29 décembre 2018

Le Coin de la Conjoncture du 29 décembre 2018 – Europe – Etats-Unis, France, Allemagne

Europe et États-Unis, si proche, si loin

L’Europe et les États-Unis sont intimement liés mais leurs cycles économiques restent différents. Les investissements croisés sont importants. Au sein des entreprises étrangères implantées en Europe, celles de nationalité américaine sont de loin les plus nombreuses et l’inverse est également vrai. Pour autant, les deux espaces économiques évoluent selon des rythmes différents. Ainsi, les États-Unis achèvent leur dixième année de croissance quand l’Europe n’a renoué avec la reprise économique que depuis trois ans. Le plein emploi est une réalité aux États-Unis depuis 2016 (taux de chômage de 3,7 % en novembre) quand le taux de chômage pour la zone euro s’élevait à 8,1 % au mois de novembre.

Compte tenu de l’ancienneté du cycle économique aux États-Unis, du plein emploi rendant difficile le maintien d’un fort volant de créations d’emploi et de la remontée des taux menée par la Banque centrale, de nombreux experts s’attendent à un net ralentissement. Or, pour le moment, ce dernier est plutôt constaté au sein de la zone euro. Depuis le début de l’année, l’activité augmente moins vite en Europe quand elle tend à s’accélérer aux États-Unis. La croissance de la zone euro est repassée au-dessous de 2 % quand celle des États-Unis est de plus de 3 %. Certes, cette accélération est imputable en partie à la mise en œuvre du plan fiscal de Donald Trump. Malgré tout, il ne saurait expliquer la totalité de l’écart qui s’est creusé de part et d’autre de l’océan Atlantique.

Plusieurs facteurs devraient contribuer à ce que la croissance soit supérieure en Europe. L’Europe a accumulé lors des dix dernières années un retard de croissance qui devrait se combler. Les stigmates de la crise de 2008 et ceux de 2012 sont plus longs à s’effacer que pour les États-Unis. Mais, logiquement, le différentiel de croissance devrait être en faveur du vieux continent.

La politique monétaire est beaucoup plus expansionniste dans la zone euro qu’aux États-Unis. Le principal taux directeur est nul en zone euro quand il évolue entre 2,25 et 2,50 % outre-Atlantique. Les faibles taux d’intérêt en Europe devraient favoriser l’investissement des entreprises et des ménages. Si celui-ci a connu une forte progression en 2017, il a tendance à stagner. En revanche, aux États-Unis, il reste à un haut niveau.

Le plein emploi aux États-Unis devrait amener un arrêt de la croissance. En effet, de plus en plus d’entreprises éprouvent des difficultés à recruter. Les salaires commencent à augmenter, certes de manière encore très modérée. Les gains de productivité n’augmentant guère, la croissance américaine est amenée à s’abaisser et à se caler sur la croissance potentielle voire à passer en-dessous de celle-ci car l’économie est actuellement en surrégime en raison du plan de réduction d’impôt. Au contraire, en Europe, le taux de chômage pourrait donner l’impression que des marges existent en ce qui concerne les créations d’emploi. Néanmoins, dans de nombreux pays européens, le plein emploi est de mise, à l’exemple de l’Allemagne et des Pays-Bas. Par ailleurs, la question de l’employabilité d’une part plus ou moins importante des demandeurs d’emploi, selon les pays, est posée. Le traitement du chômage en Europe et aux États-Unis étant différent, les statistiques sont difficilement comparables.

Les États-Unis bénéficient de plusieurs facteurs leur permettant de maintenir un différentiel de croissance positif avec l’Europe.

Le premier est lié à une démographie plus dynamique. Au sein de l’Union, dix pays sont confrontés à un solde démographique négatif. Contrairement à l’Amérique du Nord qui verrait sa population augmenter de 75 millions d’habitants d’ici 2050, l’Europe pourrait stagner autour de 500 millions d’habitants et perdre 49 millions de personnes en âge de travailler. En 2017, la population européenne ne s’est accrue que par le solde migratoire. Or, une population vieillissante occasionne plus de dépenses sociales et génère moins de gains de productivité. L’activité économique est plus tournée vers les services que vers l’industrie. C’est une économie dite résidentielle qui se développe en Europe. Cette situation ne devrait pas s’améliorer dans les prochaines années car le taux de fécondité est de 1,6 en Europe contre 1,9 aux États-Unis.

Le deuxième facteur jouant en faveur de la croissance américaine provient de la capacité des pays à attirer les meilleurs profils de la planète. Si le système d’enseignement primaire et secondaire laisse à désirer outre-Atlantique, les universités américaines demeurent très attractives tout comme les centres de recherche. De ce fait, l’économie américaine bénéficie toujours d’une immigration à forte valeur ajoutée.

La force du dollar constitue un troisième facteur. La monnaie américaine reste de loin la première devise pour les échanges (50 % des échanges) et pour les réserves (plus de 60 % des réserves mondiales). Ce pouvoir monétaire permet au pays de s’acquitter relativement aisément de son déficit des paiements courants qui avoisine les 3 % du PIB.

La politique budgétaire est nettement plus expansionniste aux États-Unis qu’en Europe, ce qui constitue un quatrième point expliquant le différentiel de croissance. Le déficit public de la zone euro est désormais inférieur à 1 point du PIB quand il dépasse 4 points aux États-Unis.

Par ailleurs, les effets de richesse liés aux cours boursiers sont plus puissants aux États-Unis. Ces dernières années, ceux-ci ont porté la croissance. A l’inverse, la chute des cours constatée en décembre pourrait peser sur la consommation des ménages ainsi que sur l’investissement.

La zone euro est pénalisée par ses divergences et par les incertitudes pesant sur plusieurs de ses États membres comme l’Italie ou la France. En outre, l’Europe est plus sensible que les États-Unis aux variations de la conjoncture mondiale en raison de sa plus forte ouverture au commerce international. Les échanges extérieurs représentent 27 % du PIB pour la zone euro contre 14 % pour les États-Unis.

Les deux zones économiques devaient néanmoins revenir à leur potentiel économique du fait du plein emploi, de la stagnation de l’investissement et des gains de productivité. Le recul de l’activité sera plus important aux États-Unis qui sont en situation de quasi surchauffe. Mais, compte tenu de ses spécificités, l’économie américaine devrait profiter encore en 2019 d’un avantage par rapport à la zone euro. Le problème pour l’Europe provient de la brièveté du cycle de croissance qui aura, pour certains États membres, en particulier pour ceux de l’Europe du Sud et pour la France, effacé les stigmates de la crise de 2008 et de 2012.

 Pourquoi l’Allemagne reste calme quand la France s’agite ?

La France a une longue tradition d’agitation sociale. Longtemps, 1968 a servi de référence au sein des gouvernements et des cabinets ministériels. Il fallait avant tout éviter la sédimentation de plusieurs foyers de revendication et surtout la collusion des mouvements étudiants avec ceux des salariés. Les grandes manifestations de 1995 ont créé une onde de choc jusque dans les années 2010. Durant plus de vingt ans, la règle était d’espacer les réformes et de n’en réaliser qu’une à la fois. Ainsi, en 2003, quand il a obtenu l’adoption de la loi Fillon sur les retraites, le Premier Ministre, Jean-Pierre Raffarin a décidé de différer celle sur l’assurance maladie au grand dam du Ministre de la Santé de l’époque, Jean-François Mattei. En 2017, Emmanuel Macron a voulu prouver qu’il pouvait mettre un terme à ces traditions. Cela lui a permis de lancer plusieurs chantiers au cours des dix-huit premiers mois. La crise des gilets jaunes dont la source n’est pas liée à une réforme structurelle mais à une majoration des droits sur les carburants pourrait avoir comme conséquence de mettre un terme à l’ardeur réformatrice du pouvoir ; mais il est encore trop tôt pour l’affirmer.

En France, les gilets jaunes ont mis en avant la nécessité d’améliorer le pouvoir d’achat de la population. Cette exigence existe également en Allemagne où, dernièrement, des grèves se sont produites notamment dans les transports mais pour le moment, il n’y a pas eu, dans ce pays, de mouvement spontané de l’opinion publique, les corps intermédiaires jouant leur rôle.

Les salaires dans le secteur de l’industrie et au sein des administrations publiques sont plus élevés en Allemagne qu’en France. Ils sont, en revanche, plus faibles dans les services et dans la construction. Dans l’industrie, le salaire moyen est de 11 % supérieur en Allemagne quand il est de 20 % inférieur dans les services aux entreprises. Ce dernier écart est lié au poids du secteur financier en France dont les salaires sont plus élevés.

L’Allemagne bénéficie d’un très faible taux de chômage : 3,6 % contre 9,1 % en France. Le taux d’emploi est également beaucoup plus élevé en Allemagne qu’en France. Il est de 76 % en Allemagne et de 66 % en France.

En Allemagne comme en France, les emplois nouvellement créés sont majoritairement à faible qualification. Le poids des services domestiques dans l’emploi total est de 32 % en Allemagne et de 28 % en France. En revanche, l’industrie n’occupe que 8 % des actifs en France contre 19 % en Allemagne. Depuis 1999, l’emploi manufacturier a reculé de 7 points en France et de 3 points en Allemagne. De ce fait, la France est plus exposée aux petits salaires que l’Allemagne.

En revanche, les retraités français sont mieux traités que leurs homologues d’outre-Rhin. En prenant en compte tous les régimes, le taux net de remplacement est supérieur à 70 % en France contre 65 % en Allemagne. En ne retenant que les régimes obligatoires, l’écart est encore plus important (70 % pour la France et 50 % pour l’Allemagne).

Par ailleurs, le taux de pauvreté est supérieur en Allemagne. Il est de 16 % contre 14 % en France. Cet écart tient notamment au fait que les minimas sociaux sont, en Allemagne, moins élevés et moins accessibles qu’en France.

Le taux de prélèvements est inférieur en Allemagne de près de 6 points de PIB par rapport à la France (39 % contre 45,4 % en France du PIB). Si l’imposition sur le revenu y est plus élevée, les cotisations sociales sont plus faibles. Les taxes sur les carburants sont également légèrement plus faibles outre-Rhin. Elles représentent 49 % du prix du diesel et 56 % de l’essence sans plomb contre respectivement 57 et 62 % en France.

Si la situation de l’emploi est bien meilleure en Allemagne, l’écart de condition de vie n’est pas si important de part et d’autre du Rhin. En revanche, le ressenti est différent tout comme la traduction du mécontentement. La structure institutionnelle de l’Allemagne, sa nature fédérale et le rôle des corps intermédiaires (syndicats, religion, associations, réseaux locaux) ont jusqu’alors permis de réguler les crises sociales. Le problème actuel en Allemagne se situe sur le terrain politique avec l’affirmation d’un courant nationaliste qui prospère, en particulier au sein des territoires les plus pauvres comme dans les Länder de l’Est.