15 août 2020

Le Coin de la Conjoncture

Redémarrage contrasté de l’économie française

Après son arrêt sur image, l’économie française monte en puissance suivant un scénario en « aile d’oiseau », pour reprendre l’expression de la Banque de France. Après un redémarrage vigoureux lié à la fin du confinement, la reprise trouve un rythme de croisière plus mesuré mais permettant semaine après semaine, de combler l’écart d’activité par rapport à la situation normale d’avant-crise.

Dans la note de conjoncture publiée le 10 août dernier, les économistes de la banque de France ont indiqué que l’activité en juillet n’était plus que de 7 % inférieure à celle de la moyenne de ces dernières années. Au mois de juin, l’écart était de 9 %. Pour le mois d’août, la banque centrale considère que l’écart devrait demeurer de 7 %.

Selon les chefs d’entreprise interrogés, l’activité continue de se redresser en juillet, dans l’industrie comme dans les services et le bâtiment, mais à un rythme moins rapide que le mois précédent. Dans l’industrie, l’activité se rapproche de son niveau d’avant-crise dans des secteurs tels que l’agroalimentaire ou la pharmacie, mais reste « très dégradée » dans des secteurs d’activité tels que la métallurgie, l’automobile et la catégorie des autres transports. Dans les services, l’activité est tout aussi contrastée. Sans surprise, le secteur du tourisme et des transports est à la peine en raison de l’absence de touristes étrangers. La restauration commence à retrouver quelques couleurs mais accuse un manque d’activité de 30 %. Les autres activités tertiaires en difficulté sont celles de la location, de la publicité ou des études de marché. En revanche, l’activité est proche de son niveau d’avant-crise dans la réparation automobile ou les services d’information. Dans le bâtiment, l’activité continue de se redresser et se rapproche même de ses niveaux d’avant-crise, mais les carnets de commandes s’effritent.

L’amélioration apparaît fragile pour les économistes de la Banque de France. Les incertitudes liées à l’évolution de l’épidémie rendent difficiles toute prévision pour la rentrée. Dans tous les cas, la Banque de France estime que le PIB de l’Hexagone ne retrouvera pas son niveau d’avant la pandémie, au mieux à la mi-2022. À la lecture de ce rapport, de nombreux commentateurs en ont conclu que la reprise s’essoufflait. En l’état actuel, la prudence est de mise. En effet, avec l’absence de touristes internationaux, le secteur du tourisme ne peut que tourner qu’au ralenti. Premier pays d’accueil pour les touristes étrangers, la France ne peut qu’être touchée quand ces derniers font défaut. Les hôtels, les restaurants, les activités culturelles et de loisirs, les transports connaissent évidemment une situation exceptionnelle. Les Français ont préféré prendre leur véhicule et éviter les lieux collectifs d’hébergement. Par crainte de lendemains qui pourraient déchanter, certains ont même renoncé à leurs vacances.

Le déficit de l’industrie à fin juillet est à mettre sur le compte des problèmes d’approvisionnement, sur la faiblesse de la demande internationale et sur les effets des mesures de distanciation qui réduisent les capacités de production. Le calendrier n’est pas favorable à un retour rapide à la normale. Le déconfinement est intervenu au mois de mai, juste avant l’été, ce qui a conduit les entreprises à ne pas relancer l’ensemble de leurs forces de production. La décision des autorités de garantir les vacances a également joué en ce sens.

La force de la reprise ne sera appréhendable qu’avec la rentrée du mois de septembre. Celle-ci dépendra de l’évolution de l’épidémie et de la restauration de la confiance. Pour les effets du plan de soutien qui sera dévoilé par les pouvoirs publics à la fin du mois d’août, il conviendra d’attendre la fin de l’année, voire le début de l’année 2021, pour en mesurer les effets.

Quelle limite pour les déficits publics ?

En réponse à la crise de la Covid, les pays de l’OCDE ont tous opté pour une augmentation de leurs dépenses publiques, sans précédent en période de paix, et donc de leur déficit public en 2020 et, probablement, en 2021. Les plans de soutien et de relance en cours de préparation ne feront qu’accroître cette tendance. Le plafond de l’endettement admissible a été relevé de manière impressionnante ces trente dernières années. Si au début de 1990, le principe des 60 % du PIB comme limite de l’endettement avait été inscrit dans les tables de la loi, trente ans plus tard, le niveau moyen atteint deux fois cette limite. La crise de la Covid-19 conduit à un essor sans précédent des déficits publics et de l’endettement. Le déficit public passera ainsi de 2019 à 2020 de 2 % à 14 % du PIB au sein des pays de l’OCDE, et la dette publique de 120 à 140 % du PIB. Si la masse monétaire était restée constante ou si elle avait évolué à un rythme modéré, des arbitrages entre les différentes classes d’actifs seraient intervenus. La limite pour un financement sans monétisation aurait été la capacité des agents économiques à détenir davantage de dette publique. Si cette capacité avait été insuffisante, il y aurait eu une forte hausse des taux d’intérêt, jusqu’au point où la politique budgétaire expansionniste aurait provoqué une contraction de la demande. En jouant sur la monétisation, les banques centrales évitent cet écueil. La base monétaire est passée en quelques mois de 14 000 à 25 000 milliards de dollars au niveau de l’OCDE.

La monétisation suppose que les agents économiques, autres que les administrations publiques, acceptent de détenir plus de monnaie liquide. Cette augmentation de la demande de monnaie est favorisée par la baisse des taux qui entraîne l’appréciation des actifs (actions, immobiliers) afin que leur poids relatif reste identique par rapport à la masse obligataire. Celle-ci s’accroît par l’émission d’une quantité croissante d’obligations mais aussi par l’augmentation de la valeur des anciennes obligations, une hausse générée par la baisse constante des taux. Avec les politiques monétaires expansionnistes mises en œuvre depuis une dizaine d’années, l’inflation n’est pas visible dans les prix des biens et service mais dans la valeur des actifs. De 2002 à 2020, le taux d’intérêt moyen des obligations d’État au sein de l’OCDE est passé de 4 à 0 %. Sur la même période, les indices boursiers ont plus que doublé et les prix de l’immobilier, toujours au sein de l’OCDE, ont augmenté de plus de 80 %.

Le processus actuel repose sur un maintien voire sur une baisse permanente des taux d’intérêt afin d’assurer la solvabilité des États et de maintenir constant le poids des différents actifs au sein des patrimoines nationaux. Les risques sont la constitution de bulles spéculatives (en particulier dans l’immobilier et dans les actions) et une forte volatilité. La petite défiance à l’encontre du dollar en juillet s’est traduite par une montée historique du cours de l’or. Une amplification de ces mouvements pourrait entraîner de fortes variations de change qui pourraient avoir de lourdes conséquences. La crise de 1929 est réellement devenue problématique quand les États en sont venus à manipuler le cours de leur monnaie. Avec les changes flottants et le poids du dollar (plus de 65 % des réserves de change), l’économie mondiale est a priori à l’abri de ce type de comportement mais des interventions publiques de nature protectionniste pourraient néanmoins créer des chocs non négligeables.

La bataille de la croissance potentielle est lancée

Les économistes pour estimer les capacités de croissance d’une économie au-delà des fluctuations conjoncturelles recourent au taux de croissance potentielle. Cette dernière est calculée à partir des valeurs structurelles de l’économie : les niveaux des facteurs de production (stock de capital, population active, taux d’emploi, productivité globale des facteurs). Ces valeurs sont estimées à partir des tendances passées ou sur la base de modélisations économiques permettant d’intégrer leur évolution à venir. En diminuant la taille de la population active, le vieillissement de la population joue contre la croissance potentielle tout comme un sous-investissement ou une destruction de capital provoquée par un grand nombre de faillites.

Avant la crise de la Covid, la croissance potentielle (les gains de productivité) était déjà faible. En France, elle se situait autour de 1,2 % en 2019, avec des gains de productivité ne dépassant pas 1 point. Depuis le mois de mars, la croissance se situe autour de 0,3 point avec une productivité par tête qui a diminué de 4 %. Ce phénomène avait été constaté lors de la crise des subprimes, tant en France qu’au sein de la zone euro. La croissance potentielle n’a pas retrouvé son niveau d’avant-crise. Elle a perdu près d’un point.

Tout particulièrement en France, la crise de 2008 a réduit la taille de l’industrie qui est logiquement créatrice de gains de productivité plus élevés que le secteur tertiaire. L’augmentation du nombre de retraités suppose un relèvement de la croissance potentielle tout en ayant conscience que le vieillissement joue contre celle-ci. En 1998, la population des plus de 65 ans représentait 26 % de la population des 20/64 ans. En 2020, ce ratio est de 35 % et devrait atteindre 45 % en 2030.

Le gouvernement français doit mener une bataille contre la montre pour empêcher l’arasement de la croissance potentielle. Si celle-ci ne pouvait être relevée, le financement des dépenses publiques, en premier lieu celles liées aux prestations sociales, deviendrait de plus en plus inconfortable.

Le gouvernement dispose de plusieurs moyens pour contrer l’altération de la croissance. Il peut éviter les faillites d’entreprise qui aboutissent à la destruction du capital productif, ce qui amène par ricochet une diminution des gains de productivité. La crise de 2008 s’était traduite par plus de 65 000 faillites par an jusqu’en 2015. L’action des pouvoirs publics depuis le début de la crise sanitaire a été de tenter de réduire leur nombre, notamment avec les Prêts Garantis par l’État (PGE). Cette politique a trois effets négatifs. Les PGE permettent de gagner du temps sans obligatoirement régler le problème pour autant. Les entreprises sont censées rembourser un jour ou l’autre, ce qui suppose qu’elles disposeront de marges suffisantes pour le faire. Cette politique permet ainsi à des entreprises fragiles, non rentables, de perdurer (« entreprises zombies »). Elle aboutit ainsi à freiner la diffusion du progrès technique, pèse sur les gains de productivité et donc sur la croissance, contrairement à l’objectif affiché. Troisièmement, cette politique a un coût important pour les pouvoirs publics qui auraient pu investir plus utilement dans les secteurs d’avenir. Entre 2007 et 2016, le taux de chômage est passé, en France, de 7,5 à 12 %. Cette augmentation a eu de lourdes conséquences sociales et a fragilisé la croissance tant au niveau de la consommation que par l’attrition de la population active en emploi. Afin de ne pas rééditer l’expérience, les pouvoirs publics se sont inspirés du modèle allemand et ont, en 2020, opté pour un vaste plan de chômage partiel. Durant la crise sanitaire, à un moment ou un autre, plus de 13 millions de salariés français ont été concernés par ce type de chômage.

Les pouvoirs publics jouent sur l’emploi et le chômage pour empêcher la destruction du capital humain, un chômage élevé signifie un faible taux d’emploi, ce qui réduit le PIB potentiel. Cette situation constitue une des faiblesses majeures de la France. Le taux d’emploi est depuis vingt ans l’un des plus faibles de la zone euro. Durant la crise des subprimes, il était tombé à 62 %. Depuis, il est remonté à 66 %. Au sein de la zone euro, il s’élevait, à 68% en 2019. En Allemagne, il atteint plus de 78 %. Entre 2008 et 2014, les entreprises ont eu recours au chômage technique mais en imposant aux salariés des formations afin de faciliter leur redéploiement au moment du redémarrage de l’économie. L’entreprise de robots de Stuttgart, Trumpf, a ainsi maintenu l’emploi de ses 4 000 salariés malgré un arrêt des commandes entre 2008 et 2010, et une baisse de son chiffre d’affaires de 40 % entraînant une perte de 70 millions d’euros. L’entreprise avait, revanche, accru son effort de recherche/développement, de plus de 7 % du chiffre d’affaires. La direction a décidé de s’engager dans la production de plateaux d’opération utilisant la technique du laser pour les cliniques et les hôpitaux. La moitié du personnel a été formée afin de pouvoir fabriquer et vendre ces nouvelles machines. Dès 2011, l’entreprise a renoué avec les bénéfices.

Cet exemple illustre la nécessité pour les pouvoirs publics de veiller à la bonne santé financière des entreprises et d’encourager l’innovation ainsi que l’investissement. La France se caractérise par un niveau de profits après taxes, intérêts et dividendes assez faible. Ceux-ci s’élevaient à 11,5 % du PIB contre 13,5 % au sein de la zone euro. Avec la crise, l’écart devrait s’accroître. Les premières prévisions indiquent que ce taux de profits ne dépasserait pas 10 % du PIB en France, contre 13 % en zone euro. La dette des entreprises françaises et la faiblesse de leurs fonds propres peuvent également constituer une faiblesse. La dette des entreprises représente plus de 75 % du PIB en 2019 contre 50 % en 1998. Ces dernières ont accru le recours aux emprunts profitant des taux bas. Cette stratégie peut se retourner contre elles en période de forte baisse de la demande. Le taux d’investissement en France comme au sein de la zone euro était, en 2019, à peine revenu à son niveau d’avant la crise de 2008. Un retard de 12 ans s’est accumulé expliquant le recul de compétitivité des entreprises européennes par rapport à leurs homologues américaines.

La politique des taux bas est une fois de plus le meilleur ennemi de l’économie en encourageant à l’endettement et en ne permettant pas le tri entre les entreprises. Contrairement aux espoirs des banquiers centraux et des gouvernements, les faibles taux d’intérêt n’ont pas réellement réussi à relever le taux de croissance potentielle. Il risque d’en être de même avec la crise sanitaire. Les pouvoirs publics devraient centrer leurs politiques sur la recherche et développement, la formation et les infrastructures.