19 novembre 2016

Le Coin de la Conjoncture du 19 novembre 2016

C’est la faute à l’épargnant, c’est la faute de l’investisseur

En raison des excédents de la balance des paiements courants en Chine mais aussi de la zone euro, du faible niveau de consommation des habitants des pays émergents et du vieillissement des pays avancés, l’épargne est, à l’échelle mondiale surabondante. L’excédent du compte courant de l’Allemagne dépasse 7 % du PIB quand celui de l’ensemble de la zone euro est supérieur à 3 % du PIB. Le taux d’épargne des ménages chinois dépasse 40 % du revenu disponible brut. En Allemagne, comme en France, il dépasse 14 %.

L’investissement a connu, de son côté, une véritable rupture en 2008. Le ratio d’investissement n’a pas retrouvé son niveau d’origine. Il est au sein de la zone euro, inférieur de 2 points.

Aux États-Unis, l’investissement a renoué assez rapidement avec son niveau d’avant crise même si un tassement est constaté depuis 2015 en raison de la chute des prix pétroliers qui a entraîné une baisse de commandes de biens d’équipement de la part des sociétés de pétrole de schiste ou bitumineux.

Les entreprises européennes n’ont pas repris le chemin de l’investissement pour différentes raisons. L’absence de visibilité sur la conjoncture économique constitue une des principales raisons. La dernière enquête de Bpifrance indique clairement que le recul de l’investissement est lié à la faiblesse de la demande. Selon une étude de la Banque de France, la demande attendue constitue le principal déterminant du recul de l’investissement des entreprises, contribution négative de plus de 80 %.

Le second levier économique important de l’investissement est la confiance et la stabilité de la réglementation. Les dirigeants d’entreprise refuseraient d’investir dans 17 % des cas du fait d’un manque de visibilité sur la réglementation.. Si l’environnement est incertain, en particulier, en ce qui concerne les normes ou la fiscalité, les entreprises optent pour un comportement attentiste.

Alimentée par des facteurs externes, la baisse des cours de l’énergie et la dépréciation de l’euro, la croissance est jugée fragile. Le vieillissement de la population pèse, sans nul doute, sur l’évolution de l’activité. Par ailleurs, les dirigeants d’entreprise, échaudés par la crise de 2008, sont moins portés sur le risque qu’auparavant. La Banque centrale européenne souligne que les entreprises ont, depuis 2009, changé de comportement. Elles sont devenues des prêteurs nets alors qu’elles étaient auparavant des emprunteurs nets ; elles contribuent ainsi à alimenter l’excédent du compte courant de la zone euro. Cette situation est d’autant plus préjudiciable que leurs concurrentes américaines et asiatiques ont, ces dernières années, investi dans le digital.

Pour le Gouverneur de la Banque de France, « le coût du financement par endettement est faible dans la zone euro, il n’existe aucun signe de rationnement du crédit ». Pour autant, il admet que l’investissement des entreprises ne réagit pas aux stimuli des taux.

Les économistes de la Banque de France notent que, pour pouvoir prendre plus de risques, les entreprises ont moins besoin d’autofinancement et de financement par l’endettement que de financement par fonds propres. Or, si le taux du crédit est faible, celui des capitaux propres est resté élevé. Selon les calculs de la Banque centrale, le coût nominal des capitaux propres demeure supérieur à 9 % pour les grandes entreprises cotées dans la zone euro. Cette prime de risque incite les entreprises à privilégier le versement de dividendes et les rachats d’actions par rapport à l’investissement. Les investisseurs préfèrent une valorisation immédiate à un gain potentiel à venir.

Ce comportement concerne également les États-Unis où, depuis le début des années 2010, les rachats d’actions et les dividendes ont fortement augmenté pour représenter plus de 100 % des bénéfices déclarés. Néanmoins, ce pays dispose d’une situation plus favorable que la zone euro. En effet, les fonds propres des entreprises y représentent 121 % du PIB  contre seulement 52 % dans la zone euro. Ce financement par le marché est un gage de développement d’innovation. En Europe, l’épargne demeure trop investie en produits de taux liquides. Sa réorientation vers des produits de long terme est nécessaire. Certes, du fait d’une aversion au risque traditionnellement plus élevée en Europe que de l’autre côté de l’Atlantique, il est impensable de changer, en quelques années, les comportements des épargnants. Pour le Gouverneur de la Banque de France, il faut tenter d’allonger la durée de l’épargne. Il indique que les deux premières motivations de l’épargne en France sont la protection contre des évènements imprévus et la retraite. C’est pourquoi il a été amené à proposer la création de nouveaux produits « offrant aux intermédiaires financiers, en particulier aux sociétés d’assurance-vie, des passifs suffisamment longs pour leur permettre de prendre des risques mutualisés – essentiellement sous forme de placements en actions – et permettront aux épargnants de bénéficier du meilleur rendement des actions sur la durée ».

Conscient que l’Europe financière s’éteint avec une segmentation des différents marchés nationaux, François Villeroy de Galhau souhaite une amélioration de la circulation de l’épargne au sein de l’Union européenne. Cette mobilité du capital est, en effet, indispensable pour corriger les déséquilibres de comptes courants. De nombreux économistes comme Jean Tirole ou Joseph E. Stiglitz ont mentionné à plusieurs reprises que l’union monétaire n’est pas viable sans une plus grande mutualisation des capitaux en son sein.

À cette fin, le Gouverneur de la Banque de France appelle de ses vœux une « Union de financement et d’investissement » (UFI). Cette UFI regrouperait l’Union des marchés de capitaux et le Plan Juncker ainsi que l’Union bancaire. L’UFI devrait être un moteur du capital risque en Europe afin de réduire l’écart de taille sur ce créneau avec les Etats-Unis (l’échelle de tailles varie d’au moins 1 à 10 en raison des frontières nationales en zone euro). L’UFI devrait prévoir un régime européen de faillite et une information financière plus large et plus standardisée sur les entreprises européennes, y compris les PME.

 

Les actifs diplômés dans les agglomérations, les retraités à l’ouest et au sud

La création de 13 grandes régions n’a fait que traduire, la proéminence des grandes agglomérations sur le territoire français. Ce découpage contribue à accroître la segmentation territoriale de la France. En effet, les actifs diplômés se concentrent au cœur des grandes villes quand employés et ouvriers résident en lointaine banlieue tandis que les retraités migrent vers le littoral atlantique et celui de la Méditerranée.

Les grandes agglomérations concentrent un nombre croissant d’emplois

En 2013, comme en 2008, selon les données de l’INSEE, les grandes agglomérations concentrent les arrivées d’emplois, qu’il s’agisse de créations ou de transferts. La demande concerne essentiellement des travailleurs qualifiés. Par ailleurs, cette concentration vaut également pour les régions en difficulté. Ainsi, Lille continue à enregistrer des créations d’emploi malgré la faible croissance de la Région Hauts de France. L’agglomération lilloise aspire des emplois qui auparavant étaient disséminés entre Amiens, Arras ou Dunkerque.

Entre 2008 et 2013, l’emploi total y a progressé de 3 % quand il est resté stable sur le reste du territoire. Dans les zones d’emploi de Toulouse, Paris et Lyon, plus de 5 emplois sur 1 000 du secteur privé sont occupés par des actifs qualifiés arrivés dans l’année, soit deux fois plus que la moyenne française. Rennes, Nantes, Bordeaux, Montpellier, Marseille, Grenoble et Lille sont, de même, bien au-dessus de la moyenne. Les actifs qualifiés rejoignent également des pôles d’activités, comme Saclay, zone d’emploi proche de Paris, qui compte 500 000 emplois toutes activités confondues, et Sophia-Antipolis, dans la zone d’emploi de Cannes-Antibes (170 000 emplois). Dans ces deux zones, le taux d’arrivée des actifs qualifiés est supérieur à 5 pour 1 000. Ces pôles d’activités réunissent industries de pointe, universités et centres de recherche. Certaines zones d’emploi plus spécialisées comme Aix-en-Provence (microélectronique), Clermont-Ferrand (pneumatiques) et Pau (Recherche et développement) accueillent des travailleurs aux compétences adaptées aux activités locales. Le taux d’arrivée d’actifs qualifiés y atteint 4 pour 1000. Dans les départements d’outre-mer (DOM), la zone d’emploi de Kourou (10 000 emplois) attire une forte proportion d’actifs qualifiés (7 pour 1 000), au-dessus de celle des plus grandes agglomérations.

La périphérie des grandes agglomérations bénéficie du dynamisme de leur cœur. Les créations d’emploi sont ainsi dynamiques en lointaine banlieue parisienne, dans l’agglomération marseillaise.

Sur ces cinq dernières années, les zones littorales continuent également à attirer des habitants et des emplois. Néanmoins, il convient de souligner que les retraités sont de plus en plus exigeants en matière de services. De ce fait, ce sont les grandes agglomérations à proximité du littoral qui connaissent les plus forts taux de croissance, Bordeaux, Montpellier, par exemple. L’arrivée des retraités génère de nouveaux emplois assez variés.

Les régions de l’est de la France, Le Grand Est ou la Bourgogne Franche Comté, sont confrontés à des destructions d’emploi et à des pertes de population. Leurs agglomérations ne constituent pas des pôles suffisamment dynamiques pour concurrencer Paris.

Un pays de navetteurs

 Les navetteurs sont des personnes qui ne travaillent pas dans leur commune de résidence. Les navetteurs peuvent réaliser quelques kilomètres voire plusieurs centaines pour se rendre à leur travail. Du fait du coût croissant de l’immobilier, un nombre croissant de ménages est contraint de s’éloigner de son lieu de travail. Cela se vérifie au sein des grandes agglomérations. Les ménages par contrainte financière mais aussi par choix de vie n’hésitent pas à s’installer aux franges de ces agglomérations et deviennent ainsi des rurbains (semi ruraux, semi urbains). Ces transferts de population posent une série de problèmes : transports, services publics, sécurité. Par ailleurs, sur ces dernières années, le phénomène des navetteurs, longue distance, s’est développé. De nombreux résidents de Tours, Vendôme, Reims, Monceau mais aussi Rouen, Evreux ou Vernon font la navette, à titre professionnel, chaque jour avec Paris. Ces navetteurs alimentent l’activité de deux territoires. Ces déplacements quotidiens sont une source de fatigue et de coûts.

En 2013, 2 actifs pour 100 habitants se sont installés dans les zones d’emploi de Marne-la-vallée, d’Orly, de Rambouillet ou de Salon-de-Provence. Autour de Paris, entre 2008 et 2013, le sud et l’ouest de la grande couronne gagnent en attractivité, tandis que le nord et l’est en perdent. Le taux d’arrivée de navetteurs progresse dans les zones d’emploi des Yvelines. Il baisse, en revanche, dans celles de Roissy – Sud Picardie, Meaux, Évry et Créteil.

Plus loin de Paris, les navetteurs sont de plus en plus nombreux à s’établir dans la troisième couronne. Ceux qui s’installent au nord de l’Île-de-France, à Beauvais, Compiègne, Laon ou Soissons ne travaillent pas majoritairement à Paris, mais plutôt dans la zone d’emploi de Roissy – Sud Picardie ou dans d’autres villes de la troisième couronne. Au sud de l’Île-de-France, comme à Chartres ou Pithiviers, les nouveaux arrivants travaillent souvent dans les zones d’emploi de Saclay ou de Paris.

Les résidents des zones d’emploi frontalières sont de plus en plus tentés de travailler à l’étranger. Le fait que les emplois y soient nombreux et mieux rémunérés constitue deux bonnes raisons pour devenir navetteurs. C’est le cas notamment près de la Suisse, premier pays frontalier avec 160 000 navetteurs français. En 2013, les zones d’emploi frontalières où les navetteurs s’installent le plus sont situées près de la ville de Genève. Il s’agit du Genevois français et du Chablais, et, près de l’Arc jurassien suisse, des zones d’emploi de Morteau et de Pontarlier.

Cette progression des navetteurs concerne également les îles. En Corse, à Ajaccio, le nombre de navetteurs se développe rapidement. De plus en plus d’actifs résident tout le long du golfe et sur sa rive sud (Porticcio, Pietrosella, etc.) ou à l’intérieur des terres. Dans les DOM, la zone Sud-Caraïbe en Martinique (Rivière-salée, Trois-Îlets) se distingue avec un taux d’installation de navetteurs plus élevé que dans le reste des Antilles. Cette zone d’emploi est située à proximité de l’agglomération de Fort-de-France, centre économique de l’île ; ses habitants peuvent y accéder par la route, mais aussi en ayant recours à une navette maritime.

Les petits bassins d’emploi à la peine

Dans les zones d’emploi de taille plus modeste, moins de 35 000 emplois, éloignées des métropoles, les taux d’arrivée d’emplois sont faibles voire nuls. Ces territoires connaissent des pertes d’emplois, c’est le cas de la majorité des zones d’emploi de Bretagne, de l’extrême sud-est de la France et du Sud-Ouest en dessous d’une ligne Bordeaux-Toulouse.

Le littoral, le paradis des nouveaux retraités

La création d’emplois sur le littoral atlantique et méditerranéen – que ce soit aux Sables-d’Olonne (Vendée), à Royan (Charente-Maritime), à Céret (Pyrénées-Orientales) ou à Agde-Pézenas (Hérault) – repose avant tout sur l’arrivée des retraités. Dans les zones d’emploi citées ci-dessus, plus de 10 retraités pour 1 000 habitants se sont installés en 2013 générant d’importantes créations nettes d’emploi (services à la personne, construction). L’arrière-pays méditerranéen, ainsi que des territoires moins densément peuplés dans le Massif central ou aux alentours, attirent également des seniors. En particulier, les zones d’emploi du Morvan (Nièvre) et de Guéret (Creuse) se distinguent, avec respectivement 12 et 8 retraités installés en 2013 pour 1 000 habitants.

Du fait de l’augmentation des prix de l’immobilier, la façade atlantique qui, depuis le début des années 2000, était devenue le territoire de prédilection des retraités migrants, perd  un peu, depuis 2008,  de son attractivité. Au-delà du coût du foncier et de l’urbanisation, les candidats retraités à la migration vers l’Ouest semblent avoir été échaudés par la tempête Xynthia en 2010. Les baisses les plus sensibles en matière de migration ont été enregistrées entre 2008 et 2013 dans les zones d’emplois de Royan, la Rochelle, les Sables d’Olonne, Challans, Brest, Vannes et Quimper. En revanche, les retraités continuent de fuir les Hauts de France, le Grand Est et l’Île-de-France.

 Les pays d’Europe centrale en proie au doute

Plus de 25 ans après la chute du Mur, les pays d’Europe centrale et orientale sont au milieu du gué en termes de développement économique. S’ils ont rattrapé une partie du retard par rapport à l’Europe occidentale, depuis la crise de 2008, ils enregistrent des résultats économiques plus contrastés. Par ailleurs, ces pays doivent faire face à une remontée du nationalisme au sein de leur opinion publique. Même si l’Union européenne reste encore un symbole positif pour une majorité d’habitants, notamment grâce aux aides régionales, de plus en plus de citoyens sont favorables à des politiques de repli identitaire.

L’arrêt de la convergence au sein de l’Union européenne est mal vécu par de nombreux pays d’Europe centrale et orientale. En effet, aucun pays de cette zone n’atteint, en 2015, la moyenne du niveau de vie de l’Union européenne. Selon le pays, le ratio du PIB/habitant en parité de pouvoir d’achat varie de 46 % à 85 % de la moyenne des 28 pays européens. A l’intérieur du bloc de l’Est, les écarts entre pays sont importants. La Pologne et la Hongrie, entrées depuis 2004 au sein de l’Union éprouvent des difficultés à converger. Le PIB par habitant hongrois n’a progressé que de 6 points en douze ans passant de 62 % en 2004 à 68 % en 2015. Celui de la  Pologne est passé sur la même période de 49 % en 2004 à 69 % de la moyenne de l’Union. Les meilleurs résultats sont obtenus par la Slovaquie et la République Tchèque (85 % pour cette dernière). Cependant, même pour ces pays, la convergence s’effectue désormais très lentement.

La Slovénie et l’Estonie ont même vu leur taux de pauvreté augmenter depuis leur adhésion à l’Union européenne. Pour la Slovénie, le PIB/habitant a même légèrement diminué.

En Pologne comme en Hongrie, les discours eurosceptiques rencontrent de plus en plus de succès. Il y a un rejet croissant de l’Europe de Bruxelles et une méfiance vis-à-vis des États d’Europe occidentale. Cette perte de légitimité nécessite certainement une redéfinition des orientations politiques et économiques de l’Union européenne d’autant plus que l’autre ciment de l’Europe, l’OTAN, pourrait être remis en cause en cas de retrait ou de moindre participation aux frais des Etats-Unis.