16 novembre 2019

Le Coin de la conjoncture du 16 novembre 2019

Un déficit public élevé se justifie-t-il en France ?

Si le taux d’endettement public baisse au sein de la zone euro, il continue à augmenter en France en se rapprochant de plus en plus de la barre des 100 % du PIB. Notre pays était dans la moyenne de la zone euro jusqu’en 2014. Depuis, les ratios divergent fortement, au point que l’écart est de 15 points en 2019. Il convient de souligner qu’entre 1999 et 2007, l’endettement public de la France était alors inférieur à la moyenne de la zone euro. Depuis 2008, le déficit public a été toujours supérieur à celui qui permettrait la stabilisation de la dette publique.

Cette croissance continue de l’endettement public repose-t-elle sur des facteurs spécifiques à la France ?

La dynamique des dépenses publiques de la France est naturellement plus élevée que celle de ses partenaires pour des raisons démographiques et militaires. Sur le plan démographique, le taux de fécondité supérieur de la France entraîne un surcroît de dépenses en matière d’éducation, de logement et de santé. Ces points sont cependant à relativiser car ces dernières années, l’Allemagne a accueilli plus de deux millions de réfugiés. Le Royaume-Uni ou l’Irlande ont également des taux de natalité élevés. Une croissance démographique plus dynamique est également porteuse d’une croissance plus forte, ce qui n’a pas été constaté, ces dernières années, en France. Les gouvernements mettent souvent l’accent sur le rôle que remplit la France sur le terrain de la défense de l’Europe en disposant tout à la fois de l’arme nucléaire et de forces de projection. Le poids des dépenses militaires ramené au PIB place la France dans le haut de la fourchette mais ne saurait expliquer la progression de la dette publique. Les dépenses de défense sont, en France, de 16 milliards d’euros supérieures à celles de l’Allemagne et de 10 à celles du Royaume-Uni (2016). En déduisant les dépenses afférentes à la gendarmerie, la France dépense autant que le Royaume-Uni.

Pas de problème d’endettement du secteur privé, bien au contraire

Une hausse du taux d’endettement public peut se justifier si elle compense une baisse du taux d’endettement du secteur privé. Mais si le taux d’endettement du secteur privé diminue dans les autres pays de la zone euro, il augmente en France. La dette des ménages et des entreprises représente en France 150 % du PIB en 2019 contre 90 % en 1999. Pour la zone euro, la croissance est moins forte. Cet endettement est passé en vingt ans de 120 à 160 % du PIB. Il diminue depuis 2011 (recul de 20 points) quand en France, il continue à progresser.

Une hausse du taux d’endettement public pourrait se justifier s’il y avait un excès d’épargne par rapport à l’investissement. Or, la France connait un déficit de sa balance courante. Elle a besoin d’attirer des capitaux extérieurs pour solder ces comptes avec l’étranger. Pour l’ensemble de la zone euro, grâce aux excédents allemands et néerlandais, la situation est inversée.

Les pouvoirs publics n’ont pas accru leur endettement afin de financer des investissements publics. Ces derniers sont orientés à la baisse depuis une dizaine d’années. Ils ne représentent que 3,5 % du PIB contre 4 % dans les années 2000.

Sur le plan économique, rien ne justifie la hausse du taux d’endettement public en France. Il n’y a pas d’insuffisance d’épargne, bien au contraire ; il n’y a pas un excès d’accumulation de capital privé. L’endettement public est lié à une augmentation des dépenses de fonctionnement et à l’incapacité à augmenter les prélèvements. Il répond à une logique de soutien, voire de dopage récurrent de l’économie avec une efficacité de plus en plus faible. Le récent débat sur l’abandon de la barre des 3 % de déficit public afin de pouvoir financer des dépenses d’investissement pose question. En effet, le franchissement de cette barre depuis 10 ans n’a pas donné lieu à une augmentation des investissements publics. En outre, il convient de s’interroger sur l’efficience des investissements réalisés sur fonds publics.

Quand l’augmentation de la masse monétaire ne crée pas d’inflation

Ces dernières années, un des plus grands mystères de la macroéconomie réside dans le fait que la croissance très rapide de l’offre de monnaie n’a pas provoqué une reprise de l’inflation.  En principe, à long terme, les prix augmentent comme le ratio offre de monnaie/PIB en volume ; or depuis 2008 cela n’est pas le cas.

La base monétaire de la Banque centrale européenne est passée de 1 000 à 3 000 milliards d’euros de 2008 à 2018. L’inflation sur cette même période est nettement inférieure à 2 %. La BCE n’a pas réussi à atteindre son objectif d’augmentation de prix la contraignant, en 2019, à abaisser à nouveau son taux de dépôt et à reprendre ses rachats d’obligation.

Une des premières explications de cette non-transmission de l’augmentation de la base monétaire au prix provient de l’augmentation des réserves du système financier. Celles des banques ont atteint 2 000 milliards d’euros en 2018 contre 300 milliards d’euros dix ans auparavant. Cette augmentation de leurs réserves combinée à celle de leurs fonds propres pèse naturellement sur l’évolution de la demande et donc sur les prix. Par rapport décennies précédentes, la relation entre la base monétaire et le PIB en valeur est altérée.

Pour les agents économiques non bancaires, la baisse des taux conduit à une plus forte demande de monnaie. La détention de la monnaie sans risque est privilégiée quand les placements à court terme rapportent peu. L’encours des dépôts à vue a atteint à fin septembre 2019, en France, plus de 400 milliards d’euros quand il était inférieur à 200 en 2007. Le taux d’épargne des ménages tend à augmenter avec une préférence pour les titres sans risque. Cette augmentation concerne tant l’épargne de précaution en raison de la multiplication des incertitudes économiques et sociales que l’épargne de long terme avec la nécessité de se constituer des compléments de revenus pour la retraite. Le vieillissement concourt naturellement à l’augmentation de l’épargne, que ce soit à travers l’acquisition de biens immobiliers ou de produits financiers sans risque.

La non-transmission de l’augmentation de la base monétaire à l’inflation masque l’existence de forces déflationnistes. Les prix des biens manufacturiers liés aux excédents de capacités de production des pays émergents sont orientés depuis des années à la baisse. L’offre s’accroît dans de nombreux secteurs d’activité avec le développement des plateformes de marché (Airbnb, Uber, etc.). L’essor du canal de distribution en ligne contribue également à peser sur les prix. Par ailleurs, la substitution d’emplois de service aux emplois industriels concourt à la baisse des revenus et donc de la demande, ce qui est, en soi, déflationniste. Le partage de la valeur ajoutée en défaveur des salariés constatée dans certains pays de l’OCDE renforce cette tendance.

La difficile équation des dépenses de santé

Avec le vieillissement de la population, les systèmes de santé sont sous pression dans tous les pays avancés. Cette situation est d’autant plus complexe que les États occidentaux sont également confrontés à une concentration de la population au sein de grandes métropoles entraînant une saturation des hôpitaux en milieu urbain et une désertification médicale en milieu rural ainsi qu’en périphérie des grandes agglomérations.

Les problèmes que rencontrent la France en matière de santé ne peuvent pas être mis sur le seul compte de la faiblesse des moyens financiers. En effet, notre pays arrive au quatrième rang au sein de l’OCDE pour la part de la richesse nationale consacrée à la santé. Les États-Unis occupent la première place au sein de l’OCDE pour les dépenses de santé. En 2018, elles ont représenté 16,9 % du PIB américain, juste devant la Suisse (12,2 % du PIB). Viennent ensuite l’Allemagne et la France qui devancent la Suède et le Japon. Le poids des dépenses de santé en France est de plus de 11 % du PIB. À l’opposé, au sein de l’OCDE, les dépenses de santé sont inférieures à 6 % de leur PIB au Mexique, en Lettonie, au Luxembourg et en Turquie. Le score étonnant du Luxembourg provient de son PIB gonflé à la fois par l’apport des travailleurs frontaliers qui se font soigner dans leur pays d’origine et par l’apport du système financier.

L’OCDE s’inquiète des conséquences de la prévalence croissante de l’obésité et du diabète. Les taux d’obésité continuent d’augmenter dans la plupart des pays de l’OCDE, 56 % des adultes étant en surpoids ou obèses et près d’un tiers des enfants âgés de 5 à 9 ans étant eux aussi en surpoids. Il en résulte une augmentation des décès dus aux maladies cardiaques et aux AVC. Les maladies respiratoires, comme la grippe et la pneumonie, ont également fait plus de victimes ces dernières années, notamment chez les personnes âgées. Cela est dû non seulement au vieillissement de la population mais aussi à un moindre recours à la vaccination au sein de la population.

L’usage des drogues constitue un réel problème de santé publique. Depuis 2011, les décès liés aux opioïdes ont augmenté d’environ 20 % dans les pays de l’OCDE et ont fait environ 400 000 victimes rien qu’aux États-Unis. Le nombre de décès liés aux opioïdes est également relativement élevé au Canada, en Estonie et en Suède.

Au niveau des addictions, les taux de tabagisme diminuent, mais 18 % des adultes fument encore quotidiennement. La consommation atteint en moyenne l’équivalent de 9 litres d’alcool pur par personne et par an dans les pays de l’OCDE, soit près de 100 bouteilles de vin. Près de 4 % des adultes sont dépendants à l’alcool. L’augmentation des tarifs et une sensibilisation accrue du public notamment sur les méfaits de l’alcool est souhaitée par l’OCDE.

La pollution atmosphérique est responsable d’environ 40 morts pour 100 000 habitants dans les pays de l’OCDE. Les taux de mortalité sont beaucoup plus élevés dans des pays comme l’Inde et la Chine, avec environ 140 décès pour 100 000 habitants.

Dans son rapport de 2019 sur la santé, l’OCDE préconise plusieurs pistes d’économies. Elle recommande ainsi un recours accru aux médicaments génériques. Elle a constaté que ces derniers ne représentent que la moitié du volume des produits pharmaceutiques vendus dans les pays de l’OCDE. Certains États membres de l’organisation internationale sont en pointe sur ce sujet. Plus des trois quarts du volume des produits pharmaceutiques vendus au Chili, en Allemagne, en Nouvelle-Zélande et au Royaume-Uni sont des génériques. En revanche, au Luxembourg et en Suisse, c’est moins du quart.

Les soins de santé et les services sociaux représentant environ un emploi sur dix dans les pays de l’OCDE. Les problèmes d’effectif et de désertification obligent les États à revoir les modes d’organisation. L’organisation internationale est favorable à la généralisation des transferts de tâches des médecins vers les infirmiers et d’autres professionnels de santé pour atténuer la pression des coûts et permettre de réaliser des gains d’efficience. Cette solution a été retenue par le Gouvernement français avec la création de postes d’assistants des médecins. La possibilité donnée pour les pharmaciens de réaliser des vaccinations obéit à la même logique.

L’OCDE considère que des progrès sont possibles afin d’améliorer la sécurité des patients qui est une source de surcoûts pour le système de santé. Près de 5 % des patients hospitalisés ont contracté une infection nosocomiale en 2015-17.

La France, bien placé en matière de santé mais pourrait mieux faire

L’OCDE dans son rapport annuel sur la santé souligne que, avec un ratio élevé de dépenses de santé, la France obtient des résultats corrects dont témoigne notamment une espérance de vie supérieure de deux ans à la moyenne de l’OCDE. Néanmoins, l’espérance de vie en bonne santé est tout juste dans la moyenne et ne progresse plus depuis quelques années. L’organisation internationale note que l’espérance de vie ne progresse plus réellement en France comme dans un certain nombre de pays membres dont les États-Unis.

L’OCDE souligne que la socialisation des dépenses de santé est sans comparaison en France. La France se caractérise, en effet, par le reste à charge pour les ménages le plus faible et par un accès aux soins comptant parmi les meilleurs. Même si le nombre d’obèses progresse, il reste inférieur à la moyenne de l’OCDE. La question de l’accès limité aux médecins dans les zones sous dotées se pose de plus en plus. La densité de médecins était, en 2017, de 2,7 médecins pour 1 000 habitants dans les zones principalement rurales, contre 3,9 médecins pour 1 000 habitants dans les zones principalement urbaines. En France, il y avait 3,7 infirmiers pour chaque médecin en 2017, un ratio supérieur à la moyenne de l’OCDE de 2,7, mais toutefois inférieur à d’autres pays de l’OCDE, notamment le Japon, la Finlande et la Norvège (où le ratio est proche de 4 voire supérieur). La densité d’infirmiers a augmenté en France pour atteindre 10,5 infirmiers pour 1 000 habitants en 2017. Dans le secteur des soins primaires, de nouveaux rôles de soutien pour les infirmiers, les pharmaciens et les autres professionnels de santé peuvent réduire la charge de travail des médecins du secteur des soins primaires.

Des hôpitaux procurant des soins de qualité mais en pleine crise de nerf

Pour l’OCDE, les hôpitaux fournissent des soins de grande qualité, comme le reflètent les taux de mortalité dans les 30 jours suivant une crise cardiaque (20 %) et un AVC (10 %) inférieurs à la moyenne de l’OCDE. Inversement, les admissions évitables pour le diabète et les insuffisances cardiaques, qui devraient être traités dans le secteur des

soins primaires, sont supérieures à la moyenne de l’OCDE. L’hôpital public est néanmoins confronté à une crise depuis une vingtaine d’années qui se traduit par l’accumulation des dettes, le retard systématique des investissements à réaliser et le départ des cadres médicaux. Un quart des postes de médecins serait vacant. Cette situation conduit les hôpitaux à faire appel à des intérimaires qui sont bien souvent des anciens titulaires ou des médecins étrangers qui sont mieux payés que le personnel titulaire. Il en résulte des tensions sociales et une désorganisation chronique. Malgré une série de réformes intervenues depuis le début du XXIe siècle, les relations entre administratifs et personnels soignants restent difficiles et peu coopératives.

Trois points noirs en matière de santé publique en France : les antibiotiques, le tabac et l’alcool

Les prescriptions d’antibiotiques en France sont 25 % supérieures à la moyenne de l’OCDE. Deux autres points noirs sont signalés, le taux de tabagisme quotidien en France qui est le quatrième plus élevé des pays de l’OCDE et la consommation d’alcool en France qui est la troisième plus élevée des pays de l’OCDE. Comme dans les autres pays de l’OCDE, les hommes fument plus que les femmes : le taux est 28 % pour les hommes, contre 23 % pour les femmes. Les taux de tabagisme sont aussi plus élevés parmi les moins éduqués. L’alcool est une cause majeure de décès et d’incapacité, avec une consommation en France encore 30 % supérieure à la moyenne de l’OCDE. Tout comme pour la consommation de tabac, les hommes sont plus susceptibles que les femmes de boire, avec une part de buveurs dépendants plus de trois fois supérieure chez les hommes que chez les femmes (5,3 % pour les hommes et 1,5 % pour les femmes).