3 août 2019

Le Coin de la Conjoncture du 3 août 2019

Les pays avancés face aux trois transitions

Les pays de l’OCDE sont confrontés à trois transitions majeures qui ont la particularité d’intervenir simultanément : la transition du vieillissement de la population, la transition technologique et la transition écologique.

La transition démographique

Tous les pays sont confrontés à un phénomène sans précédent, le vieillissement de leur population. Les États occidentaux sont les premiers concernés ayant entamé leur transition démographique plus tôt que les pays émergents ou en voie de développement. Ces derniers connaîtront une profonde mutation démographique qui sera plus rapide que celle que vivent les pays occidentaux.

La transition démographique se caractérise par une augmentation sensible du nombre de retraités et par la moindre progression, voire la diminution, de la population active. Ainsi, le poids des 20/64 ans au sein de l’OCDE devrait passer de 61 à 52 % de 1998 à 2040. La proportion de personnes de plus de 60 ans au sein des pays avancés devrait atteindre plus de 30 % d’ici 2050 contre 20 à 25 % actuellement.

Une diminution de la population active signifie une baisse de la production sauf en cas d’augmentation substantielle de la productivité. Or, depuis une vingtaine d’années, les gains de productivité ont tendance à s’éroder. Les économies occidentales sont des économies de services de moins en moins propices à générer des gains de productivité.

Le vieillissement de la population amène la question de la répartition des charges publiques au sein des sociétés. Quelle est la part à consacrer pour les seniors avec en corollaire, quelle est la part que les actifs sont prêts à supporter ? Ce vieillissement a des conséquences sur la consommation. La demande de services augmentera quand celle en produits manufacturés diminuera. Enfin, il a un impact difficile à appréhender en ce qui concerne la valorisation des actifs immobiliers et financiers. Logiquement, pour financer les pensions, les retraités devront puiser dans leur patrimoine. Il en sera de même pour les fonds de pension, ce qui devrait conduire à une baisse de la valeur des actifs. Mais, pour le moment, du fait des taux d’intérêt bas, les actions comme l’immobilier enregistrent une augmentation continue de leur cours. Les seniors restent des épargnants et placent une part croissante de leurs revenus, alimentant ainsi la spéculation sur certaines valeurs.

La transition technologique

Depuis près de vingt ans, l’économie est en proie à un double mouvement : la mondialisation et la digitalisation. Si le premier semble marquer une pause, voire légèrement refluer, il en est tout autrement pour le second. A ce stade, la diffusion des techniques de l’information et de la communication ainsi que la poursuite du processus de robotisation n’ont pas débouché sur une augmentation de la productivité. Si les nouvelles technologiques sont disruptives, elles le sont en premier lieu pour les statistiques économiques.

L’introduction des nouvelles techniques provoque pour le moment la disparition d’emplois intermédiaires à valeur ajoutée moyenne. Ces derniers sont remplacés par un nombre limité d’emplois à forte valeur ajoutée et par un grand nombre d’emplois à faible qualification. Ce processus de polarisation des emplois pèse sur la productivité et la croissance. Ceci conduit à un appauvrissement des salariés, le niveau de salaire des emplois de services créés étant nettement plus faible que celui des emplois industriels détruits. Au sein de l’OCDE, le secteur manufacturier a perdu en vingt ans 20 % de ses emplois quand les services domestiques ont augmenté les leurs justement de 20 %. Entre les deux secteurs, l’écart moyen annuel de rémunération est de 17 000 euros en 2018. Cet écart s’est accru en vingt ans de 50 %.

La transition écologique

La décarbonisation de l’économie conduit à réaliser un grand nombre d’investissements dont, jusqu’à présent, la rentabilité est moindre par rapport à celle des énergies fossiles. En effet, en l’état des techniques, les énergies renouvelables sont moins efficientes que le pétrole ou le gaz. Elles imposent des capacités de production supérieures aux besoins de manière plus importantes que les énergies fossiles. Les éoliennes ne peuvent produire de l’électricité qu’en cas de vent quand les panneaux photovoltaïques exigent du soleil. Cette décarbonisation provoquera une hausse du prix de l’énergie pénalisant la croissance. Par ailleurs, elle provoquera d’importants changements dans la structuration des économies. Les industries traditionnelles devraient perdre des emplois (secteurs de l’automobile, de la chimie, des raffineries). Les créations d’emplois dans les nouveaux secteurs pourraient ne pas s’effectuer au sein des pays avancés compte tenu notamment de la position dominante occupée par la Chine dans la fabrication des batteries et des panneaux photovoltaïques.

L’Allemagne en proie aux doutes

L’Allemagne tourne au ralenti. Son modèle de croissance axé sur les exportations est remis en cause par la montée du protectionnisme et par l’essoufflement de la demande en biens industriels. D’après les indicateurs avancés, la croissance se serait légèrement contractée au cours du deuxième trimestre après un léger rebond au premier trimestre. La première puissance économique de la zone euro est victime d’une certaine langueur. Le moral des agents économique est en net repli. Ainsi, en juin, l’indice Ifo du climat des affaires s’est à nouveau détérioré pour atteindre 97,4, c’est-à-dire son plus bas niveau depuis novembre 2014.

Pour autant, le marché du travail demeure dynamique. En avril, l’emploi était en hausse d’environ 1 % par rapport à l’année précédente et le taux de chômage harmonisé s’élevait, en juin, à 3,1 %, niveau le plus bas de la zone euro. Compte tenu des tensions sur le marché du travail, la hausse des salaires s’accélère. Au premier trimestre, ils ont progressé de près de 3 % par rapport à l’année précédente. Dans l’ensemble, les coûts de main-d’œuvre ont augmenté de 2,3 % sur cette même période. Cependant, cela n’a guère eu d’impact sur l’inflation. En mai, les prix à la consommation n’ont progressé que de 1,4 % par rapport à 2018.

Outre-Rhin, le climat politique est pesant. La Chancelière Angela Merkel termine son dernier mandat sur fond de défaites électorales. Les partis de la coalition ont subi une sévère défaite lors des élections européennes de mai dernier. La CDU/CSU (conservateurs, chrétiens-démocrates) est restée la principale formation politique, mais le SPD (socio-démocrates) a reculé à la troisième place derrière les Verts. De nombreux partisans du SPD seraient favorables à un retrait de la grande coalition. Mais la crainte d’élections législatives anticipées qui se solderaient par une lourde défaite dissuade les dirigeants socio-démocrates de passer à l’acte. Malgré tout, les tensions au sein de la coalition sont amenées à s’accroître, rendant plus complexe la définition d’une ligne politique. Le SPD souhaite peser davantage sur les politiques publiques en imposant à son allié le minimum vieillesse ou des mesures plus radicales en matière de transition énergétique afin de contrebalancer l’influence de plus en plus importante des écologistes.

Dans les prochains mois, les dépenses publiques en faveur des infrastructures des transports et de l’éducation devraient augmenter. De plus, les droits à prestations des personnes ayant élevé des enfants seront revalorisés. En revanche, il ne devrait pas y avoir de réductions d’impôt pour relancer la consommation. Les baisses d’impôts sur le revenu suffisent à peine à compenser la non-indexation des tranches d’imposition. Le Gouvernement a prévu une diminution des cotisations chômage mais qui servira à compenser une augmentation des cotisations d’assurance dépendance.

Ces différentes mesures devraient conduire à une réduction de l’excédent budgétaire. Il devrait passer de 1,7 % du PIB en 2018 à 1 % en 2019 et à 0,75 % en 2020. Cette contraction de l’excédent s’explique en partie par la diminution des recettes fiscales en provenance du secteur des entreprises. En revanche, comme en France, les versements d’intérêts au titre de la dette publique continuent de diminuer en raison de taux exceptionnellement bas. Comme prévu, cette année, le poids de la dette publique devrait passer en-dessous des 60 % du PIB, pour la première fois depuis 2002.

Le Gouvernement allemand espère une amélioration de la croissance en 2020 du fait de la politique des taux bas et de la moindre orthodoxie budgétaire. L’inconnu reste l’évolution du commerce international qui pénalise l’Allemagne. Le risque d’un « hard Brexit » constitue également une menace pour les exportateurs allemands.

Comme les autres pays avancés, l’Allemagne a joué l’éclatement de la chaîne de valeur. La part nationale a reculé ces quinze dernières années au profit des pays d’Europe de l’Est, de la Chine, des autres pays émergents et des États-Unis. L’Allemagne est dépendante de l’évolution du commerce international. La part nationale de la valeur ajoutée dans la demande totale a reculé de 60 %, en 2005, à 51 %, en 2015. Pour le moment, l’emploi ne souffre pas du retournement de cycle. Si le plein emploi est une réalité depuis plusieurs années, la nature des postes proposés change. Le processus de polarisation constaté aux États-Unis ou en France concerne également l’Allemagne. Entre 1995 et 2009 (dernières données disponibles), en termes d’heures travaillées, la part des employés hautement qualifiés est passée de 21,8 % à 27,7 %. À l’opposé, les emplois à faible qualification augmentent également. En revanche, les emplois industriels à qualification moyenne diminuent. Cette situation contribue au creusement des inégalités. L’État allemand est amené à augmenter les prestations sociales, ce qui rapproche l’Allemagne de la France.

Le système allemand vacille car il doit faire face à la transition écologique qui génère des surcoûts, au vieillissement démographique qui conduit à une contraction de la population active, et au défi digital. Sur ce dernier point, l’économie germanique est mieux outillée que celle de ses partenaires européens du fait de sa présence dans l’éolien. En revanche, dans le solaire et dans les techniques de l’information, elle n’est pas en position de force.

L’Allemagne aurait avantage à jouer la carte de l’Union afin de fédérer les forces européennes mais le contexte politique ne s’y prête pas. Angela Merkel veut sortir le moins mal possible de la chancellerie, ce qui suppose que la CDU/CSU soit en position de conserver le pouvoir en 2021. Les élections régionales en Saxe et dans le Brandebourg le 1er septembre prochain seront riches d’enseignement pour la suite en Allemagne.