20 juin 2020

Le Coin de la Conjoncture

D’hier à demain, existe-il encore des règles économiques ?

Depuis quelques semaines, les gouvernements parlent de reconstruction, de changement de modèles économiques, de plans de soutien, de relance, etc. Le dirigisme économique est de retour. La crise permet aux gouvernements de reprendre la main sur la vie économique du pays. Ce changement de cap intervient à un moment où, avec la mondialisation et la digitalisation, s’était imposée l’idée que les États étaient impuissants face aux entreprises, face aux marchés. Avant même la crise, devant la stagnation économique et la multiplication des tensions sociales, la question du rôle de l’État se posait déjà avec acuité. La crise justifie son retour tout en étant un prétexte. Les lois économiques d’hier semblent ne plus avoir cours même si, dans le fonds, l’épidémie ne fait qu’accélérer des tendances de long terme.

Avant la crise sanitaire, de lourdes menaces s’accumulaient déjà

La situation économique qui prévalait avant la crise sanitaire était déjà inquiétante. Les États occidentaux subissaient un épuisement du cycle de croissance, cycle qui a été extrêmement court et faible en Europe. En 2019, les tensions commerciales entre la Chine et les États-Unis avaient pesé lourdement sur le commerce international. Une récession était attendue en Italie et en France. Cette même année, l’Allemagne avait échappé de peu à cette récession. Cette détérioration intervenait dans un contexte de faible inflation, les banques centrales n’arrivant pas atteindre l’objectif de 2 % qu’elles s’étaient fixées.

Face aux menaces de récession, les banques centrales avaient décidé de relancer leur politique monétaire expansionniste. La FED s’était engagée dans un programme de baisse de ses taux directeurs quand la BCE a abandonné, avant même de l’appliquer, le plan d’augmentation de ses taux.

Malgré ce contexte, les pays occidentaux connaissaient pour nombre d’entre eux une situation de plein emploi quand, pour les autres, la décrue du chômage se poursuivait à bon rythme. Cependant, à la différence des précédents cycles, l’amélioration substantielle de la situation de l’emploi ne s’accompagnait pas d’une augmentation des salaires. L’accroissement de l’endettement public et privé constituait une autre caractéristique de la période d’avant crise sanitaire. À l’exception notable de l’Allemagne, parmi les grands États, le maintien d’un déficit public était de mise. Le niveau de l’endettement public était à son plus haut niveau depuis la Seconde Guerre mondiale. Cette augmentation était la conséquence du maintien de taux historiquement bas. Ces derniers favorisaient également le gonflement de la valeur de certains actifs, actions ou immobilier. Le cycle de croissance qui s’est achevé au mois de mars était, également, marqué par une stagnation des revenus salariaux. La répartition des faibles gains de productivité s’effectuait au détriment des salariés dans les pays de l’OCDE, à l’exception notoire de la France et de l’Italie. Depuis la crise de 2008, le ressenti sur le pouvoir d’achat est négatif dans la quasi-totalité des États de l’OCDE en lien avec l’augmentation du prix du logement et plus globalement des dépenses pré-engagées. Cette situation concerne en premier lieu la France. Enfin, les inégalités avaient tendance à augmenter, en particulier au sein des pays anglo-saxons, les États-Unis en tête. Le sentiment dominant au niveau de l’économie était que le jeu était bloqué. Les salaires ne pouvaient pas augmenter en raison de la vive concurrence mondiale et d’un rapport de force défavorable aux salariés (diminution en particulier du taux de syndicalisation). Les taux d’intérêts étaient condamnés à rester faibles en raison du niveau important des endettements. La croissance du PIB était limitée du fait de la faible progression de la demande et des gains de productivité. Les pouvoirs publics ne pouvant compter sur la croissance étaient donc contraints d’accroître les dépenses publiques et donc les déficits tant pour réduire les inégalités de revenus que pour financer les dépenses liées à la retraite, à la dépendance et à la santé en lien avec le vieillissement de la population.

Des flots de liquidités

La crise économique qui résulte de l’épidémie s’est inscrite dans ce contexte très particulier. Elle a accentué les tendances en cours. Les chocs subis par l’offre et la demande ont amené les banques centrales à s’engager dans des programmes monétaires expansionnistes sans précédent. La BCE a ainsi élargi l’enveloppe de son intervention à plus de 1 600 milliards d’euros au total d’ici juin 2021, quand la FED a prévu des rachats d’obligation d’État portant sur plus de 750 milliards de dollars auxquels s’ajoutent des rachats d’obligations d’entreprise pouvant atteindre également 750 milliards de dollars. Par ailleurs, la banque centrale américaine a indiqué qu’elle était disposée à garantir pour plus de 2 000 milliards de dollars de prêts. Les bilans des deux principales banques centrales qui augmentaient à petite vitesse jusqu’en 2008 connaissent des progressions exponentielles. Pour la zone euro, la base monétaire devrait passer de 3 200 à 4 500 milliards d’euros de 2019 à la fin de l’année 2020. Cette dernière, pour mémoire, était de 500 milliards d’euros en 2002 et de 1 000 milliards d’euros en 2009. De même, la base monétaire de la FED est passée en vingt ans de 500 à 4 000 milliards de dollars. Au niveau mondial, la base monétaire a été multipliée par dix depuis le début du siècle. Pour la seule année 2020, avec la crise du covid-19, la quantité de monnaie créée au sein des pays de l’OCDE, pourrait atteindre 10 000 milliards de dollars. Cette création est le pendant de l’accroissement de l’endettement, plus de 20 points de PIB, en moyenne au niveau des États de la zone économique. 

La crise sanitaire amplifie l’accroissement de l’endettement. Face à cette situation, le maintien de taux d’intérêts très faibles s’impose encore plus. Tout relèvement des taux rendrait les débiteurs insolvables. La crise économique se muerait alors en crise des dettes publiques. Si l’inflation venait à ressurgir, les banques centrales pourraient être contraintes de relever leurs taux. Les États d’Europe du Nord et l’Allemagne, en particulier, pourraient imposer ce relèvement contre l’avis des États d’Europe du Sud. À la tension économique financière qui en résulterait s’ajouterait alors une tension diplomatique.

L’inflation aux abonnées absentes

L’expérience de la crise de 2008 a semblé prouver que l’augmentation de la base monétaire avait peu d’incidences sur l’inflation. De multiples raisons expliquent l’absence d’inflation. Du fait d’une aversion plus marquée aux risques, les agents économiques ont tendance à conserver des volumes de liquidités plus importants. Par ailleurs, la réglementation prudentielle (Bâle III ou Solvency II) a renforcé les exigences de fonds propres pour les acteurs financiers. L’augmentation de la valeur des actifs, actions et immobilier, contribue à masquer l’inflation. La forte concurrence avec le développement des services en ligne (e-commerce, plateforme de services avec la multiplication de l’offre) joue contre la concurrence. La désindustrialisation avec en parallèle l’essor du secteur tertiaire ne facilite pas les revalorisations salariales. Les salariés de l’industrie, par leur concentration sur un même lieu et par tradition syndicale, ont longtemps été à la pointe des combats sociaux. Dans le secteur tertiaire, l’éclatement des effectifs sur de nombreux sites ne facilite pas l’agrégation des mécontentements. Après plus de trente ans de modération salariale, les revendications semblent se multiplier, notamment avec la crise sanitaire. Elles émanent essentiellement du secteur public. Si un effet de contagion se produisait, un regain d’inflation serait imaginable. Pour être supportable par les États, il faudrait que les banques centrales acceptent de ne pas relever leurs taux directeurs ; les épargnants seraient alors les principaux perdants. Si initialement, les taux d’intérêt bas étaient censés augmenter l’inflation, c’est désormais la faible inflation qui impose des taux bas.

La question de l’annulation des dettes publiques

Des voix se font entendre en faveur de l’annulation de tout ou partie de la dette publique détenue par les banques centrales. Les partisans de cette thèse considèrent qu’il serait plus simple de l’annuler. Cette décision est présentée comme ne portant pas préjudice aux créanciers à l’exception des banques centrales. Cette idée ne reçoit pas l’assentiment des pouvoirs publics. La BCE a indiqué clairement son opposition. Une annulation quelle qu’elle soit est assimilable à une banqueroute. Les investisseurs, autres que les banques centrales, pourraient considérer qu’ils seront les prochains sur la liste. Ils seraient amenés à réduire leur financement et à exiger des primes de risque plus élevées. Toute annulation partielle entraînerait une augmentation des taux qui rendrait plus délicate la solvabilité des États. Au sein de la zone euro, une annulation des dettes publiques poserait un problème d’aléa moral. Les États les plus endettés y trouveraient un intérêt supérieur à ceux qui sont les plus vertueux. Ces derniers seraient, en revanche, pénalisés par l’augmentation des taux générée par l’annulation partielle des dettes. Une annulation de dette provoquerait une dépréciation de l’euro si elle était menée au sein des États membres. Les non-résidents se délesteraient de leurs actifs libellés en euros compte tenu du risque de banqueroute. La dépréciation de la valeur de la monnaie favoriserait les exportations en diminuant leur prix mais augmenterait le coût des importations. Le pouvoir d’achat des ménages serait ainsi ponctionné. Les effets négatifs d’une telle procédure pourraient néanmoins être atténués en cas d’accord international associant toutes les grandes banques centrales de la planète.

En lieu et place de l’annulation, la dette pourrait être rendue perpétuelle. Deux voies sont alors possibles. La première reposerait sur le principe que les banques centrales rachèteraient des obligations sur un montant au moins équivalent aux tombées de capital. La seconde prendrait la forme d’émission d’obligations ne comportant pas de remboursement du capital des emprunts. En contrepartie de ce non-remboursement, le taux proposé devrait être plus attractif que celui normalement offert.

Des taux bas pour longtemps

Le maintien des taux bas sur une très longue période semble s’imposer au nom de la solvabilité des Etats surendettés. Tout hausse provoquerait une crise des dettes souveraines de grande ampleur en concernant des États d’une taille bien supérieure à la Grèce.

En revanche, les taux bas ne sont pas sans avoir des effets pervers. Ils réduisent la rentabilité des banques et des assurances. L’accès au crédit peut être rendu plus difficile car les banques ne disposent pas de marges en cas de défaut de paiement de leurs débiteurs. Les taux bas censés favoriser le crédit peuvent au contraire le freiner surtout en période de crise. La solution passe alors par la multiplication des garanties de la part de l’État (modèle PGE). Les taux bas jouent contre la croissance car ils permettent le maintien en vie d’entreprises non ou faiblement rentables. Ils contribuent à ralentir le processus de destruction créatrice cher à Schumpeter. En fonction des États membres de la zone euro, 3 à 10 % des entreprises seraient concernées. Les taux bas n’incitent pas à la bonne gestion et ne permettent pas une allocation optimale des ressources. Comme ces dernières sont bon marché, leur usage est moins contraint par la notion de rentabilité. Ces dernières années, les États mais aussi les agents privés ont recouru aux emprunts non pas pour financer des dépenses d’investissement supposés dégager un rendement mais des dépenses de fonctionnement. Des bulles apparaissent au niveau des actifs. Les facilités de financement conduisent à une demande accrue de biens immobiliers et à une augmentation des prix de l’immobilier qui pèsent sur le pouvoir d’achat des ménages et sur les coûts des entreprises. La valeur des actions profite de la baisse des taux, les investisseurs à la recherche de rendement optant pour ce type de placements.

Le soutien à l’économie, un moment à part

En 2018, Olivier Blanchard, l’ancien chef économiste du FMI avait préconisé un large plan de relance par l’investissement arguant que les États devaient profiter de l’argent pas cher dont ils pouvaient disposer. Si à l’époque, cette thèse avait fait quelques remous, elle s’impose aujourd’hui. Les plans de soutien deviennent légions dans tous les États.

Même si la Commission de Bruxelles commence à réagir sur la question du respect du droit communautaire, les États ont profité de la crise pour s’en affranchir afin de soutenir leurs grandes entreprises ou les secteurs en difficulté. Le droit de la concurrence a été ainsi mis entre parenthèses. Margrethe Vestager, la vice-présidente exécutive de la Commission européenne, a indiqué le 16 juin dernier, « j’ai entendu des appels pour que la Commission européenne adopte une approche plus laxiste (…) Les règles n’ont pas changé… ». Malgré tout, un texte serait en préparation pour faciliter la protection des entreprises européennes face à d’éventuels rachats étrangers. Les prises de participation publique pourraient être facilitées.

La multiplication des aides publiques peut réduire la concurrence en empêchant le renouvellement du tissu productif. Ces aides, en règle générale, bénéficient avant tout aux grandes entreprises installées en raison de la volonté des pouvoirs publics de protéger les emplois. Une telle pratique freine les gains de productivité et peut conduire à une augmentation des prix.

Au niveau européen, les plans de soutien favorisent les États les plus importants qui disposent de larges marges financières au détriment des plus petits. Il en résulte une inégalité de traitement avec, en corollaire, une possible concentration des entreprises, ce qui est une nouvelle fois contraire au droit de la concurrence et potentiellement inflationniste. En outre, cela peut générer des pulsions nationalistes et protectionnistes.

En règle générale, les aides publiques sont orientées vers des secteurs peu productifs et en difficulté. Parmi les secteurs ou les entreprises soutenus, plusieurs étaient en difficulté avant la crise à l’exemple de l’automobile et du transport aérien. Le petit commerce et les grands centres commerciaux devaient affronter la concurrence du e-commerce. La presse écrite, la radio et la télévision souffraient d’une réduction de leur budget de publicité en raison de la montée en puissance de celle-ci sur Internet. La crise sanitaire déclenchée en mars 2020 a accéléré cette tendance. Au niveau du bâtiment, les résultats de la construction de logements neufs étaient orientés à la baisse depuis plus d’un an.

Les plans de soutien ralentissent la mutation des économies en jouant contre la diffusion du progrès technique. C’est pour contrarier ce problème que les gouvernements, en France comme en Allemagne, lient les aides à la réalisation d’investissements favorables à la transition énergétique ou au digital.

Dans un « open bar », le dernier consommateur risque de payer la note des précédents. Jacques Attali conseille ainsi de toujours rester près de la porte afin de pouvoir sortir rapidement car un incendie est inévitable. Cette période qui s’affranchit, peut-être provisoirement, des règles du passé, amplifie les tendances de l’ancien monde avec des taux d’intérêt et d’inflation bas et avec un recours massif à l’endettement. Le « full credit » peut-il déclencher des gains de productivité qui font défaut depuis une vingtaine d’années afin d’enclencher un cercle de croissance vertueux, ou est-il la dernière salve de l’Occident ?

Ode à la coopération internationale

Avec la crise économique brutale générée par la crise sanitaire, la tentation du repli sur soi est forte. Elle était déjà manifeste avant la diffusion à l’échelle planétaire du virus. Les tensions commerciales entre la Chine et les États-Unis en était une des manifestations. La montée du populisme dans de très nombreux pays prédispose à la recherche de solutions nationales. Pour autant, cette épidémie invite à plus de coopération internationale, les virus ne respectant pas les frontières. Par ailleurs, les multiples défis à relever sont de nature multilatérale, qu’il s’agisse du climat, des matières premières, des échanges internationaux ou des politiques monétaires.

La réduction des émissions des gaz à effet de serre ne peut passer que par une coopération internationale poussée. Jusqu’à maintenant, les pays occidentaux ont diminué leurs émissions, aidés en cela par leur désindustrialisation. En contrepartie, les émissions se sont accrues au sein des pays émergents. La mise en place de mesures contraignantes ne peut être que mondiale, faute de quoi les distorsions de concurrence conduiraient à des politiques protectionnistes dans certaines régions. Les pays ne respectant pas les accords joueraient le rôle de passagers clandestins. Ils profiteraient des efforts des autres sans avoir à en supporter les coûts. En l’état actuel, plusieurs pays dont les États-Unis refusent un système international coercitif au niveau de ces émissions.

Une révision des règles du commerce internationale

Depuis 2008, le poids du commerce international par rapport au PIB mondial stagne en raison des remises en cause du bienfait des échanges internationaux. Les arguments environnementaux ou sociaux sont soulevés. La crise sanitaire a pointé du doigt la dépendance des États occidentaux vis-à-vis de la Chine et des pays émergents, que ce soit pour les masques ou pour les équipements dont les hôpitaux ont besoin.

La tentation souverainiste ou protectionniste serait préjudiciable non seulement aux échanges mais aussi à la croissance. Le retour à des chaînes de valeurs purement locales aurait un coût économique important. Ces dernières années, le règlement des différends s’est réalisé en-dehors des instances qui y sont pourtant dédiées. Le conflit entre les États-Unis et la Chine s’est réglé de manière bilatérale et non par l’Organisation Mondiale du Commerce. L’abandon du multilatéralisme au niveau commercial serait préjudiciable et constituerait un dangereux retour en arrière avec un risque de surenchère entre les États. La question du traitement de la Chine qui bénéficie de la clause de la nation la plus favorisée se pose. De même, le libre-échange suppose que tous les pays puissent accéder aux matières premières ou aux biens. Un pays ne doit pas avoir la possibilité de limiter ses exportations de terres rares ou de matériels médicaux pour des raisons de politique internationale, comme c’est le cas avec la Chine.

Sur le plan des matières premières, les fortes variations de prix des matières premières et de l’énergie ont des conséquences négatives aussi bien sur les pays importateurs que sur les pays producteurs. Les revenus des pays producteurs concernés connaissent des fluctuations importantes quand les marchés au sein des marchés de consommation peuvent être déstabilisés. L’intérêt de tous réside dans la stabilité des prix des matières premières à un niveau correctement rémunérateur pour les producteurs, mais cela nécessite une coordination au niveau international. Pour le pétrole, la coopération entre l’OPEP et la Russie a permis de stabiliser les cours. Pour être pérenne, cette stabilisation supposerait que les États-Unis acceptent d’intégrer le processus de régulation de la production.

La sortie de la crise sociale ne peut pas être nationale

Depuis une quarantaine d’années, l’austérité salariale est de mise au sein des pays de l’OCDE en raison de la concurrence mondiale et des faibles gains de productivité. Aucun pays ne peut faire cavalier seul, sa perte de compétitivité se traduisant par une augmentation du déficit extérieur. Cette règle vaut à l’intérieur de la zone euro dans laquelle il n’y a plus, par définition, de dévaluation possible. La dévaluation de la monnaie était la reconnaissance d’un appauvrissement général mais offrait la possibilité de restaurer la compétitivité des exportateurs sous la réserve de l’augmentation du prix des importations. Un changement de paradigme social ne peut passer qu’à l’échelle mondiale ou à minima à l’échelle de pays ayant des caractéristiques voisines (OCDE ou Union européenne par exemple).

Une coordination monétaire et financière incontournable

Depuis 2008, les banques centrales occupent une place de plus en plus importante dans l’élaboration des politiques de résorption des crises. Les politiques monétaires expansionnistes se sont imposées à l’échelle mondiale. Avec l’accroissement des dettes publiques, les banques centrales ont perdu leur indépendance qui leur avait été plus ou moins reconnue dans les années 90. Elles sont désormais tributaires de la solvabilité des Etats pour la fixation des taux directeurs. De même, les programmes d’achats d’obligations obéissent à des considérations tout autant économiques que monétaires. Si la coordination au niveau des gouvernements n’est pas toujours aisée à réaliser, les banques centrales des grands pays ou zones économiques ont, jusqu’à maintenant, réussi à harmoniser leurs positions. Au sein de la zone euro, la BCE supplée la faiblesse de l’échelon fédéral. Compte tenu du doublement des dettes extérieures des États depuis le début du siècle (elles sont passées de 90 à 180 % du PIB aux États-Unis et de 100 à 225 % du PIB pour la zone euro) et des actifs placés à l’étranger, l’interdépendance financière est très élevée. Une remise en cause brutale aurait des conséquences en cascade pour l’économie. Une bataille des changes entre les grandes monnaies aurait également des effets dévastateurs.

Des experts s’inquiètent de la croissance de la liquidité globale générée par les Banques Centrales. En vingt ans, la base monétaire mondiale est passée de 4 000 à 25 000 milliards de dollars. Ils craignent des mouvements financiers spéculatifs de grande ampleur et des variations importantes des taux de change. Ce risque est limité par le fait que tous les États ou presque mènent des politiques similaires. En cas de changement non coordonné des politiques monétaires, il pourrait alors y avoir des tensions économiques et politiques.

Le retour de la question du développement des pays les plus pauvres

La crise sanitaire a frappé durement les pays les plus pauvres en les privant de débouchées pour la vente d’énergie ou des matières premières. Ils sont, par ailleurs, exposés au risque sanitaire en raison de la faiblesse de leur système de santé. L’écart de richesse a de forts risques de s’accroître avec la crise économique mondiale. Cette situation est préoccupante pour l’Afrique. Le PIB par habitant des États africains ne représentait que 18 % de celui de l’OCDE en 2019. Cette proportion est stable depuis vingt ans. Depuis 2009, les pays d’Amérique latine sont confrontés à un déclin économique se traduisant par une régression de leur PIB par habitant par rapport à la moyenne des pays occidentaux. La pauvreté en Afrique ou en Amérique latine est source de déstabilisation et peut déboucher sur des mouvements d’émigration. La relance des plans de développement multilatéral en faveur des pays les plus pauvres devrait être une priorité.

La santé au cœur de la coordination internationale

La crise de la Covid-19 a fait prendre conscience que l’épidémie était un problème mondial et nécessitait par conséquent de trouver des solutions également à l’échelle supranationale. L’Organisation Mondiale de la Santé est sortie affaiblie de la crise sanitaire. Il apparaît néanmoins de plus en plus nécessaire de renforcer la coopération en matière de santé, aussi bien pour la surveillance des virus que pour la mise au point de remèdes ou de vaccins.

Une épidémie incite au repli d’autant plus quand elle se double d’une crise économique. Or, au regard de la situation économique, financière, sociale et environnementale, la coordination des politiques menées par les États semble la seule voie possible. Le choix du bilatéralisme par les États-Unis, les tendances nationalistes de plusieurs États européens et l’hégémonisme naissant de la Chine peuvent évidemment empêcher cette nécessaire coordination. La prise de conscience de l’interdépendance devrait, en revanche, la faciliter.

Économie française, en avant toute !

Trois mois après le début du confinement qui a mis à l’arrêt l’économie française, l’INSEE a établi un nouvel état des lieux qui permet, en outre, d’avoir une première vue sur les conditions de la reprise. Les premiers résultats sont plutôt optimistes, témoignant d’une réelle reprise de l’activité après deux mois d’arrêt brutal.

Un deuxième trimestre mauvais mais moins que prévu

L’INSEE a affiné sa prévision pour l’évolution du PIB au cours du deuxième trimestre. Le recul du PIB serait de -17 % quand, fin mai, l’organisme statistique prévoyait -20 %. Cette contraction fait suite à celle du premier trimestre qui avait atteint -5,3 %. Selon les derniers indicateurs disponibles, la perte d’activité économique par rapport à une situation « normale » aurait été de -29 % en avril, puis de -22 % en mai, et se limiterait à -12 % en juin.

Dès la sortie du confinement intervenue le 11 mai dernier, le rebond a été particulièrement marqué. La perte d’activité est ainsi rapidement passée de -31 % en avril à -7 % fin mai. La perte de consommation par rapport à la normale se limiterait, selon l’INSEE, à -5 % en juin.

La reprise a été facilitée par les dispositifs de soutien à l’activité mis en place par le Gouvernement (chômage partiel, fonds de solidarité pour les TPE, indépendants et micro-entrepreneurs, PGE, etc.).

La situation économique diffère en fonction des secteurs. Certains comme le tourisme et le transport aérien restent particulièrement touchés par la crise en raison des restrictions de circulation qui demeurent au niveau international. Les protocoles de sécurité sanitaire pèsent sur la productivité du travail même si cela reste encore à vérifier. Plusieurs interrogations demeurent en particulier pour l’investissement des entreprises et des ménages ainsi que pour le commerce extérieur. Par attentisme et par précaution, les ménages ne devraient pas immédiatement dégonfler leur poche d’épargne contrainte constituée durant le confinement. La peur du chômage devrait les inciter à maintenir un fort volant de liquidités.

Le rebond confirmé de l’offre

Pour le mois de juin, l’activité économique continuerait à se reprendre avec une perte limitée à -12 % par rapport à une situation « normale », après -22 % en mai.

Le secteur de la construction qui avait été fortement touché poursuit son redémarrage. La perte d’activité économique aurait notamment été divisée par presque deux dans la construction par rapport à mai (-34 % contre -55 % en mai). Dans l’industrie, la perte d’activité ne serait plus que de -15 % contre un quart au mois de mai. La production industrielle doit faire face à une demande internationale toujours en berne, des stocks importants à écouler et des goulots d’approvisionnement. Par ailleurs, les mesures de distanciation sociale entravent les capacités de production Dans les services marchands, la perte d’activité économique se situerait globalement au même niveau que dans l’industrie. Si des fermetures et limitations d’activité ont affecté les services jusqu’à la mi-juin, en particulier dans la région parisienne, l’assouplissement réglementaire annoncé le 14 juin pourrait entraîner une remontée, plus rapide que durant le mois écoulé.

Estimation de la perte d’activité en juin, par rapport à une situation « normale

La consommation des ménages au rendez-vous

Après la prise des dernières données disponibles, l’INSEE estime que la perte de consommation du mois d’avril a été de -31 % par rapport à son niveau en situation normale. Pour le mois de mai, la coexistence d’une période de confinement (jusqu’au 10 mai) et de déconfinement (à partir du 11 mai) s’est traduit par une perte de consommation de -14 % en moyenne sur l’ensemble du mois. Pour le mois de juin, la perte serait de -5 %. De ce fait, sur l’ensemble du deuxième trimestre se situerait à -17 % en deçà du niveau correspondant à une situation normale d’activité.

L’évolution de la consommation diffère d’un secteur à un autre. Un mois après le déconfinement, le comportement des consommateurs se normalise. Malgré tout, les achats de biens d’équipement devraient se situer 5 points au-dessus de leur niveau normal avec en particulier un accroissement des achats de voiture. En revanche, avec la réouverture des cafés et des restaurants, ainsi qu’avec le retour du travail présentiel et la reprise de l’école, les dépenses des ménages en produits agro-alimentaires perdraient de leur dynamisme.

La consommation de services principalement marchands serait en juin de 12 % inférieure à une situation normale d’activité. Après une forte reprise, certains services personnels aux ménages (blanchisserie ou coiffure) connaîtraient un recul au cours du mois de juin. Au contraire, pour d’autres services, la consommation poursuivrait son rattrapage, notamment dans la restauration. Dans les services principalement non marchands, la consommation continuerait à se redresser, à travers la reprise progressive des soins de ville et de l’enseignement marchand, sans retrouver encore le niveau d’une situation normale d’activité (-14 % de perte de consommation en juin).

Au niveau des dépenses des ménages pour leurs logements, la reprise des travaux de rénovation ferait progresser la consommation des ménages. Elle resterait malgré tout inférieure à son niveau normal de -34 %.

Des revenus en baisse pour les actifs

Au mois d’avril, la masse salariale brute des ménages aurait diminué d’environ -22 %. Cette chute s’expliquait par l’arrêt de nombreux CDD et de missions d’intérim ainsi que par l’utilisation massive des dispositifs de chômage partiel et d’arrêt maladie. La réduction du nombre d’heures supplémentaires a également pesé sur les revenus des ménages. L’augmentation des prestations sociales ont en grande partie compensé cette baisse des revenus professionnels. Ainsi, le revenu disponible brut des ménages en avril n’aurait diminué que de 2,7 % par rapport à une situation « normale ». Les entrepreneurs individuels ont quant à eux vu leur activité et les revenus associés fortement affectés pendant le mois d’avril du fait de la propagation de l’épidémie et des mesures d’endiguement. Malgré la mise en place du fonds de solidarité pour les très petites entreprises (TPE), indépendants et micro-entrepreneurs, et les exonérations de cotisations, les manques à gagner sont conséquents.

Le niveau de vie les retraités qui bénéficient du versement automatique de leurs pensions, a fortement augmenté par rapport au reste de la population, soit plus de 5 points selon le Conseil d’Orientation des Retraites. Par unité de consommation, il est désormais supérieur de 10 % à celui de la moyenne de la population.

Une reprise globale au sein de l’OCDE

Avec le déconfinement, la reprise économique concerne tous les pays de la zone euro. Elle apparaît plus forte et plus rapide aux États-Unis. Tous les pays ne partaient pas sur la même ligne en fonction de la dureté du confinement et des modalités de sortie. Au mois d’avril, la production avait baissé de 24 % au Royaume-Uni en glissement annuel, de 30 % en Allemagne et de 34 % en France et en Espagne ; la production italienne avait diminué de son côté de près de 43 %.

Avec le mois de juin, le processus de déconfinement s’est accéléré dans tous les pays européens. La convergence des situations de déconfinement entre les différents pays européens se reflète dans la consommation d’électricité qui est un indicateur représentatif de l’activité globale des pays. Entre le 1er et le 9 juin, la consommation d’électricité en Espagne et en France n’était plus respectivement que de 10 % et 11 %, inférieure à son niveau de 2019 (contre 12 % et 13 % la dernière semaine de mai). Les consommations espagnole et française rejoignent donc progressivement celle de l’Allemagne (écart de 9 % par rapport à la normale) qui, depuis le début du confinement fin mars 2020, était très supérieure à la consommation d’électricité des autres pays européens. En moyenne entre le 1er avril et le 24 mai, la consommation d’électricité n’avait baissé que de 8 % en Allemagne par rapport à la même période en 2019, contre une perte de 15 % en France et au Royaume-Uni, de 17 % en Espagne et de 20 % en Italie. Le Royaume-Uni ayant opté plus tardivement pour des mesures de confinement, l’activité reprend plus progressivement qu’en France et en Allemagne. Début juin, la consommation d’électricité y est toujours inférieure d’environ 15 % à la normale, avec peu d’évolution par rapport au mois de mai. Aux États-Unis, en revanche, la reprise de l’activité semble plus marquée avec une consommation d’électricité qui a retrouvé ses niveaux habituels pour un mois de juin.

Un autre indicateur de l’activité globale est la concentration de dioxyde d’azote dans l’air, affectée par les activités de production, de transport routier et de chauffage des bâtiments. Le retour à la normale apparaît lent en France, en Espagne et en Italie. Au cours de la première semaine de juin, la baisse de cette concentration était de 32 % en France par rapport à la moyenne sur 2016-2019 (après une baisse de 35 % fin mai), de 34 % en Italie (après 38 %) et de 36 % en Espagne (après 44 %). En Allemagne, les émissions sont également en retrait de 32 %. Pour le Royaume-Uni, l’écart est de 40 %. Le lent redémarrage de l’industrie et le maintien du télétravail expliqueraient ces faibles émissions de CO2. En revanche, en Chine, à partir de fin avril et début mai, les émissions et la concentration de l’air en dioxyde d’azote ont dépassé leurs niveaux de la même date en 2019, et elles continuent de croître. Les déplacements sont toujours en retrait par rapport à leur niveau normal. Selon l’indicateur Google Maps Mobility, la fréquentation des transports publics en France était inférieure de 37 % début juin à celle de la période de référence du 3 janvier au 6 février 2020, soit une hausse par rapport à mi-mai, où elle se trouvait inférieure de 43 %. En Italie et en Espagne, cette moindre fréquentation est de l’ordre de -40 %. Au Royaume-Uni, la baisse reste marquée (-56 %). Aux États-Unis, la fréquentation des transports publics augmente légèrement, restant néanmoins inférieure d’environ un tiers à son niveau habituel. Enfin, l’indice TomTom de congestion routière dans les principales villes européennes témoigne d’un retour de l’usage de la voiture. En Allemagne, cet indice traduit un retour à une situation quasi-normale (-3 % par rapport à 2019 pour la première semaine de juin). En France, le rebond est net, avec un indice de congestion début juin inférieur de 13 % à celui de 2019, après une baisse près de          -26 % mi-mai et de -61 % début mai. Le trafic routier est, en revanche, bas aux États-Unis, inférieur de 78 % à ses niveaux de 2019, ainsi qu’au Royaume-Uni, où l’indice de congestion est inférieur de 65 %.