Le Coin de la Conjoncture du 16 janvier 2016
La croissance de la France est-elle dans l’impasse
Le deuxième semestre aura été, pour l’économie française, moyen. L’automne et le début d’hiver doux ont pesé sur les dépenses d’énergie et d’habillement. Les attentats ont, de leur côté, refroidi les ardeurs des consommateurs. De ce fait, le taux de croissance au 4ème trimestre de l’année 2015 ne devrait être que de 0,2 % quand il était attendu il y a quelques semaines à 0,3 %.
Quelques points méritent l’attention car ils prouveraient que le trou d’air de cette fin d’année n’est pas annonciateur d’une nouvelle stagnation. Ainsi, la production manufacturière a enregistré une progression ces deux derniers mois soutenue notamment par le redressement du marché automobile. Les exportations de biens ont augmenté de +3 % m/m en décembre et +4,2 % a/a en novembre. Les mises en chantier sont aussi en légère hausse sur un an, pour la première fois depuis 2013 (+0,5 %, variation mesurée par le glissement annuel du cumul sur 12 mois).
La confiance, celle des ménages, demeure stable et reste proche de son niveau moyen de longue période à 96. Le climat des affaires dans l’industrie et le bâtiment poursuit son processus d’amélioration. Même en matière d’emploi, un léger mieux est enregistré. Le nombre des demandeurs d’emploi inscrits en catégorie A a baissé de 0,5 % m/m en novembre. Selon Eurostat, le taux de chômage français est passé de 10,6 % en août à 10,1 % en novembre.
Le pouvoir d’achat des ménages est en net progrès grâce à la baisse des cours du pétrole, 0,9 % sur le dernier trimestre et 1,6 % sur un an.
Le taux de marge des sociétés non financières est également en léger progrès au troisième trimestre (+0,3 point, à 31,2 %, un plus haut depuis 2011)
Si l’inflation a été nulle en 2015, il est à souligner que l’inflation sous-jacente est de de 0,8 % prouvant qu’en l’état il n’y a pas de menace déflationniste réelle et immédiate en France.
Au-delà de ces facteurs conjoncturels rassurants, certains économistes soulignent que le potentiel de croissance s’affaisse dangereusement. Il ne serait plus que de 1,4 % (selon l’OFCE) voire moins pour d’autres organismes quand elle s’élevait à 1,8 % il y a encore quelques années. Cette baisse serait imputable à la diminution de l’investissement, à sa moindre qualité et à une diminution globale du progrès technique. La chute de l’investissement, ces trois dernières années, rend plus complexe le rebond de l’économie. En outre, la désindustrialisation a abouti à ce que l’investissement soit de plus en plus porté par les services qui génèrent moins de gains de productivité. La destruction d’une partie du tissu économique a également des effets sur la croissance. Elle rend plus difficile la reprise du fait d’un tissu économique moins dense et moins complet.
La baisse de la qualité de l’investissement réduit, par ailleurs, les possibilités de monter en gamme des entreprises. Ces dernières ont limité la prise de risque et différé leur modernisation entrainant un vieillissement de leurs équipements.
La croissance ne pourra réellement repartir qu’une fois que l’attrition aura cessé. Le système productif s’est rabougri avec comme conséquence un rebond économique plus faible que dans le passé à la sortie d’une crise.
La situation économique de la France est complexe car les comptes publics n’ont pas encore réellement été assainis. De ce fait, les dépenses publiques devraient jouer encore contre la croissance durant plusieurs années. Dans ces conditions, sauf saut qualitatif amené par les innovations, la croissance ne repassera pas au-dessus de 2 % en 2016 ni en 2017.
Tordre le cou à certaines idées préconçues sur l’emploi
Et si le problème était, en France, le chômage des personnes qualifiées
Depuis des décennies, les pouvoirs publics tentent, en France, de lutter contre le chômage des personnes à faible qualification. A cette fin, de coûteux mécanismes d’exonération de charges sociales ont été mis en œuvre.
Or, contrairement à quelques idées reçues, le chômage des personnes ayant un niveau de qualification inférieur au deuxième cycle de l’enseignement secondaire n’est pas en France très éloigné de celui de ses partenaires. Il s’élevait ainsi, en 2014, à 13,9 % en France contre 12,5 % aux Etats-Unis, 12,0 % en Allemagne, 13,9 % en Suède, 14,3 % en Belgique ou 18,7 % en Irlande. Avec la crise, ce taux de chômage a progressé en France mais au même rythme que chez nos partenaires. Il était de 10,2 % en 2007 pour notre pays (données Eurostat et OCDE).
Si la France obtient de moins bons résultats que ces voisins en matière d’emploi, c’est avant tout à cause du chômage des personnes ayant achevé un deuxième cycle l’enseignement secondaire ou qui sont diplômés de l’enseignement supérieur. Ainsi, en 2014, le taux de chômage des personnes ayant un niveau d’éducation égal au deuxième cycle de l’enseignement secondaire est de 8,7 % contre 4,6 % en Allemagne. Pour les diplômés de l’enseignement supérieur, le taux de chômage français est de 5,7 % quand il est, en Allemagne, de 2,5 %. La France n’arrive pas à utiliser les personnes qualifiées ce qui peut signifier qu’il y a une inadéquation entre la formation et les besoins des employeurs ou que les entreprises ont des besoins limités en actifs diplômés. En France, il y a un indéniable effet d’éviction, les emplois exigeant peu de qualifications sont fréquemment occupés par des diplômés de l’enseignement supérieur.
Si la France crée moins d’emplois qualifiés que l’Allemagne, cette situation est imputable au fait que le poids de l’industrie et que le nombre des grandes entreprises y sont inférieurs. C’est également lié à notre positionnement moyen de gamme, positionnement encouragé par le système d’exonération de charges sociales sur les bas salaires. In fine, la France compte deux fois moins d’emplois qualifiés que l’Allemagne
Inadéquation entre offre et demande de travail
Le problème de l’emploi en France provient du niveau des qualifications. La question de l’apprentissage et de la formation sont donc clefs. Les pays de l’OCDE ayant des bons résultats en termes d’emploi peuvent se classer en deux catégories, ceux qui jouent sur le coût du travail et la déréglementation (Etats-Unis, Royaume-Uni…) et ceux qui misent sur la formation (Allemagne, Europe du Nord…).
Enquête PIAAC score global
(Source OCDE)
Enquête PIAAC | |
Japon | 292,1 |
Pays-Bas | 283,58 |
Allemagne | 274,70 |
Royaume-Uni | 267,20 |
Etats-Unis | 266,69 |
Espagne | 259,56 |
France | 258,17 |
Italie | 248,81 |
Cette inadéquation entre offre et demande de travail s’illustre par le nombre de postes non pourvus. Les statistiques démontrent qu’il y a déficit pour des emplois à fortes qualifications techniques et dans des emplois à faibles qualifications. Ces derniers n’attirent pas en raison des conditions de travail et des niveaux de rémunération. Ainsi, en 2015, près de 240 000 postes étaient à pourvoir dans l’hôtellerie et dans la restauration. 145 000 étaient à pourvoir dans le secteur du commerce. Près de 230 000 emplois étaient également non pourvus dans les services scientifiques, techniques et administratifs ou de soutien aux entreprises.
La réglementation de notre droit du travail est-elle fautive ?
Toujours en matière d’emploi, il est fréquemment affirmé que la réglementation française est une des plus complexes. Or, selon une étude de l’OCDE, le degré de rigueur de la réglementation est inférieur en France à celui de l’Allemagne, de la Suède ou des Pays-Bas.
Indice de protection de l’emploi
Degré de réglementation du marché du travail
(Source OCDE)
Echelle de 0 à 6 | |
Etats-Unis | 0,3 |
Royaume-Uni | 1,1 |
France | 2,4 |
Suède | 2,6 |
Allemagne | 2,7 |
Italie | 2,7 |
Pays-Bas | 2,8 |
Portugal | 3,2 |
Un salaire minimum qui écrase toute la hiérarchie salariale
Le salaire minimum est en France relativement proche du salaire médian (salaire séparant en deux la population active salariée, 50 % gagnant plus et 50 % gagnant moins). Le salaire minimum représente 61 % du salaire médian en France contre 37 % aux Etats-Unis, 52 % en Allemagne ou 41 % en Espagne. Ce mauvais ratio s’explique tout autant par le niveau élevé du SMIC en France que par la faiblesse du salaire médian, le premier créant une chape de plomb sur l’ensemble de la masse salariale.
L’éternel problème du positionnement de notre économie
La France, tout comme l’Italie, au-delà des problèmes de coût du travail, souffre du mauvais positionnement de son économie. L’incapacité à monter en gamme impose une réduction des coûts salariaux qui pour le moment se traduit par un chômage élevé qui, aujourd’hui, concerne les emplois qualifiés et donc les classes moyennes. Pour les non-qualifiés, la question réside, au-delà de l’accès à l’emploi, dans la précarité qu’il génère. La multiplication des formes atypiques, CDD, auto-entrepreneur, temps partiel, intérim, est une source de précarité évidente, pouvant conduire à une exclusion du marché du travail classique. Ce type de segmentation existe dans tous les pays de l’OCDE. Néanmoins, en France, l’écart entre le CDI et les emplois précaires est important en termes de réglementation. Cette marche à franchir rend difficile le passage d’une catégorie à une autre. Le faible poids des contrats de plus d’un moins dans les nouveaux emplois en est la preuve. Moins de 31 % des déclarations uniques d’embauche adressées aux URSSAF dépassent un mois.
France sur le podium pour les prélèvements obligatoires
La France n’est battue que par le Danemark en matière de prélèvements obligatoires au sein de l’Union européenne, 47,9 % contre 50,8 % du PIB. Notre pays partage la deuxième place du podium avec la Belgique. La moyenne de la zone euro est de 41,5 %. Le ratio allemand s’élève à 39,5 %. Le poids des prélèvements est de 34,4 % au Royaume-Uni.
En 10 ans, le poids des prélèvements s’est accru de 3,4 points en France contre 2,1 points pour la zone euro. En Allemagne, la progression a été limitée à un point quand, au Royaume-Uni, les prélèvements ont reculé de 1,5 point.
La France se caractérise par le poids de ses cotisations sociales, 19,2 % du PIB pour une moyenne au sein de la zone euro de 15,5 %. Par ailleurs, les impôts sur les productions et les importations sont également nettement plus élevés dans notre pays (15,9 % du PIB contre 13,3 % en moyenne au sein de la zone euro). Les impôts sur le revenu et le patrimoine sont, en revanche, dans la moyenne (12,7 % en France contre 12,5 % en zone euro). Il en est de même pour la TVA qui pèse en France 6,9 % du PIB contre 6,8 % au sein de la zone euro.