30 avril 2022

Le Coin de la Conjoncture – Allemagne – Inflation – emploi

L’Allemagne, une puissance industrielle sous tension ?

L’Allemagne se caractérise par la force de son industrie qui représentait, en 2021, 19,5 % du PIB, contre 13,5 % en zone euro (hors Allemagne). Si dans les autres pays, le poids de l’industrie a eu tendance à diminuer ces vingt dernières années, il s’est accru Outre-Rhin de deux points de PIB. L’emploi dans le secteur manufacturier a moins diminué en Allemagne que dans les autres pays de la zone euro. De 1998 à 2021, il est respectivement passé de 20 à 16,5 % de l’emploi total et de 18 à 11 %. Le solde de la balance commerciale industrielle atteint 8 % du PIB en Allemagne (2021), contre 0,2 % pour la zone euro (hors Allemagne).

Depuis les années 1950, l’Allemagne a toujours mis en œuvre des politiques visant à conforter la puissance de son industrie. Le choix d’un mark fort en était une des illustrations. La réévaluation du mark permettait de réduire le coût des importations et de valoriser les exportations tout en obligeant les entreprises à se positionner sur le haut de gamme. Avec l’introduction de l’euro, les gouvernements allemands ont continué à favoriser l’industrie en recourant à d’autres outils.

Au début des années 2000, l’Allemagne a ainsi opté pour une dérèglementation du marché du travail des services (mini-jobs, contrainte de retour à l’emploi pour les chômeurs). Elle a également mis en œuvre une baisse des cotisations sociales des entreprises tout en freinant les hausses de salaires, ceux des services restant nettement inférieurs à ceux de l’industrie. Le salaire par tête moyen est passé dans l’industrie de 1998 à 2021 de 28 000 à 49 000 euros quand celui des services est passé de 18 000 à 32 000.

L’Allemagne a favorisé l’adoption de politiques libres échangistes qui lui permettent tout à la fois d’importer à moindres coûts et d’exporter à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Union. Les entreprises industrielles allemandes ont réduit leurs coûts de production en recourant aux importations de biens intermédiaires en provenance des pays d’EEurope Centrale. Les coûts de production de ces derniers sont 40 % inférieurs à ceux de l’Allemagne. Les importations en provenance de ces pays représentent 5 % du PIB en Allemagne, contre 3 % pour la zone euro (hors Allemagne). L’Allemagne importe deux fois plus de biens intermédiaires que la France.

L’Allemagne a fortement accru ses exportations vers l’Union de 1998 à 2007. Elles sont passées de 14 à 23 % du PIB. Après la crise financière, avec la stagnation de la zone euro, les entreprises allemandes ont privilégié les pays émergents. Les exportations en-dehors de l’Union sont passées de 12 à 18 % du PIB entre 1998 et 2021. Depuis 2016, avec la fin de la récession en Europe, son poids au sein des échanges allemands est à nouveau en hausse. Il est passé de 20 à 22 % du PIB quand celui des exportations hors Union sont relativement stables.

L’industrie allemande a de forts besoins en énergie. Le choix opéré dans les années 1990 de recourir au pétrole et au gaz russe visait à disposer d’une énergie abondante à un prix relativement maîtrisé grâce à des contrats de long terme. Les importations russes de pétrole représentaient 30 % des importations totales en 2020. Les importations de gaz représentaient 65 % de la consommation de gaz et celles de charbon 46 % de la consommation totale de charbon.

Afin d’assurer le financement de son industrie, l’Allemagne a maintenu un secteur bancaire important, décentralisé et comportant peu d’établissements systémiques. De nombreuses banques en raison d’un bilan modeste ne sont pas supervisées par la BCE, ce qui leur donne des marges de manœuvre supérieures. En 2021, l’Allemagne comptait 421 établissements bancaires de droit public dont 414 caisses d’épargne et 7 banques de Länder. Ces établissements jouent un rôle important dans l’animation et le financement des bassins d’emploi. Elles détiennent d’importantes participations dans les entreprises familiales. A la différence de la France, la concentration du secteur bancaire est faible. En revanche, comme en France, le financement de l’économie allemande est essentiellement de nature bancaire, plus de 70 %.

Avec la guerre en Ukraine, l’Allemagne est confrontée à une augmentation importante des prix de l’énergie et des matières premières avec des risques de pénurie. Elle doit déjà faire face depuis le milieu de l’année 2021 à des goulets d’étranglement concernant un certain nombre de biens intermédiaires et à des augmentations de prix notamment dans le secteur des transports. La transition énergétique met, par ailleurs, en difficulté, son industrie automobile qui est un des symboles de sa puissance industrielle.

L’Allemagne a besoin de maintenir la compétitivité de son industrie afin de préserver ses recettes d’exportation qui lui permettent de conserver des salaires élevés et de financer les dépenses de retraite. Les autorités allemandes ne peuvent donc pas se priver immédiatement du gaz ni du pétrole russe au risque de déstabiliser l’ensemble de leur économie. Le gouvernement allemand devrait, dans les prochaines semaines, peser de plus en plus en faveur d’une hausse des taux de la part de la BCE, son modèle reposant sur une inflation faible et sur une monnaie forte. Un euro fort lui permet d’importer les biens intermédiaires à bas prix et de vendre ses produits avec de fortes marges en dehors de l’Union européenne. La maîtrise des coûts passe par une rigueur salariale qui nécessite une inflation réduite. Les débats au sein de la BCE devraient donc tourner autour de ce sujet clef compte tenu des intérêts en jeu.

Les ménages face aux augmentations des prix !

Les ménages en Occident doivent faire face à l’augmentation des prix de l’énergie qui pourrait être durable en raison de la décarbonation de l’économie rendue nécessaire pour lutter contre le réchauffement climatique. La transition énergétique entraîne des surcoûts au niveau des logements avec la nécessité de réaliser des travaux et une augmentation du prix des voitures. La guerre en Ukraine provoque par ailleurs une hausse des prix alimentaires. Pour limiter les effets de cette guerre et de la lutte contre les émissions des gaz à effet de serre, l’Etat est appelé à mettre en œuvre des compensations notamment en faveur des ménages les plus modestes. L’Etat providence accroît sa sphère d’influence en étant présent dans les tous les domaines de la vie quotidienne (énergie, logement, transports, vie culturelle, éducation, etc. que ce soit par des aides ou par des crédits d’impôt.

Depuis le milieu de l’année 2021, les augmentations de prix pour l’énergie  atteignent plus de 30 %. Ce taux est légèrement inférieur en France en raison du bouclier tarifaire mis en en œuvre par le gouvernement. En un an, les prix de l’alimentation ont progressé de 4 à 8 % au sein des pays occidentaux. Les ménages sont également confrontés à une augmentation des prix de l’immobilier. Aux Etats-Unis, le prix des logements a progressé  de 18 % en un an. Pour la zone euro, la hausse est de 11 % et de 7 % pour la France. Les loyers aux Etats-Unis enregistrent une hausse de 5 % en un an et de 2 % en zone euro.

Les taux d’intérêt réels négatifs pénalisent les ménages disposant d’une épargne investie en produits de taux (épargne réglementée, fonds euros, etc.). En zone euro, la majorité de l’épargne est placée sur ce type de supports. Le rendement réel de l’épargne est négatif d’au moins trois points, ce qui aboutit à une taxation masquée.

Les ménages doivent faire face à une augmentation sensible du prix des voitures. Celui augmente de 3 à 12 % au sein des pays de l’OCDE. Cette hausse est due aux goulets d’étranglement sur certains biens intermédiaires et à la progression du prix des métaux. La construction des véhicules électriques exige le recours à des métaux rares dont les cours ont fortement augmenté depuis le début de la guerre en Ukraine. Plusieurs pays ont adopté des mesures afin de réduire le coût d’acquisition des véhicules électriques. La France a ainsi introduit un système de bonus/malus et de primes pour les voitures électriques.

Le report des achats

Comment les ménages régissent-ils face à ces augmentations ? Au niveau des voitures, ils réduisent leurs achats. La crainte d’un durcissement de la législation sur les émissions des gaz à effet de serre les incite à les retarder. Ils se sont, dans un premier temps, reportés sur les véhicules d’occasion. La hausse du prix de ces derniers conduit depuis quelques mois à opter pour l’attentisme.

Après avoir fortement baissé ces dernières années, le prix des biens électroniques et informatiques est en forte hausse du fait de la pénurie de microprocesseurs. Les achats de ces produits par les ménages avaient fortement augmenté durant la crise sanitaire. Depuis quelques mois, le marché tend à diminuer en raison de la hausse des prix.

Le recul des transactions immobilières

Après avoir atteint des records en 2021, le marché de l’immobilier enregistre un nombre moindre de transactions depuis le début de l’année. La guerre en Ukraine, la hausse des prix et l’augmentation des taux d’intérêt sont autant de facteurs qui conduisent à une certaine forme d’attentisme.

Une demande sociale plus importante au prix d’une perte de compétitivité et de déficits croissants

Aux Etats-Unis, tout particulièrement, les salariés demandent de plus en plus une revalorisation de leurs salaires. La hausse de ces derniers dépasse 4 %. En zone euro, ce processus commence à apparaître mais avec un réel décalage par rapport aux Etats-Unis. Dans les prochains mois, les demandes d’indexation devraient s’accroître, sachant que les pouvoirs publics souhaiteront y échapper afin d’éviter l’engagement de spirales inflationnistes. A défaut d’augmentation des salaires, une pression s’exercera auprès des pouvoirs publics pour multiplier les compensations sous forme de blocages des prix, de crédits d’impôt ou de chèques (énergie, alimentaire, etc.). L’augmentation des salaires pourrait conduire à une diminution des marges pour les entreprises ne pouvant pas répercuter la hausse des coûts sur leurs prix et ne bénéficiant pas de gains de productivité suffisants. L’augmentation des coûts pourrait amener à une contraction de l’investissement, ce qui ne faciliterait pas l’obtention des gains de productivité. Le recours croissant aux aides publiques entraînera une augmentation des dépenses publiques et donc, à défaut de réaliser des économies, à une progression des impôts et du déficit public.

Un transfert de l’épargne vers les placements à risques ?

Pour se préserver de l’inflation, les ménages ont tout avantage à transférer leur épargne vers des placements dits risqués dont la détention protège contre l’inflation au détriment des produits de taux. Si une proportion de ménages s’oriente vers les actions depuis 2021, les transferts restent néanmoins limités. Ceux-ci maintiennent des montants élevés de liquidités sur leurs dépôts à vue et sur leurs livrets d’épargne qui sont les plus exposés face à la résurgence de l’inflation.

Pour réduire leurs charges de logements, les ménages peuvent décider de déménager en privilégiant des villes plus petites à la condition qu’elles soient bien desservies par les transports publics. Le gain de loyer ou de prix à l’achat ne doit pas être réduit par des coûts plus importants pour les déplacements. Le développement du télétravail offre des marges de manœuvre supplémentaires pour le choix du lieu de résidence. Par ailleurs, ces dernières années, les entreprises ont fréquemment déménagés afin de réaliser des économies sur leur bureaux, habituant les salariés à une certaine forme de mobilité et d’adaptation en ce qui concerne leurs trajets domicile/travail.

En cas d’absence d’embargo total, les cours de l’énergie, des matières premières et des produits agricoles pourraient se stabiliser, permettant d’éviter l’engagement d’une spirale inflationniste à la condition que les salaires ne soient pas totalement indexés. Le marché de l’énergie pourrait s’équilibrer avec une réallocation du pétrole et du gaz russe. Les Occidentaux devront faire face à des surcoûts de transports et de transformation du gaz liquéfié. Par ailleurs, cette hausse des prix pourrait amener des gains de productivité comme cela a été constaté au Japon après le tsunami qui a entraîné la fermeture des centrales nucléaires en 2011.

Face à la montée des prix, les ménages seront contraints de diminuer leur consommation. S’ils augmentent leur effort d’épargne dans un premier temps, ils pourraient être ensuite obligés de puiser dans cette dernière. La baisse du pouvoir d’achat liée à la hausse des prix de l’énergie pourrait atteindre 1 % en 2022. Avec les produits alimentaires et les autres biens et prestations, la perte pourrait s’élever, avant aides publiques directes, à 3 points. La diminution de la consommation devrait peser sur la croissance des deuxième et troisième trimestres.

Les deux priorités : l’emploi et les gains de productivité

Après l’élection présidentielle, la France, doit faire face à une série de chocs extérieurs dans un contexte de finances publiques dégradées et de déficit commercial préoccupant. Les marges de manœuvre des pouvoirs publics sont faibles compte-tenu du niveau élevé des dépenses et des prélèvements obligatoires. Les dépenses publiques sont amenées à augmenter afin de financer les retraites, la santé, la dépendance, la transition énergétique, la formation, la digitalisation, etc. Les solutions sont limitées. Elles consistent essentiellement à jouer sur le taux d’emploi et la productivité. L’un et l’autre supposent un effort de formation conséquent et une augmentation de l’investissement. Pour être acceptable, cette politique doit s’accompagner d’une réduction des inégalités tant sociales que géographiques.

La nécessaire augmentation du taux d’emploi

Le taux d’emploi est faible en France par rapport aux autres Etats européens. Il est de plus de 10 points inférieurs à celui enregistré en Allemagne. Il s’élève à 62 % contre 74 % en Allemagne. La faiblesse du taux d’emploi est liée à un nombre important de jeunes de moins de 25 ans sans emploi et sans formation et à un départ précoce à la retraite. Plus du quart du déficit d’emplois entre la France et l’Allemagne s’explique par le taux d’emploi des plus de 60 ans qui est de 38 % en France, contre plus de 60 % en Allemagne. Ce taux atteint 70 % en Suède et 55 % au Royaume-Uni. En France, l’âge moyen de départ à la retraite est pour le régime général de 62,8 ans.

La France souffre d’une main d’œuvre insuffisamment formée, ce qui pénalise l’emploi. Cette faiblesse conduit à une surreprésentation des emplois à faible qualification. La France en compte deux fois plus que l’Allemagne. Selon le classement PIAAC de l’OCDE, la France se classe au 21e rang loin derrière le Japon, la Finlande, la Corée du Sud et les Pays-Bas. Pour les sciences, la France, selon l’enquête TIMSS, se situe à dans le bas du classement juste devant la Roumanie. Si l’Allemagne a réussi à améliorer ses positions lors de ces vingt dernières années, la France n’a pas réussi à redresser les siennes. La France se caractérise par le poids élevé de ses cotisations sociales et de ses impôts de production qui représentent 13 % du PIB, contre moins de 8 % en Allemagne et 9 % pour la zone euro (hors France).

Pour les pays de l’OCDE, une corrélation forte existe entre le taux d’emploi, le taux d’emploi des plus de 60 ans, les compétences de la population active et les compétences en sciences des jeunes, d’une part, et le poids des impôts de production et des cotisations sociales des entreprises, d’autre part.

Pour améliorer le taux d’emploi, les pouvoirs publics peuvent déplacer le curseur de l’âge de départ à la retraite. Le passage de 60 à 62 ans a conduit à une hausse sensible du taux d’emploi des plus de 55 ans. L’amélioration des compétences des jeunes (surtout sciences) et des adultes est une autre solution mais qui nécessite du temps. L’amélioration du taux d’emploi accroîtra les recettes fiscales et réduira les dépenses. Si le taux d’emploi était le même en France qu’en Allemagne, les recettes fiscales seraient, toutes choses égales par ailleurs, 4 points de PIB plus élevées. Avec un taux d’emploi plus élevé, les inégalités sociales seraient moins élevées, permettant une diminution des dépenses de transferts. Celles de retraites seraient également plus faibles. En revanche, les dépenses liées au risque prévoyance (incapacité, handicap) augmenteraient.

Pour pouvoir proposer des emplois qualifiés, en parallèle, un effort d’investissement devrait être entrepris de la part des acteurs publics et privés. La réindustrialisation suppose que les collectivités locales acceptent l’implantation d’usines. La création de nouvelles activités industrielles permettrait de réduire l’imposant déficit commetrcial. La transition énergétique donne la possiblité aux entreprises de se développer sur ce nouveau secteur d’activité à fortes marges. La France se doit de réduire l’écart avec l’Allemagne. La valeur ajourée manufacturière représente 9 % du PIB pour la première et 20 % pour la seconde.

La transition énergétique suppose un supplément d’investissement d’au-moins quatre points de PIB. La mobilisation de l’Etat soit s’accompagner celle des investisseurs pour éviter une progression des dépenses publiques, sachant que l’Etat sera appelé à compenser une partie des inégalités sociales que génère la transition énergétique. 

Les entreprises françaises devront réaliser des innovations de rupture afin de respecter les Accords de Paris sur les émissions de gaz à effet de serre et pour compenser les surcoûts provoqués par la hausse des coûts de production. Une augmentation du nombre de logements construits chaque année est par ailleurs indispensable pour préserver le pouvoir d’achat des ménages.