16 janvier 2022

Le Coin de la Conjoncture – Union européenne -transition énergétique – finances publiques – Etats émergents

L’Union européenne, quelles marges de progression ?

Depuis le 1er janvier 2022, la France assure la présidence de l’Union européenne. Cette présidence ne s’assimile pas à l’exercice d’un pouvoir exécutif ; elle offre un rôle d’influence. Elle permet au gouvernement de faire figurer dans le calendrier de travail de l’Union des dossiers qu’il juge prioritaire, sous réserve de l’accord des autres États membres. L’Union européenne est éloignée de de la France dans son mode de fonctionnement. Elle sur la négociation, le consensus, l’horizontalité quand la France demeure un État jacobin et donc vertical. Six mois est une période très courte pour générer une impulsion d’autant plus que la France sera en campagne électorale durant plus de trois mois. Sur le terrain économique, la présidence française devra gérer la sortie de l’état de crise épidémique en veillant à renforcer l’indépendance de l’Europe dans les secteurs jugés sensibles. La mise en place de nouveaux critères budgétaires sera un exercice périlleux. Avec le plan de relance, l’Union européenne a pris une nouvelle dimension fédérale qui n’est pas sans poser des problèmes de gouvernance. Les six mois de la présidence française ne permettront guère d’avancer sur ce terrain mais ils ne sont pas sans conséquence dans le processus d’affirmation de l’unité européenne.

De la zone euro à l’Union européenne, un système unique à deux vitesses

La construction européenne s’est réalisée par étapes. L’unité étant difficile à imposer, les gouvernements ont souvent pratiqué l’art du chemin de traverse. De 1954 à 1967, la construction européenne avait plusieurs têtes, la CECA pour le charbon et l’acier, Euratom pour le nucléaire et la CEE pour le marché commun. L’Union européenne instituée par le Traité de Maastricht en 1991 visait à concrétiser un nouveau pas dans l’Union. Trente ans plus tard, force est de constater que la marche n’a pas été franchie par tous les États. La zone euro comporte 19 États membres, laissant dehors huit États. Plusieurs des non-membres tout en respectant l’ensemble des critères, comme la Pologne ou la République tchèque, refusent d’intégrer l’union monétaire, contrairement à l’esprit du Traité de 1991. L’existence de deux espaces au sein de l’Union européenne est une source de complexité surtout en période de crise. Une zone monétaire suppose une forte intégration économique et financière dont les non-membres ne souhaitent pas en entendre parler. Cette situation freine le processus de décisions en matière de coordination fiscale ou de mobilité des capitaux.

Depuis la crise des subprimes (2008-2009), la zone euro souffre d’une faible mobilité des capitaux et d’une renationalisation des financements publics. L’excédent d’épargne de l’Allemagne et des Pays-Bas, issu du solde positif de leur balance des paiements courants ne finance plus les déficits extérieurs des autres pays. Cette épargne est désormais placée en-dehors de l’Union européenne. L’Allemagne et les Pays-Bas dégagent en moyenne entre 5 et 7 % de leur PIB d’excédents au niveau de la balance des paiements courants qui couvraient les déficits des pays notamment d’Europe du Sud jusqu’à la crise grecque. Celle-ci a mis un terme à ce processus. Les épargnants allemands et néerlandais, jugeant le risque important, ont privilégié les placements au sein des pays émergents et aux États-Unis. Cette réorientation des excédents allemands et néerlandais a contraint les États d’Europe du Sud à rééquilibrer leur comptes publics et extérieurs. La conséquence en a été une plus faible croissance avec notamment une diminution de l’investissement. Le taux d’investissement au sein de la zone euro est passé de 24 à 22,5 % du PIB de 2007 à 2021, le taux d’épargne augmentant sur la période de plus de trois points (28 % du PIB en 2021). La disparition du recyclage interne des excédents est nuisible à la croissance européenne et met à mal le principe de solidarité d’autant plus qu’une partie des excédents est issue de la consommation des pays d’Europe du Sud.

La divergence des États membres

Le bon fonctionnement d’une zone monétaire suppose la convergence des économies des États membres. Or, depuis une dizaine d’années, le phénomène inverse est constaté. La zone euro est en proie à un processus de spécialisation. Depuis 1999, si le poids de l’industrie dans le PIB est resté stable en Allemagne (20 %), il a diminué pour les États d’Europe du Sud. Pour l’Espagne, il est passé de 15 à 10,5 % de 1999 à 2021 et de 12 à 10 % pour la France. L’Europe du Sud, France comprise, est de plus en plus dépendante du secteur tertiaire et notamment des services dits domestiques (services à la personne, tourisme, etc.). Cette spécialisation amène à une divergence des revenus par habitant et des niveaux de vie. L’écart de PIB par habitant entre l’Allemagne et les États d’Europe du Sud s’accroît depuis 2009. En 2021, il est de 15 % pour le France, contre 8 % en 1999. Pour l’Italie, les valeurs respectives sont 30 % et 20 %, pour la Grèce, 60 et 50 %. Si l’Espagne avait réussi à réduire son écart de PIB par habitant entre 1999 et 2007 (de 50 à 30 %), en quatorze ans, la totalité de ce gain a été annulée. Cette divergence contribue à l’essor du sentiment anti-européen au sein de l’électorat des pays d’Europe du Sud. Elle alimente les tensions sociales.

L’absence de coordination fiscale

Certains pays ont baissé de manière unilatérale les cotisations sociales des entreprises pour gagner de la compétitivité au détriment des autres. Ce fut le cas de l’Allemagne au début des années 2000, de l’Espagne après la crise des subprimes et de la France de manière périodique avec la politique des allègements des charges sociales ou leur transfert sur la CSG. Les cotisations sociales sont ainsi passées de 11,5 à 10 % du PIB en France de 2017 à 2021 quand, sur le période, elles sont en augmentation en Allemagne (de 6,5 à 7,5 %) en Espagne (de 9 à 10 %) et en Italie (de 8 à 9 %). La France, pour atténuer son coût élevé du travail a transféré les cotisations chômage et maladie sur la CSG et a accru le déficit de ces régimes sociaux. La gestion des cotisations sociales remplace en partie les dévaluations que les États en peine de compétitivité pratiquaient avant l’instauration de l’euro. Les déficits servent désormais de variable d’ajustement. Le niveau de l’endettement pourrait, dans les prochaines années, réduire les marges de manœuvre des gouvernements en la matière. Les États vertueux pourraient également être plus vigilants vis-à-vis de telles politiques de gains de compétitivité. Ces dernières sont de nature non-coopératives. Au sein de la zone euro, le taux moyen d’imposition des bénéfices est passé de 42 à 27 % de 1999 à 2021. Plusieurs États ont également remis en cause les règles de la TVA qui fait pourtant l’objet de directives visant à harmoniser les assiettes et à établir des grilles de taux. Pour les cotisations sociales, il n’y a pas de coordination du fait de l’opposition des États d’Europe de l’Est (travailleurs détachés), États qui, ne font pas partie de la Zone euro (Pologne, Roumanie, etc.).

Certains pays ont baissé de manière unilatérale les cotisations sociales des entreprises pour gagner de la compétitivité au détriment des autres. Ce fut le cas de l’Allemagne au début des années 2000, de l’Espagne après la crise des subprimes et de la France de manière périodique avec la politique des allègements des charges sociales ou leur transfert sur la CSG. Les cotisations sociales sont ainsi passées de 11,5 à 10 % du PIB en France de 2017 à 2021 quand, sur la période, elles sont en augmentation en Allemagne (de 6,5 à 7,5 %) en Espagne (de 9 à 10 %) et en Italie (de 8 à 9 %). Pour atténuer son coût élevé du travail, la France a transféré les cotisations chômage et maladie sur la CSG et a accru le déficit de ces régimes sociaux. La gestion des cotisations sociales remplace en partie les dévaluations que les États en peine de compétitivité pratiquaient avant l’instauration de l’euro. Les déficits servent désormais de variable d’ajustement. Le niveau de l’endettement pourrait, dans les prochaines années, réduire les marges de manœuvre des gouvernements en la matière. Les États vertueux pourraient également être plus vigilants vis-à-vis de telles politiques de gains de compétitivité. Ces dernières sont de nature non-coopératives.

Comment changer la donne au sein de la Zone euro ?

L’Allemagne et les Pays-Bas ont arrêté de prêter leur excès d’épargne aux autres pays de la zone euro en raison de la méfiance que leur inspirent les États d’Europe du Sud. Ils jugent que ces pays ne sont pas en capacité de rembourser les emprunts souscrits au vu de leur croissance qui est faible. La forte augmentation de la dette publique des États de la zone euro hors Allemagne et Pays-Bas a été rapide depuis 1999, passant de 80 à plus de 120 % du PIB, celle des ménages et des entreprises passant de son côté de 90 à 165 % du PIB.

Le rétablissement des circuits de financement et de la mobilité des capitaux exige celui de la confiance. L’instauration de nouveaux critères budgétaires et la mise en place de projets budgétaires communes sont des éléments qui pourraient contribuer à l’amélioration de la confiance de part et d’autre. Comme le souligne la Banque Centrale Européenne, la création d’un marché unifié de capitaux suppose la mise en place d’établissements financiers paneuropéens, ce qui suppose que les Banques Centrales nationales laissent circuler la liquidité entre les pays à l’intérieur de ces banques, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Si l’unification monétaire, avec la disparition du risque de change, a conduit à la divergence des spécialisations productives des pays, celles-ci ne doivent pas être une fatalité. Les États d’Europe du Sud, dont la France, doivent restaurer leurs capacités industrielles en élevant leur niveau de gamme. Cette condition est nécessaire pour réduire les déficits commerciaux et atténuer la dépendance au tourisme et aux services domestiques.

Pour limiter la concurrence sociale et fiscale et pour organiser des transferts entre États membres, la mise en place d’un étage de protection sociale européen constitue une solution intéressante même si elle n’est pas encore à l’ordre du jour. L’indemnisation du chômage pourrait être ainsi réalisée au niveau européen. Une caisse sociale européenne pourrait être également créée pour les travailleurs détachés ou expatriés. La mise en place de standards sociaux européens, concernant, par exemple, le salaire minimum ou le niveau de protection sociale (santé, chômage, etc.) pourrait être imaginé. De fait, le salaire minimum varie de 330 à 2200 euros au sein de l’Union.

L’adoption de telles réformes suppose certainement de passer de l’unanimité à la majorité qualifiée pour les décisions budgétaires et fiscales. Les États membres devraient revoir les modalités d’application de la subsidiarité. Les décisions d’un État ne générant pas d’externalités à l’encontre des autres États membres peuvent échapper à la coordination européenne ; à l’inverse, dès qu’il y a externalité, la compétence pourrait remonter à Bruxelles.

Transition énergétique et croissance, les termes du débat

En 2020, les émissions de gaz à effet de serre ont diminué en raison des confinements imposés par la crise sanitaire. Avec la reprise économique, elles sont reparties à la hausse. Pour certains, le respect des engagements climatiques internationaux (neutralité carbone nette en 2050) ne peut que passer par une réduction du PIB mondial car les acteurs économiques sont dans l’incapacité d’améliorer l’efficacité énergétique de la croissance. D’autres espèrent que l’accélération des investissements permettra une décarbonation des activités économiques. Pour faciliter la réalisation des infrastructures nécessaires, l’épargne devrait être privilégiée à la consommation, ce qui suppose un réel changement de mode de vie en Occident.

De 1995 à 2021, les émissions mondiales de CO2 sont passées de 22 000 millions de tonnes à 34 000 millions de tonnes. En 2020, la contraction du fait de la pandémie a été de 2 000 millions de tonnes, conséquence d’un recul de plus de 3 points du PIB mondial. Avec la reprise de l’activité, ce gain a été effacé en moins d’un an.

Depuis quarante ans, l’obtention d’un point de croissance nécessite de moins en moins d’énergie. Cette amélioration de l’efficacité énergétique n’est pas suffisante pour réduire le volume global des émissions de CO2 du fait de l’augmentation de la population et d’un recours important aux énergies carbonées. Depuis 1995, l’efficacité énergétique s’est améliorée de 25 % quand, sur la même période, le ratio de CO2/consommation totale d’énergie n’a diminué que de 4 %.

Pour satisfaire les obligations de réductions d’émission de CO2, une contraction du PIB serait donc la seule solution. Celle-ci est en l’état inacceptable pour les pays émergents et en développement qui sont, par ailleurs, ceux dont la population augmente fortement. L’attrition du PIB  est également un casus belli au sein des pays avancés qui doivent faire face au vieillissement de leur population et à une demande sociale en forte augmentation. En France, la crise des « gilets jaunes » en 2018 a souligné la difficulté d’appliquer une taxe carbone. La transition énergétique est en outre coûteuse sur le plan budgétaire et suppose donc la mobilisation importante de crédits.

L’autre voie possible consiste à accroître les investissements afin de concilier la croissance et la décarbonation avec, comme prérequis, une rentabilité des investissements sous le double angle de la transition énergétique et de la productivité. Cette option suppose l’un effort d’investissement accru et une orientation voire une augmentation de l’épargne. Une affectation différente de l’épargne peut avoir comme conséquences de moindres ressources pour financer par exemple des dépenses sociales, des dépenses en faveur de l’emploi, etc. Compte tenu des besoins en matière de retraite, de santé, de formation et de sécurité, les marges de manœuvre pour les pouvoirs publics sont faibles. Il est possible de réduire les ressources dévolues aux investissements extérieurs à la zone euro.

Les besoins de financement pour la transition énergétique nécessiteraient, selon l’économiste Patrick Artus, une augmentation de 4 points du taux d’investissement au sein de la zone euro qui s’élevait fin 2021 à 26 %. Cette augmentation permettrait la réalisation d’équipements pour la production et le stockage des énergies renouvelables, pour la décarbonation de l’industrie et pour la rénovation thermique des bâtiments et logements. Cet effort d’investissement s’accompagnerait d’une destruction de capital avant même son amortissement. Des équipements en lien avec les énergies fossiles seraient déclassés tout comme une partie des moyens de transports (véhicules terrestres, navires, aéronefs). Sauf à opter pour un financement monétaire avec les risques induits en termes d’inflation et de dépréciation monétaire, la mobilisation de capitaux pour la transition énergétique devrait générer une diminution des autres investissements et une contraction de la consommation, ce qui serait également vécu par les populations concernées comme une décroissance. Une telle option serait un changement de cap, la consommation ayant plus que doublé à l’échelle mondiale de 1995 à 2021. Pour financer la transition énergétique, les pouvoirs publics pourraient augmenter la fiscalité avec l’introduction d’une taxe carbone ou d’un impôt sur la fortune écologique. La conséquence de telles mesures serait une diminution de la consommation. Les gouvernements pourraient enfin prendre des mesures incitatives afin d’orienter plus fortement l’épargne des ménages et des entreprises vers des investissements accélérant la transition énergétique.

L’option de l’investissement peut s’avérer à moyen terme favorable à la croissance par les gains de productivité qui seront générés, et permettre ainsi un retour à une croissance de la consommation. La croissance exige que l’ensemble des États jouent le jeu et que d’importantes innovations rendent possible une diminution sensible des émissions de CO2 ou à défaut leur captation.

Comment assurer la soutenabilité des dettes publiques ?

En 2022, les États membres de la zone euro auront encore des déficits publics structurels importants en raison de la persistance de la menace sanitaire et de l’application du plusieurs plans pris lors de ces deux dernières années. La question du rétablissement des comptes publics se posera certainement durant le second semestre avec, en perspective, une sortie de la politique monétaire exceptionnelle mise en œuvre depuis 2020 par la Banque centrale européenne. En parallèle, les États européens devront circonvenir leur déficit structurel avec en ligne de mire le respect des nouveaux critères budgétaires qui devraient être adoptés avant la fin du mois de décembre. Pour la France, l’Espagne et l’Italie, le déficit structurel était de 4 % du PIB en 2021, contre 2 % pour l’Allemagne. Le retour à l’équilibre pour les pays d’Europe du Sud sera un exercice difficile. Une augmentation des taux pourrait conduire à un renchérissement sensible de la dette à partir de 2023 imposant un assainissement des comptes publics. Actuellement, les banques centrales de l’Union européenne acquièrent jusqu’à 50 % des titres publics. L’encours total des obligations détenues par le réseau des banques centrales a atteint 5 000 milliards d’euros à la fin 2021, contre moins de 3 000 avant la crise sanitaire et moins de 500 avant celle des subprimes.

Les États d’Europe du Sud espèrent que les futurs critères de convergence budgétaire seront plus souples que les anciens avec la possibilité, par exemple, de financer par la dette publique certains investissements dans la transition énergétique. L’Allemagne pourrait être plus accommodante que dans le passé sur ce sujet.

Si la Banque Centrale Européenne achète moins de dettes publiques, il faudra assurer la soutenabilité de la dette publique, ce qui nécessite, quel que soit le taux d’intérêt, un déficit public inférieur au produit de la dette publique par la croissance en valeur de long terme, soit environ selon Patrick Artus :

  • 4,2 points de PIB pour l’Espagne ;
  • 3,2 points de PIB pour la France ;
  • 2,8 points de PIB pour l’Allemagne ;
  • 2,2 points de PIB pour l’Italie.

Les dettes publiques des différents États membres ne sont pas toutes semblables. Celle de l’Allemagne représente 70 % du PIB quand celles de la France, de l’Espagne et de l’Italie dépassent 110 % du PIB. Au niveau de l’évolution du PIB, l’Allemagne a été moins touchée par la crise sanitaire que les pays d’Europe du Sud mais connait une reprise plus terne. La France lourdement touchée en 2020 enregistre, en revanche, un net rebond.

La réduction des déficits passe notamment par une croissance nominale élevée sans qu’il y ait hausse des taux d’intérêt nominaux. Une augmentation des gains de productivité associée à une inflation plus importante qu’auparavant sans une totale compensation sur les taux d’intérêt est la meilleure solution pour la décrue de la dette. Une augmentation d’un point de croissance potentielle autoriserait les États à maintenir un niveau de déficit plus élevé. Pour la France, le gain serait d’au moins un point de PIB.

L’autre moyen pour résorber les déficits est de jouer sur les dépenses publiques. Les pouvoirs publics devraient effectuer des arbitrages en particulier en matière de dépenses sociales. Au sein de l’Union européenne, la tendance est plutôt inverse. Depuis le début de la crise sanitaire, les gouvernements ont annoncé des augmentations de crédits en faveur de la santé, de la recherche, de l’éducation, de la réindustrialisation ou de la transition énergétique. Les dépenses publiques, stables au sein de la zone euro, sauf en France, de 2010 à 2020, se sont remises à progresser à grande vitesse avec la crise sanitaire (hausse de plus de 10 % en deux ans).

Une réduction des dépenses publiques suppose une amélioration sensible de la productivité dans les services publics. La notion de productivité en matière de dépenses publiques est historiquement un sujet complexe compte tenu des externalités que celles-ci peuvent générer. Les dépenses de recherche peuvent donner lieu à des augmentations de la productivité pour l’ensemble des facteurs de production dans le temps. Elles peuvent, en revanche, être improductives si elles ne débouchent pas sur des résultats tangibles. Il en est de même pour les dépenses en faveur de l’éducation. Pour effectuer des comparaisons entre États, il est souvent fait recours à une mesure simple de la productivité de l’État : le ratio des dépenses publiques hors retraites au nombre de salariés des administrations publiques. Selon cet indicateur, l’Allemagne est la plus productive avec un ratio de 325, au sein de la zone euro. La France, l’Espagne et l’Italie ont des ratios inférieurs à 220. Les États du Sud se caractérisent par l’importance de leur fonction publique et par le niveau de leurs dépenses publiques. Une amélioration du rendement est un exercice délicat qui se mène sur longue période. Le corps électoral de ces différents pays exige, en outre, des augmentations d’effectifs que ce soit en matière de santé, de formation ou de sécurité.

À défaut de pouvoir jouer sur la productivité ou les économies budgétaires, les États membres pourraient se résoudre à une augmentation des prélèvements obligatoires. La France et l’Italie se démarquent des autres États membres par le niveau déjà élevé de leurs prélèvements (respectivement 45 et 42 % du PIB). L’Allemagne avec un taux de 39 % dispose de plus de marges de manœuvre tout comme l’Espagne (37 %). Le recours à l’impôt aurait un effet récessif sur la croissance et demeure sensible au sein des opinions, la rémanence de la crise des subprimes étant encore forte.

Pays émergents et en développement en pleine tourmente

Selon la Banque mondiale, la croissance pourrait se ralentir rapidement dans les prochains mois. Elle pourrait passer de 5,5 % en 2021 à 4,1 % en 2022 puis à 3,2 % en 2023. Ce ralentissement est imputable à l’arrêt du soutien public sans limite, au retour de l’inflation et au maintien d’un contexte sanitaire complexe avec le variant omicron. 

Pour les pays développés, la croissance devrait passer de 5 % en 2021 à 3,8 % en 2022, puis 2,3 % l’année prochaine. Ce rythme, bien que modéré, sera toutefois suffisant pour ramener la production et l’investissement sur une tendance constatée avant la crise pandémique. Les pays en développement et émergents hors Chine ne seront pas dans cette situation, l’écart avec la situation qui prévalait avant la crise restant important. Selon la Banque mondiale, la hausse des prix, de l’endettement et des inégalités de revenus fragiliserait la reprise des économies des pays émergents et en développement. Leur croissance devrait passer de 6,3 % en 2021 à 4,6 % en 2022 et 4,4 % en 2023. En 2023, le PIB de ce groupe de pays resterait ainsi inférieur d’environ 4 points à ce qui était prévu à cette échéance avant la crise du Covid-19. Pour de nombreuses économies vulnérables, le recul est encore plus important. Les États insulaires qui dépendent notamment du tourisme sont les plus touchés avec des écarts d’activité par rapport au niveau tendanciel atteignant plus de 8 points. Les pays émergents sont durement atteints par l’augmentation des prix qui concernent tous les biens, agricoles, énergie, matières premières et industriels. L’inflation devrait entraîner d’importantes baisses de niveau de vie pour les populations des pays émergents. Quelques 100 millions de personnes supplémentaires devraient connaître l’extrême pauvreté en 2022. Selon la Banque mondiale, « la croissance moyenne du revenu par habitant en 2021-2023 sera insuffisante » pour réduire l’écart avec les économies des pays développés dans près de 70 % des pays émergents et en développement.

La dette des pays en développement et émergents devrait progresser assez rapidement dans les prochaines années et atteindre 66 % du PIB en 2023, contre 63 % en 2021. De surcroît, une hausse rapide ou durable de l’inflation pourrait compliquer son refinancement. Dans les pays à faible revenu, notamment, les charges d’intérêts de la dette ont doublé entre 2011 et 2019. Dans ce contexte, la Banque mondiale demande aux pays du G20 de pratiquer à des allègements de dette au profit des pays les plus pauvres. La question de la transition énergétique constitue un problème majeur pour les économies émergentes avec le risque de mise en œuvre d’une taxation carbone qui pourrait jouer le rôle de droits de douane.