11 juillet 2020

Le Coin de la Conjoncture

Encore un effort avant un réel retour à la normale

Dans sa dernière enquête de conjoncture du 8 juillet, l’INSEE souligne que la reprise économique se poursuit. Si la consommation est au rendez-vous, la production, l’investissement et le commerce extérieur restent en retrait. Compte tenu des évolutions en cours, l’INSEE estime que la contraction du PIB pour l’ensemble de l’année serait de -9 %, soit mieux que les prévisions de l’OCDE ou du FMI qui parient sur un recul         de -14 %.

Le risque majeur auquel est confrontée l’économie française est l’enclenchement d’un processus d’auto-réalisation d’une crise sans précédent à l’automne. À force de répéter que les prochains mois seront catastrophiques, des anticipations négatives peuvent se mettre en place et donner ainsi raison aux oiseaux de mauvais augure.

Une production présente à 88 %

Au mois de juin, l’activité économique s’établirait à 88 % de son niveau normal quand ce taux était de 78 % en mai et de 70 % en avril. La reprise d’activité concerne l’ensemble des branches. La perte d’activité économique serait notamment divisée par deux dans la construction par rapport à avril (-31 % en juin contre -61 % en avril) en lien avec la reprise des chantiers. Dans l’industrie, la perte d’activité ne serait plus « que » de 14 %, soit deux fois moins qu’au mois d’avril en plein confinement. L’industrie pâtit toujours d’une faible demande internationale et de l’importance des stocks. Cette situation concerne, en premier lieu, le secteur automobile. Dans les services marchands, la perte d’activité économique se situerait au même niveau que dans l’industrie. Avec la réouverture des cafés et restaurants ainsi qu’avec la montée en puissance des transports publics, le secteur tertiaire enregistre un rebond d’activité. Dans le secteur des café-restaurant, la perte d’activité économique est estimée autour de 20 % en juin, quatre fois moins qu’en avril. Pour l’INSEE, en rythme trimestriel, l’activité économique aurait diminué de l’ordre de -17 % au deuxième trimestre (après      -5,3 % au premier).

Fin 2020, l’activité économique resterait, selon les scénarii retenus par l’INSEE, inférieure à son niveau d’avant crise, entre -1 et -6 % avec une moyenne se situant à    -4 %. Sur l’ensemble de l’année, le bilan varie en fonction des branches. La construction sortira de la crise en moins bonne santé que l’agro-alimentaire. Pour les services marchands, la baisse d’activité devrait être de -2 % quand elle serait de -5 % dans l’industrie et de -8 % dans la construction. Avec beaucoup de prudence compte tenu du niveau élevé d’incertitudes, l’INSEE prévoit une hausse du PIB de +19 % au troisième trimestre.

Panne du commerce extérieur

Avec la consommation et l’investissement, le commerce extérieur est un des moteurs clefs de la croissance. Le retour à la normale sur ce front prend du temps. Le commerce mondial a, en effet, enregistré en avril 2020 une baisse de -16 % par rapport à avril 2019, principalement du fait des pays avancés et notamment de la zone euro. Au premier trimestre, le recul avait été de plus de 5 points. À partir du mois de mai, avec le déconfinement, une progression des échanges est constatée mais elle reste ténue. Pour le mois de juin, les enquêtes PMI soulignent la poursuite du rebond. L’indice est passé de 32,2 à 43,4 du mois de mai à juin après avoir atteint, en avril, un plus bas historique (27,1). Ce niveau d’avril 2020 était inférieur au niveau le plus bas atteint lors de la crise financière mondiale de 2008 (30,6). Par ailleurs, l’indicateur des nouvelles commandes à l’exportation pour la France s’est effondré à 15,6 en avril (point le plus bas historiquement) avant de remonter à 29,2 en mai et à 41,3 en juin. En avril 2020, les exportations françaises ont reculé de -36 % sur un an, record historique faisant suite à un repli de -6,1 % au cours du 1er trimestre, soit plus qu’au quatrième trimestre 2008 (-4,8 %). Les ventes d’avions et de voitures à l’exportation se sont effondrées entre le mois de mars et juin.

Retour à la normale de la consommation des ménages

Dès la sortie du confinement, à la mi-mai, la consommation des ménages avait connu une forte hausse. Elle se situait, en juin, 3 % en-deçà de la normale. L’INSEE souligne que les particuliers continuent à maintenir un haut niveau d’achats en ligne et ont de plus en plus recours au paiement sans contact par carte.

Des phénomènes de rattrapage sont toujours en cours. Ainsi en juin, la consommation en produits manufacturés aurait été supérieure de 6 % à son niveau en situation normale d’activité. Les dépenses en carburants ou en matériels de transport restent très dynamiques. Les ménages auraient tendance à privilégier pour leurs déplacements la voiture au détriment des transports en commun. Les achats de vélo seraient également en forte progression. Les dépenses d’habillement-chaussure seraient revenues à leur niveau normal voire légèrement en-deçà en raison de l’absence des soldes qui interviennent, en règle générale, à la fin du mois de juin.

Par ailleurs, en moyenne sur l’ensemble du mois de juin, les dépenses des ménages en produits agro-alimentaires auraient conservé un dynamisme comparable à celui des mois précédents, même si ces dépenses ont pu connaître des surcroîts ponctuels pendant la période de confinement. Les ménages consomment plus de ce type de produits en raison de la persistance du télétravail et d’une fréquentation moindre des restaurants.

La consommation de services principalement marchands aurait été en juin de 9 % inférieure à une situation normale d’activité. Cette consommation est toujours entravée par les restrictions qui pèsent sur le transport aérien et sur les activités cultuelles.

Dans les services principalement non marchands, la consommation aurait continué à se redresser légèrement, à travers la reprise progressive des soins de ville et de l’enseignement marchand, sans retrouver encore le niveau d’une situation normale d’activité (-17 % de perte de consommation en juin).

Les dépenses liées à la construction et à la rénovation seraient toujours en retrait. Pour la Commission européenne, la perte était évaluée en juin à 31 %.

Pour l’ensemble du deuxième trimestre, la perte de consommation est évaluée à 17 % par rapport à son niveau d’avant crise (soit une diminution trimestrielle de -12 %, après   -5,6 % au premier trimestre).

Une reprise générale au sein des pays de l’OCDE

Les indices d’activité PMI au sein des pays avancés sont en net rebond en se rapprochant des 50 points, marquant la frontière entre récession et expansion.  L’indice PMI dans les services en juin a atteint 47,3 points en zone euro (contre 12,0 points en avril). Il s’élevait à 47,1 au Royaume-Uni et 47,9 aux États-Unis, après un point bas atteint en avril à 13,4 outre-Manche et 26,7 outre-Atlantique. Au sein des pays avancés, les salariés retrouvent progressivement leur bureau. Ainsi, la fréquentation des lieux de travail mesurée par Google reste inférieure à son niveau normal. En juin, elle est en retrait de près de 15 % en Allemagne par rapport à une période de référence prise entre le 3 janvier et le 6 février. Cette diminution était de -19 % en France, de -23 % en Italie et de -27 % en Espagne. Au mois d’avril, la baisse de fréquentation était de -39 % en Allemagne et de -63 % en France.

Des pays émergents fortement touchés

La chute des prix du pétrole a affecté de nombreux pays émergents qui sont également confrontés à la crise sanitaire. Au Brésil, la production industrielle s’est contractée de plus de 25 % en avril (sur un an) et le taux de chômage a atteint 12,9 % en mai (après 11 % fin 2019). En Russie, les ventes au détail ont chuté de près de 20 % sur un an et le taux de chômage a augmenté (6,1 % en mai, contre 4,7 % en mars). En Turquie, la production industrielle a diminué de plus de 20 % sur un an. Dans ces pays, les signes de reprise ne sont pas encore visibles dans les indicateurs habituels.

Une petite amélioration de la situation de l’emploi au sein de l’OCDE

En Allemagne, la hausse du taux de chômage a ralenti en juin, avec une hausse de 0,1 points à 6,5 %, après +0,5 point en mai et +0,8 point entre mars et avril. En Espagne, les données administratives suggèrent une moindre détérioration. Ainsi, le nombre de demandeurs d’emploi a certes augmenté en juin mais avec une amplitude bien moindre que les mois précédents (+5 100 demandeurs en juin après +27 000 en mai et surtout +302 000 en avril). En France, une baisse du nombre de demandeurs d’emploi a été enregistrée en mai de 165 000 personnes (catégorie A). Cette baisse ne compense pas les fortes hausses d’avril et mars, (près de 690 000 demandeurs d’emploi après un peu moins de 140 000). En Italie, le taux de chômage était de 7,8 % en mai après 6,6 % en avril.

Aux États-Unis, entre février et avril, l’économie américaine a détruit 22 millions d’emplois (-14,5 %), selon le Bureau of Labor Statistics (BLS), dont 18,6 millions dans les services privés et 2,4 millions dans l’industrie. L’emploi a rebondi en mai et juin (+2,7 millions d’emplois en mai, dont +3,2 millions dans le secteur privé, le secteur public ayant détruit des emplois en mai, et +4,8 millions d’emploi en juin, essentiellement dans le secteur privé), avec un net rebond dans le secteur de la construction, de la santé ambulatoire et de l’hébergement-restauration, ainsi qu’une stabilisation dans le commerce de détail et l’industrie manufacturière. L’emploi reste néanmoins nettement inférieur à son niveau d’avant-crise. De plus, les destructions d’emplois continuent dans l’industrie minière et pétrolière confrontée à d’autres défis, notamment le krach sur le marché pétrolier lié à une situation de surproduction et de saturation des capacités de stockage.

La menace du reconfinement

La reprise de l’activité économique au sein de l’OCDE est parallèle à la levée des restrictions. Ce processus a débuté fin avril aux États-Unis et en Allemagne puis au cours des deux premières semaines du mois de mai dans le reste de la zone euro. Il s’est ensuite poursuivi à un rythme assez comparable dans les pays européens tout au long du mois de juin, sauf au Royaume-Uni où le déconfinement a été plus tardif. En France, le 22 juin a marqué la réouverture des cinémas et des centres de loisirs, et les activités de sports collectifs ont pu reprendre sous certaines conditions. En Italie, l’ouverture des cinémas s’est faite dès le 15 juin, puis dix jours plus tard les activités de sports de contact ont été autorisées. En Espagne, l’état d’alerte a été levé le 21 juin à minuit, rendant possible toute mobilité sur le territoire national, et les frontières ont été rouvertes aux ressortissants européens.

Des pays confrontés à des foyers endémiques ont été contraints d’instituer des confinements locaux. Ainsi, en Espagne, de telles décisions ont été prises les 4 et 5 juillet, pour la région de la Segrià en Catalogne et quelques localités du comté d’A Marina en Galice. Les entrées et sorties de ces territoires ont été restreintes, de même que la capacité d’accueil des établissements recevant du public. En Allemagne, certains cantons ont dû à nouveau confiner la population, notamment en Rhénanie-du-Nord-Westphalie où seuls les magasins et les restaurants ont pu rester ouverts. Aux États-Unis en revanche, l’épidémie rebondit dans le sud du pays et a conduit plusieurs gouverneurs à maintenir des mesures de restrictions qui concernent désormais près de la moitié de la population.

Mercredi 8 juillet, le Premier Ministre Jean Castex a indiqué que, en cas de reprise de l’épidémie en France, les pouvoirs publics étaient prêts à appliquer des plans de confinement locaux.  A RMC, il a ainsi déclaré « il a toujours été dit, prévu et envisagé qu’il convenait de se préparer à une deuxième vague de l’épidémie » et il a ajouté « j’ai proposé les axes du déconfinement à Édouard Philippe à l’époque mais aussi les principes d’un plan de reconfinement ciblé. On ne va pas faire un plan de reconfinement comme nous avions fait celui du mois de mars. Un reconfinement absolu, comme ce qu’on a connu en mars dernier, aurait des conséquences terribles pour le pays. Nous allons cibler. Et c’est le rôle de l’État, d’anticiper ».

La Commission de Bruxelles toujours en mode pessimiste

La Commission de Bruxelles a révisé, une nouvelle fois, à la baisse, ses prévisions économiques pour 2020 et 2021, en raison d’une période plus longue de confinement au sein de plusieurs États membres. Le PIB de la zone euro devrait chuter de -8,7 % en 2020 (contre 7,7 % prévu en mai) avant de rebondir moins fortement que prévu en 2021 (à +6,1 %). La France, l’Italie et l’Espagne restent les États les plus affectés avec une chute de leur PIB d’au moins 10 %. Selon Bruxelles, l’Italie verrait son PIB reculer de     -11,2 % en 2020, avant de rebondir en 2021 de +6,1 %, le PIB espagnol chuterait quant à lui de -10,9 % en 2020 puis augmenterait de +7,1 % en 2021. Le PIB français pourrait reculer de -10,6 % cette année, avant de s’accroître de +7,6 % l’an prochain. Pour l’ensemble de l’Union européenne, le recul du PIB. Le rebond attendrait 5,8 % en 2021.

 

Trois défis pour la zone euro

L’Union européenne et la zone euro, après l’effet de stupeur, ont plutôt fait preuve de résilience au niveau institutionnel. Sur le terrain économique, la crise sanitaire actuelle constitue néanmoins un nouveau défi pour la zone euro qui a fêté ses vingt ans l’année dernière. Elle doit relever trois défis majeurs : la gestion de son excès d’épargne, les forces centrifuges qui l’animent et le risque de marginalisation dans les hautes technologies.

La question de l’excès d’épargne

Depuis la crise des subprimes, la zone euro a enregistré une croissance plus faible que celle des États-Unis. Ce déficit de croissance s’explique, en partie, par la survenue de la crise des dettes souveraines entre 2011 et 2013. Elle est aussi la conséquence d’un fort recul de l’investissement productif. Si le taux d’épargne a augmenté de 4 points de PIB de 2009 à 2019, ce surcroît a été essentiellement investi en dehors de la zone euro ou en obligations d’État.

Le taux d’investissement qui était de 25 % en 2007 est péniblement remonté à 23 % en 2019 après avoir atteint 20 % en 2013. L’excédent d’épargne dépasse  deux points de PIB quand, au début du siècle, celle-ci était inférieure d’un point de PIB à l’investissement. La progression du capital net est passée en volume de 2,5 % en 2008 à 1,2 % en 2019. L’excès d’épargne est la conséquence du solde positif de la balance des paiements courants, résultat avant tout généré par l’Allemagne et les pays d’Europe du Nord. Les excédents commerciaux sont peu réinvestis dans les entreprises et au sein de la zone euro. Ce phénomène s’est accentué depuis la crise de 2008. Par ailleurs, le vieillissement de la population tend à s’accompagner d’une hausse du taux d’épargne des ménages.

La faiblesse de l’investissement est étonnante au regard des besoins générés par la transition énergétique. Elle suppose entre 2 et 4 points de PIB d’investissement supplémentaires afin de tenter de respecter l’Accord de Paris sur les émissions des gaz à effet de serre.

La dangereuse divergence des États membres

L’unification monétaire a conduit à une spécialisation productive différente selon les pays qui amplifie leur hétérogénéité. L’Allemagne est devenue le centre industriel de la zone euro quand les pays latins se sont spécialisés dans le tourisme. Les écarts de revenus entre l’Allemagne et les États du Sud se sont creusés.

Cette divergence se traduit par l’accumulation des déficits et des dettes dans le Sud de l’Europe sans que des mécanismes de correction puissent les corriger. Au sein d’un État, de tels déficits existent mais sont compensés par le jeu des prestations sociales, des investissements et par la mobilité de la population. Cette divergence alimente le sentiment anti-européen. Au sein des États riches, l’effort consenti pour les autres est jugé trop important. De leur côté, la population des pays d’Europe du Sud estime que la politique européenne est responsable de l’austérité et du chômage.

Le plan de relance élaboré en réponse à la crise de la Covid-19 tire en partie les conséquences de cette divergence pernicieuse. La répartition des 750 milliards d’euros promis s’effectuera non pas en fonction du poids économique de chacun des États mais en fonction des besoins. Même si l’enveloppe budgétaire reste modeste au regard de la situation, celle-ci est un pas vers la mise en place d’actions de soutien à des États en difficulté.

Le décrochage technologique de la zone euro

Si en matière de télécommunication, l’Europe a su, des années 70 aux années 2000, être présente à travers des entreprises comme Nokia, Ericsson, Alcatel ou Siemens, le passage au tout digital ne lui a pas réussi. Des moteurs de recherche aux plateformes de services en passant par les réseaux sociaux, les entreprises américaines et chinoises se partagent le monde. Les barrières linguistiques, l’absence d’un réel marché unifié de capitaux et une moindre prise de risques peuvent expliquer le retard accumulé dans les techniques de l’information et de la communication. Les dépenses totales de recherche et de développement s’élèvent en zone euro à 2,1 % du PIB contre 2,8 % aux États-Unis comme au Japon ou en Chine. Les investissements dans les techniques de l’information et de la communication atteignent 2 % du PIB aux États-Unis contre 1,1 % en zone euro. Pour éviter sa marginalisation, la zone euro doit donc mettre en place une politique économique qui, à la fois, encourage l’investissement, favorise le secteur des hautes technologies et vise à réduire le décrochage du Sud par rapport au Nord.

L’utilisation de l’excès d’épargne pour accélérer la montée en gamme de l’économie européenne et financer la transition énergétique constitue donc une réelle nécessité.