16 décembre 2017

Le Coin de la conjoncture du 16 décembre 2017

Temps dégagé jusqu’à nouvel ordre !

La Banque de France a confirmé l’accélération de la croissance pour 2017 qui selon ses dernières prévisions devrait atteindre 1,8 %, soit le taux le plus élevé depuis 2011. La France n’arriverait néanmoins pas à accrocher le taux de 2 %. Après trois années de croissance modérée (1,0 % en 2014 et 2015 et 1,1 % en 2016), l’activité française a enregistré, un réel rebond en 2017. La bonne nouvelle provient de la reprise de l’investissement des entreprises et des ménages. Le point faible demeure  le commerce extérieur dont la contribution à la croissance reste négative. Selon la Banque de France, les enquêtes de conjoncture les plus récentes soulignent la bonne tenue de l’activité en cette fin d’année mais des tensions sur l’offre commencent à se manifester.

La croissance serait de l’ordre de 1,6 % à 1,8 % par an entre 2018 et 2020. Ce rythme de croissance resterait bien supérieur à celui de la croissance potentielle, estimée autour de 1,3 % sur les années de projection. Au-delà, sur 2019 et 2020, les effets des réformes récemment entreprises et les orientations de politique économique des prochaines années auront aussi un impact sur le rythme de croissance.

 La Banque de France espère que, sur la période 2018-2020, l’amélioration de la compétitivité extérieure des entreprises françaises leur permette de regagner des parts de marché. Les exportations pourraient, selon les estimations de la banque centrale, progresser de 5,9 % grâce à l’augmentation de la demande mondiale adressée à la France. Les importations restant toujours dynamiques, la contribution du commerce extérieur serait légèrement positive.

L’investissement des entreprises continuerait à être soutenu par la progression de l’activité économique ainsi que le bas niveau des taux d’intérêt. Il ne conserverait toutefois pas le rythme de progression élevé de 2016 et 2017, qui a porté le taux d’investissement des entreprises à un niveau supérieur au précédent pic de 2008. L’endettement des entreprises qui atteint un niveau élevé devrait se stabiliser.

La consommation des ménages resterait dynamique du fait de l’augmentation des gains de pouvoir d’achat favorisés par l’accélération des revenus salariaux liée à la baisse du chômage. Les mesures fiscales prévues en lois de finances soutiendraient également le revenu des ménages à partir de la fin de l’année 2018. Une partie de ces gains contribuerait à la remontée du taux d’épargne, vers 15,2 % fin 2020, soit un niveau proche de sa moyenne sur longue période. L’investissement des ménages qui enregistrerait une progression de plus de 5 % en 2017, devrait ralentir tout en restant positif en 2018-2020.

Mesurée avec l’indice des prix à la consommation, l’inflation devrait évoluer autour de 1,4 % en 2018 autour de 1,2 % en 2019. Soit un rythme proche de celui de 2017 (1,2 %). La progression de 2018 serait imputable aux mesures fiscales sur le tabac et l’énergie. La baisse des loyers des HLM aurait un effet inverse. En 2020, l’inflation resterait inférieure à 2 % (1,6 %).

Le déficit public serait légèrement inférieur à 3 % du PIB en 2017 et 2018 faisant de la France un des derniers pays à ne pas avoir assaini ses comptes. Le déficit des administrations publiques se réduirait, dans ce cadre, de 3,4 % du PIB en 2016 à 2,9 % en 2017, principalement grâce à l’environnement macroéconomique porteur, puis se stabiliserait en 2018 à ce niveau, donc sous la limite de Maastricht.

En 2018, le ratio des prélèvements obligatoires diminuerait de 0,3 point de pourcentage à 44,3 % du PIB, après 44,6 % en 2017 (hors effet temporaire lié au remboursement de la taxe sur les dividendes). Les nouveaux allègements prévus, portant notamment sur la fiscalité des ménages, auraient ensuite un effet plus marqué en 2019 et 2020. Les dépenses publiques primaires (hors crédit d’impôts et déflatées par l’indice des prix hors tabacs) continueraient de croître en volume de 1,0 % en 2018, après 1,1 % en 2017. Les économies en dépenses prévues dans les projets de lois de finances pour 2018 limiteraient en effet la progression des dépenses en 2018, mais pas suffisamment pour empêcher une dégradation du solde structurel dans un contexte de baisse des prélèvements obligatoires. Le ratio dette/PIB continuerait d’augmenter jusqu’en 2019 et se stabiliserait seulement en 2020.

 

La Banque centrale européenne entre deux feux

Jeudi 14 décembre, comme prévu, la Banque centrale européenne a maintenu le taux de refinancement reste ainsi à zéro et le taux de dépôt à -0,4 %. Elle a également confirmé la réduction, annoncée au mois d’octobre dernier, de son programme de rachats de dette publique et privée, ramené de 60 milliards d’euros mensuels à 30 milliards d’euros de janvier à septembre 2018, voire « au-delà » si nécessaire.

Le statu quo de la BCE intervient dans un contexte économique plutôt porteur. La banque centrale a réévalué ses prévisions de croissance s’alignant ainsi sur la tendance générale. Pour 2018, la BCE a nettement révisé à la hausse  le taux de croissance de 1,8 à 2,3 %. En revanche, le Président de la BCE, Mario Draghi, n’a pu que prendre acte de la faiblesse récurrente de l’inflation. Celle-ci s’établirait, cette année, à 1,5 % et resterait inférieure à la cible des 2 % jusqu’en 2020.

Le calendrier de la remontée des taux avant la fin des rachats commence à faire débat. A priori, cette remontée qui est fonction de la date d’arrêt des rachats et de l’évolution de l’inflation, ne devrait pas intervenir avant le milieu de l’année 2019. Officiellement, la BCE refuse de fixer de dates butoirs bien qu’une minorité de membres du conseil des gouverneurs, dont Jens Weidmann, président de la Banque Fédérale d’Allemagne, le souhaiterait.

Comme pour les États-Unis, l’Europe connaît un cycle de croissance sans réelle inflation contrairement à ce qui était constaté dans le passé. Les hausses de salaires demeurent insuffisantes pour se traduire dans les prix. Le caractère hautement concurrentiel du secteur de la production pèse sur les prix. Il en est de même dans la distribution avec la montée en puissance de la vente en ligne.

La BCE a conscience qu’une remontée trop rapide des taux pourrait gêner certains États et entraîner une appréciation de l’euro qui serait nuisible à l’activité et à l’inflation en pesant sur le prix des produits importés. La BCE devrait suivre la FED avec un retard de trois ans pour la fin des politiques dites non conventionnelles. D’ici 2019 ou 2020, de nombreux facteurs pourront influencer les décisions de la BCE : le prix du pétrole, la croissance américaine et le remplacement de Mario Draghi.

 

Faut-il sauver le soldat « profit » ?

Un grand nombre de pays ont décidé de diminuer le taux de l’impôt sur les sociétés au point de le rendre marginal. Tous les pays de l’OCDE ont déjà ou ont prévu de réduire le poids de cet impôt. Cette tendance répond-elle à des considérations d’ordre économique rationnelles ou est-elle l’expression d’un protectionnisme déguisé ? Cette bataille fiscale a pour conséquence de placer le rôle du profit au cœur du débat économique. Contesté par des courants politiques de gauche comme de droite, sa courbe de popularité s’est progressivement améliorée, dans un premier temps au sein des pays anglo-saxons puis au sein de tous pays à partir des années 2000.

L’étrange destinée du profit

Le profit a toujours été malaimé même chez les partisans de l’économie de marché. En effet, contrairement à certaines idées reçues, les classiques et les marxistes partagent le même avis sur les bénéfices. Ils sont voués à disparaître, à tendre vers zéro. Certes, les raisons de cet inexorable déclin diffèrent mais le résultat est le même.

 Chez les classiques, la baisse du profit est liée à l’augmentation de la population (Ricardo) ou à l’augmentation de la concurrence qui pèse sur les prix (Adam Smith). Le profit est temporaire. Quand il se maintient, il est l’expression d’une rente de situation, d’un dysfonctionnement. Pour Schumpeter, le profit est le fruit de l’innovation. Le profit disparaîtra à partir du moment où l’innovation se diffusera au sein des entrepreneurs. Seules de nouvelles innovations permettent au profit de se maintenir.

Certes, des classiques comme Marshall ou Say accordent une valeur positive au profit,  produit naturel de l’activité de l’entreprise ou de l’organisation. Pour ces économistes, l’activité de l’entreprise est un facteur distinct du capital et du travail et doit être rémunéré en tant que tel. Cette notion de rémunération du capital s’est imposée avec le développement des sociétés par actions. Le dividende est aussi la rémunération du risque.

Parmi les opposants au profit, figurent les Marxistes dont l’analyse est assez proche de celle de Malthus. Chez Marx, la loi des rendements décroissants oblige une augmentation croissante du capital entraînant mécaniquement une baisse du taux de profit. Le profit généré par la plus-value apportée par le travail symbolise l’exploitation du facteur travail. Le maintien du profit ne peut aboutir qu’à une réduction du montant des salaires au point de ne plus permettre le maintien en état de la force de travail.

 Les investisseurs demandent-ils plus de profit ?

Sur le sujet, la littérature est dense sans pour autant être unanime. L’éclatement des chaines de production dans le cadre de la mondialisation aurait pour conséquence la réalisation de superbénéfices réalisés par quelques groupes. Au-delà des cas atypiques des entreprises du secteur des technologies de ‘information et de la communication, les profits évolueraient en fonction de la conjoncture et du contexte fiscal. En France, les études dont certaines réalisées par les pouvoirs publics n’ont pas démontré de fortes évolutions sur ces dernières décennies. La répartition de la valeur ajoutée selon le rapport de 2009 « partage de la valeur ajoutée, partage des profits et écarts de rémunération en France » rédigé par Jean-Philippe Cotis (directeur général de l’INSEE) est restée globalement stable. En revanche, ce rapport souligne que, depuis 20 ans, le pouvoir d’achat des Français progresse lentement du fait du faible taux de croissance. Par ailleurs, ces dernières années, la répartition des profits s’est effectuée à l’avantage des dividendes et au détriment de l’autofinancement.En France, moins d’une PME sur cinq verse des dividendes. Pour les grandes entreprises, les dividendes distribués représentent, en moyenne, 4,7 % de la valeur ajoutée. Pour un quart d’entre-elles, cette proportion dépasse 7 %.

La baisse de l’IS peut-elle à contrario améliorer les salaires ? En effet, la réduction du coût des rémunérations des actionnaires peut par ricochet favoriser les salariés. Les différentes études réalisées en la matière ne sont pas très probantes sur le sujet. Les règles de fixation des salaires obéissent à un grand nombre de facteurs.

La baisse de l’IS favorisera-t-elle l’investissement ?

La meilleure rémunération des actionnaires, rendue possible par la baisse de l’IS, peut-elle conduire à une augmentation des capitaux investis dans les entreprises ? Ce lien ne se vérifie pas totalement. Le taux d’imposition des bénéfices est élevé aux États-Unis, pour autant le financement des entreprises passe essentiellement par les marchés financiers.

La baisse de l’impôt sur les sociétés accroît les cash flows des entreprises et donc leurs capacités d’investissement. Les décisions des entreprises d’investir ou pas obéissent évidement à des critères de rentabilité mais qui dépendent en grande partie davantage de la demande que du taux d’IS. Les pays ayant baissé leur IS n’ont pas enregistré de réelle progression de l’investissement. Un débat existe sur les effets d’une progression de l’autofinancement. Cette dernière aboutit à réduire les coûts des investissements, les entreprises ayant un moindre besoin de financement extérieur. En revanche, cela aboutit à une moindre sélection des projets d’investissement. Le recours aux crédits bancaires ou à des investisseurs contraint les dirigeants d’entreprise à sérier leurs investissements et à être plus exigeants.

L’attractivité fiscale au cœur de la baisse de la taxation des entreprises

Entre les différents pays de l’OCDE, une véritable concurrence fiscale existe en particulier en ce qui concerne la taxation des profits des entreprises. L’Irlande avec son très faible taux d’impôt sur les sociétés a fait école. Elle en a tiré par ricochet des ressources et de la croissance. Après avoir augmenté l’impôt sur les sociétés dans les années 70 et 80, les États ont décidé une rapide décrue des taux, décrue qui s’est accélérée depuis la Grande Récession. Dans les prochains mois, les États-Unis, le Royaume-Uni, la France devraient baisser le taux de leur IS. Au sein de la zone euro, de 1996 à 2016, le taux moyen pour l’IS est passé de plus de 35 à moins de 25 %. Pour l’ensemble des pays de l’OCDE, le taux n’était plus que de 28 % en 2016 contre 40 % en 1996. Ces baisses sont censées attirer les sièges sociaux, attirer les investissements d’origine étrangère et ainsi créer des emplois. La diminution du taux de l’IS constitue un des éléments des politiques non coopératives que les États mettent en œuvre. Si l’objectif du protectionnisme classique était de protéger les productions nationales de concurrences extérieures, le protectionnisme fiscal vise à attirer les dividendes.

Depuis de nombreuses années, des projets de convergence des assiettes et des taux sont à l’étude au sein de l’Union européenne mais, en raison de l’absence de consensus, ils n’ont jamais pu être adoptés. L’harmonisation des assiettes française et allemande n’a pas été achevée. Les États européens ont été capables d’établir des directives pour la TVA au nom de la libre circulation des biens mais n’ont pas réussi à faire de même pour l’impôt sur les sociétés. Certes, des réflexions sont engagées pour établir des fourchettes de taux pour éviter la disparition complète de l’impôt sur les sociétés. La concurrence fiscale peut amener, en effet, à la suppression d’un impôt. Tel fut le cas quand le département de la Marne décida de fixer un tarif très bas afin d’inciter les loueurs à y immatriculer leurs véhicules. D’autres départements suivirent cet exemple, ce qui incita les pouvoirs publics à supprimer cette taxe.

 

Le budget européen à l’heure du Brexit

Le départ du Royaume-Uni est-il une bonne ou une mauvaise affaire pour le budget de l’Union européenne ? Au-delà de la perte de la deuxième économie européenne, du deuxième pays le plus peuplé, la décision britannique aura, en effet, des conséquences budgétaires. Le Brexit rebat les cartes au sein de l’Union européenne. L’Allemagne s’appuyait sur le Royaume-Uni pour contenir les ardeurs dépensières de la France et des États du Sud ou de l’Est. Le départ britannique pourrait conduire à une inflexion des deux grandes politiques budgétaires européennes : la politique agricole commune et la politique de cohésion.

Les conséquences budgétaires sont multiples. Le départ du Royaume-Uni pose le problème du financement des dépenses déjà engagées mais pas encore réglées, des agences européennes, des programmes pluriannuels, des fonctionnaires et des fonctionnaires retraités. Les Européens devront bâtir des budgets amputés de la contribution britannique. Les pays européens ne souhaitent en aucun cas supporter les éventuels surcoûts que provoquera le départ du Royaume-Uni.

Le Royaume-Uni a admis sur le bout des lèvres le versement d’une soulte afin de solder les engagements pris et de couvrir certaines dépenses qui perdureront après leur départ (retraites des fonctionnaires). Le calcul de la facture sera complexe compte tenu de la multitude des engagements. Il faudra établir un état des lieux précis des engagements et des paiements déjà intervenus. Il faudra déterminer les règles d’indexation. Cette soulte évaluée entre 45 et 55 milliards d’euros ne sera payée selon Londres que si la Commission accepte de signer un accord commercial.

Le Royaume-Uni, un important contributeur net au budget européen

Le Royaume-Uni est le quatrième contributeur au budget européen derrière l’Allemagne, la France et l’Italie. Il assure 12 % du budget. En net, il est le deuxième contributeur derrière l’Allemagne et devant la France

En 2016, le Royaume-Uni a versé 18,5 milliards d’euros de contribution nationale. Il a bénéficié d’un rabais de 5,8 milliards d’euros et de 7 milliards d’euros de dépenses communautaires. 52 % des dépenses de l’Union au Royaume-Uni sont d’origines agricoles. Le deuxième poste est constitué des aides aux régions en difficulté (Pays de Galles notamment).

Des conséquences avant et après 2019

D’ici mars 2019, les versements du Royaume-Uni devraient se réduire du fait du ralentissement économique. Ils sont calculés comme pour tous les États membres en fonction du PIB (1 %). Certes, l’accroissement de la croissance dans les autres États membres devrait compenser ce manque à gagner britannique.

Les contributions des États donnent lieu à de fréquentes réévaluations. Les corrections sont liées aux fluctuations du revenu national brut. Or, compte tenu de la dépréciation de la livre sterling et du ralentissement de l’économie britannique, il est possible que la contribution de notre voisin soit révisée en forte baisse. Ainsi, les 27 pourraient être amenés à redonner de l’argent d’ici 2019 mais aussi un peu après. Le Royaume-Uni a, dans son passé, connu d’amples fluctuations concernant sa contribution. En 2001, le pays est même devenu bénéficiaire net de près d’un milliard d’euros.

Le recul de la date de sortie du Royaume-Uni de mars 2019 à fin 2020 a été avancé au nom de la simplification budgétaire mais la volonté des parties prenantes à la négociation est de solder le plus rapidement possible le Brexit.

Après 2019, la perte de recettes s’élèvera à environ 10 milliards d’euros. Le Royaume-Uni est le deuxième contributeur net au budget européen sur la période 2014-2016, loin derrière l’Allemagne et juste devant la France. Sa contribution nette avait été fixée à 38,7 milliards d’euros en 5 ans, soit 7,5 milliards d’euros par an en moyenne. À cette perte de recettes de recettes budgétaires, il faut ajouter les droits de douane applicables aux biens importés au Royaume-Uni qui atteignent en moyenne 3 milliards d’euros par an (le Royaume-Uni est le deuxième collecteur de droits de douane de l’Union, derrière l’Allemagne).

Dans la négociation du solde de tout compte que le Royaume-Uni est censé verser, il est tenu compte des engagements pris par ce pays notamment dans le cadre financier pluriannuel (CFP), applicable jusqu’en 2020.

Dans le cadre des programmes pluriannuels, des engagements de paiement ont été pris, des projets d’investissement ont été votés et lancés en faveur du Royaume-Uni. Des entreprises bénéficient de marchés publics. Il sera difficile de tout arrêter et de renvoyer sur le Ministère de l’Economie britannique. Une période transitoire sera nécessaire pour apurer les engagements passés.

 La question des fonctionnaires britanniques

Les fonctionnaires européens doivent être, selon les traités en vigueur, obligatoirement issu d’un des États membres. En 2016, environ 2000 Britanniques travaillaient dans les institutions européennes (60 % à la Commission, 40 % dans les autres institutions) auxquels s’ajoutent 600 personnes au sein des agences. Ces fonctionnaires devront donc quitter, après le mois de mars 2019, les institutions européennes. Des dérogations devront être sans nul doute accordées afin d’éviter des problèmes d’organisation au sein des services et des agences. Les fonctionnaires britanniques devront cesser leur activité. Un certain nombre seront de fait mis à la retraite anticipée ; d’autres devront être indemnisés. Il en résultera pour la Commission des surcoûts qui devront être pris en charge par le Royaume-Uni. Le même problème concernera les eurodéputés britanniques.

La délicate question commerciale et des droits de douane

Pour les 3 milliards d’euros de droits de douane que versent chaque année le Royaume-Uni au budget européen, tout dépendra de l’éventuel accord commercial qui sera signé entre le Royaume-Uni et la Commission de Bruxelles.

Si aucun accord n’est signé, le Royaume-Uni sera soumis aux règles de droit commun en matière d’échanges. Les biens et services entrant sur son territoire seront assujettis à des droits de douane qui seront autant de recettes pour l’Etat britannique. L’Union européenne percevra de son côté les droits de douane appliqués sur les produits britanniques entrant dans l’Union. Du fait du fort déficit commercial du Royaume-Uni, l’Union européenne sortira perdante de cette modification d’affectation des droits de douane. Par ailleurs, toujours en cas d’absence d’accord, les échanges entre le Royaume-Uni et l’Union européenne pourraient se contracter. Une contraction de 25 % a été mentionnéepar la Fondation Schuman.

La signature d’un accord commercial est certainement souhaitable pour l’ensemble des acteurs. Certains y ont un fort intérêt. L’Irlande est le pays qui serait le plus touché si le Royaume-Uni n’était pas intégré à une zone de libre-échange avec l’Union du fait de la partition de son territoire. Les pays d’Europe du Nord et l’Allemagne seraient également touchés tout comme la France qui dégage un confortable excédent commercial avec le Royaume-Uni. Compte tenu de l’implication des entreprises britanniques dans les chaines de production, une absence totale d’accord serait préjudiciable sur le plan économique. À titre d’exemple, Airbus serait amené à acquitter des droits de douane sur les ailes d’avions, fabriquées au Pays de Galles.

La négociation des traités commerciaux étant une compétence exclusive de l’Union européenne, les États membres n’ayant pas la possibilité d’en signer individuellement. Il est donc nécessaire d’élaborer un consensus sur ce sujet. En l’état de la négociation, le Royaume-Uni refuse l’idée d’une Union douanière impliquant un tarif extérieur commun. Des partisans du Brexit considèrent que la sortie de l’Union offre au Royaume-Uni une opportunité pour développer ses exportations sans être entravé par les barrières douanières du tarif commun. Les Britanniques rejettent l’idée de payer un droit d’entrée pour accéder au marché unique qui se situerait entre 3 à 7 milliards d’euros par an.

De ce fait, le Royaume-Uni ne prévoit pas d’adhérer à l’Espace Economique Européen (EEE) qui rassemble l’Union européenne, l’Islande, la Norvège et le Liechtenstein, la Suisse n’en faisant pas partie. Cette dernière est, en revanche, membre de l’Association Européenne de Libre Echange (AELE). L’EEE étend aux 3 pays cités ci-dessus les quatre libertés du marché unique européen :

  • La liberté de circulation des marchandises (règles techniques, normes, essais et certifications, contrôles vétérinaires etc.) ;
  • La liberté de circulation des services (services financiers (banques, assurances, télécommunications, audiovisuel, transport ;
  • La liberté de circulation des capitaux ;
  • La liberté de circulation des personnes : liberté d’établissement dans un pays de l’EEE, reconnaissance des diplômes, législation dans le domaine de la sécurité sociale.

À la différence du marché unique européen, cet espace ne concerne pas tous les biens et services. Les biens agricoles en sont, par exemple, exclus.

Le Royaume-Uni rêve d’un accord commercial à la carte, ce qui apparaît aujourd’hui difficile à imaginer. Les autorités de ce pays espèrent diviser les États membres dont les intérêts sur ce dossier ne sont pas convergents.

La participation du Royaume-Uni à certains projets européens

La Commission de Bruxelles a demandé que le Royaume-Uni finance les dépenses supplémentaires générées par son départ. 67 entités seraient impactées par le Brexit. Ainsi, les autorités britanniques devront financer les déménagements des sièges des deux agences décentralisées situées à Londres, l’agence européenne du médicament (897 personnes) et l’autorité bancaire européenne (154 personnes).

Néanmoins, le Royaume-Uni recouvrera la fraction correspondant à son poids relatif dans les actifs de l’Union, notamment le remboursement de sa part dans le capital de la Banque centrale européenne et de ses engagements dans la banque européenne d’investissement.

Le Royaume-Uni est partie prenante dans un grand nombre de programmes européens dont certains ont une dimension internationale. Il apparaît difficile que le départ de ce pays de l’Union entraine son exclusion de tous ces programmes. Ainsi, le Royaume-Uni participa à « la facilité en faveur des réfugiés en Turquie » ou encore au « Fonds européen de développement », qui vient en aide aux pays les plus pauvres. Un désengagement brutal britannique aurait d’importantes incidences politiques. Il en est de même pour la participation britannique au démantèlement des installations nucléaires dans certains pays d’Europe de l’Est, à l’agence environnementale européenne, à l’agence européenne de sécurité aérienne, à Erasmus ou à Galileo.

Sur ce type de programmes, des partenariats seront certainement signés sur le modèle de ceux qui existent avec la Suisse ou la Norvège. La Suisse verse annuellement pour participer à certains de ces programmes 800 millions d’euros par an.

Quel montant de dépenses après le départ du Royaume-Uni ?

Le départ britannique occasionnant une perte de 10 milliards d’euros en net, les débats budgétaires entre les États membres risquent d’être âpres. L’Allemagne qui jusqu’à maintenant pouvait compter sur le Royaume-Uni pour limiter les tentations dépensières de certains membres devra monter au créneau plus qu’auparavant pour défendre ses positions. Son objectif est de maintenir le budget à 1 % du Revenu National Brut (RNB) européen. La réalisation d’économies budgétaire sera nécessaire d’autant plus que plusieurs États ont déjà affirmé leur volonté de ne pas augmenter leur contribution (Pays-Bas, Danemark, Suède, Finlande et Autriche).

Jusqu’au début des années 2000, la France se rangeait parmi les États demandant un accroissement des dépenses. La dégradation de son solde budgétaire (différence entre sa contribution et les retours budgétaires) en raison de la mise en œuvre des nouvelles règles de la Politique Agricole Commune a provoqué un changement de position. La France s’est associé avec les Allemands et les Britanniques pour maîtriser le budget européen. Durant le quinquennat de François Hollande, une inflexion verbale mais pas suivie d’effet a été constatée concernant la position française. La volonté d’Emmanuel Macron de relancer le processus de construction européenne est difficilement conciliable avec le maintien du budget à 1 % du RNB. Néanmoins, les marges de manœuvre de la France sont faibles d’autant plus qu’elle risque d’être en 2018 le seul État européen en situation de déficit excessif.

En Europe, de plus en plus de voix, même en Allemagne, s’élèvent pour reconsidérer le budget européen. Pour mener des actions dans le domaine de l’environnement, de l’immigration, de la sécurité intérieure et extérieure ainsi qu’en matière de recherche, un budget de 3 à 5 % du RNB (500 à 750 milliards d’euros) serait nécessaire. Aujourd’hui, le montant du budget européen est inférieur au déficit public français ; le nombre de fonctionnaires européens est plus faible que celui du Ministère de l’agriculture français. L’idée d’un doublement ou d’un triplement du budget dans le cadre de l’Union à 27 n’est pas d’actualité. L’idée d’atteindre le plafond de ressources propres fixé à 1,23 % du RNB pour 2020 serait déjà une victoire pour les pro-européens. Le passage de 1 à 1,23 % permettrait de compenser le départ britannique.

A quoi ressemblera la PAC sans les Britanniques ?

Dans le cadre de la future discussion budgétaire, le dossier de la Politique Agricole Commune donnera lieu, une nouvelle fois, à des débats agités. La PAC représente 38 % du budget européen. Son poids est en baisse depuis une vingtaine d’année. Dans les années 80, plus de 50 % du budget européen était destiné à financer la PAC. Le Royaume-Uni qui ne profitait peu de la PAC en était un farouche opposant. Son départ devrait arranger les pays agricoles comme la France, l’Espagne, la Pologne ou la Roumanie. L’évolution de la PAC, ces dernières années, est liée en grande partie aux positions britanniques. Le remplacement des aides à la production par des aides à l’exploitation a été initié par le gouvernement de Londres. Pour le commissaire chargé de l’agriculture Phil Hogan, « les ministres successifs du Royaume-Uni ont influencé l’évolution de la PAC d’une façon positive, en insistant sur une plus grande orientation vers le marché, sur la protection de l’environnement et sur une politique de développement rural plus large ». La France a été pénalisée par cette transformation de la PAC. Le départ des Britanniques ne devrait pas néanmoins s’accompagner d’un retour à l’ancien système. Le document de réflexion de la Commission pour le futur budget rappelle l’impératif de réformer la PAC à travers un meilleur ciblage des aides directes, surtout dans les zones périphériques afin d’aider les exploitations les plus pauvres. Des cofinancements nationaux pourraient être développés, ce qui pourrait amener, à terme, un démontage de la PAC. Ce document met en avant cinq scénarios possibles pour la période 2021-2027 : un scénario de continuité, un scénario de contractions des actions communes, un scénario de développement des coopérations sur une base volontaire, un scénario de réforme radicale et un scénario d’augmentation.

À l’exception du scénario, hautement improbable, de l’augmentation du budget, la Commission européenne prévoit de consacrer moins de ressources à la PAC, en ciblant les dépenses sur les agriculteurs rencontrant des contraintes particulières (zone de montagne, petites exploitations), sur l’aide à l’investissement dans les zones rurales, en particulier en faveur de mesures agroenvironnementales et sur le soutien à des instruments de gestion des risques. Dans le scénario de réforme radicale, la Commission européenne envisage même une réduction drastique des paiements directs.

La politique de cohésion remise en cause ?

L’ouverture de l’Europe s’est accompagnée d’un effort financier important en faveur des États nouvellement intégrés. Certains considèrent que désormais il est temps de réduire les aides qui créent des distorsions de concurrence. Une part croissante de l’opinion publique des pays historiques de l’Union européenne rejette cette solidarité. Pour autant, la politique de cohésion est l’expression budgétaire de la solidarité entre États membres. En outre, en raison des critères retenus, tous les pays bénéficient de dotations de cohésion. Le Royaume-Uni n’échappe pas à cette règle du fait du soutien communautaire à certaines régions du Pays de Galles ou de l’Ecosse. La France bénéficie également des aides européennes pour ses régions ultrapériphériques et pour la Corse. Cette politique passe par une aide sous forme de subventions d’investissements. Cette politique représente un paquet budgétaire de 350 milliards d’euros sur 7 ans. La Pologne bénéficie de 10 milliards d’euros par an.

Sur la pression des principaux États bénéficiaires, l’Union européenne maintient le niveau actuel des enveloppes globales (350 milliards d’euros sur 7 ans), nécessitant un effort budgétaire de la part des États membres. A priori, cette option est récusée par une majorité de pays. De ce fait, une baisse du budget consacré à la politique régionale est attendue. L’adaptation à la baisse des crédits se fera alors soit par une diminution des dotations aux actuels bénéficiaires, soit par une réduction du nombre de régions bénéficiaires.

La réduction du nombre de régions pose un véritable problème politique. En effet, certains États comme la France ou l’Allemagne seraient pénalisés avec à la clef une augmentation de leur contribution nette. Aujourd’hui, certains considèrent que la ventilation des aides communautaires n’est pas efficiente. Il conviendrait de définir des clefs de répartition simples et intangibles sur le mode de la péréquation allemande. Seules les régions ayant un PIB par habitant inférieur de 25 % à la moyenne communautaire seraient éligibles. L’Allemagne et la France considèrent, par exemple, que si la politique de cohésion doit être concentrée sur les régions les plus pauvres, elle ne doit pas être réservée à elles seules.

Le retour du « I want my money back » 

La discussion du paquet budgétaire 2021-2027 pourrait donner lieu au retour de la question du rabais. Supposé s’éteindre avec le départ du Royaume-Uni, elle pourrait revenir en raison de l’hostilité croissante, chez certains États membre, que provoque la contribution au budget européen. Aux Pays-Bas, au Danemark, en Autriche et aussi en Allemagne, des voix se font entendre pour demander une diminution de la dotation à l’Europe. Les Allemands sont de plus en plus critiques sur le budget européen accusé d’aider des pays peu rigoureux. L’élaboration des futurs budgets européens sera néanmoins facilitée par la reprise économique. Pour la première fois depuis 2011, l’Europe a renoué avec un niveau correct de croissance, croissance qui concerne tous les États membres. Cette situation devrait faciliter les ajustements rendus nécessaires par le départ des Britanniques.