15 juillet 2016

Le Coin de la Conjoncture du 16 juillet 2016

La tête à l’envers (2ème partie)

 (Cet article constitue la seconde partie de l’intervention de Philippe Crevel prononcée à l’Observatoire de la retraite le 7 juillet 2016)

Les taux négatifs appellent les taux négatifs  

Le Japon a ouvert la voie des taux négatifs. Or, après une quinzaine d’années de pratique japonaise, force est de constater qu’il est difficile de retrouver durablement le territoire des taux positifs.

Les taux négatifs sont le signe d’un dysfonctionnement qui conduit les acteurs à vouloir réduire, autant que possible, leur exposition aux risques. Ainsi, en prenant tous la même direction, ils favorisent la baisse des taux. Il faut, par ailleurs, prendre en compte les anticipations négatives. Convaincu que la poursuite de la baisse des taux est incontournable, les investisseurs acceptent alors les obligations proposées en pensant que demain ce sera pire et que même, ils peuvent espérer réaliser quelques plus-values.

 Pour les différents acteurs, la baisse des taux offre des avantages mais aussi quelques inconvénients

 Pour les États, une bouffée d’air

La baisse des taux réduit fortement le montant des intérêts à payer. Ainsi, en 2015, l’État, en France, a économisé 2 milliards d’euros grâce à la baisse des taux. À contrario, une remontée pourrait mettre en situation d’insolvabilité un certain nombre d’États.

L’inconvénient des taux bas est de retarder l’assainissement des finances publiques et de maintenir des niveaux d’endettement historiquement élevés.

Pour les banques, le problème numéro 1, c’est l’aplatissement de la courbe

Les banques prêtent à 10 ans mais se refinancent à court terme. L’écart de taux est évidemment une source de rémunération mais du fait d’une convergence des taux, cet écart devient minime d’autant plus que le secteur bancaire est concurrentiel.

Les banques passent leur temps à jouer avec le temps. Le changement de graduation de l’échelle des taux des prêts n’est pas en soi gênant.

Dans un premier temps, la baisse des taux a amélioré leurs marges mais la transmission sur les taux longs avec l’aplatissement de la courbe a fait disparaître assez rapidement cet avantage. En outre, elles ne peuvent pas répercuter l’intégralité des taux à leurs clients. Ainsi, pour le moment, les comptes à vue, les livrets bancaires ne font pas l’objet de taux négatif. Il y a donc des poches de pertes obligeant les banques à jouer sur les frais et les commissions. En parallèle, il faut prendre en compte le renforcement des normes prudentielles qui génèrent des coûts supplémentaires.

Les banques ne peuvent plus prendre le moindre risque avec les prêts compte tenu de la petitesse de leurs marges sur ce type d’opérations. Les prêts ne sont accordés qu’à des clients sûrs, ce qui ne favorise pas l’innovation et la croissance.

Pour les assureurs, le problème, c’est demain et après-demain

Il y a deux écueils importants. Le premier, c’est évidemment, avec l’arrivée à terme du stock d’obligations à rendements positifs, la contrainte de reconstituer un portefeuille avec des obligations à très faibles rendements au moment même où s’accumulent les contraintes réglementaires et la révolution digitale.

Le deuxième écueil est lié à la survenue d’une remontée brutale des taux qui pourrait générer un choc de solvabilité. Le Gouvernement a, à ce sujet, fait adopter un amendement à l’occasion de la discussion du projet de loi Sapin II qui permettra de bloquer durant une certaine période les rachats en cas de crise.

Le troisième écueil est celui de la réglementation prudentielle (Solvency II). Elle a été élaborée rapidement en réaction à la crise de 2008. Face à la tourmente financière, l’urgence du moment était d’assurer tout à la fois la liquidité et la solvabilité en temps réel. Il en a résulté une réglementation à plusieurs piliers traitant tant des modes de gouvernance que de l’allocation d’actifs. La conséquence a été de pénaliser les placements actions et cela quel que soit le produit.

Pour trouver du rendement, les gestionnaires doivent faire preuve d’innovation à travers la constitution de véhicules à la transparence pas toujours garantie. Par ailleurs, le placement en immobilier de commerces et de bureaux est devenu un palliatif à la baisse des taux au risque de créer une bulle spéculative.

Pour les entreprises, un bilan positif à condition de s’endetter et d’investir

Auparavant, les entreprises gagnaient de l’argent avec leur trésorerie, maintenant l’objectif est de ne pas en perdre. Avant, il fallait encaisser vite et décaisser lentement ; aujourd’hui, cela pourrait être l’inverse…. Les taux bas incitent à la prise de risques pour chercher du rendement ce qui peut être nuisible aux intérêts de l’entreprise. L’allocation d’actifs devient plus compliquée.

Les entreprises bien notées et ayant des projets d’investissement peuvent se financer à faible prix par emprunts. Le coût de l’endettement est réduit ce qui améliore la rentabilité des projets. En revanche, les taux n’incitent pas à passer par des financements via les marchés financiers ce qui limite l’effet de levier. Enfin, les faibles taux dissuadent de réduire le poids de l’endettement et d’assainir les comptes.

Pour les ménages, un bilan circonstancié des taux négatifs

La baisse des taux a permis d’alléger la facture des remboursements des prêts immobiliers qui constitue de très loin le premier poste d’endettement des ménages. Jusqu’au milieu de l’année 2015, ces derniers ont surtout profité de la chute des taux pour renégocier leurs anciens prêts. Cette renégociation représentait  plus de 40 % de l’activité du crédit à l’immobilier. Depuis quelques mois, les nouveaux prêts connaissant un certain essor. Par ailleurs, les banques ont eu tendance à durcir leurs conditions d’accès  à l’emprunt afin de limiter leurs risques. De ce fait, se sont surtout les ménages déjà propriétaires décidant d’acheter un nouveau bien immobilier qui sont avantagés à la différence des primo-accédants.

Les ménages sont également avantagés au niveau du crédit à la consommation qui avait fortement reculé de 2009 à 2014 en raison du durcissement de la réglementation et de la crise. Depuis quelques mois, le crédit à la consommation a renoué avec la croissance.

Que font les épargnants avec les taux négatifs ?

Les épargnants français, aussi surprenants que cela puissent paraître, épargnent. Le taux d’épargne était de 14,4 % du revenu disponible brut au cours du premier trimestre 2016. Il avait atteint 14,8 % à la fin de l’année 2015.

Pourquoi malgré la baisse des rendements, continuent-ils à épargner ?

Aujourd’hui, en France, les épargnants ne sont pas confrontés directement à la barre du taux zéro. Même s’ils ne s’en rendent pas compte, l’épargne reste très bien rémunérée au regard du contexte économique et financier. Le taux du Livret A est à 0,75 %, celui du PEL à 1,5 %, celui du fonds euros de l’assurance-vie à 2,27 %. Les livrets fiscalisés sont à 0,48 % quand le taux de l’Euribor à 1 mois est à -0,364 %.

Aujourd’hui, les banques et les assureurs, les grandes entreprises sont confrontés aux taux négatifs. Certes, certains pourraient avoir la tentation du cash, mais c’est oublier que la cash a un coût, les frais de garde.

Par effet d’encaisse, les ménages implicitement ou explicitement calent leur effort d’épargne en fonction d’un objectif qu’ils se sont assignés. Compte tenu de la faiblesse du rendement, ils compensent en augmentant leur effort d’épargne.

Par effet de précaution, les ménages épargnent par crainte du lendemain. C’est la première des motivations en matière d’épargne. En la matière, le climat de défiance est propice à maintenir un haut niveau d’épargne.

Par l’effet immobilier, les ménages sont obligés d’épargner tant pour rembourser 800 milliards d’euros d’emprunts immobiliers que pour se constituer des apports personnels justement pour acheter leur résidence principale.

Les Français sont-ils prêts à prendre des risques pour contrer l’évolution des taux ?

53 % des Français, selon le sondage du Cercle de l’Épargne, rejettent l’idée de prendre des risques pour obtenir un meilleur rendement au niveau de leur épargne. Mais, inversement 47 % y sont prêts. Ce dernier ratio monte à 55 % chez les épargnants. Il est encore plus élevé chez les détenteurs de PEA et de contrats d’assurance-vie.

Mais, il convient de souligner qu’en France, comme dans de nombreux pays d’Europe continentale, le rendement n’est pas la motivation première des épargnants.  Un petit quart des épargnants met le rendement comme priorité quand 38 % mettent en avant la sécurité et 35 % la liquidité. Le rendement n’arrive en deuxième position qu’auprès des détenteurs de patrimoine de plus de 100 000 euros.

Cette préférence pour la liquidité s’exprime par l’envolée des dépôts à vue dont l’encours a atteint plus de 357 milliards d’euros au mois d’avril dernier. En quatre mois, le gain avoisine les 9 milliards d’euros. Depuis 2008, l’encours a progressé de 100 milliards d’euros.

Le Livret A, malgré la décollecte de ces deux dernières années (-15 milliards d’euros de décollecte en 2014 et 2015) enregistre toujours des volumes d’encours sans précédent. Il a augmenté de 100 milliards d’euros depuis 2008. Preuve que la liquidité et la sécurité priment, la collecte est redevenue positive ces trois derniers mois.

Le succès du Plan d’Épargne Logement n’est pas sans lien au fait qu’il est tout à la fois sûr, relativement liquide et qu’en outre il était plutôt bien rémunéré. Son encours est à son plus haut historique. Il a largement dépassé le niveau de 2005 avant la réforme qui a entraîné son déclin jusqu’en 2011. Près de 9 milliards d’euros ont été collectés sur les cinq premier mois de l’année. Sur le seul premier trimestre, 900 000 nouveaux PEL ont été ouverts.

De même, même si les unités de compte progressent, 19 % de la collecte, l’assurance-vie demeure avant tout plébiscitée pour ses fonds euros. Certes, 42 % des sondés dans le cadre de l’enquête annuelle du Cercle considèrent qu’il convient aujourd’hui d’investir dans un contrat multisupport mais 46 % pensent qu’un contrat monosupport avec un seul fonds euros est préférable. Seuls 12 % sont prêts à ne prendre que des unités de compte.

Le Brexit, du blocus continental à la guerre commerciale !

Le Royaume-Uni face au risque de ralentissement de son économie et pour contrecarrer les effets de la sortie de l’Union européenne est tenté de mener une politique non coopérative en abaissant ses impôts et taxes. Il se transformerait en zone offshore afin de bénéficier des flux de capitaux qui lui sont indispensables pour financer son déficit commercial.

Le Blocus continental est le nom donné à la politique suivie par Napoléon qui souhaitait ruiner l’Angleterre, première puissance économique de l’époque, en fermant toute l’Europe à ses exportations. L’objectif était de ruiner les finances de « la perfide Albion ».

Le blocus fut institué par le décret de Berlin du 21 novembre 1806, et fut renforcé par le décret de Milan du 17 décembre 1807. Ce blocus se retourna contre Napoléon et entraîna sa chute. Afin de le faire respecter, il fut obligé d’envahir un nombre croissant d’États dont le Portugal, l’Espagne et la Russie. Le blocus isola Napoléon et facilita le développement des nationalismes au sein des pays conquis.

Le blocus favorisa la création d’entreprises sidérurgiques en Allemagne. La mise en place du Zollverein (tarifs douaniers protecteurs décidés par les États allemands) après l’abdication de l’Empereur est une conséquence du blocus. Toute comme le développement du sucre de betterave qui remplace le sucre de canne. Enfin, les États-Unis commencent à prendre marque en tant que puissance commerciale. De ce fait, toute modification des règles commerciales n’est pas sans conséquence sur l’évolution de l’économie.

La sortie de l’Union du Royaume-Uni pourrait déboucher sur une guerre économique qui serait préjudiciable à l’ensemble des acteurs. Le Royaume-Uni pourrait opter pour une politique monétaire agressive avec un recours accru au Quantitative Easing et aux taux négatifs. Il pourrait laisser se déprécier la livre sterling. Cette dépréciation aurait pour objectif d’améliorer la compétitivité des entreprises à l’exportation. Néanmoins, au vu du déficit commercial important, cette dépréciation aurait tendance, dans un premier temps du moins, à le gonfler, les prix des importations augmentant quand, dans le même temps, les capacités d’exportation de l’industrie britannique sont limitées.

Le nouveau Gouvernement pourrait mener une politique fiscale également agressive avec, à la clef une baisse de la taxation des entreprises. Cette politique vise à maintenir un flux de capitaux et à améliorer la compétitivité des entreprises installées sur le sol britannique. Il a été déjà été annoncé que le taux de l’impôt sur les sociétés pourrait passer à 15 %.

Une telle politique pourrait, par voie de conséquence, obliger également les États membres de l’Union européenne à baisser la pression fiscale sur les entreprises avec en contrepartie une augmentation des impôts supportés par les ménages (TVA par exemple). La BCE pourrait être contrainte de maintenir plus longtemps sa politique de faibles taux. L’Europe pourrait ne pas être conciliante au niveau du traité commercial à signer avec les Britanniques sous prétexte que ces derniers opteraient pour une politique de dumping social, fiscal et monétaire.

L’Allemagne paiera car c’est son intérêt

L’Allemagne a accepté la disparition du deutschemark avec le traité de Maastricht sous réserve de la mise en œuvre d’une politique monétaire obéissant aux canons de la Bundesbank et en espérant pouvoir accroître sa capacité d’exportation. La disparition des monnaies nationales, en faisant disparaître le risque de change et des dévaluations compétitives, a renforcé l’économie exportatrice allemande.

Depuis la crise de 2008 et surtout depuis la crise grecque de 2011/2012, l’Allemagne a été contrainte de s’asseoir sur ses principes afin d’éviter une implosion de la zone euro. Elle a ainsi accepté la mise en œuvre d’une politique monétaire non conventionnelle et une certaine forme de laxisme budgétaire.

Le Ministre de l’Économie, au moment de la crise grecque, avait tendance à indiquer à ses interlocuteurs européens que l’Allemagne n’a pas vocation à aider les pays en difficulté de l’Europe mais qu’elle le fera à la condition de ne pas le lui demander trop fort.

Avec le Brexit, l’Allemagne peut être amenée une nouvelle fois à abandonner ses principes. Elle pourrait une fois de plus           accepter des déficits plus importants que prévu, effectuer une relance budgétaire en Allemagne ou ne rien dire devant un bail-out des banques quand c’est nécessaire. Elle pourrait même contribuer à un renforcement du fédéralisme dans la zone euro.

L’Allemagne n’a guère le choix. Premièrement, elle possède le stock le plus important de créances sur les autres pays européens. L’implosion de la zone euro la ruinerait comme elle ruinerait l’ensemble des États membres. Deuxièmement, l’Union européenne est son marché le plus fidèle. Si l’Allemagne a développé ses relations commerciales avec les pays émergents, néanmoins son marché quasi-intérieur est européen.

Si l’Allemagne décidait de jouer en solo. Sa monnaie, dans un premier temps, serait surévaluée avec celle des autres pays européens ce qui pénaliserait très rapidement son économie.

Cette situation devrait obliger les autorités allemandes à infléchir sans le dire leur politique. En effet, l’Allemagne tente depuis 2008, de  limiter ses risques ce qui n’est pas sans conséquence pour les autres États de la zone euro. En effet, depuis la Grande Récession,  le capital ne circule plus entre les pays de la zone euro et l’excès d’épargne de l’Allemagne n’y est plus recyclé

L’Allemagne continue à absorber les revenus des États membres grâce à ses excédents commerciaux mais prend de moins en moins de risques. De ce fait, il y a auto-alimentation de la crise financière avec, en particulier, le recours au bail-out pour l’assainissement des banques porteuses de créances douteuses (recapitalisation par l’État ou des acteurs de la place) et non au bail-in (pertes pour les actionnaires et pour les porteurs de dette des banques). Du fait de cette solution, les États doivent par tous les moyens réduire leur endettement au prix d’une diminution des déficits et en ayant recours à des dévaluations internes (qui améliorent la compétitivité prix de la production).

Cette politique peut aboutir à un moment ou à un autre à une mise en cause de l’Allemagne jugée inflexible et égoïste d’où la nécessité pour le Gouvernement d’Angela Merkel d’adresser des signaux plus coopératifs.