19 janvier 2019

Le Coin de la Conjoncture du 19 janvier 2019 – système monétaire, concurrence fiscale, taux d’intétrêt

Les retraités au cœur de la concurrence fiscale européenne

Lors de ses derniers vœux à la presse en tant que Commissaire européen chargé des Affaires économiques et Financières, de la Fiscalité et des Douanes, Pierre Moscovici a proposé le passage de la règle de l’unanimité à celle de la majorité qualifiée sur les questions fiscales qui relèvent de la compétence européenne. Il a déclaré que « ma conviction est que l’unanimité ne protège plus la souveraineté nationale dans le monde actuel comme l’affirment encore certains des États membres ». Si en quatre ans, quatorze directives sur la fraude fiscale ont été adoptées, sept autres, notamment celles qui concernent l’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés ou la fiscalité numérique, ont été bloquées au niveau du Conseil européen, faute de vote unanime. La levée de la règle de l’unanimité au profit de celle de la majorité qualifiée – c’est-à-dire réunissant au moins 55 % des États membres représentant au moins 65 % de la population de l’Union – suppose un accord préalable de tous les Etats membres, ce qui est loin d’être acquis.

La question de l’harmonisation fiscale risque de se poser de plus en plus au regard des pratiques non coopératives que développent certains États membres. L’Irlande en abaissant à 12,5 % le taux de l’impôt sur les sociétés a montré la voie en attirant de nombreux sièges sociaux. Ce pays a contraint de nombreux pays à abaisser le taux d’imposition des bénéfices. Le combat se déplace aujourd’hui sur le terrain de l’impôt sur le revenu. Ainsi, l’Italie a adopté un régime favorable aux retraités étrangers souhaitant s’établir chez elle. Les pensions de retraite et les autres revenus de source étrangère seront désormais assujettis à une taxation limitée à 7 %. La réduction d’impôt s’appliquera pour les cinq ans à dater de l’installation. Pour en bénéficier, les personnes devront résider dans une ville de moins de 20 000 habitants, dans une des huit régions du Sud de l’Italie : la Sicile, la Calabre, la Sardaigne, la Campanie, les Pouilles, les Abruzzes, le Molise ou la Basilicate. Cette mesure s’adresse en particulier aux retraités italiens qui vivent en dehors de leur territoire. Cette mesure s’inspire de celle mise en œuvre, depuis le 1er janvier 2013, au Portugal où une exonération totale des pensions d’origine étrangère est appliquée durant une période de dix ans pour les personnes s’y établissant fiscalement.

Le gouvernement italien a également pris des dispositions visant à attirer les expatriés diplômés. Ainsi, les « impatriés », titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur (et aux personnes occupant un poste de direction d’entreprise) pourront bénéficier d’un abattement de 50 % de leur revenu du travail imposable, et ce, pendant les cinq premières années de résidence en Italie. Cette mesure s’adresse aux personnes qui décident d’établir leur résidence principale dans ce pays pour au moins deux ans pour y exercer leur activité principale. Cette disposition ne s’applique pas aux personnes qui ont résidé en Italie au cours des cinq dernières années. Par ailleurs, les professeurs et les chercheurs installant leur résidence fiscale en Italie peuvent désormais bénéficier d’une réduction de 90 % pendant quatre ans de leurs impôts. Enfin, une taxation forfaitaire des revenus issus de l’étrangers est prévue pour les résidents étrangers choisissant l’Italie.

De manière discrète, la France a également pris des mesures visant à encourager les impatriés notamment en prévision du Brexit. Les personnes s’installant ou revenant en France peuvent bénéficier pour plusieurs années d’un système de prélèvement forfaitaire avantageux.

La multiplication des mesures incitatives visant à attirer les retraités, les chercheurs et plus généralement les talents risque d’aboutir à une surenchère fiscale pouvant fragiliser l’édifice européen. L’harmonisation pour la TVA qui pour le moment existe, et encore de manière imparfaite, est restée lettre morte en matière d’impôt sur les sociétés, d’impôt sur le revenu et d’impôt sur le patrimoine Dans un marché qui se caractérise par la libre circulation des biens, des personnes et des capitaux, le maintien de règles trop dissemblables peut poser un problème. Néanmoins, l’uniformisation n’est pas obligatoire comme le prouvent les Etats-Unis. D’un Etat à un autre, la législation fiscale diffère.

 

Les taux bas sont-ils devenus nos meilleurs ennemis ?

Depuis deux ans, la hausse des taux est annoncée mais elle se dérobe sous nos pieds. Ainsi, l’année dernière, fin décembre, ils étaient plus faibles qu’en début d’année. Au nom de la banalisation de la politique monétaire, leur remontée serait souhaitable mais au moment où un ralentissement de l’économie est constaté, elle pourrait l’accentuer. Logiquement, les taux d’intérêt à long terme sont censés représenter le taux de croissance ainsi que le taux d’inflation et incorporer une prime de risque. En ce début de 2019, les taux bas enregistrés en France comme en Allemagne semblent traduire que l’inflation comme la croissance seront étales pour les prochaines années. La pérennisation de taux bas favorise l’installation d’un cycle dépressif contrairement à ce que souhaite la Banque centrale.

Une baisse du taux d’intérêt nominal conduit à une baisse du taux d’inflation à long terme. Son anticipation rétroagit à court terme favorisant l’enclenchement d’un cycle dépressif. Cela pourrait expliquer le faible taux d’inflation sous-jacente que connaît l’Europe depuis plusieurs années.

Les taux bas conduisent à une dépréciation du taux de change, ce qui renchérit le coût des importations et ce qui réduit le pouvoir d’achat des ménages. Cette situation peut provoquer une réduction de la consommation et donc un ralentissement de la croissance. Par ailleurs, si demain ne rapporte plus, pourquoi investir aujourd’hui ? Certes, depuis l’instauration de la politique monétaire non conventionnelle, les dépenses d’investissement sont en hausse au sein de la zone euro mais le retard accumulé de 2008 à 2015 n’a pas été rattrapé. Un essoufflement est même constaté depuis le milieu de l’année 2018. La baisse des taux serait la conséquence tout à la fois d’une aversion aux risques et d’un rejet du futur. Le Japon engagé dans un processus de déclin démographique symbolise cette tendance.

Le lien entre croissance et taux d’intérêt est net. Le recul de l’activité s’est traduit par une baisse des taux sur les titres publics des pays du cœur de la zone euro. Il y a anticipation d’un repli de la croissance. En y intégrant l’inflation, les taux d’intérêt réels ont atteint des niveaux extrêmement bas depuis le milieu de l’année 2018 témoignant d’un doute sur la poursuite du cycle économique. La fin de la politique des rachats d’obligations de la part de la Banque centrale européenne pourrait modifier la donne tout comme le relèvement de ses taux directeurs à la fin de l’année. Mais, si le ralentissement économique se confirmait, elle pourrait être contrainte d’y renoncer. Un scénario à la japonaise n’est donc pas à exclure.

Qui croit encore à un nouveau système monétaire international ?

L’économiste Stuart Mill (1806-1873) écrivait que « la monnaie est un instrument qui permet de faire vite et commodément ce que l’on pourrait faire sans lui moins vite et moins commodément ». Il ajoutait que « cet instrument comme beaucoup d’autres n’exerce une influence autonome et indépendante que lorsqu’il se détraque ».

Le recours à une monnaie pour faciliter les échanges date de plus de 3000 ans. Les premières devises sont souvent issues des unités de poids. Les premières pièces de monnaie métallique auraient vu le jour dans le Royaume de Lydie où régna le fameux Crésus. Les Chinois ont émis les premiers billets voici plus de 2000 ans.

Dès 2300 avant Jésus-Christ, des écritures comptables sont réalisées pour gérer dettes et créances en se fondant sur la comparaison de la valeur des biens produits et échangés en prenant comme référence des valeurs étalons admis de tous. En Égypte, avant même la circulation de la monnaie fiduciaire, des unités de compte sont utilisées couramment comme le Sha et ou le Quite par les scribes. Dès l’Antiquité, la notion de confiance est associée à celle de monnaie ou d’unité de compte. Ainsi, « crédit » provient du latin « credere », croire, avoir confiance et « fiduciaire » du latin « fiducia », la confiance.

Les quatre missions de la monnaie

La monnaie est une unité de compte qui permet de mesurer et de comparer des biens et des services hétérogènes. Elle offre la possibilité d’effectuer des comparaisons dans le temps et en des lieux différents.

La monnaie est un facilitateur d’échanges en permettant le règlement facile des achats. Elle remplace le troc qui est une relation bilatérale complexe. La monnaie fluidifie les échanges. Les agents économiques doivent de ce fait avoir confiance en elle. Elle doit être facilement transférable et difficile à contrefaire.

La monnaie joue un rôle d’arbitrage. Elle offre la possibilité de créer une grille générale des valeurs et est donc indispensable au fonctionnement du système de prix. Sans elle, il serait impossible d’avoir une vision complète des prix et des coûts dans une économie mondialisée comptant un nombre très important de biens et de services. Tout calcul économique serait impossible si le troc était resté la règle. Le nombre d’échanges aujourd’hui se compte, en effet, en dizaines de milliards chaque année.

La monnaie est un instrument de réserve. Elle sert pour reprendre Keynes à faire « le lien entre le passé et le présent et l’avenir ». L’actif monétaire permet de reporter un achat ou le règlement de ce dernier et d’épargner en vue d’une consommation. La monnaie dispose d’un pouvoir bien supérieur à celui du troc. Certes, si avec la sophistication croissante de l’économie, le troc est devenu marginal, son esprit a pesé et pèse encore sur les échanges internationaux à travers notamment le principe de l’équilibre des balances des paiements des États et des systèmes de compensation. Des importateurs d’un État peuvent avoir besoin d’acquérir des devises étrangères pour réaliser leurs achats si les exportateurs n’acceptent pas leur monnaie. Cela suppose qu’ils puissent accéder à ces devises étrangères auprès de leurs établissements financiers qui devront en acquérir sur les marchés ou auprès de la banque centrale du pays importateur. In fine, des ventes d’actifs financiers ou physiques peuvent être nécessaire pour solder un déficit. Si les échanges sont réglés dans la monnaie du pays importateur (exemple les Etats-Unis) ou si une monnaie joue le rôle d’étalon international (le dollar), il en résulte la constitution de réserves de change qui peuvent être placées ou le cas échéant converties en or si le système monétaire le permet.

Les échanges entre pays posent donc des problèmes de règlement. Les importateurs se retrouvent avec des devises dont ils n’ont pas besoin dans leur pays d’origine. Ils souhaitent donc les échanger auprès d’établissements financiers qui doivent alors les replacer. Il faut définir des taux de change cohérents et demander leur remboursement en cas de non utilisation des devises étrangères ainsi accumulés. La pratique d’un étalon reposant sur un métal précieux, l’or ou l’argent a été durant des siècles la solution pour effectuer des échanges entre pays. L’or s’est imposé du fait de ses qualités (rareté, densité, résistance, production limitée mais assez bien répartie).

L’étalon or est utilisé pour réaliser des opérations commerciales internationales dès la fin de la guerre de Cent Ans. L’Office Saint Georges dépendant de Gênes recourait à l’or pour gérer ses échanges commerciaux. C’est évidemment l’internationalisation de l’économie avec la révolution industrielle qui imposa le recours à une valeur de référence au niveau international pour faciliter les échanges. De nombreuses monnaies étaient liées à l’or, ce qui explique pourquoi ce dernier servit naturellement d’étalon monétaire mondial au cours du XIXe siècle. Le système de l’époque reposait sur des règles informelles.

Le système de l’étalon or est régi par quatre règles :

  • chaque monnaie est définie par un poids d’or ;
  • la convertibilité de la monnaie en or est assurée à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières ;
  • les taux de change des monnaies sont définis par rapport à des parités en or ;
  • un pays qui subit des sorties d’or doit réduire à due concurrence son volume de monnaie, ce qui doit conduire à une réduction des importations, à une réduction des prix et à un rééquilibrage de sa balance des paiements courants.

En cas de déséquilibre majeur, les Etats avaient alors la possibilité de dévaluer leur monnaie par rapport à l’or ou l’argent (. Cette dévaluation était la marque d’un appauvrissement. Avec une même quantité de monnaie, les agents économiques peuvent acheter en valeur moins de biens ou de services en provenance de l’étranger. Inversement, les non-résidents voyaient leur pouvoir d’achat sur le pays ayant dévalué, augmenter. Les dévaluations étaient utilisées pour rééquilibrer les comptes extérieurs. Cette arme, dans un premier temps indolore, aboutissait à une perte de pouvoir d’achat potentiel pour les résidents. Elle était censée favoriser les exportations en améliorant la compétitivité sous réserve que l’inflation importée ne dégrade pas cette dernière. C’est pourquoi, les pays comme la France qui l’ont souvent utilisée étaient contraints de mettre en place des plans de rigueur intégrant un contrôle des prix. Dans une économie mondialisée, le recours à la dévaluation est de plus en plus délicat car il est synonyme de guerre des changes. Il est jugé peu coopératif. En outre, compte tenu de l’intégration des économies, il se retourne contre celui qui l’utilise.

Les principes théoriques du système de l’étalon or ont été plus ou moins respectés durant le XIXe siècle mais ont volé en éclat au cours du XXe siècle du fait de la crise de 1929 et des deux conflits mondiaux. Les États ont remis en cause la convertibilité en interne pour éviter une dilapidation du stock durant les crises et les guerres. Certes, en 1922, à la conférence de Gênes, les États européens réaffirment la nécessité, après la Première Guerre mondiale, du retour à l’étalon or mais ils assortissent cette règle d’une limitation. La convertibilité ne pourra s’effectuer qu’en lingots. Par ailleurs, la convertibilité externe peut s’effectuer également avec des devises dont la valeur est rattachée à l’or.

Avant même la fin de la Seconde Guerre mondiale, à Bretton Woods, au mois de juillet 1944, les alliés définissent les règles d’un nouveau système monétaire international. Convaincus que les désordres monétaires avaient favorisé la crise et l’émergence de régimes autoritaires belliqueux, ils décident l’instauration d’un cadre international régulé. À cette fin, deux plans ont été établis en 1943, l’un est britannique et est porté par Keynes, le second est américain et est défendu par White. Keynes souhaitait la mise en place d’un système monétaire international très organisé avec la création d’une chambre de compensation, l’Union Internationale de Clearing, supervisant les relations entre les banques centrales. Chaque pays devait prendre l’engagement de fournir en tant que de besoin des crédits libellés dans une monnaie internationale, le bancor, définie par rapport à l’or. Les devises seraient définies par rapport à l’or et en fonction des déficits et des excédents extérieurs auraient été dévaluées ou réévaluées. Keynes avait également prévu la création d’une Agence Spéciale d’Aide et de Reconstruction et d’une Banque Internationale d’Investissement dont l’objectif était d’éviter les récessions. Le plan américain reposait sur le principe d’un étalon de change or. Il prévoyait une monnaie de référence, l’Unitas, la création d’un fonds de stabilisation et la reconnaissance du libre-échange. Le contrôle des changes était interdit. Par ailleurs, seuls les pays en déficit étaient censés prendre de mesures pour restaurer l’équilibre de leurs comptes courants à travers notamment la dévaluation de leur monnaie. De ces plans, les négociations de Bretton Woods ont retenu l’abandon de l’étalon or, l’utilité d’un organisme international (le FMI et la Banque mondiale), le libre-échange.

Avec Bretton Woods, les monnaies sont définies soit directement par leur poids en or, soit indirectement à travers leur parité avec le dollar (sur la base de 35 dollars l’once). Les banques centrales doivent s’engager soit à assurer la convertibilité de leur monnaie en or, soit à maintenir le taux de change contre les autres monnaies à l’intérieur d’une marge de fluctuation de 1 %. Les États-Unis du fait de leur puissance économique dominante à la sortie de la Seconde Guerre mondiale et de l’importance de leur stock d’or étaient les seuls à pouvoir choisir la première solution qui les libérait de toutes contraintes vis-à-vis des autres devises. Le Fonds Monétaire International a reçu comme mission de superviser les opérations de changement de parité des différentes monnaies. Le système de Bretton Woods prévoyait des mécanismes de soutien mutuel, conditionné, en cas de crise dans un des pays membres de l’accord. Les États pouvaient bénéficier de crédits reposant sur des droits de tirage.

Les déficits extérieurs américains, la libéralisation du prix de l’or, le développement des eurodollars ont mis à mal le système monétaire issu de Bretton Woods. La convertibilité du dollar en or a été progressivement restreinte tandis que cours réel de l’or s’éloignait de plus en plus des 35 dollars l’once. De manière jugée alors peu coopérative, entre 1963 et 1967, la France obtint la conversion de ses réserves en dollars contre de l’or.

Le 15 août 1971, le début d’une nouvelle ère pour l’économie

L’économie mondiale évolue depuis une quarantaine d’année dans un non système monétaire ou plutôt dans un système dollar. L’abandon de la convertibilité en or du dollar le 15 août 1971, et l’instauration des changes flottants en 1973 confirmée par les accords de la Jamaïque de 1976 ont profondément changé les règles monétaires à l’échelle internationale. Le 15 août 1971 est certainement une date charnière pour l’économie. En effet, la décision américaine coupe le lien multiséculaire entre matière (l’or, l’argent) et monnaie. La création de monnaie avait jusqu’à cette date comme seule limite la quantité de métal précieux. Certes, durant certaine période, les États se sont soustraits à cette règle en recourant à la planche à billets mais à un moment ou un autre, il y avait un retour aux fondamentaux. Depuis 1971, la valeur de la monnaie est fonction de l’offre et de la demande. Elle est liée à une série de facteurs, les taux d’intérêt, les résultats de la balance des paiements courants, la croissance, les réserves monétaires et la valeur des autres monnaies. Il faut également prendre en compte des considérations d’ordre géopolitique. La planche à billets autrefois condamnée est devenue une pratique courante. La crise de 2008 a débouché sur une augmentation sans précédent des bilans des banques centrales. La création monétaire a pris la forme de rachats d’obligations. Cette pratique a été réalisée au Japon, aux États-Unis, au Royaume-Uni, dans la zone euro mais aussi en Chine. Pour lutter contre la récession et la menace déflationniste, toutes les grandes banques centrales ont opté pour des politiques monétaires dites non conventionnelles. Ce qualificatif a sans nul doute perdu de son sens car ces politiques sont devenues la norme à partir des années 2010.

Le système monétaire mondial reste un système dollar

Le dollar reste la monnaie dominante tant pour les échanges (plus de 50 %) que pour les réserves (plus de 60 %). Les États-Unis ont ainsi la possibilité d’imposer leurs règles commerciales et financières à tous les pays, à toutes les entreprises qui utilisent leur monnaie. Plusieurs banques dont BNP PARIBAS ont été sanctionnées pour ne pas avoir respecté les embargos décidés par les Américains à l’encontre de certains pays (Iran).

A la différence des systèmes précédents qui reposaient sur un voire deux étalons (l’or ou l’argent par exemple), les changes flottants reposent sur la loi de l’offre et la demande de monnaie. Les Droits de Tirage Spéciaux, calculés à partir d’un panier de monnaie (dollar, euro, livre sterling, yen et yuan), ne constituent pas un étalon du fait du refus, en 1944, des États-Unis qui tirent profit du système actuel. En effet, en raison de leur poids économique, financier et militaire, ils peuvent attirer les capitaux nécessaires au financement de leur double déficit, budgétaire et courant. Certes, contrairement à certaines idées reçues, une grande partie du déficit budgétaire américain est prise en charge par le système des banques centrales des États fédérés. Mais la récurrence d’un déficit courant lié à un imposant déséquilibre commercial, n’est possible par l’acceptation par les importateurs de dollars. Ces derniers conservent leurs dollars jugés plus sûrs et plus rémunérateurs que leur devise nationale. Ce double atout permet aux États-Unis d’user et parfois d’abuser de ce pouvoir de seigneuriage monétaire.

Un système monétaire peu efficient

Le système monétaire actuel aboutit à ce que les capitaux aillent des pays pauvres vers les pays riches. Il n’est pas auto-équilibrant comme le prouve le maintien d’importants déficits et excédents courants, en Allemagne, en Chine ou aux Etats-Unis. La Chine, le Japon comme l’Union européenne dégagent des excédents supérieurs à 2 % du PIB quand les États-Unis de manière structurelle sont déficitaires à hauteur de 2 à 3 % du PIB. Ces derniers sont donc financés par le reste du monde, ce qui leur garantit l’amélioration constante du PIB par habitant et le maintien d’un écart conséquent avec les autres nations. En standard de pouvoir d’achat, le PIB par habitant américain est supérieur de 17 000 dollars en 2018 à celui de l’Union européenne et de 42 000 à celui de la Chine.

Dans ces conditions, les dettes extérieures brutes ne peuvent que s’amplifier. Elles sont passées de 60 à 145 % du PIB de 1998 à 2018. La multiplication des flux de capitaux est une source d’intégration des différents États au sein de l’économie mondiale. Elle favorise également la volatilité de la valeur des actifs. Elle contribue aux fortes variations de change et peut générer des mouvements inflationnistes en particulier au sein des pays émergents. Ces flux peuvent contraindre les banques centrales des pays émergents à relever fortement leurs taux directeurs pour réduire les fuites de capitaux au risque de casser la croissance. Ces dernières années, la Turquie, l’Argentine ou la Russie en ont fait l’amère expérience.

La base monétaire mondiale a été multipliée par plus de cinq entre 1998 et 2018. Par rapport au PIB mondial, son poids est passé de 10 à 35 %. Cette croissance monétaire de la base monétaire n’a pas été coordonnée. Le Fonds Monétaire International a été suiveur plus qu’acteur dans la mise en œuvre des politiques monétaires non conventionnelles. Les pays émergents ont, constitué d’importantes réserves de change pour empêcher la logique appréciation de leur monnaie. Les réserves de change mondiales sont passées de 1998 à 2018 de 1800 à 11 000 milliards de dollars. De nombreuses monnaies sont ainsi sous-appréciées. C’est le cas du yuan, du yen et de l’euro. En revanche, le dollar est surévalué en raison de la politique américaine et notamment du positionnement économique financier et militaire des États-Unis.

Si le système monétaire actuel est pourvoyeur de nombreux déséquilibres, nul n’imagine sa refonte à court terme du fait de l’absence de consensus des parties prenantes. La Chine ne dispose pas d’un système monétaire et financier transparent et ouvert. Les investissements étrangers sont encore réglementés. La profondeur du marché financier reste encore modeste. L’Europe, premier centre commercial international, pourrait être en position d’initier un projet de système monétaire international. L’euro, en vingt ans, est devenu la deuxième monnaie mondiale derrière le dollar. Mais les divisions internes, les incertitudes pesant sur certains États membres et l’absence d’avancée fédérale empêchent l’Union européenne de peser sur la scène monétaire internationale. Les États-Unis ont trop à perdre à rebâtir un nouveau système monétaire. Les dirigeants américains ont toujours été très méfiants à l’encontre des DTS (droits de tirages spéciaux) assis sur un panier de monnaie qui pourraient jouer le rôle d’étalon. Ils s’étaient déjà opposés en 1944 au projet de Keynes qui visait justement à ne pas placer une monnaie au cœur du système monétaire international. L’idée de créer un nouveau système à partir d’une crypto-monnaie a été émise après la crise de 2008. Il en a résulté la création notamment du bitcoin mais cette création qui repose sur la technique de la blockchain ne répond pas pour le moment aux objectifs assignés à une monnaie et surtout ne remplit pas les conditions nécessaires. Une monnaie doit être un étalon, un instrument d’échange et de réserve ainsi qu’un outil d’arbitrage. La monnaie n’est pas un outil de spéculation.