13 octobre 2018

Le Coin de la Conjoncture du 13 octobre 2018

Alertes sur la croissance mondiale ?

Dans son rapport d’automne, le Fonds Monétaire International (FMI) a voulu attirer l’attention des décideurs publics sur les menaces qui s’accumulent sur la croissance de l’économie mondiale. L’organisation internationale s’inquiète de la montée des tensions commerciales, de la progression de la dette des agents publics comme privés et de la remise en cause du multilatéralisme. Elle considère que les États seraient fort démunis en cas de survenue d’une nouvelle crise de grande ampleur.

La croissance de l’économie mondiale resterait stable sur la période 2018 / 2019, à 3,7 %, soit le même taux que l’année dernière. Cette croissance reste supérieure au niveau moyen constaté entre 2012 et 2016. Néanmoins, l’espoir de franchir la barre des 4 % envisagé au début d’année a disparu. Le FMI considère que plusieurs facteurs jouent désormais contre la croissance.

Le FMI estime que, dans plusieurs grands pays, la croissance est portée par des politiques qui semblent intenables à long terme. Il rappelle que des sautes de croissance peuvent survenir à tout moment dans un système ouvert et caractérisé par de nombreux déséquilibres. Ainsi, en 2016, du fait de l’effondrement des bourses asiatiques, la croissance de l’économie mondiale n’avait été que de 3,3 %, soit son plus faible niveau depuis 2009.

Révision à la baisse de la croissance

La reprise économique qui s’est opérée à partir de 2016 est liée à la croissance retrouvée du commerce internationale. Le FMI avait espéré au début de l’année 2018 que la croissance puisse à nouveau frôler 4 %. Du fait des difficultés rencontrées par certains pays émergents, Turquie, Brésil, Afrique du Sud, Argentine, des tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine et en raison du ralentissement au sein de la zone euro, le FMI a revu à la baisse ses prévisions de croissance de l’économie mondiale en retenant un taux de 3,7 % tant pour 2018 et 2019, soit 0,2 point de moins que prévu en début d’année.

Le FMI a abaissé de 0,1 point la croissance de la zone euro et du Royaume-Uni. Les révisions à la baisse pour les pays émergents et les pays en développement sont plus marquées, respectivement à -0,2 et -0,4 point de pourcentage pour cette année et l’année prochaine.

Pour la France, le FMI prévoit un taux de croissance de 1,6 % en 2018 et en 2019. Ce taux serait de 1,9 % pour l’Allemagne. L’Italie serait à la peine avec un taux de croissance de respectivement 1,2 % en 2018 et 1 % en 2019. Pour l’ensemble de la zone euro, le taux de croissance serait de 2 % cette année et de 1,9 % en 2019.

Les États-Unis frôleraient les 3 % cette année (2,9 %) mais connaîtraient un repli à 2,5 % en 2019 en raison des mesures douanières et de l’affaiblissement des mesures de soutien fiscal et budgétaire mis en œuvre depuis deux ans par l’administration. Le FMI porte un jugement critique sur la politique économique américaine qui serait porteuse de déséquilibres importants pouvant nuire à l’ensemble de l’économie mondiale. Il condamne l’augmentation des droits de douane et la politique budgétaire laxiste mise en œuvre en période de plein emploi. Par ailleurs, il s’inquiète des conséquences du relèvement des taux directeurs de la FED pour l’économie mondiale et, en particulier, pour les pays émergents dont une part non négligeable de la dette est libellée en dollar. Le FMI considère que la croissance de ce pays est amenée à fléchir du fait du plein emploi et des mesures protectionnistes adoptées ces derniers mois. Selon le FMI, ces dernières pourraient amputer le PIB de 0,8 % en 2020.

La Chine devrait enregistrer un léger ralentissement avec un taux de 6,6 % en 2018 et de 6,2 % en 2019. Les tensions commerciales pourraient réduire le PIB en 2020 jusqu’à 1,6 point.

De nombreux pays émergents doivent faire face à des problèmes de change, de taux et d’inflation. La Turquie, l’Argentine, l’Afrique du Sud et la Russie ont dû faire face à des tensions financières ces derniers mois, ce qui devrait jouer à l’encontre de leur croissance.

La contrainte de l’endettement

L’économie mondiale est de plus en plus contrainte par les déficits et l’endettement. La dette publique représente 87 % du PIB en Europe. Elle atteint 184 % en Grèce, plus de 130 % en Italie et 98 % en France. Les ménages ont également considérablement augmenté leur endettement. Il est passé au sein de l’OCDE de 52 % en 2008 à 65 % en 2017. Au sein de la zone euro, il s’élève à 58 % du PIB. En Chine, il atteint 49 % du PIB. Le seul endettement des jeunes américains pour rembourser notamment leurs études est de 1 600 milliards de dollars. Par ailleurs, les Américains doivent rembourser plus de 1 200 milliards de dollars de crédits souscrits pour acheter une voiture. En France, les ménages sont endettés à plus de 800 milliards d’euros pour l’acquisition de leur résidence. Les entreprises ont également de plus en plus recours aux dettes pour financer leur croissance, voire pour racheter leurs actions.

La montée des incertitudes

  • Le commerce international en question

Le FMI s’alarme des menaces qui pèsent sur le commerce international. Deux grands accords commerciaux régionaux sont en pleine évolution, l’accord États-Unis-Mexique-Canada qui attend l’approbation des parlements et l’Union européenne avec le départ logiquement pour 2019 du Royaume-Uni. À cela s’ajoute le durcissement des relations commerciales entre les États-Unis et la Chine se traduisant par une augmentation des droits de douane imposés par les États-Unis à la Chine. Ces droits pourraient remettre en cause certaines relations commerciales et peser sur la croissance. Par ailleurs, le FMI note la remise en cause du multilatéralisme. En cas de survenue d’une crise majeur, la tentation nationaliste pourrait s’imposer à la différence de ce qui s’était passé en 2008.

  • La remise en cause du multilatéralisme

L’hostilité croissante à l’encontre du multilatéralisme n’est pas sans lien avec le recul relatif des pays avancés. Ces derniers doivent de plus en plus intégrer le poids et le rôle des pays émergents et en développement qui réalisent plus de la moitié du PIB mondial. Les dirigeants occidentaux sont de moins en moins enclins à accepter les décisions des organismes internationaux qui doivent tenir compte des intérêts d’un nombre croissant d’États. Les États-Unis, première puissance mondiale, éprouvent les pires difficultés à accepter le changement dans les rapports de force.

  • L’hypothèque de la stagnation des revenus

Le FMI s’inquiète de la faible progression des revenus des actifs. Ainsi, il souligne qu’aux États-Unis, le revenu réel médian des ménages est le même en 2016 qu’en 1999. La stagnation des revenus, la faiblesse de l’ascenseur social contribuent à la montée du populisme dans de nombreux pays. La remise en cause du multilatéralisme et du libre-échange traduisent la défiance croissante de l’opinion vis-à-vis de l’économie libérale et des dirigeants politiques qui la soutiennent.

Les conseils du FMI 

  • L’indispensable restauration des marges de manœuvre

Pour le FMI, dix ans après la Grande récession, les États sont mal outillés en cas de survenue d’une nouvelle crise. Ils disposent de moins de marges de manœuvre budgétaires et monétaires qu’il y a 10 ans. Pour le FMI, les pays doivent reconstituer des amortisseurs budgétaires et accroître leur résilience par d’autres moyens, notamment en mettant à niveau leur réglementation financière et en adoptant des réformes structurelles qui dynamisent les entreprises et le marché du travail.

  • La limitation de l’endettement et la relance de l’investissement

Afin d’éviter une crise, le FMI appelle les États-Unis à limiter la surchauffe de leur économie et à maîtriser au plus vite leur endettement. Un meilleur contrôle des crédits est demandé en particulier au sein des pays émergents. L’organisation internationale appelle les pays exportateurs d’Afrique sub-saharienne à la vigilance vis-à-vis de leur dette libellée en dollar qui a progressé de plus de 80 % entre 2010 et 2017.

Un effort en faveur de l’investissement productif est demandé. Cet effort doit concerner l’éducation et la formation. L’innovation devrait recevoir un plus grand soutien de la part des pouvoirs publics dans l’idée d’améliorer les gains de productivité qui ont tendance à s’étioler. Cette recherche de gains de productivité est d’autant plus nécessaire que de nombreux pays devront faire face à un vieillissement rapide de leur population.

  • La réduction des déséquilibres au niveau des balances des paiements

L’organisation internationale souhaite que les pays disposant d’excédents favorisent leur demande intérieure afin de mieux contribuer à la relance de l’économie mondiale.

  • Une croissance plus inclusive

Pour éviter des tensions politiques et sociales, le FMI souhaite que les pouvoirs publics luttent contre les inégalités. Il réclame une meilleure distribution des fruits de la croissance. Il s’inquiète en constatant que le PIB par habitant stagne voire recule dans plus de 40 pays émergents et en développement. Une croissance plus inclusive est à ses yeux indispensable pour obtenir une meilleure maîtrise des flux migratoires. Le FMI rappelle que, d’ici 2035, la population en âge de travailler au sein des pays à faible revenu sera plus importante que celle de l’ensemble du reste du monde.

Le FMI entend mettre les États devant leurs responsabilités. Il tire la sonnette d’alarme face au rejet du multilatéralisme et aux tentations protectionnistes. L’organisation internationale a rappelé dans son rapport que la crise de 2008 / 2009 avait été jugulée grâce à une coopération des États membres du G20. En dix ans, le climat semble avoir profondément changé avec des dirigeants plus enclins à défendre l’intérêt particulier de leur pays que l’intérêt général. Dans les pays occidentaux, malgré le retour de la croissance, les opinions publiques sont lassées d’une décennie de crise marquée par la montée de la précarité et par la faible amélioration de leur situation. Le cri d’alerte du FMI témoigne des dangers qui pèsent sur les institutions nées au sortir de la Seconde Guerre mondiale et qui sont de plus en plus menacées par l’évolution des rapports de force.