2 septembre 2017

Le Coin de la Conjoncture du 2 septembre 2017

Angela Merkel, chronique d’une victoire annoncée ?

Les élections au Bundestag sont prévues le 24 septembre prochain. En l’état des sondages, la victoire d’Angela Merkel se dessine mais il faut toujours se méfier des prévisions. En outre, est-ce que la CDU-CSU obtiendra la majorité absolue ou devra-t-elle passer par une coalition ? Du fait du mode de scrutin qui mixe système majoritaire et système proportionnel, la constitution de coalition est la règle. Ainsi, malgré la forte victoire de la CDU/CSU, en 2013, ses dirigeants avaient été contraints de constituer une grande coalition avec le SPD. Cette grande coalition était la troisième du genre (grande coalition dirigée par Kurt Georg Kiesinger entre 1966 et 1970 et celle déjà dirigée par Angela Merkel entre 2005 et 2009). Les coalitions les plus fréquentes associent en Allemagne, la CDU/CSU aux libéraux du FDP. Durant les années 90, le SPD s’était lié avec les verts et avait permis à Gerhard Schröder d’effectuer deux mandats. Il est à noter que, dans les années 70, le FDP avait constitué une coalition avec le SPD (avec le chancelier Helmut Schmidt).

Les derniers sondages prévoient 38 % d’intentions de vote pour la CDU/CSU, contre 24 % pour le SPD, 9 % pour le FDP et le parti de gauche radicale Die Linke, 8 % pour le parti populiste Alternative pour l’Allemagne (AfD) et 7 % pour les Verts. Le parti anti-européen AfD qui, l’année dernière, pouvait espérer recueillir plus de 10 % des suffrages, est en perte de vitesse. Il est crédité de 8 à 9 % des voix. Le FDP qui avait été le grand perdant des dernières élections en n’obtenant, pour la première fois depuis 1949, aucun représentant au Bundestag, pourrait donc faire son retour et espérer constituer une coalition avec la CDU/CSU. Cette alliance est celle souhaitée par une majorité d’électeurs. Elle permettrait en outre au SPD de se repositionner en force d’opposition. Le nouveau responsable du FDP, Christian Lindner, joue la carte de la jeunesse (il a 39 ans) et de la modernité en particulier en ce qui concerne la communication politique. Il s’inspire des campagnes d’Emmanuel Macron ou de Justin Trudeau. En ce qui concerne la future coalition, en femme politique avertie, Angela Merkel laisse toutes les portes ouvertes en ne s’interdisant pas de contracter avec le SPD voire avec les Verts avec lesquels elle a toujours entretenu de bonnes relations.

Depuis le printemps, la campagne électorale est assez terne. Deux thèmes retiennent néanmoins l’attention : la limitation du nombre d’immigrés et l’utilisation des excédents budgétaires. L’immigration est un sujet sensible au sein des Länder de l’ex-RDA dans lesquels l’AfD a réalisé ces derniers mois des très bons scores. Malgré l’amélioration de la situation économique, la population de ces Länder est hostile aux migrants. La forte proportion de retraités dont les pensions se sont érodées depuis 2003 explique en partie cette contestation. La CDU pourrait enregistrer par rapport à 2013 un net recul en Allemagne de l’Est, la privant alors d’une majorité absolue.

Sur les six premiers mois, le budget affiche un excédent de 18 milliards d’euros soit 1,1 % du PIB. Le FDP demande une baisse d’impôt de 30 milliards d’euros. De leur côté, La CDU-CSU et le SPD sont favorables à un plan qui associerait des dépenses d’investissement et des baisses d’impôt. L’un et l’autre se déclarent pour le maintien d’un équilibre budgétaire strict.

Les victoires dans plusieurs Länder ont conforté la position de la chancelière qui a accentué son écart avec son concurrent, l’ancien Président du Parlement européen Martin Schutz. La situation économique allemande joue en faveur d’Angela Merkel. L’affirmation de la croissance, le plein emploi, l’obtention depuis deux ans de solides excédents budgétaires plaident en sa faveur. Le passage de l’inflation au-dessus de 2 % qui avait inquiété une partie de la population a été éphémère. La question des excédents commerciaux excessifs n’est pas un sujet, bien au contraire. Avec l’amélioration de la situation conjoncturelle et la moindre acuité des crises des dettes publiques en Grèce et dans les autres pays de l’Europe du Sud, les sentiments anti-européens sont en recul. La fin annoncée des rachats d’actifs par la BCE et l’appréciation de l’euro sont également des points positifs pour les électeurs allemands qui sont aussi et avant tout des épargnants.

 Une génération de perdue pour les exportations françaises ?

La balance commerciale de la France se dégrade en tendance depuis 20 ans. Le passage à un solde commercial négatif est intervenu au moment de la mise en place des 35 heures. Si l’aggravation des coûts de production a joué un rôle indéniable dans la perte de compétitivité, elle n’est pas totalement imputable à la réduction du temps de travail. Le solde industriel a commencé à se détériorer à partir de 1995.

Les parts de marché de la France se sont contractées de 50 % en vingt ans. Certes, tous les pays avancés ont enregistré des reculs mais celui de la France a été plus rapide et plus prononcé. Pays plus centré sur les services que l’Allemagne ou l’Italie, la France a connu une rapide désindustrialisation. Le durcissement de la concurrence internationale et l’éclatement des chaines de valeur ont abouti à la disparition de nombreux pans de l’industrie française. La tradition duale du tissu économique français a également joué un rôle dans cette évolution. Composé essentiellement de TPE et de très grandes entreprises internationalisées, il s’est montré moins résilient aux crises et aux mutations économiques que celui, par exemple, de l’Allemagne. Les grandes entreprises ont opté pour la conquête de parts de marché à l’extérieur des frontières et pour des délocalisations quand les TPE et les entreprises de taille moyenne, faute de marges et de capacités suffisantes, n’ont pas, pour certaines d’entre-elles, su se repositionner sur des créneaux plus haut de gamme.

Par ailleurs, la demande mondiale en biens d’équipement adressée aux pays avancés, dans les années 90 et 2000, correspondait peu au savoir-faire français, à l’exception des transports. Sur les secteurs des machines-outils, la France est relativement absente.

Le mauvais positionnement de l’outil de production n’est pas sans influence sur le débat concernant le taux de change. Les dirigeants d’entreprise demandent un euro faible afin de pouvoir améliorer leur compétitivité à l’exportation sachant que leurs produits ne sont pas « price maker », à la différence des produits allemands. Pour autant, il apparaît que les résultats du commerce extérieur français sont relativement insensibles aux variations de change. L’euro faible des années 2015/2017 ne s’est pas traduit par un redressement de la balance commerciale quand bien même que le prix du baril de pétrole a été au plus bas. Le problème à l’exportation de la France n’est donc pas qu’un problème de coût.

Les problèmes de positionnement à la lueur de nos échanges avec l’Allemagne

La France n’arrive pas à profiter de l’amélioration de la situation économique de l’Allemagne qui se traduit par une rapide augmentation des importations, orientées à la hausse du fait du dynamisme de la consommation et de la reprise des investissements, Nos exportations à destination de ce pays n’ont augmenté que de 0,4 % ces deux dernières années (l’ensemble des importations allemandes ont progressé de 2,7 %). Notre voisin d’Outre-Rhin est notre premier client en prenant 16 % de nos exportations. La France perd des parts de marché en Allemagne : -1 point en dix ans, dont -0,3 point entre 2014 et 2016. Si ce recul n’est pas spécifique à la France, il est plus important que celui enregistré par les autres pays avancés. L’Allemagne importe de plus en plus en provenance des pays d’Europe de l’Est et de l’Asie. La Pologne et la République tchèque ont renforcé leurs positions commerciales en devenant sixième et septième fournisseurs de l’Allemagne.

Malgré tout, certaines entreprises françaises tirent profit du dynamisme allemand. Les secteurs concernés sont ceux du textile/habillement/cuir, des équipements automobiles, de la pharmacie, des équipements électriques et de l’informatique. Spécialisée dans l’assemblage de voitures à forte valeur ajoutée, l’industrie allemande recourt massivement aux importations d’équipements automobiles (+22 % entre les deux périodes). Les exportations françaises d’équipements automobiles vers l’Allemagne ont augmenté de 12 % en deux ans. La France a néanmoins reculé sur ce créneau en n’occupant plus que la troisième place parmi les fournisseurs allemands derrière la République tchèque et la Pologne.

La France maintient ses parts de marché en Allemagne pour le textile/habillement/cuir, avec une progression des ventes de +14 %, du fait principalement des bonnes performances dans la maroquinerie et les chaussures. Les exportations françaises de produits pharmaceutiques sont également très bien orientées vers l’Allemagne (+12 %).

Un dossier sérieux

La dégradation continuelle de la balance commerciale de la France affaiblit structurellement la croissance de la France et prive la France du bénéfice des accélérations du commerce mondial. A terme, surtout en cas de diminution des investissements d’origine étrangère en France, ce qui est le cas depuis une dizaine d’années, notre pays s’exposera à un risque de crise de financement de sa balance des paiements. Longtemps, la France a compté sur ses services afin de compenser les pertes de l’industrie ; or, leurs parts de marché ont tendance également à s’effriter et l’excédent est en voie de disparition.

Le rêve de la ré-industrialisation est-il un mirage ? Le renouveau de l’industrie française suppose une modification des coûts en France et/ou à l’échelle internationale combiné à un important effort d’investissement et de formation. Ponctuellement, l’implantation de nouvelles entités industrielles est possible. En revanche, compte tenu des règles de spécialisation en cours, une modification de la tendance passée suppose une constance dans la politique économique.

 

Ne sommes-nous pas allés trop loin dans l’endettement ?

L’endettement massif concerne tous les pays et tous les acteurs, États, entreprises et ménages. A moins de supposer qu’une opération d’effacement soit engagée à un moment ou un autre, les dettes sont supposées être remboursées. L’absence d’inflation (voir notamment la lettre N°246) limite les capacités d’érosion du capital des emprunts.

 

Pour contenir l’endettement, les pouvoirs publics n’ont d’autres solutions que d’imposer aux épargnants, aux investisseurs, une « répression financière » (la répression financière, est une décision d’orienter l’épargne vers les collectivités publiques tout en veillant à réduire le coût de l’endettement notamment à travers une faible rémunération). Les épargnants acceptent de jouer le jeu car leur aversion aux risques s’est accrue depuis la crise de 2008.

L’endettement massif pratiqué par les acteurs économiques depuis une vingtaine d’années a-t-il une limite ou plutôt des limites ? En fixant un seuil de dettes publiques à 60 % du PIB, le traité de Maastricht avait comme objectif d’éviter que des États impécunieux mettre en danger les autres membres de la zone euro. Ce ratio avait été rapidement fixé afin de convenir au plus grand nombre des États membres, ses fondements économiques étant assez relatifs. Des économistes placent le seuil de danger pour la dette à 80 ou à 100 % du PIB. Ces seuils sont purement indicatifs. Pour apprécier la dangerosité d’une dette, il faut prendre en compte les taux d’intérêt, le taux de croissance actuel et projeté et le taux d’inflation. Une dette qui génère une croissance permettant son remboursement ne peut pas être comparée à celle qui débouche sur une stagnation économique.

Sommes-nous aujourd’hui dans un système de pyramide à la Ponzi, c’est-à-dire sur un système de fraude généralisée et publiquement organisée ou sommes-nous dans un système financièrement viable ?

La victoire de Ponzi ou l’ardente obligation des taux bas

Charles Ponzi s’est fait connaître en promettant pour les placements qu’il proposait des rendements importants, 50 % en 45 jours. Ces promesses de gains attiraient un nombre croissant d’épargnants, les flux d’argent lui permettant à de les rémunérer. Les États en finançant la dette par la dette ne sont-ils pas en train de pratiquer du Ponzi sans le savoir ou plutôt l’avouer ?

Rares sont les Etats qui sont en capacité de payer les intérêts de leur dette, d’en rembourser le capital venant à échéant tout en étant en excédent budgétaire. Même l’Allemagne n’est pas dans cette situation. Dans ce cas seulement, la dette peut diminuer en valeur absolue. Certains pays dégagent des excédents primaires permettant de couvrir le service de la dette ; d’autres comme la France enregistrent des déficits supérieurs à leur service de la dette qui par nature n’offrent pas la possibilité de rembourser le capital des emprunts. La France est condamnée à emprunter pour rembourser sa dette. Elle émettra, cette année, 185 milliards d’euros de dette à moyen et long termes en 2017 (nets des rachats) tant pour compenser le déficit que pour rembourser le capital. Pour contenir le niveau de la dette en fonction du PIB, les États doivent prendre en compte la croissance et le taux d’intérêt. Dans les faits, il faut que le déficit public exprimé en PIB soit inférieur  au (taux de croissance – taux d’intérêt) multiplié par le ratio (dette publique/PIB). Pour 2016, la maîtrise de la dette aurait supposé un déficit inférieur à 1,4 %, or il a été supérieur à 3,5 %. Toute remontée des taux d’intérêt provoquerait une augmentation du déficit (selon l’économiste Vivien Lévy-Garboua), une hausse d’un point des taux d’intérêt aboutit à une hausse d’un pour cent du déficit budgétaire).

 

 

 

 

 

Dans son ouvrage « le capital au XXIe siècle », Thomas Piketty souligne qu’en matière de taux d’intérêt, nous avons connu depuis le XIXe siècle quatre périodes :

 

  • Jusqu’en 1914, les taux d’intérêt sont, en règle générale, supérieurs aux taux de croissance ;
  • De 1914 à 1985, les taux de croissance l’emportent sur les taux d’intérêt ;
  • De 1985 jusqu’à la crise de 2008, les taux d’intérêt reprennent le dessus ;
  • Depuis la crise, les taux d’intérêt ont fortement baissé.

 

La période actuelle peut être perçue comme un retour à la normale après une hausse des taux atypiques dans les années 90 liée à de mauvaises anticipations d’inflation et de productivité.

 

Les anticipations de demain sont-elles celles d’hier ?

 

Un excès de dettes (publiques ou privées) doit, à un moment ou un autre, peser sur la demande. Il doit soit conduire à un excédent budgétaire primaire plus élevé et donc à une politique budgétaire plus restrictive, soit à une captation croissante de l’épargne qu’elle soit nationale ou internationale. Logiquement, cet excès provoque une diminution des dépenses publiques ou par une augmentation des prélèvements obligatoires.

 

Face à une augmentation de l’endettement public, les ménages sont censés, par anticipation, accroître leur taux d’épargne et réduire leurs investissements. Dans les faits, le taux d’épargne obéît également à des considérations de revenus et des effets de précaution. En outre, les ménages se décomposent en deux sous catégories : ceux qui sont endettés, pour acquérir en particulier leur résidence,  et ceux qui dégagent une épargne nette de remboursement du capital des emprunts. Au niveau des entreprises, un taux d’endettement élevé provoque une baisse de leur taux d’investissement.

 

Les faibles taux d’intérêt générés par les banques centrales, ces dernières années, rendent difficile l’interprétation des statistiques. En effet, la reprise de l’investissement, constatée ces derniers mois, est-elle la conséquence de ces taux très bas ? Est-ce la manifestation de la restauration de la confiance et de l’espoir du retour d’une croissance forte et durable ? Quoi qu’il en soit, l’endettement au niveau mondial poursuit sa progression. Aux États-Unis, le plafond de dette publique devra faire l’objet d’ici la fin de l’année d’un nouveau relèvement. En Chine, les collectivités locales ont recours de plus en plus à l’emprunt pour soutenir l’activité.

 

Les autres menaces moins visibles

 

Le Shadow Banking (mode de financement des agents économiques par des institutions qui ne relèvent pas du secteur bancaire traditionnel) se développe depuis une vingtaine d’années à très grande vitesse au point de constituer une menace pour les équilibres financiers. Cette finance parallèle qui peut ne pas être soumise aux fourches caudines de la régulation se situe aux marges des marchés et des activités bancaires. Selon le Comité de stabilité financière dépendant du G20, le Shadow Banking aurait atteint, en 2015, 92 000 milliards de dollars contre 20 000 milliards en 2012. Aux États-Unis, le Shadow Banking représenterait 35 000 milliards de dollars quand en Europe il s’élèverait à 30 000 milliards de dollars (source : FED de New-York). En Chine le Shadow Banking atteindrait entre 7 000 et 8000 milliards de dollars (source : Comité de stabilité financière).

 

L’endettement est aujourd’hui sans précédent, en période de paix. Il a permis de compenser la baisse des gains de productivité. C’est de la croissance achetée à crédit. La question est de savoir si sa rentabilité est correcte. En retenant certains critères, salaire, emploi, conditions de vie, ce n’est pas certain. Sa progression intervient au moment même où les charges liées au vieillissement augmentent dans tous les pays. Cet endettement est supportable en raison de l’excès global d’épargne. D’un côté, il y a une préférence absolue pour le présent (dette + taux d’intérêt faible) ; de l’autre, les ménages acceptent de renoncer au présent pour épargner. Il y a donc un transfert qui s’organise des épargnants vers les emprunteurs avec au cœur du dispositif les banques centrales qui agissent sur les taux voire sur les liquidités disponibles à travers leurs rachats d’actifs. Une crise de l’endettement et la nécessité d’effectuer un nettoyage ou un moratoire pourraient s’imposer si les flux d’épargne venaient à se tarir et si les transferts internationaux de capitaux ne se faisaient plus. L’endettement parallèle de toutes les zones économiques contribue sans nul doute à l’interdépendance et limite les échappatoires. Il est impossible de trouver un havre de paix permettant de garantir totalement le capital.