26 mars 2016

Le Coin de la conjoncture du 26 mars 201-

Le Royaume-Uni face à son destin

Le Royaume-Uni sortira-t-il de l’Union européenne, 43 ans après y être entré ? A trois mois du référendum, les sondages sont très incertains. Pour se rassurer, certains commentateurs mettent en avant les résultats des précédentes consultations organisées outre-manche. Ainsi, en 1975, deux ans après l’intégration du Royaume-Uni au sein de la CEE, les électeurs britanniques décidèrent le maintien à 67,2 %. Les arguments en faveur du maintien étaient les mêmes que ceux d’aujourd’hui : les gains économiques apportés par l’union douanière et le marché commun, l’emploi… Les opposants qui rassemblaient des personnes provenant tant du parti travailliste que du parti conservateur mettaient alors en avant la perte d’indépendance du pays et la hausse des prix. Ironie de l’histoire, les nationalistes écossais qui, aujourd’hui, sont pour le maintien étaient, alors, partisans de la sortie.

Le référendum de 1975 et l’arrivée, en 1979, de Margaret Thatcher n’ont pas été sans incidence sur les relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Notre voisin a, en effet, décidé de ne pas participer à l’espace Schengen ou à l’UEM et de ne pas ratifier la charte des droits fondamentaux.

Toujours pour se rassurer, il est rappelé que les Ecossais ont été capables de faire le bon choix en 2014 malgré des sondages qui a un moment tablaient sur l’éclatement du Royaume-Uni. Le 19 septembre 2014, avec 55,3 % des voix, les Ecossais ont, en effet, de rester des sujets britanniques. Néanmoins, si en 2012, moins de 30 % des Ecossais étaient pour l’indépendance, ce taux a franchi la barre des 51 % le 6 septembre 2014 avant de redescendre légèrement.

Même si le peuple britannique est un des plus éduqués politiquement, tout référendum entraîne une cristallisation. Il conduit à une fusion de toutes les oppositions au pouvoir en place. Les partisans du non à l’Europe exploiteront la montée des inégalités et les problèmes de sécurité ainsi que la question des migrants.

La sortie à quel prix ?

Le Brexit est une pièce en trois actes. Le premier est celui que nous connaissons actuellement, c’est celui de la campagne électorale avec son lot d’incertitudes, de rumeurs et de sondages. Elle est synonyme d’attentisme pouvant conduire à un ralentissement de la croissance. Les marchés financiers et surtout immobiliers britanniques sont impactés par ce climat. La livre sterling devrait évoluer au gré des sondages avec une tendance baissière.

Après le référendum, en cas de sortie, une deuxième période s’ouvrira. Ce sera alors le temps de la négociation, soit pour proposer un nouveau compromis permettant un deuxième référendum, soit pour négocier les accords commerciaux avec l’Union européenne mais aussi avec tous les pays qui faisaient l’objet d’accords européens. Le Royaume-Uni pourrait intégrer l’Espace Economique Européen qui comprend la Norvège, la Suisse et l’Islande et qui a un partenariat privilégié avec l’Union européenne. Cette solution pourrait lui permettre de gagner un temps précieux dans la mise en place d’un nouveau cadre commercial. Cette deuxième phase pourrait durer au moins deux ans. Elle pourrait aboutir à un gel de certains investissements. Plus sa durée sera longue, plus l’impact en termes de croissance et d’emplois pourrait être élevé.

La troisième période intervient après la ratification des principaux accords commerciaux. Economiquement, une stabilisation pourrait alors intervenir d’autant plus si ces accords reconduisent l’existant et que le Royaume-Uni s’intègre à l’Espace Economique Européen. Aujourd’hui, l’implication européenne britannique est avant tout commerciale et financière. Les politiques économiques menées au Royaume-Uni sont très peu contraintes par l’appartenance à l’Union. Au niveau budgétaire, le Royaume-Uni pourrait économiser près de 10 milliards d’euros soit 0,5 % du ¨PIB. Au-delà des questions de souveraineté et de sécurité, l’enjeu d’une éventuelle sortie demeure avant tout d’ordre économique.

Quel est l’impact de la campagne électorale ?

Sur le plan économique et financier, le Royaume-Uni est plus en phase avec les Etats-Unis qu’avec le reste de l’Europe. Les dernières évolutions de la conjoncture ne s’expliquent pas exclusivement par l’entrée en campagne et le résultat incertain du référendum.

L’indice Footsie a enregistré une forte progression de 2010 à 2014, progression plus rapide que celle de l’indice européen Eurostoxx. Depuis janvier 2015, c’est l’inverse. La diminution de l’écart de croissance, la fin des injections des liquidités par la Banque centrale outre-manche et leur début en zone euro ainsi que le référendum sur l’Ecosse ont contribué à cette inversion. La livre sterling a, de son côté, enregistré une phase de dépréciation par rapport à l’euro de 2010 jusqu’à la fin de l’année 2015 avant de connaître une légère appréciation. Elle est ainsi passée de 0,84 à 0,70 euro pour remonter à 0,79 euro (mercredi 23 mars). L’écart de taux d’intérêt a eu tendance, ces derniers mois, à s’accroître entre le Royaume-Uni et l’Allemagne mais il faut prendre en compte les évolutions du PIB et des prix. Que ce soit pour le taux de change ou le taux d’intérêt, les décisions ou non décisions des banques centrales jouent également un rôle important. Il n’en demeure pas moins qu’une baisse ou un report des investissements sont attendus au Royaume-Uni, des délocalisations depuis le Royaume-Uni en particulier en ce qui concerne les services financiers, juridiques, informatiques…. La conséquence sera la dégradation de la balance des paiements courants et donc une dépréciation accrue de la livre sterling.

Quel impact économique d’une sortie ?

Deux études réalisées respectivement par PWC et Barclays soulignent que l’impact d’une sortie pourrait être importante tant pour le Royaume-Uni que pour le reste de l’Europe. Les études concluent à l’intérêt de rester au sein de l’Union ce qui est en phase avec les positions de la City et du patronat.

L’étude PwC réalisée pour le patronat britannique (CBI)

PwC a retenu deux scénarios, le premier avec un règlement rapide et positif des différends commerciaux, le second avec un règlement difficile. Le premier appelé scénario « ALE», prévoit que le Royaume-Uni négocie un accord de libre-échange sans droit de douane sur les exportations et les importations avec l’Europe d’ici 2020. La hausse des barrières non commerciales serait mesurée. Dans le scénario qualifié « OMC » le Royaume-Uni ne signe pas d’accord avec l’UE et commerce avec les Etats membres selon les règles de l’Organisation Mondiale du Commerce. Les barrières tarifaires et non tarifaires avec l’UE augmentent de manière significative.

Dans les deux scénarios de PwC, le niveau de vie au Royaume-Uni, le PIB et l’emploi enregistrent une nette dégradation. L’analyse indique un coût pour l’économie britannique jusqu’à 100 milliards de livre sterling, soit l’équivalent de 5 % du PIB d’ici à 2020. Le taux de croissance serait nul en 2017 ainsi peut être en 2018. Dans le scénario « ALE », le PIB serait inférieur de 3 points d’ici 2020. La croissance serait diminuée d’au moins 50 % par rapport à son niveau prévu en cas de maintien. Dans le scénario « OMC », la contraction est de 5 points. Le PIB par ménage diminuerait de 2100 £ à 3700 £.

Selon les scénarios, le taux de chômage progresserait de 2 à 3 points avec à la clef une perte de 950 000 emplois (la perte pourrait être ramenée à 500 000 en cas d’accord commercial avec l’Union européenne). L’étude de PwC indique que l’économie britannique se rétablirait progressivement mais sans retrouver son chemin de croissance d’avant sortie.

Conséquences au niveau des échanges

Si le Royaume-Uni quitte l’UE sans un accord de libre-échange spécifique, 90 % des exportations britanniques vers l’Union subiraient des droits de douane. Certains secteurs seraient particulièrement touchés comme le secteur textile ou l’automobile. En vertu des règles de l’OMC, les exportations de textiles britanniques vers l’UE subiraient des droits de douane de 10 % quand celles portant sur le matériel de transport seraient soumises à un taux de 7 %.

La position commerciale du Royaume-Uni sortirait amoindrie en cas de départ. En effet, le pays bénéficie de la force de négociation de l’Union qui représente plus de 500 millions de consommateurs et qui est le premier espace commercial mondial. L’Union arrive à imposer de nombreuses normes à l’échelle mondiale ce que ne pourrait faire le Royaume-Uni seul. Un département de négociateurs britanniques devra être créé pour l’élaboration des accords commerciaux ; aujourd’hui, ce sont les services européens qui négocient pour le compte des Etats membres. Le pays devra renégocier avec plus de 50 pays qui sont couverts par des accords européens sans garantie de retrouver des situations aussi avantageuses.

L’étude de PwC démontre que la sortie de l’Union pourrait générer des gains en raison de l’abandon de la réglementation européenne mais ils seraient relativement faibles, 0,3 % du PIB d’ici 2030. Cet accroissement proviendrait des économies de coûts pour les entreprises de main-d’œuvre ou à forte intensité énergétique. En effet, le Royaume-Uni pourrait, en particulier, abroger les textes relatifs au temps de travail (durée des vacances, droits de pause…). Le cabinet de consulting signale que les économies réglementaires auraient des effets très limités car en retenant le scénario ALE et en s’inspirant de la situation de la Norvège, le Royaume-Uni garderait près de 95 % des réglementations actuellement en vigueur.

L’investissement, la principale victime du Brexit

À court terme, l’investissement serait fortement touché du fait de l’incertitude économique et politique que génère le référendum. La période de transition de deux ans pourrait freiner les ardeurs des investisseurs d’autant plus qu’elle engendrerait une forte volatilité des marchés financiers et du taux de change. Pour PwC, la chute de l’investissement serait de 16 à 25 % en fonction des scénarios. Si les modalités de sortie prévoyaient une longue période de transition, période qui pourrait atteindre 10 ans, l’impact sur l’investissement serait encore plus important.

Le Royaume-Uni qui est un des principaux pays d’accueil des investissements d’origine étrangère pourrait voir ce flux se tarir surtout en cas de non mise en place rapide d’accords commerciaux coopératifs. Aujourd’hui tête de pont de nombreuses multinationales, le Royaume-Uni perdrait en attractivité au profit de la Belgique, des Pays-Bas, de la France, de l’Allemagne ou de l’Espagne.

L’étude de la Barclays

La banque Barclays, dans son étude, a retenu qu’en cas de sortie, une négociation durant au moins deux ans serait engagée avec l’Union afin de régler les problèmes commerciaux et financiers. Selon le modèle retenu, la croissance prévue à 1,8 % en 2017 cèderait la place à une récession de 0,5 point et l’investissement au Royaume-Uni se contracterait de 1,4 % t/t au cours du 3ème semestre 2016 et que l’emploi se contracterait. Le taux de croissance passerait de 1,6 à 1,1 % en 2016 et de 1,8 à -0,5  % en 2017. Le taux de chômage augmenterait d’un point et atteindrait 6,1 % en 2017.

La livre sterling subirait une dépréciation de 10 % au moment de la sortie mais cette perte serait réduite des deux tiers dans le courant de 2017. Afin de réduire les effets de ce départ, la Banque centrale britannique pourrait être amenée à recourir à nouveau à des achats d’actifs.

L’étude de la Barclays souligne également que l’Union européenne serait économiquement touchée par le départ du Royaume-Uni. La crédibilité de l’Union et de la zone euro serait entamée en raison de la sortie britannique. Les investisseurs seraient amenés à s’interroger sur le prochain pays candidat au départ. Il en résulterait également une baisse des investissements d’origine étrangère. La croissance pourrait être, de ce fait, proche de zéro pour la zone euro. L’investissement reculerait fortement. Le taux de chômage serait en légère hausse (10,5% en 2017 contre 9,6% dans le scénario de référence de la banque). L’euro pourrait se déprécier tant en raison du poids des incertitudes que du fait de la politique monétaire plus laxiste que la BCE serait obligée de mettre en œuvre.