25 mai 2019

Le Coin de la Conjoncture du 25 mai 2019

L’OCDE broie-elle du noir inconsidérément ?

Les instituts de conjoncture broient du noir. « Broyer du noir » est une expression datant du XVIIIe siècle. Elle ferait référence aux pigments noirs utilisés par les peintres de l’époque pour faire de la peinture. Cette image a été également fréquemment utilisée par la médecine qui comparait la digestion au broyage des aliments. À l’époque, les humeurs de l’âme étaient censées naître de la bile noire sécrétée pendant la digestion. De là, également, l’expression populaire « se faire de la bile ».

Quoi qu’il en soit, même si les résultats du 1er trimestre sont moins sombres que prévu, les prévisionnistes estiment que la situation économique sera amenée à se dégrader dans les prochains mois. Les incertitudes pesant sur le commerce international, la nécessaire fin de cycle des États-Unis, le ralentissement chinois et les difficultés persistantes de la zone euro sont appréciés comme autant de menaces.

Ce mardi 21 mai, l’OCDE a révisé à la baisse ses prévisions avec une tonalité assez pessimiste dans son rapport semestriel « Perspectives économiques ». Selon l’organisation internationale, la croissance de l’économie mondiale ne serait que de 3,2 % en 2019 contre 3,5 % en 2018. Pour l’année prochaine, une petite remontée à 3,4 % est attendue. Si en 2017, les différentes zones économiques convergeaient avec à la clef une expansion de l’activité, depuis 2018, des divergences reflétant l’exposition aux tensions commerciales et financières sont apparues. Certains pays émergents rencontrent des difficultés croissantes comme la Turquie ou l’Argentine. La Chine doit faire face aux sanctions américaines et à une remise en cause de son modèle économique. De nombreux pays avancés après avoir connu une bonne année 2017 enregistrent des résultats décevants. L’OCDE souligne les difficultés que rencontrent le Japon et l’Allemagne en raison du poids de leur secteur manufacturier. Si en fin d’année dernière et en début d’année, un net ralentissement a été constaté, il n’y a pas de réelle rupture. Néanmoins la demande en produits industriels est amenée à moins progresser dans les prochaines années sauf croissance forte en Afrique.

Aux États-Unis, l’OCDE constate le maintien d’un bon niveau d’activité tout en considérant que le rythme devrait diminuer avec la disparation des effets de la relance budgétaire et fiscale de 2017/2018. Malgré tout, après une croissance de 2,9 % en 2018, elle pourrait être de 2,8 % en 2019 et de 2,3 % en 2020.

Pour la zone euro, l’OCDE prévoit un accroissement du PIB de 1,2 % en 2019 et de 1,4 % en 2020 après 1,8 % en 2018. L’OCDE considère que le Brexit pourrait toucher la croissance de l’Union européenne en 2020 et 2021. Pour le Royaume-Uni, l’impact serait une croissance amputée de 2 points en 2020 en raison de l’application des droits de douane. L’organisation internationale a retenu le principe que le Royaume-Uni serait soumis aux règles de l’OMC en vigueur pour les échanges et qu’aucun accord de libre-échange serait adopté.

La progression de l’investissement des entreprises, qui est aussi étroitement liée aux échanges, ne connaîtrait qu’une hausse de 1,75 % par an sur la période 2019/2020, contre 3,5 % par an en 2017/2018.

Pour l’OCDE, le point noir est constitué par l’évolution des échanges mondiaux. Après avoir connu une hausse de plus de 5 % en 2017, ceux-ci subissent de plein de fouet le ralentissement de la demande industrielle et les sanctions commerciales. La croissance a été inférieure à 1 % en rythme annuel au cours du 1er trimestre 2019. L’OCDE estime que pour l’ensemble de l’année, la croissance des échanges mondiaux serait de 2 % avant d’atteindre 3 % en 2020. La guerre commerciale dans sa forme actuelle pourrait réduire le 0,2 à 0,3 point la croissance en 2021 et 2022. Les prix augmenteraient de 0,3 point en 2020 aux États-Unis. Si la taxe de 25 % était généralisée à tous les produits chinois, les échanges commerciaux mondiaux seraient ponctionnés d’un point. Le manque à gagner pour les États-Unis serait de 0,6 point de PIB et de 0,8 point pour la Chine. Dans un scénario plus sombre, l’OCDE estime que le PIB mondial pourrait être impacté à hauteur de 0,7 point et les échanges mondiaux de 2,5 points. Ce scénario prend en compte les effets indirects que provoqueraient notamment la poursuite du conflit commercial sur les investissements.

Le secteur tertiaire qui est à l’origine de la majeure partie des créations d’emplois, continue, en revanche, de croître. Une déconnexion des services de l’industrie est constatée. Auparavant, la crise de cette dernière se répercutait automatiquement sur l’activité des services. Ce n’est plus le cas, du moins pour le moment.

Les marchés du travail restent bien orientés pour l’OCDE qui note néanmoins la faible progression des salaires. Le taux de chômage indemnisé est à son plus bas niveau au sein des États membres de l’organisation depuis 1980. Malgré tout le taux d’emploi évolue peu et la qualité des créations d’emploi se dégrade. La situation est très contrastée en fonction des États. Ainsi, le taux d’emploi est en progrès en Allemagne depuis 2007 quand il est en recul aux États-Unis. Par ailleurs, la France, l’Italie ou l’Espagne sont encore confrontées à un chômage de masse. En moyenne, les salaires progressent de 1,3 % en rythme annuel quand, avant crise, la progression était de 2 %. Logiquement avec le plein emploi et les difficultés de recrutement que rencontrent les entreprises, les salaires sont attendus à la hausse mais celle-ci se fait attendre.

L’OCDE considère que l’inflation devrait rester modérée en 2019 et 2010 autour de 1,5 point. Elle admet que les agents intègrent de plus en plus une faible inflation, ce qui l’autoalimente. De nombreux facteurs structurels conduisent à la sagesse des prix : capacités de production excédentaires dans l’industrie, concurrence forte avec le digital, moindre pouvoir de négociation des salariés dans une économie tertiaire, etc.

L’OCDE note que l’économie mondiale demeure largement dépendante des politiques publiques. Dix ans après la crise financière, les États et les banques centrales continuent à peser sur l’activité malgré le retour du plein emploi dans une majorité de pays et d’une croissance qui, sans être exceptionnelle, reste correcte. Les bilans des banques centrales sont à des plus hauts historiques. Les taux d’intérêt à court et long terme demeurent historiquement bas, et la dette publique, à quelques exceptions, a beaucoup augmenté. L’économie mondiale donne toujours l’impression d’être en sortie de crise tout en étant à la veille d’y rentrer à nouveau. Cette double situation contribue au maintien d’un climat pessimiste.

L’OCDE souligne que la reprise n’a pas été suffisamment vigoureuse et durable pour se traduire par une hausse des salaires et une amélioration des niveaux de vie. Depuis 2010, le PIB réel par habitant n’a augmenté que de 1,3 % par an au niveau de la médiane de l’OCDE. Bien que le chômage soit à son plus bas niveau depuis près de quarante ans, les salaires réels devraient progresser de moins de 1,5 % par an sur la période 2019/2020, soit moins que les 2 % enregistrés pendant les dix années ayant précédé la crise.

Le ressenti des populations est très éloigné des résultats statistiques. La sensation de la dégradation des niveaux de vie est partagée dans un grand nombre d’États membres de l’OCDE. Même aux États-Unis, la demande d’une plus grande égalité a un écho croissant. La polarisation des emplois, aboutissant au développement de métiers à faibles rémunérations, explique le sentiment de défiance à l’encontre des pouvoirs publics et du système économique. La diminution des emplois industriels qui étaient mieux rémunérés que ceux des services pèse de manière négative tant sur la productivité, que la consommation et la croissance. 

L’OCDE s’inquiète de la concrétisation de plusieurs menaces. La guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine aura des conséquences aussi bien pour les deux premières puissances économiques mondiales que pour l’ensemble des pays. Elle estime que le PIB de l’économie mondiale pourrait perdre 0,6 point au cours des deux prochaines années.

L’organisation internationale considère que le découplage entre industrie et services ne durera pas. Plus d’un tiers des exportations manufacturières brutes est imputable au secteur des services qui est, directement ou indirectement, à l’origine de plus de la moitié des exportations mondiales. Le ralentissement de l’investissement devrait avoir des effets en chaine majeurs dans les prochains mois.

L’OCDE estime que les pouvoirs publics chinois ne pourront pas indéfiniment porter la croissance de leur pays en usant des armes budgétaires et monétaires. L’endettement des sociétés non financières atteint des niveaux records qui commencent à limiter leurs marges de manœuvre. La Chine pourrait connaître une diminution de deux points de sa demande intérieure occasionnant un manque à gagner pour le PIB mondiale de 1,75 point.  

Au-delà de la Chine, la montée de l’endettement constitue un véritable risque. Dix ans après la crise, la situation financière reste très dégradée. L’encours mondial des obligations émises par des sociétés non financières a presque doublé, en termes réels, par comparaison avec 2008, ressortant à près de 13 000 milliards de dollars. La qualité de la dette se détériore, notamment en raison d’une hausse de l’encours de prêts à effet de levier.

Sans surprise, l’OCDE réclame une relance des discussions multilatérales sur le commerce pour éviter la multiplication des guerres commerciales. Donald Trump refuse de suivre ce conseil et préfère régler ces conflits de manière bilatérale, considérant que les structures multinationales ne tiennent pas compte des intérêts américains. Les économistes de l’OCDE souhaitent que les pays de la zone euro disposant d’excédents comme l’Allemagne ou les Pays-Bas s’engagent dans des politiques de relance budgétaire.  Ils invitent les États à accélérer les réformes de structure. Les priorités devraient être l’investissement dans les infrastructures, en particulier numériques, les transports et les énergies vertes, l’amélioration des compétences. Pour la zone euro, la politique économique devrait avoir comme objectif un relèvement d’au moins 0,2 point de la productivité par an et cela pendant cinq ans. Une relance de la part des pays en excédents sur trois ans portant sur 0,5 point de PIB pourrait générer un gain de PIB à moyen terme d’un point du PIB de l’ensemble de la zone euro.

L’OCDE indique dans son rapport que les résultats de la transformation digitale sont pour le moment décevants. La productivité du travail a tendance à diminuer en raison de la disparation des emplois industriels. Elle note qu’une partie des gains générés par le numérique est captée par des entreprises qu’elle appelle « stars » et qu’ils ne sont qu’imparfaitement redistribués.

Des réformes sont de ce fait nécessaires pour recueillir les fruits de la transformation numérique et les partager entre tous. L’OCDE invite les États et les entreprises à mettre en œuvre des politiques de soutien et d’accompagnement pour favoriser une transition numérique efficiente et inclusive. De multiples réformes devront être menées dans l’éducation pour améliorer les compétences cognitives des individus, dans la formation, pour rehausser le niveau de compétences techniques et managériales, et, enfin, dans l’accès des entreprises à des solutions de financement pour favoriser l’investissement, notamment en fonds propres. Des actions devront également être conduites dans le domaine de la recherche et développement. Une attention toute particulière devra être portée afin de veiller au bon respect des règles de la concurrence pour adapter le cadre réglementaire aux changements de modèle économique résultant de la transformation numérique et assurer une affectation efficiente des ressources.

Fin de cycle pour la Chine ?

La guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine a pris un nouveau tournant avec le risque pour Huawei de ne plus pouvoir utiliser les solutions informatiques d’Alphabet (Google). L’expansion de ces quarante dernières années reposant sur les exportations et sur l’éclatement des chaines de production semble arriver à son terme. Les contraintes environnementales, le retour du nationalisme économique dans un grand nombre de pays ainsi que l’augmentation des coûts de production obligent les autorités chinoises à revoir leur modèle de croissance. Le changement de cap est à l’ordre du jour depuis le début des années 2010. Le développement du marché intérieur et des services constitue la réponse à ce défi qui se double d’un problème structurel de grande ampleur : le vieillissement de la population.

La Chine est un pays émergent avec un PIB par habitant de 8 827 dollars contre 59 928 dollars aux États-Unis 38 484 pour la France. Le rattrapage a été impressionnant même s’il demeure partiel car le PIB par habitant chinois n’était que de 318 dollars en 1990, quand celui des États-Unis était alors de 23 954. En matière démographique, en revanche, la Chine est en train de s’aligner sur le modèle occidental. Ainsi, le taux de fécondité chinois est de 1,6 enfant par femme (2016) quand il est de 1,8 aux États-Unis ou en France. Le vieillissement démographique qui se traduit par la stagnation de la population active aura des incidences importantes sur le plan économique. La Chine devra faire face à une augmentation forte de ses dépenses sociales et à une pénurie de main d’œuvre dans les prochaines années. Pour assurer la poursuite de son expansion, elle sera contrainte de favoriser un développement à l’Allemande en jouant sur les exportations haut de gamme et d’accroître les revenus de ses placements financiers.

Tant par souci de diversification de leurs sources de revenus que pour maîtriser leurs chaînes de valeur, les entreprises chinoises prennent de plus en plus de participations à l’étranger. La réalisation de la Nouvelle Route de la Soie nécessite des investissements importants au niveau des infrastructures dans des pays étrangers. Les entreprises chinoises prêtent de l’argent à des opérateurs nationaux ou acquièrent des entreprises, des ports, des aéroports, des mines, des domaines agricoles, etc., pour sécuriser leurs importations et pour garantir leurs exportations.

Les investissements directs à l’étranger qui étaient quasi nuls en 1998 dépassent désormais les 100 milliards de dollars par an. En 2017, le stock d’investissements chinois était de 87 milliards de dollars en Amérique du Nord, de 387 milliards en Amérique Latine, de 111 milliards en Europe et de 1 139 en Asie. Les participations en Afrique représentaient 43 milliards de dollars. Au total, l’ensemble des stocks d’investissements directs s’élevait à 1 810 milliards de dollars.

Ces investissements sont rendus possibles par le montant des excédents courants de la Chine et par le fort taux d’épargne. Le solde de la balance courante est positif de 3 à 4 % du PIB et le taux d’épargne dépasse 45 % du PIB.

Jusqu’en 2013, la Chine a augmenté ses réserves de change. Elles étaient passées de 200 à 4 000 milliards de dollars de 1998 à 2013. Depuis, elles sont en baisse. Elles ne s’élevaient plus qu’à 3 200 milliards de dollars en 2018. Cette baisse est imputable aux sorties de capitaux opérées par les agents économiques. Elle est la contrepartie des investissements directs effectués à l’étranger.

Le vieillissement démographique devrait entraîner la disparition de l’excès d’épargne de la Chine. La population de plus de 60 ans devrait doubler de 2018 à 2040 pour représenter 30 % de la population et 60 % de la population de 20 à 59 ans. À défaut de recourir à une importation de main d’œuvre étrangère, ce vieillissement devrait provoquer une diminution du taux d’épargne. Le montant des pensions à délivrer augmentera quand, dans le même temps,  la proportion d’actifs sera moindre. Les coûts salariaux augmenteront, diminuant d’autant la compétitivité de la Chine. Le taux d’épargne de la nation chinoise a commencé à diminuer. Il est passé de 52 à 45 % du PIB de 2007 à 2018.

Pour poursuivre son développement, la Chine sera contrainte de monter en gamme assez rapidement et de compter davantage sur son marché intérieur. La montée du protectionnisme et l’augmentation des coûts salariaux remettent en cause le développement par des exportations à faible prix. La période qui s’est ouverte en 1978 avec l’aide des États-Unis semble se refermer. En effet, ce sont les Américains qui ont insisté pour faire bénéficier à la Chine de règles favorables en matière d’exportation.

Si la Chine est incapable de repositionner son appareil productif, ses excédents extérieurs et son épargne pourraient se tarir. Cela conduirait à une diminution de ses investissements directs à l’étranger en entreprises ou en infrastructures. Les pouvoirs publics américains, après avoir longtemps parrainer le développement chinois, veulent le contrarier, l’affaiblir afin de conserver leurs positions dominantes.

Une autre politique était-elle possible ?

Depuis la crise des subprimes de 2008/2009, la question de l’aide apportée aux banques constitue un fil rouge du débat économique et politique. Les gouvernements et les banques centrales sont accusés d’avoir financé sans contrepartie les banques. Ces critiques lancinantes alimentent le populisme depuis une décennie.

En 2008/2009, l’économie mondiale était menacée d’implosion financière. Le marché interbancaire s’est figé amenant des problèmes de liquidités pour l’ensemble des secteurs d’activité. Des grandes entreprises se trouvaient dans l’impossibilité d’honorer leurs créances voire de verser les salaires sans l’intervention des pouvoirs publics. Le système bancaire repose sur la confiance. Si celle-ci disparaît, la compensation des créances entre banques devient impossible, les relations économiques se figent. À l’image d’un château de cartes, tout pouvait s’effondrer rapidement. Au-delà des actionnaires des banques qui sont bien souvent monsieur et madame toute le monde via les contrats d’assurance vie ou les organismes de placements collectifs, c’était une grande partie du patrimoine des ménages qui était en jeu. Sauver les banques, c’était tout à la fois sauver les entreprises, les emplois et l’épargne engrangée par les particuliers au fil de leur vie.

Les aides consenties aux banques sont multiples. Il y a eu des reprises de dettes mais aussi des prises de participation et des prêts. Par ailleurs, les États ont mis en place des politiques de soutien en faveur de la population qui ont abouti à un gonflement des déficits et des dettes publiques. Les banques centrales ont de leur côté adopté des politiques monétaires non conventionnelles associant baisse des taux d’intérêt et rachats d’obligations d’État. Les intérêts sur la dette publique s’élèvent en 2019 à 1,75 % du PIB contre 3 % en 2008 pour les pays de la zone euro.

La baisse des taux d’intérêt a aidé tous les créanciers, États, entreprises et particuliers. En revanche, elle handicape sur la durée les banques avec l’écrasement des marges d’intermédiation. La rentabilité des capitaux propres (ROE) est passée pour les banques de la zone euro de 10 à 6 % de 2008 à 2018. Les taux d’intérêt des obligations d’État à 10 ans au sein de la zone euro ont décru en moyenne, de plus de 4 à moins de 1 % entre 2008 et 2019. Les taux respectifs pour les entreprises sont de 4,5 % et 1,5 % ; ceux pour les ménages, 2,8 et 0,5 % du PIB.

Pour certains, les États auraient dû nationaliser le secteur bancaire. Le coût des nationalisations se serait ajouté à celui du sauvetage. D’autres estiment qu’il aurait été plus utile d’aider directement les agents économiques et en premier lieu les ménages en difficulté en recourant à la technique de « l’helicopter money ». En vertu de cette pratique, les banques centrales distribuent des subsides directement aux agents économiques. L’argument plaidant en faveur de « l’helicopter money » est une création monétaire ciblée (la Banque Centrale choisit à quoi sert la création monétaire) et non aléatoire comme les rachats d’obligations aux banques commerciales.

En réalité, la politique monétaire non conventionnelle a permis la mise en œuvre de politiques ciblées sur certains agents économiques. Grâce à cette politique, les États endettés ont retrouvé des marges de manœuvre les autorisant à financer des transferts sociaux ou des investissements. Les dépenses publiques ont commencé à augmenter à nouveau à partir de 2017 après avoir baissé de 3 points de PIB de 2010 à 2016. Le rachat des obligations d’État par la BCE a conduit à la création de monnaie, la base monétaire passant de 1 000 à 3 200 milliards d’euros dans la zone euro. Elle a suivi la progression de la dette publique. Les ménages et les entreprises ont bénéficié des taux bas pour s’endetter. Si les épargnants ont été pénalisés, les créanciers ont été favorisés. 

La politique monétaire a donc conduit à un essor sans précédent de la masse monétaire. L’impact de la création monétaire sur l’économie réelle est jugé faible par certains. Les tenants de « la Modern Monetary Theory » indiquent qu’il est possible de mener une politique budgétaire très expansionniste à condition de monétiser les déficits publics. En France, la loi de 1973 interdisant l’État de se financer auprès de la banque centrale a été contestée par l’extrême gauche et par les « gilets jaunes ». Or, il y a bien eu monétisation indirecte. Les achats de dette publique par la BCE ont maintenu des taux d’intérêt faibles qui ont réduit les paiements d’intérêt sur la dette publique et permis que l’endettement public soit plus élevé pour tous les acteurs.

L’aversion aux risques des agents économiques et le durcissement des ratios prudentiels imposés à la sphère financière après la crise de 2008 expliquent l’effet moins important que prévu de la création monétaire. À cela, il faut ajouter le vieillissement de la population qui ne conduit pas à la prise de risques. La valorisation de certains actifs comme l’immobilier a également abouti à une moindre diffusion au sein de la population de l’augmentation de la masse monétaire.