limites Certes, l’accélération de la croissance de l’économie mondiale pourrait porter celle du Royaume-Uni. Mais, ce pays dépend de l’épargne étrangère. Or, celle-ci pourrait se faire plus rare en raison du Brexit. La dépréciation de la livre sterling, si elle augmente la valeur des revenus financiers en provenance de l’international, renchérit cependant le coût des investissements à l’étranger. Le Royaume-Uni souffre d’un double déficit, un déficit public de 3,4 % du PIB et un déficit de sa balance des paiements courants de 4,4 % du PIB, soit un des déficits les plus importants au sein de l’OCDE. Le pays a besoin d’attirer en permanence de nouveaux capitaux pour équilibrer ses comptes. Un des moyens est de conserver autant que possible une livre dépréciée. La Banque d’Angleterre doit donc arbitrer entre un problème de financement et un risque d’inflation.

L’article 50 a été déclenché mais les négociations n’en sont qu’à leurs débuts. De ce fait, il est impossible, en l’état, de se faire une idée sur leurs conclusions et sur l’avenir de l’économie outre-Manche.

 La livre sterling restera baissière tant que le Royaume-Uni n’aura pas opté pour un code de développement économique. S’il joue sur un accord équilibre avec l’Union, la monnaie pourrait se stabiliser voire légèrement s’apprécier. En revanche, si une voie conflictuelle était choisie, la dépréciation serait tout à la fois une sanction du marché et une arme du gouvernement pour rééquilibrer ses comptes extérieurs.

 Theresa May promet à ses électeurs une négociation serrée avec les représentants de l’Union européenne, négociation pouvant, à ses yeux, échouer. De son côté, le candidat travailliste reconnaît le résultat du référendum du 23 juin 2016 mais souhaite ardemment élaborer un accord équilibré avec le reste de l’Europe. Les électeurs sont ainsi amenés à trancher entre deux trajectoires de négociation. Par ailleurs, le scrutin sera intéressant à analyser en Écosse. Le parti nationaliste a, ces derniers jours, mis en sourdine ses demandes d’indépendance pour centrer ses attaques sur le programme économiques des conservateurs. Un rapprochement avec les Travaillistes pourrait être imaginable dans le cadre d’une coalition. La Première ministre écossaise, Nicola Sturgeon, a récemment affirmé que l’organisation d’un nouveau référendum d’indépendance pourrait se dérouler après la négociation portant sur le Brexit. « L’Écosse doit pouvoir choisir son avenir, choisir de suivre le Royaume-Uni sur le chemin du Brexit ou de devenir indépendante ».

Le monde vit-il au-dessus de ses moyens ?

 L’économie mondiale a renoué avec une croissance de 3 % l’an avec, à la clef, un retour graduel au plein emploi. Les stigmates des crises de 2008/2009 et de 2011/2012 s’effacent. L’amélioration de ces deux dernières années repose sur la mise en place de politiques budgétaires accommodantes et de politiques monétaires expansionnistes. Ce dopage de l’économie peut-il se poursuivre longtemps sans générer une crise financière de grande ampleur ?

 L’économie mondiale se rapproche, en effet, du chômage structurel, ce qui est dû en particulier aux politiques budgétaires et monétaires expansionnistes mises en place qui maintiennent une croissance supérieure à la croissance potentielle.

 Quels sont les accidents économiques qui pourraient enrayer le développement économique actuel ? Un ralentissement brutal de l’économie chinoise provoquée par l’excès d’endettement des acteurs pourrait rapidement se répercuter sur l’activité mondiale. Une crise de financement au  sein des pays émergents aurait le même effet ? De même, une chute rapide de Wall Street du fait de la baisse de la profitabilité des entreprises pourrait par ricochet ralentir l’activité.

 Depuis 2009, le déficit public mondial n’a jamais été inférieur à 3 % du PIB. Avant la crise, il s’élevait à 1 % du PIB. Il a atteint un maximum en 2009 et 2010 en atteignant 6 % du PIB. Les taux d’intérêt réels sont à des niveaux historiquement bas depuis trois ans. Les bilans des banques centrales atteignent des sommets en raison de l’instauration de politique de rachats d’actifs. Cet assouplissement monétaire et budgétaire a permis une réelle accélération de la croissance que ce soit aux États-Unis, en Chine, au Japon ou en Europe. Depuis 2009, la croissance est constamment supérieure à la croissance potentielle, c’est-à-dire celle logiquement obtenue avec une utilisation optimale des facteurs « capital » et « travail ». Sur courte période, la croissance effective peut dépasser la croissance potentielle, l’économie bénéficiant d’une série de facteurs favorables (relance budgétaire, taux d’intérêt faibles, baisse des prix des importations, etc.). De même, la croissance réelle peut être inférieure à la croissance potentielle en cas de choc conjoncturel négatif (crise au sein des partenaires économique, hausse du prix du pétrole, durcissement monétaire, etc.).

 Le plein emploi est aujourd’hui constaté aux États-Unis, au Royaume-Uni, dans plusieurs pays d’Europe du Nord, en Allemagne ainsi qu’au Japon. Pour le moment, la hausse des salaires reste très mesurée. Cette situation est liée à la forte concurrence internationale et au souvenir cuisant laissé par la crise de 2008/2009. Un arrêt de l’expansion économique par l’enclenchement d’une spirale inflationniste apparaît peu probable à court terme.

 Les menaces plus sérieuses concernent la Chine et les États-Unis. Les autorités chinoises, pour éviter le risque de surendettement, pourraient être tentées d’augmenter les taux d’intérêt qui freinerait l’activité ce qui pourrait mettre en difficulté certains investisseurs. Pour la première fois depuis 28 ans, Moody’s a dégradé, au mois de mai 2017, la note souveraine chinoise. L’agence de notation a abaissé, mercredi 31 mai, d’un cran à A1 contre Aa3 sa note estimant que « la solidité financière de la Chine s’érodera au cours des années qui viennent ».

 La dette chinoise, publique et privée, représente 257,6 % du PIB. La dette des entreprises a doublé depuis la crise de 2008 pour devenir l’une des plus élevées au monde. La dette publique qui s’élève à 20 % du PIB pourrait atteindre 45 % d’ici à la fin de la décennie. Certes, la dette extérieure ne représente qu’environ 12 % du PIB mais elle tend à s’accroître assez rapidement. Afin d’éviter un atterrissage brutal de la croissance, le gouvernement chinois encourage les investissements en infrastructures et dans l’immobilier. Par ailleurs, de plus en plus d’investisseurs chinois privilégient les placements à l’étranger conduisant à des sorties de capitaux.

 La dégradation par Moody’s est un mauvais coup politique pour le Gouvernement chinois mais n’a eu, pour le moment, que peu de répercussions économiques, la dette étant détenue très largement par des résidents à la suite de prêts accordés par des banques d’État à des entreprises d’État ou à des collectivités chinoises.

 Si la dette constitue le maillon faible de la Chine, le retour d’une inflation modérée peut être considéré comme une bonne nouvelle pour l’économie. De 2011 au début de 2016, une situation de déflation a été observée en particulier dans l’industrie. Depuis la mi-2016, au contraire, en raison de la hausse des salaires et des prix des matières, la situation devient tout autre. Cette rupture provient peut-être de la destruction d’un certain nombre de capacités excédentaires et de la dépréciation importante de la monnaie chinoise. Les prix tant en interne qu’au niveau des exportations sont désormais orientés à la hausse. Le taux d’inflation a été de 1,6 % au mois de mai contre 0,9 % en mars. Certes, ce retour de la hausse des prix est dans un premier temps une bonne nouvelle. Il permet de conforter la poursuite de la croissance. Il pourrait entraîner un relèvement des taux d’intérêt ce qui freinerait la sortie de capitaux et stabiliserait le taux de change de la monnaie chinoise.

 Pour les États-Unis, la question centrale est de savoir si la croissance peut continuer, au plein emploi, sans dérapage. Un risque de retournement de la conjoncture en liaison avec une baisse de la profitabilité des entreprises n’est pas impensable. L’investissement pourrait être amené à se ralentir en cas de hausse inadaptée des taux directeurs par la banque centrale américaine. L’envolée de la dette publique et une augmentation des importations en lien avec la relance budgétaire pourraient générer le retour de l’inflation et conduire une accélération de la hausse des taux avec à la clef un freinage rapide de l’activité.

 Le risque pour les pays émergents prend la forme d’une inversion en leur défaveur des  flux de capitaux. Un cercle vicieux, similaire à celui de la période 2013-2015 pourrait se déclencher : dépréciation du change, hausse de l’inflation, hausse des taux d’intérêt.

 Le ralentissement économique ne pourra être évité que si la croissance potentielle progresse dans les prochains mois. Cette augmentation ne peut être obtenue que par une amélioration du taux d’activité, un accroissement du capital productif ou une hausse de la productivité générale des facteurs. Les marges de manœuvre sont limitées pour le facteur travail. Dans un certain nombre de pays, une progression du taux d’activité des femmes et des seniors est possible. Pour le capital, une relance de l’investissement serait nécessaire. Si la baisse des taux d’intérêt a conduit les entreprises à accroître leur effort en matière de formation brut de capital fixe, ce dernier n’a pas retrouvé encore, dans de nombreux États, son niveau d’avant crise. Par ailleurs, les gains de productivité restent modestes pour des raisons liées à un rapport plus complexe qu’auparavant au progrès et à une diffusion lente des effets du digital au sein des secteurs d’activité (voir sur ce sujet lettre N°233).

 

L’Afrique, le continent de demain ?

 L’Afrique est promise à être le moteur de l’économie mondiale des prochaines décennies, sous réserve de ne pas sombrer politiquement. Le continent a comme principal atout (qui peut se transformer en menace) sa population qui devrait passer de 1,2 milliard d’habitants à 2,5 milliards d’habitants en 30 ans. La population active devrait augmenter de 910 millions entre 2010 et 2050 ce qui impose la création de nombreux emplois, faute de quoi les migrations ne feront que s’accroître avec des risques de déstabilisation des États africains. La question de l’habitat demeure une préoccupation majeure pour des nombreux pays du continent qui doivent gérer une urbanisation croissante. Le besoin de logements d’ici le milieu du siècle est évalué à 700 millions.

 Pour asseoir leur développement, les États africains peuvent compter sur une main d’œuvre de mieux en mieux formée et sur l’avènement d’une classe moyenne qui représente déjà entre 143 et 370 millions de personnes. D’ici à 2040, elle devrait compter 900 millions de personnes, selon les calculs de la société de conseil Bearing Point.

 Les secteurs des services et de l’industrie ont représenté près de 70 % de la croissance africaine entre 2010 et 2014, la part la plus importante revenant aux services. Les nouvelles technologies se développent assez rapidement car elles sont moins exigeantes en capital que les précédentes. Les réseaux de téléphone mobile ont permis à l’Afrique de rattraper une partie de son retard en matière de communication. Le continent compte 850 millions d’abonnés à la téléphonie mobile et 350 millions de smartphones. Le « mobile banking » s’est imposé très rapidement au point que de nombreux États africains sont devenus une référence en la matière.

 La croissance économique en Afrique est retombée à 2,2 % en 2016. Ce recul tient à la baisse des cours des matières premières et aux conditions climatiques défavorables qui ont affecté la production agricole dans certaines régions. Elle devrait toutefois progresser en 2017 et en 2018 pour atteindre respectivement 3,4 % et 4,3 %, à la condition que le redressement des cours des matières premières, la reprise de l’économie mondiale et la mise en œuvre, dans la durée, de réformes macroéconomiques à l’échelon national, se confirment.

 L’économie de l’Afrique devrait connaître dans les prochains mois une réelle amélioration grâce au développement de la demande intérieure. La consommation en 2016 a contribué à hauteur de 60 % à la croissance du PIB. 18 pays africains ont, selon l’OCDE, atteint un niveau de développement humain moyen ou élevé en 2015. L’investissement direct étranger, attiré par les marchés émergents du continent et son urbanisation rapide, s’est maintenu à 56,5 milliards de dollars en 2016 et devrait s’élever à 57 milliards de dollars en 2017. Auparavant concentré dans le secteur des ressources naturelles, l’investissement se diversifie vers le bâtiment, les services financiers, les industries manufacturières, les transports, l’électricité et les technologies de l’information et de la communication. Les investissements directs étrangers se multiplient. À l’intérieur du continent, l’Afrique du Sud et le Maroc sont les plus actifs. Si les Européens sont en retrait, les Turcs, les Chinois, les Singapouriens sont de plus en plus présents. Les investissements directs d’origine chinoise ont été multipliés par plus de six en moins de dix ans. Jusque dans les années 2000, les projets internationaux émanaient du secteur public ; depuis une dizaine d’années, ils sont de plus en portés par l’initiative privée témoignant du développement de groupes d’entrepreneurs privés.

 Malgré la croissance des dernières années, la situation économique et sociale de nombreux États africains demeure fragile. 54 % de la population de 46 pays africains sont toujours piégés dans une situation de pauvreté au regard des indicateurs de la santé, de l’éducation et du niveau de vie. La question des migrations est avant tout un problème interne à l’Afrique. Les migrants s’élèveraient, sur le continent, à plus de 34 millions de personnes. Ils fuient leurs pays pour des raisons économiques, politiques ou religieuses. Ils constituent évidemment des cibles faciles pour les groupes terroristes. Les pays africains accueillant le plus de migrants sont l’Afrique du Sud, la Côte d’Ivoire, l’Ethiopie, le Nigeria et le Kenya.