14 novembre 2020

Le Coin de la Conjoncture

Une baisse d’activité croissante pour le deuxième confinement

Après un bon troisième trimestre (+18,2 %), l’activité économique en France est, en rechute avec le deuxième confinement. La Banque de France estime que le recul d’activité devrait atteindre 12 % en novembre, cette prévision étant un peu plus faible que celle du ministère de l’Économie (-20 %). L’une comme l’autre ne prend pas en compte le maintien éventuel d’un confinement en décembre qui aurait des effets bien plus importants par effets cumulatifs et par le fait que la fin d’année est cruciale pour la réalisation du chiffre d’affaires dans de nombreux secteurs.

En octobre, l’activité en France était en retrait en raison du durcissement des mesures sanitaires et du poids des incertitudes économiques. Au niveau de l’industrie, le taux d’utilisation des capacités de production en octobre était de 73 %, contre 79 % avant la crise. Avant le confinement, une légère progression était observée dans l’automobile (de 71 à 73 % de septembre à octobre). Si elle perdurait, la fermeture des concessions devrait provoquer l’arrêt des sites de production et donc se traduire par une forte montée du chômage partiel dans ce secteur. Dès le mois d’octobre, la production chimique était orientée en baisse (de 77 à 75 %), tout comme celles de la métallurgie (de 67 à 66 %) et de l’habillement (de 69 à 68 %). Si l’industrie pharmaceutique fonctionne à plein régime (taux d’utilisation des capacités de production de 81 %), en revanche le secteur aéronautique est à 65 % de ses capacités. Avant le deuxième confinement, la situation dans les services était très diverse en fonction des secteurs. La restauration et l’hébergement étaient en nette sous-activité (47 % de l’activité normale pour l’hébergement et 62 % pour la restauration en octobre), l’édition, les services d’information ou les activités juridiques et comptables avaient retrouvé un niveau normal. Au total, les services marchands fonctionnaient à 87 % en octobre, contre 89 % en septembre. Dans le bâtiment, l’activité en octobre était proche de la normale.

Dans le cadre de l’enquête mensuelle de la Banque de France en octobre, les chefs d’entreprise ont indiqué que leur trésorerie se dégradait et qu’elle était inférieure à son niveau d’avant crise. Avec le reconfinement, ils s’attendent à une chute d’activité pour le mois de novembre. Le repli serait modéré dans l’industrie et le bâtiment et serait beaucoup plus marqué dans les services, à l’exception de certains services aux entreprises. Les effets de ce deuxième confinement seront moindres en raison de l’expérience acquise avec le premier et des modalités moins strictes. Plusieurs secteurs devraient néanmoins être fortement touchés : la restauration, l’hébergement, le commerce de détail (produits non-essentiel), les transports, la location de voitures, etc. Plus le confinement durera, plus la baisse d’activité s’accentuera en raison des difficultés rencontrées pour écouler la marchandise produite.

Selon la Banque de France, le deuxième confinement aura comme conséquence une contraction d’activité de 12 % pour le mois de novembre. Lors du premier confinement, la perte était de 31 % pour les semaines du mois d’avril. Selon le gouverneur de la Banque de France, le PIB devrait reculer entre 9 et 10 % cette année.

Une dette de moins en moins coûteuse à court terme

A la fin de l’année, la dette publique française devrait représenter 119,8 % du PIB, contre 98,1 % en 2019. Avec le deuxième confinement, la barre des 120 % pourrait être franchie dès cette année. Cette envolée de la dette, conséquence de celle du déficit public qui devrait être de 10 % du PIB en 2020, contraint l’État à émettre un volume croissant d’obligations, d’autant plus qu’il doit refinancer le stock de dettes arrivant à échéance. En 2020 comme en 2021, le montant des OAT (obligations assimilables du Trésor) représentera environ 260 milliards d’euros, un niveau sans précédent et supérieur à celui des recettes fiscales nettes. Avec la contraction du PIB, elles ne devraient pas dépasser cette année 250 milliards d’euros en 2020. Pour l’année 2021, le ministère des Comptes publics espère engranger 270 milliards de rentrées d’impôts. En 2008, avant la crise des subprimes, le montant des emprunts était deux fois inférieur. Au moment de la crise des dettes souveraines, les recettes fiscales s’élevaient à 284 milliards quand les émissions de titres publiques étaient de 168,8 milliards d’euros.

Cette augmentation des émissions publiques s’accompagne d’un mouvement de baisse des intérêts à payer. Le quatrième projet de loi de finances rectificative pour 2020 a ramené à 35,8 milliards d’euros (en comptabilité budgétaire), contre 36,4 milliards d’euros annoncés en septembre et 38,1 milliards prévus il y a un an le montant des intérêts à payer par l’État. Le poids de la charge de la dette a été divisée par deux entre 1999 et 2019 passant de 3 à 1,5 % du PIB malgré un accroissement de 1000 milliards d’euros de la dette publique. Pour 2021, une légère remontée de la charge de la dette à 36,4 milliards d’euros est attendue en raison d’une très légère appréciation des taux. Le FMI comme la Commission de Bruxelles estiment de leur côté que cette hausse sera minime et ne devrait pas avoir de conséquences sur le coût de la dette des pays occidentaux.

Le poids croissant de la dette dans la comptabilité budgétaire aura comme conséquence une gestion publique soumise de plus en plus aux aléas de taux. A partir du moment où la première ressource est de nature obligataire et non fiscale, les banques centrales sont les tenancières des finances publiques tout en étant otages. Toute modification de la politique monétaire a des conséquences budgétaires et de solvabilité. En cas de résurgence de l’inflation ou de dépréciation du taux de change, les banques centrales devront arbitrer entre deux maux. En raison de son statut confédéral, la Banque centrale européenne sera celle où les arbitrages seront les plus complexes à réaliser.

La bataille économique de l’après-crise sanitaire est déjà lancée

Le processus de concentration devrait s’accélérer avec la crise sanitaire, non seulement au sein des secteurs d’activité mais aussi au niveau international. Les pays les plus compétitifs dégageant des excédents au niveau de leur balance des paiements courants devraient contrôler une part plus importante des capitaux économiques au détriment des pays les moins compétitifs. La Chine, le Japon, la Corée du Sud, l’Allemagne, ainsi que les États d’Europe du Nord et de l’Est devraient ressortir gagnants. La France, l’Italie et l’Espagne sont dans une situation plus délicate. Les États-Unis demeurent à part en raison du rôle joué par le dollar et par leurs multinationales.

La crise de la Covid a entraîné une perte de fonds propres pour les entreprises, avec le recul des profits et une hausse de l’endettement des entreprises. Au sein des pays de l’OCDE, la progression du crédit aux entreprises est passée de 4 à 17 % de la fin 2019 à la mi-2020.

En sortie de crise sanitaire, face à la dégradation de leur situation financière, les entreprises souhaiteront redresser rapidement leur profitabilité. Les profits après taxes et dividendes qui dépassaient 13 % du PIB en 2019 devraient repasser en-dessous de 11 % en 2020 et 2021. Cette baisse sera sans nul doute compensée sur deux ou trois ans. Cette volonté pourrait aboutir en cas de maintien de faibles gains de productivité à une déformation du partage des revenus au détriment des salariés, comme cela a été constaté après la crise des subprimes.

La volonté de redressement de la profitabilité peut également conduire à une réallocation géographique du capital. Au sein de l’Union européenne, cette situation pourrait profiter aux pays d’Europe de l’Est qui combinent des coûts salariaux faibles, un pression fiscale faible, des compétences élevées de la population active et une sécurité relative, en particulier au niveau juridique.

Le coût horaire moyen dans les pays d’Europe de l’Est est de 12 dollars contre 43 aux États-Unis et 40 en France et en Allemagne. Les impôts sur les entreprises représentent 8 % du PIB dans les pays d’Europe de l’Est comme aux États-Unis, contre 17 % du PIB en France. Au niveau des compétences de la population active mesurées par l’OCDE (enquête PIAAC), les pays d’Europe Centrale et Orientale (PECO) devancent nettement la France (score de 269 contre 258).

À la sortie des crises des subprimes et des dettes souveraines, comme en Italie et en Espagne, la France avait enregistré une baisse de l’investissement des entreprises et de l’investissement direct en provenance de l’étranger, signes manifestes d’une perte d’attractivité.

Depuis 2003, l’industrie s’est concentrée en Allemagne et dans les PECO au détriment de la France, de l’Italie et de l’Espagne. Les pouvoirs publics doivent éviter la reproduction de ce phénomène qui pourrait aboutir à la fin de l’industrie française. Celle-ci est, en effet, particulièrement exposée à la crise.

Avant la crise du covid-19, la France pouvait compter sur quelques secteurs d’activité pour lesquels elle disposait d’avantages comparatifs indéniables. L’aéronautique-espace, le luxe, la pharmacie, l’agro-alimentaire, le tourisme et la finance constituaient la colonne vertébrale du pays. En revanche, ces vingt dernières années, l’industrie automobile a fortement reculé du fait des délocalisations. La France n’occupe plus que la sixième place en termes de production alors qu’au début du siècle elle se classait deuxième derrière l’Allemagne. Notre pays maintient avec difficulté son rang dans la construction navale et ferroviaire. Le luxe, l’aéronautique et les produits pharmaceutiques compensent la moitié du déficit commercial concernant les biens manufacturiers. Sans ces produits, ce déficit dépasserait 100 milliards d’euros. Les touristes étrangers sur notre territoire génèrent une dizaine de milliards d’euros d’entrées chaque année. Si de 2003 à 2019, la production manufacturière a reculé de 10 % en France, celle de l’industrie aéronautique avait progressé de 80 % sur la même période. Depuis 2008, les déficits commerciaux, hors secteurs phares de l’économie française, se dégradent en lien avec le recul de la production manufacturière.

Plusieurs questions se posent pour la France. Dans combien de temps l’épidémie sera-t-elle enrayée et cela signifiera-t-il le retour à la normale, en particulier en ce qui concerne l’activité touristique ? Le trafic aérien est passé en quelques semaines de 400 millions de passagers/mois à 100 millions. En 2019, la France avait accueilli plus de 89 millions de passagers. Cette année, le nombre devrait se situer entre 10 et 20 millions. Le secteur du luxe, qui est très dépendant des visiteurs internationaux, a enregistré une baisse de son chiffre d’affaires depuis le début de l’année de 15 %. Un non-retour à la normale rapide pourrait occasionner d’importantes destructions de postes sachant que les secteurs de l’aéronautique, des transports, de l’hôtellerie et de la restauration représentent plus de 12 % de l’emploi total.

Les industries agroalimentaire et pharmaceutique n’occupent que 2 % de la population active en France et ne pourront à eux seuls assurer le plein emploi et l’équilibre du commerce extérieur. L’objectif central de la politique économique devrait donc être de faciliter l’émergence de nouveaux secteurs forts, en particulier dans la transition énergétique (batteries électriques du futur, hydrogène, bio-carburants, capture du carbone, éolien offshore, etc.), dans l’intelligence artificielle ou les objets connectés.