11 février 2017

Le Coin de la conjoncture du 11 février 2017

Pour en finir avec l’Europe bouc émissaire 

 Durant cette année électorale, l’Europe sert de bouc émissaire que ce soit aux Pays-Bas, en France ou en Allemagne. Elle est accusée de tous les maux, du chômage, de l’arrivée des migrants, de la mondialisation, etc.

 L’Europe est accusée de vouloir tout réglementer, d’imposer un modèle soit ultra-libéral ou ultra-social-démocrate. Il est fréquemment répété que les Européens iraient mieux sans Bruxelles. Pour autant, au regard du pouvoir qui leur est accordé, les institutions européennes pourraient recevoir la palme de l’efficience. Le budget de l’Europe, c’est 155 milliards d’euros pour une population de 510 millions d’habitants. C’est 1 % du PIB européen. À titre de comparaison, le budget de l’État en France s’élève à 381,7 milliards d’euros (sans prendre en compte la protection sociale) et cela pour une population de 66,9 millions d’habitants.

 Au 1er janvier 2016, 32 966 personnes travaillaient pour les services de l’Union européenne à comparer aux 2 millions de fonctionnaires de l’État en France (plus de 5,6 millions en y intégrant les collectivités territoriales et la fonction publique hospitalière).

 L’Europe est tout à la fois dénigrée pour sa soi-disant faiblesse et pour son omniprésence. Le jugement est sans appel, elle s’occupe de ce qui ne faudrait pas et n’est pas au rendez-vous quand il le faudrait.

 L’Europe souffre non pas d’un trop plein mais d’une insuffisance d’Europe. Celle-ci s’est unie en mettant en avant la paix et la prospérité. La guerre ayant été oubliée par un grand nombre d’Européens, en revanche, ces derniers considèrent que l’Union européenne ne rime plus avec croissance.

 L’érosion des gains de productivité en est la cause. Elle a été plus forte en Europe qu’aux États-Unis et qu’au Japon. Certains pays européens comme l’Italie ou la France ont connu, ces dernières années, une baisse prononcée de leurs gains de productivité. Les populations européennes sont très sensibles face à la montée des inégalités. Le ressenti l’emporte sur la réalité des chiffres qui démontrent pourtant que l’Europe est la zone économique où les écarts de revenus après redistribution et impôts sont les plus faibles.

 Le ralentissement de la croissance réduit la capacité des gouvernements à maintenir les niveaux existants de protection sociale, avec à la clé, une augmentation des inégalités et des injustices perçues, à la fois entre et au sein des États membres. Les institutions européennes ne sont pas en charge des politiques économiques des États membres. Elles ne sont pas directement responsables des baisses des gains de productivité. La limitation des déficits et de la dette publique s’impose à tout acteur économique. Avant la monnaie unique, la France comme d’autres pays ont dû prendre des mesures drastiques pour rétablir leur équilibre commercial et pour éviter une dérive budgétaire. Pour régler ses factures à l’international, la France a, dans les années 80, fait appel à l’Arabie Saoudite. Le Royaume-Uni, dans les années 70, a dû recourir au FMI. L’indépendance monétaire prônée par certains n’est dans les faits qu’une illusion. Les contraintes économiques supportées par les Etats qui s’extirperaient de la monnaie unique seraient bien plus importantes que celles qui ont cours au sein de l’espace de la zone euro. Ce qui pose problème avec l’euro, c’est le respect des règles communes par les Etats membres. En contrepartie d’une certaine solidarité que certains à juste titre peuvent juger insuffisante, la monnaie commune impose un minimum de responsabilité. Nul ne peut par un comportement déviant (laxisme budgétaire) mettre en danger la communauté.

 Une union constituée de 28 États (27 quand le Royaume-Uni sera parti) repose sur un processus complexe d’arbitrage, de concessions. À 28, l’Europe ne peut pas être que française ou qu’allemande. Les normes au niveau des échanges sont le produit de marchandages, de négociations et de lobbying. Le marché unique qui repose sur la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux ne peut être effectif que si les mêmes normes s’appliquent au sein des États qui en font parties. La mise en place d’une réglementation identique pour le transport des animaux  répond à deux objectifs : respecter la vie animale et éviter les distorsions de concurrence entre États membres. À ce titre, il est assez surprenant de constater que les normes soient tout autant contestées que leur absence. Ainsi, le travail détaché qui reste dans les faits marginal est condamné mais jugé indispensable pour faire face aux pénuries d’emploi. Accusé de peser sur les salaires, il est considéré comme une solution par de nombreuses entreprises pour rester concurrentielles.

 Comme l’a souligné le Conseil d’Analyse Economique (CAE) dans sa note « tirer le meilleur profit du marché unique » du mois de février 2017, le marché unique reste trop imparfait avec le maintien  de nombreuses barrières non tarifaires aux échanges. Les normes nationales restent importantes. Il n’est donc pas surprenant que les échanges soient quatre fois plus faibles entre deux États européens qu’entre deux États américains. Si l’Europe ne compte pas de géants des nouvelles technologies, c’est en raison de l’absence d’un véritable marché intérieur (commercial et financier). En outre, les entreprises européennes doivent surmonter la barrière de la langue.

 Les obstacles à la libre circulation sont nombreux dans les secteurs des services. Ils sont difficiles à supprimer car ils concernent des domaines très sensibles comme la santé, les professions juridiques, la culture. Les transports et la distribution de l’énergie sont également deux secteurs qui devraient être harmonisés à l’échelle européenne. Les marchés des télécommunications, de l’assurance, des services bancaires et professionnels restent fragmentés. Même si, sur ces secteurs, des grandes entreprises de taille européenne existent, elles interviennent sur une série de marchés nationaux distincts.

 Pour créer un véritable marché unique, l’Union européenne devrait adopter une réglementation unique avec la création de régulateur unique ou l’instauration d’un réseau de régulateurs nationaux.

 La création d’un grand marché unique du numérique est jugée indispensable pour éviter un décrochage vis-à-vis des Américains d’autant plus que ce secteur rebat les cartes dans de nombreux secteurs comme l’automobile et les services. L’initiative à venir de la Commission européenne sur la libre circulation des données pourrait apporter des progrès dans ce domaine. Dans le même esprit, l’Union européenne pourrait promouvoir des identifiants numériques à l’échelle européenne pour les connexions aux plates-formes numériques privées qui respectent la vie privée des consommateurs et qui offrent une alternative aux outils commerciaux de connexion sécurisée tels que Facebook Connect.

 Les entreprises européennes éprouvent des difficultés à accroître leurs parts de marchés en-dehors de leur État d’origine du fait des lourdeurs administratives. La lourdeur administrative peut être considérée comme un coût fixe qui pèse davantage sur les PME et favorise les opérateurs historiques, au détriment des nouvelles entreprises innovantes, particulièrement les entreprises étrangères. L’Allemagne n’est pas la dernière à protéger de manière réglementaire son marché intérieur. Il faut 218 heures par an aux sociétés pour payer leurs impôts en Allemagne contre 137 heures en France. Les procédures transfrontières sont particulièrement lourdes, par exemple en matière de poursuite judiciaire, ce qui constitue un obstacle majeur à l’achèvement du marché unique.

 L’Europe souffre d’un manque cruel d’investissement tout en ne manquant pas d’épargne qui s’investit de plus en plus en-dehors des frontières européennes. La création d’une taxe européenne sur le carbone qui alimenterait un fonds destiné au financement des investissements découlant de l’Accord de Paris (estimés à 38 milliards d’euros par an, soit environ 0,36 % du PIB de la zone euro sur la période 2011-2030), pourrait être une idée.

 L’Union européenne se caractérise non seulement par la prééminence de l’intermédiation bancaire mais aussi par une faible intégration transfrontalière sur certains segments du marché des capitaux. La réalisation de  l’Union des marchés des capitaux bute sur des contraintes comptables et fiscales ainsi que sur les doutes liées à la solidarité des membres de la zone euro. Du fait de cette incapacité à créer un véritable espace financier européen, le capital-risque y est beaucoup moins développé qu’aux États-Unis ou même qu’en Chine.

 La solidarité entre États membres reste faible

 Un marché et une monnaie uniques imposent des obligations réciproques entre États membres. Producteurs et consommateurs sont liés par des intérêts communs. Face à des problèmes d’ordre systémique, l’Union européenne est assez désarmée.  Certes, il a été décidé d’instituer pour lutter contre les effets du chômage des jeunes d’instituer la « garantie jeunes » en 2013. L’unanimité est exigée en matière d’intervention sociale.

 Un changement de priorités

 Certains considèrent que la politique agricole devrait être renationalisée afin de permettre à l’Europe de se concentrer sur des missions plus stratégiques. Aujourd’hui, la France et l’Allemagne contribuent au budget européen pour en récupérer une partie sous forme de subventions agricoles. Ils sont les principaux contributeurs et bénéficiaires. Il en est de même avec les fonds alloués au développement régional qui aboutit  à un important saupoudrage. Ne serait-il pas plus utile de promouvoir une véritable reconnaissance des compétences au niveau européen, à l’aide par exemple d’un système de prêts étudiants et/ou de subventions ? La construction européenne, dans les années 50, s’est élaborée à partir des secteurs d’activité clef qu’étaient le charbon, la sidérurgie, l’agriculture. 60 ans plus tard, il ne serait pas absurde de réorienter les politiques de l’Union vers les secteurs porteurs de demain.

 La difficile question de la coordination fiscale et sociale

 Le souhait d’une harmonisation est souvent avancé. Mais, il soulève toute une série d’interrogations. Quel serait le niveau idéal de taxation et quels sont les États prêts à consentir des concessions sur le sujet ? Il est peu probable que l’Union européenne s’aligne sur le plus disant. La mise en place d’un socle de base ou d’un régime social européen auquel se rattacheraient les travailleurs détachés n’est plus d’actualité. Ces dernières années, les progrès ont porté sur les échanges d’information pour lutter contre la fraude (initiatives G 20, UE, OCDE). A défaut de pouvoir lutter contre les pratiques anti-coopératives de certains États en matière de taux d’impôt sur les sociétés, les services fiscaux des États de l’Union européenne essaient de limiter les abus de droit et les montages illégaux. Contrairement à certaines idées reçues, la problématique des travailleurs détachés et celle du tourisme social (choisir un État en fonction du niveau des prestations sociales) serait surestimée (rapport commandé par la Commission européenne en 2013). Plus de 60  % des migrants intra-Union européenne travaillent et la tendance est à l’augmentation ces dernières années. Cette proportion est proche du taux global d’emploi au sein de l’Union qui, en 2015, était de 70 % pour la population âgée de 20 à 64 ans. 79 % des immigrés sans emploi vivent dans des ménages économiquement actifs et 64 % ont déjà travaillé dans le pays d’accueil. Les immigrés intra-Union européenne reçoivent en moyenne moins de prestations d’invalidité et chômage que les travailleurs nationaux.

 Par ailleurs, il faut souligner qu’il n’y a pas en Europe de droit inconditionnel de séjour dans un pays d’accueil pour les citoyens de l’Union européenne avant cinq années consécutives de résidence légale. Durant cette période, un pays peut demander à une personne de quitter le territoire si elle ne dispose d’aucun moyen de subvenir à ses besoins ou si ses perspectives d’emploi sont faibles.

 La question de l’incarnation de l’Europe

 L’Europe souffre donc d’un manque d’Europe et cela commence par un manque d’identification ou d’incarnation. Face à des ensembles constitués comme les Etats-Unis, la Chine ou le Japon, l’Europe est une puissance économique mais à faible rayonnement politique. Le rejet du référendum de 2005 par la France et les Pays-Bas a ralenti la marche vers une personnalisation du pouvoir européen. L’arrivée de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis et le Brexit imposent un renforcement de l’Europe continentale afin d’éviter au mieux une lente déliquescence et au pire une dislocation.

Stop ou encore, à vous de jouer

Certains investisseurs et certains économistes pensent que nous sommes aujourd’hui au début d’une période d’accélération cyclique dans les pays de l’OCDE. En effet, plusieurs pays sont en situation de plein emploi : les États-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni ou le Japon. Les salaires devraient poursuivre leur hausse favorisant la consommation et donc la croissance. Le retour de l’inflation a pour conséquence de diminuer le poids relatif des dettes. La progression du prix du pétrole et des matières premières devrait permettre aux pays d’Afrique et d’Amérique latine de renouer avec la croissance. Or, ces pays sont devenus d’importantes sources de consommation avec la montée en puissance de leur classe moyenne. De plus, le Brésil et la Russie sortent de récession. En Europe, après des années de stagnation, une reprise de l’investissement est attendue d’autant plus qu’il y a un retard à combler au niveau des nouvelles technologies numériques (2 à 3 % du PIB selon les États). La diffusion des innovations issues du digital, des biotechnologies et de la génétique devrait commencer à se traduire en terme de croissance. Les indicateurs de confiance au sein de nombreux pays sont bien orientés.

 Certes d’autres facteurs jouent comme la croissance. Si les gains de productivité ne se redressent pas, compte tenu de la hausse des taux d’intérêt couplée avec celle de l’inflation, la demande intérieure pourrait être freinée. Les pays avancés devront acquitter une facture énergétique plus élevée. Or c’est sa baisse qui a permis à l’Europe de sortir de la récession. La montée du protectionnisme et la mise en place de politiques non coopératives au niveau mondial pourraient peser sur la croissance. La faible croissance démographique en Europe ainsi qu’au Japon et en Chine est également handicapante pour l’accélération de la croissance.

 Après plus années de disettes en matière de croissance et face à l’accumulation d’incertitudes sur le plan politique, les experts sont plus pessimistes que les indicateurs des instituts de prévision.