9 février 2019

Le Coin de la Conjoncture – 9 février 2019 – travailleurs transfrontaliers – financement par le marché, vulnérabilité budgétaire française

La France, un pays vulnérable sur le plan budgétaire

Dix ans après le début de la Grande Récession, la France est loin d’avoir assaini ses finances publiques. Le déficit budgétaire qui est passé en-dessous de 3 % du PIB en 2017 pourrait franchir à nouveau ce seuil en 2019 du fait de l’intégration du CICE dans le barème des charges sociales, du ralentissement de la croissance, et de l’annonce des mesures faisant suite à la crise des « gilets jaunes ». La dette publique n’est pas totalement stabilisée et progresse, certes à petite vitesse, vers le seuil des 100 % du PIB. La France bénéficie toujours pour le moment de conditions extrêmement favorables pour s’endetter. En revanche, les finances de l’État sont de plus en plus sensibles aux évolutions des taux d’intérêt.

Dans son rapport annuel 2019 publié ces jours derniers, la Cour des Comptes s’est montrée très critique sur la gestion de l’État. Elle estime que le respect de l’objectif de déficit fixé en 2017 est très délicat à réaliser compte tenu du contexte économique et social. Elle souligne que le pays serait démuni en cas de survenue d’une nouvelle crise.

Le rapport annuel de la Cour note que le déficit budgétaire est resté à des niveaux très élevés ces dernières années malgré la reprise économique. Les magistrats de la rue Cambon s’inquiètent de la dérive possible des comptes pour 2019 compte-tenu des mesures « gilets jaunes » annoncées à la fin du mois de décembre et qui portent sur 11 milliards d’euros. Cela devrait gonfler le déficit public en 2019 à 3,2 % de PIB, contre 2,8 % initialement attendu. Cette dérive pèserait sur le seul État, dont le solde pourrait être négatif de 4 points. Cela suppose en outre que les soldes de la sécurité sociale et des collectivités locales soient positifs au moment même où la conjoncture se dégrade. Pour la Cour, « le scénario macroéconomique [du budget 2019] ressort nettement fragilisé ». Elle doute de la capacité de l’économie de croître de 1,7 % en 2019 quand la croissance en 2018 n’a été que de 1,5 %. Elle doute de la capacité de l’État à réaliser des économies. Par ailleurs, le plan du mois de décembre est à ses yeux mal évalué. Le coût du renforcement de la prime d’activité (estimé à 2,8 milliards d’euros) pourrait augmenter en fonction du « taux de recours par les salariés concernés » quand le plan d’économies de 1,5 milliard promis fin décembre « reste à définir ». La mesure de report de la baisse du taux d’impôt sur les sociétés des grandes entreprises et la « taxe Gafa » censées augmenter les recettes doivent encore faire l’objet de dispositions législatives et ne sont donc pas acquises.

Les magistrats soulignent que « l’ajustement structurel prévu sur les trois années 2017, 2018 et 2019 » sera limité à 0,2 point de PIB. Il a été nul en 2018 et le sera encore en 2019.

La France est « en décalage croissant avec les autres pays européens » avec un déficit structurel qui devrait se rapprocher en 2019 des deux plus mauvais élèves européens, l’Italie et l’Espagne.

 

Atouts et dangers du financement par le marché

Au sein de la zone euro, les entreprises se financent essentiellement en recourant aux crédits bancaires quant, aux États-Unis et au Royaume-Uni, la préférence est donnée au financement par le marché. En France, longtemps, les banques assuraient plus de 80 % du financement des entreprises. Cette situation résulte du rôle important joué par les banques sous des formes diverses en Europe continentale dans le développement du capitalisme contemporain, de la méfiance des ménages vis-à-vis des actions et des obligations d’entreprise. Les pouvoirs publics ont toujours joué un rôle d’intermédiation en Europe à la différence des États-Unis où la place laissée au privé est plus importante.

Le modèle de la zone euro de financement des entreprises se déplace vers le modèle américain où le financement sur les marchés financiers (par émission d’obligations) domine largement le financement par le crédit bancaire. Cette évolution est imputable aux nouvelles régulations des banques européennes qui leur imposent de réduire les crédits qu’elles conservent dans leur bilan pour réduire leur consommation en capital. L’encours des crédits bancaires aux entreprises représente 16 % du PIB aux États-Unis contre plus de 90 % du PIB pour la zone euro mais depuis 2008, l’encours des obligations au passif des entreprise a doublé passant de moins de 5 % du PIB à 12 %.  Cette évolution est parallèle à l’augmentation du ratio de fonds propres des banques qui est passé de 7,2 à 13,9 % de 2008 à 2018. Ce mode de financement est censé être plus efficient car donnant lieu à une appréciation par le marché. L’entreprise doit justifier du bien-fondé de ses investissements auprès des acteurs des marchés et non auprès du seul banquier.

Ce changement de mode de financement n’est pas sans conséquence sur la vie des entreprises et sur la croissance. Un financement des entreprises sur les marchés financiers est plus procyclique qu’un financement intermédié. Quand l’aversion pour le risque augmente, le marché des obligations d’entreprises se contracte. Il peut en résulter une baisse des investissements et donc une baisse de l’activité. La réactivité des taux face à la montée des incertitudes est très forte aux États-Unis. L’Europe n’y échappera pas à terme si le poids du financement obligataire s’accroît. Aux États-Unis, au cours de l’année 2018, du fait des menaces pesant sur l’activité, les émissions obligataires se sont réduites. À la différence des entreprises européennes, celles des États-Unis peuvent compter sur un marché « actions » plus dynamiques même si ces derniers temps les rachats réduisent le nombre de titres en circulation. Par ailleurs, la profondeur des marchés financiers est bien plus importante outre-Atlantique qu’en Europe où ils demeurent segmentés.

 

Les frontaliers votent pour le Luxembourg et la Suisse

En 2015, la France comptait 375 000 travailleurs frontaliers exerçant une activité salariée ou non à l’étranger, dans un pays où ils se rendent quotidiennement ou au moins une fois par semaine. Une sur deux travaille en Suisse et une sur cinq au Luxembourg. Dans les territoires limitrophes du Luxembourg, 20 % des actifs sont des travailleurs frontaliers. Ce taux est de 15 % pour la Suisse. Les territoires proches des frontières connaissent une augmentation de leur population en raison du caractère attractif des marchés de l’emploi étrangers. Ce sont des couples jeunes qui décident de s’installer à proximité des frontières. Les territoires proches de la frontière espagnole font exception avec un léger déficit naturel côté français. En revanche, ces territoires compensent par un solde migratoire positif. Ils accueillent de nombreux retraités.

Deux tiers des frontaliers résidant en France travaillent en Suisse et au Luxembourg

Le Luxembourg et la Suisse sont au cœur des échanges frontaliers avec la France. Ces deux pays bénéficient d’une accessibilité géographique relativement facile, d’un niveau de rémunérations plus élevé, d’un faible taux de chômage et d’une faible barrière linguistique, ce qui les rend attractifs pour les Français. L’Allemagne et Monaco emploient chacun 5,9 % des actifs des zones frontalières voisines, tandis que la Belgique en accueille 2,4 %. L’Espagne, l’Italie et Andorre réunis n’en captent que 0,6 %. La France attire quant à elle beaucoup moins de travailleurs frontaliers. Environ 10 000 salariés résident dans les territoires étrangers voisins et viennent travailler côté français (hors travailleurs détachés), dont la majorité de Belges. Le dynamisme économique de la Suisse joue sans doute en faveur d’une hausse de la population côté français. La Suisse est la première destination des travailleurs frontaliers en provenance de la France métropolitaine. Comme au Luxembourg, le marché de l’emploi y est plus attractif, avec un taux de chômage nettement plus bas qu’en France et des rémunérations plus élevées : en 2014, le salaire brut mensuel moyen est deux fois supérieur en Suisse et 50 % plus élevé au Luxembourg qu’en France. Le nombre d’habitants s’accroît dans les zones d’emploi facilement accessibles par l’autoroute depuis Genève, notamment celles du Genevois français (+ 2,3 %), d’Annecy et de Chambéry (+ 1,4 % et + 1,0 %), ainsi que dans les zones limitrophes des cantons de Bâle, de Vaud et de Neuchâtel (entre + 1,2 % et + 0,7 % par an) tout comme celles du Pays de Gex dans l’Ain. Dans ces territoires, le solde naturel et le solde migratoire contribuent tous les deux à l’augmentation de la population de part et d’autre de la frontière, particulièrement en Haute-Savoie et dans l’Ain (Pays de Gex) où se loger revient moins cher qu’à Genève, malgré le coût élevé du foncier dans ces territoires frontaliers. La population des zones françaises frontalières de la Suisse est globalement plus jeune que celle de leurs voisins.

La Belgique et l’Allemagne sont peu attractives

Malgré un espace francophone commun, la Belgique attire beaucoup moins de travailleurs frontaliers que la Suisse et le Luxembourg en raison d’une situation économique moins favorable. Néanmoins, près de 34 000 personnes résidant à proximité de la frontière vont y travailler. Le niveau moyen des salaires y est plus élevé qu’en France (14 % de plus en 2014).

L’Allemagne attire relativement peu de travailleurs en provenance de France bien que son taux de chômage y soit bien plus faible. La concurrence luxembourgeoise et suisse, la barrière de la langue, ainsi que le niveau des rémunérations comparable à la France n’incitent pas les résidents français à traverser la frontière pour y aller travailler.

L’Espagne et l’Italie, délaissées

Les échanges de travailleurs entre la France et l’Espagne et l’Italie sont très peu nombreux. Les barrières naturelles jouent sans doute grandement, tout comme le faible dynamisme de l’emploi et le niveau des rémunérations moins élevé (en 2014, le salaire brut moyen est respectivement 30 % et 10 % plus faible en Espagne et en Italie qu’en France).

Le développement des transfrontaliers pose une série de problèmes que ce soit en termes de protection sociale d’infrastructures de transports et de coopérations entre les collectivités territoriales de part et d’autre des frontières. L’épineux dossier de la CSG en cours de règlement après plusieurs condamnations de la France prouve que la question du travail transfrontalier n’est pas anodine en matière de finances publiques.