20 avril 2019

Le Coin de la Conjoncture du 20 avril 2019

Les dépenses publiques au chevet de la croissance

L’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) a calculé que, en moyenne, un ménage devrait avoir un gain de pouvoir d’achat de 850 euros en 2019, dont 440 euros au titre des décisions récentes du Gouvernement. Cette hausse sera la plus élevée depuis 2007 qui avait été marquée par les mesures prises par le Président Nicolas Sarkozy dans le cadre de la loi TEPA (en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat). Cette loi avait permis l’allégement des cotisations sociales sur les heures supplémentaires, comme l’avait également décidé le Président Emmanuel Macron en décembre dernier.

En 2019, en valeur réelle, après déduction de l’inflation, les salaires en France devraient augmenter de 1,5 %, contre 0,3 % en 2018. Cette évolution s’explique non seulement par la faible inflation mais aussi par l’augmentation des rémunérations. Le salaire moyen par tête devrait augmenter de 2,6 % en 2019 contre 2 % l’an dernier. En 2018 et au début de l’année 2019, les ménage ont augmenté leur effort d’épargne du fait de la multiplication des incertitudes. La levée de celles-ci devrait permettre un rebond de la consommation.

La France comptera essentiellement sur la demande intérieure. Sous réserve de leur confirmation officielle, les mesures que le Président de la République devait annoncer le lundi 15 avril dernier devraient conforter cette tendance en 2019 mais aussi en 2020. Selon le texte de l’allocution transmis à la presse, les petites et les moyennes pensions seraient indexées sur les prix en 2020. Seraient concernés par cette mesure les retraités ayant un revenu fiscal de référence inférieur à 2 000 euros. Leurs pensions progresseront ainsi de 1,1 % en janvier 2020, soit l’inflation hors tabac attendue en 2019. Quant aux autres retraités, leurs pensions n’augmenteront que de 0,3 %, comme annoncé à l’automne 2018. La prime exceptionnelle de 1 000 euros défiscalisée et sans cotisations sociales décidée fin décembre 2018 devrait être pérennisée. Elle concerne tous les salariés gagnant moins de 3 600 euros mensuels en net. L’assujettissement à l’impôt sur le revenu devrait être rendu moins brutal pour les revenus moyens avec la création de deux tranches supplémentaires, 5 et 10 %.

Ces différentes mesures devraient représenter un effort de 3 à 4 milliards d’euros qui s’ajouteront aux décisions déjà prises en 2018 et effectives dès cette année. Au total, les ménages pourraient ainsi profiter de plus de 15 milliards d’euros supplémentaires. Il faut en effet prendre en compte la suppression de la taxe d’habitation pour 80 % des redevables et la suppression de la CSG pour les retraités gagnant moins de 2 000 euros. Pour le moment, les Français renforcent leur épargne. Concernant le premier trimestre, l’impact en termes d’activité des mesures gouvernementales semble être faible voire décevant. Pour l’ensemble de l’année 2019, l’OFCE espère une croissance de 1,5 %. L’OCDE anticipe une croissance de l’économie française de 1,3 %.

L’Allemagne qui ne pourra pas compter sur un tel plan de soutien devrait enregistrer une faible croissance en 2019, 0,5 % selon le Gouvernement fédéral. Pour avoir un tel différentiel favorable à la France, il faut remonter à 2005. Le mauvais résultat attendu pour l’Allemagne s’explique par sa dépendance au commerce extérieur. Les exportations allemandes représentent 45 % de son PIB quand en France ce ratio est de 33 %. Le ralentissement de la demande industrielle, et en premier lieu de celle de l’automobile, a un effet plus important de l’autre côté du Rhin. Malgré tout, au premier trimestre, l’Allemagne pourrait faire jeu égal voire mieux que la France.

Quoi qu’il en soit, la situation allemande reste très florissante avec un excédent commercial supérieur à 7 % du PIB, un excédent budgétaire de plus d’un point de PIB et une dette publique qui pourrait repasser en dessous de 60 % du PIB dès cette année. Par ailleurs, le taux de chômage y est inférieur à 5 %. Notre voisin dispose des marges de manœuvre suffisantes pour, le cas échéant, procéder à une relance. Il n’est pas certain qu’il s’y engage compte tenu de la frilosité du Gouvernement en la matière. L’OCDE l’a pourtant invité à accroître son effort budgétaire, estimant que cela rehausserait la croissance de la zone euro dès 2020 de plusieurs dixièmes de point.

La France, passager clandestin du cœur de la zone euro ?

Depuis plus de quatre ans, l’Allemagne dégage un excédent budgétaire qui a dépassé 1 % du PIB en 2018. Le déficit public avait atteint 4 % du PIB en 2010. Le solde budgétaire avait été négatif durant toute la période de réunification des années 1990 jusqu’en 2006. Il était ainsi négatif de plus de 4 % du PIB en 2003. De ce fait, la dette publique de l’Allemagne qui avait atteint un maximum en 2010 à plus de 80 % du PIB est en recul depuis. Elle devrait cette année être inférieure à 60 % du PIB cette année.

La réduction rapide de la dette publique allemande a des conséquences importantes sur la zone euro. La moindre émission de titres publics allemands conduit les investisseurs à se reporter sur les autres États du cœur de la zone euro (France, Pays-Bas, Autriche, Finlande, Belgique). Cela conduit à une baisse des taux dans ces pays. Ce phénomène est d’autant plus accentué que certains de ces pays ont des soldes positifs ou des déficits faibles. Le poids de la dette publique du cœur de l’Europe se contracte. De 2014 à 2018, il est passé de 84 à 74 % du PIB. La dette du Benelux, de l’Autriche et de la Finlande est de petite taille (moins de 500 milliards d’euros d’encours pour chacun des pays contre plus de 2 000 milliards d’euros pour la France). De ce fait la France bénéficie en grande partie de l’effet report. Elle est donc la grande gagnante du désendettement allemand. L’État français s’endette à 0,4 % au mois d’avril contre 0,7 % au mois de décembre dernier. La France devient ainsi un passager clandestin du cœur de l’Europe en profitant de la rigueur des autres et en se permettant de maintenir un déficit élevé et une dette de près de 100 % du PIB. À la différence des États dits périphériques (Europe du Sud), la France n’est pas pénalisée par son déficit public supérieur à 2 % du PIB, par sa désindustrialisation et son déficit commercial. Les capacités de l’industrie française ont reculé de 5 points en vingt ans quand elles ont augmenté de 20 points en Allemagne.

Les investisseurs pourraient opter pour des placements actions mais qui demeurent trop risqués. L’aversion au risque explique qu’ils privilégient les titres souverains. Cette préférence n’incite guère les États qui profitent des taux bas à accélérer le rythme des réformes. Le service de la dette française (paiement des intérêts) est aujourd’hui identique à celui des années 1990 quand l’encours de la dette était deux fois plus faible.

Les États-Unis, un État pétrolier ?

De 2002 à 2018, la production pétrolière américaine a été multipliée par deux, passant de 6 à 13 millions de barils jour. La production du pétrole de schiste explique la quasi-totalité de cette progression. La production pétrolière américaine assure actuellement 62 % de la consommation intérieure. La production de gaz s’élevait, en 2018, à 3 400 milliards de de pieds cube par mois contre 2 000 en 2003. Elle dépasse de 1 000 milliards de pieds cube par mois la consommation.

Cette forte hausse de la production de pétrole et de gaz naturel aux États-Unis a des conséquences très importantes sur l’économie américaine et, plus globalement, sur l’économie mondiale. Les États-Unis sont ainsi devenus le premier producteur pétrolier et le deuxième producteur de gaz naturel.

Le retour au premier plan des États-Unis comme producteur de pétrole et de gaz a modifié la donne sur les marchés mondiaux d’énergie. L’apparition du pétrole de schiste aux États-Unis a permis d’équilibrer le marché mondial de pétrole et ainsi éviter la hausse du prix du pétrole. De 1998 à 2018, la consommation de pétrole est passée de 75 à 100 millions de barils jour. Depuis la crise de 2008/2009, la consommation a augmenté de près de 20 %. Le prix du baril de Brent a dépassé 140 dollars en 2007/2008 avant de chuter à moins de 60 dollars au cœur de la crise. Il est ensuite parvenu à remonter à 120 dollars de 2012 à 2014. L’essor du pétrole américain a conduit à son décrochage en 2015 avec un point bas à 26 dollars au début de l’année 2016. La remontée du cours du baril n’a été rendue possible que par un accord de régulation liant l’OPEP et la Russie. Il évolue depuis 2017 entre 60 et 80 dollars.

Un phénomène identique est constaté pour le gaz naturel. L’apparition du gaz de schiste aux États-Unis a conduit à une forte baisse du prix du gaz naturel aux États-Unis qui s’est propagée aux pays importateurs au fur et à mesure de la hausse de la capacité d’exportation de gaz liquéfié américaines. Depuis 2014, le prix du gaz pour l’Europe a diminué de 33 %.

Le pétrole de schiste a bouleversé le marché du fait du temps court de l’investissement. Avec le pétrole conventionnel, les investissements ont un effet sur la production quatre ou cinq ans après leur réalisation. Pour le pétrole de schiste, le délai est d’un an à un an et demi. En fonction de l’évolution des prix, les pétroliers américains peuvent rapidement répondre et augmenter la production. Par ailleurs, l’amélioration de la rentabilité des gisements de pétrole de schiste a permis de maintenir en activité les gisements même quand les cours ont baissé. Le seuil de rentabilité serait plus de proche de 40 dollars que de 60. De ce fait, la pression à la baisse des cours demeure forte. Les compagnies pétrolières américaines adaptent le nombre d’appareils de forage en fonction de l’état du marché. Ainsi, de 2014 à 2016, le nombre est passé de 1 500 à moins de 500 avant de remonter à plus de 750 en 2019, en raison de la hausse des prix.

L’économie des États-Unis dépend de plus en plus du pétrole. Sa croissance est maintenant positivement corrélée au prix du pétrole. Une hausse du prix du pétrole est favorable aujourd’hui aux Américains (elle est défavorable à l’Europe, au Japon, à la Chine, à l’Inde, etc.) puisque leur pays plus de déficit extérieur pour l’énergie. Le secteur minier a un effet de plus en plus marqué sur l’emploi, l’investissement et la valeur ajoutée. Quand le prix du pétrole augmente, le secteur contribue de manière non négligeable à l’activité du pays.

Du fait de l’importance du secteur pétrolier dans l’économie, les États-Unis sont incités à ne pas accepter les accords de limitation des émissions de CO2. Leurs revenus croissent si la consommation mondiale de pétrole et de gaz progresse. De ce point de vue, la dénonciation de l’Accord de Paris sur le climat par le Président Trump est à relier avec les intérêts à court terme des États-Unis.

Pour la zone euro, l’année difficile ne serait pas 2019 mais 2020

L’Europe doit faire face au ralentissement de la croissance de l’économie mondiale. Celui-ci est liée à la fin d’un cycle industriel. La moindre progression du commerce international et le léger affaiblissement de la croissance chinoise pèsent sur l’activité en Europe. Néanmoins, en 2019, le vieux continent pourra compter sur une augmentation des dépenses publiques, en France comme en Allemagne, l’accélération des augmentations de salaire et la diminution de l’inflation. De ce fait, cette année, la croissance pourrait se révéler supérieure aux attentes. En revanche, les effets porteurs de cette année pourraient bien disparaître en 2020. En effet, l’impulsion budgétaire devrait se réduire, notamment en France. Par ailleurs, l’économie américaine tout comme celle de la Chine pourraient connaître un ralentissement. Pour endiguer les forces récessives, certains économistes comme Patrick Artus (Natixis) estiment que la Banque Centrale Européenne pourrait être dans l’obligation de réengager une opération de quantitative easing (rachat de dettes publiques) pour lutter contre une hausse des taux d’intérêt. En période de faible croissance, plusieurs États pourraient être fragilisés en cas de remontée des taux (par exemple l’Italie). Cette remontée des taux longs pourrait être occasionnée par une reprise de la croissance de la dette publique au sein des États périphériques. L’inflation pourrait également favoriser la progression des taux. Elle serait alimentée par la progression des salaires (plus de 2 % attendus en zone euro en 2019) et par l’augmentation du prix du pétrole si les États-Unis ne peuvent pas continuer à accroître leur production. Certains experts considèrent qu’en l’état des techniques et des investissements, la production américaine pourrait plafonner autour de 9/10 millions de baril jour sans pour autant aller au-delà.

L’augmentation des salaires et du coût du pétrole devraient nuire à la compétitivité de l’économie de la zone euro d’autant plus que les gains de productivité sont faibles. Il en résultera une baisse des exportations et un amoindrissement de la croissance. Les autorités allemandes pourraient être moins enclines à accepter un quantitative easing qu’en 2015 du fait de la demande par la population d’une remontée des taux, et cela d’autant que les prochaines élections du Bundestag se rapprochent. Par ailleurs, le climat politique est moins favorable à la mise en œuvre de politiques coopératives au sein de l’Union européenne.