3 décembre 2016

Le Coin de la Conjoncture du 3 décembre 2016

Presque un quart de siècle d’allègements de charges sociales

Depuis plus de vingt ans, les gouvernements de droite et de gauche ont mis en œuvre des politiques d’allégement de charges sociales sur les bas salaires. L’objectif est simple : il faut réduire le coût du travail pour favoriser l’emploi des personnes sans ou à faibles qualifications.

Des réductions instituées en 1995 aux CICE, en passant par les allègements Aubry ou Fillon, les mécanismes d’exonération, n’ont pas permis d’endiguer le chômage en France et tout particulièrement celui des personnes non qualifiées. Certes, nous pouvons considérer que, sans l’application des exonérations de charges sociales, la situation serait encore plus dégradée.

Les fondements de la politique d’exonération des cotisations sociales

La politique d’exonération des charges sociales vise à faciliter l’embauche des actifs faiblement ou pas qualifiés qui ont été particulièrement touchés par la série de crises intervenues depuis les années 70. La diminution des charges devait améliorer la rentabilité des emplois à faible qualification à un moment où les pouvoirs publics étaient contraints d’augmenter les cotisations sociales. Elle a été également utilisée pour compenser le surcoût généré par la réduction du temps de travail. Depuis 1993, 82 mesures d’allègements ont été prises par les différents gouvernements. Le coût estimé des exonérations est d’une trentaine de milliards d’euros, soit plus de 40 % du déficit public ou l’équivalent de 2 % du PIB. Du fait des règles adoptées en 2005, l’État et donc le contribuable national compensent le manque à gagner supporté par la Sécurité sociale.

Le montant des cotisations sociales dues par les entreprises est en France supérieur à ce qui est constaté chez nos principaux partenaires, plus de 11 % du PIB contre 6,5 % en Allemagne ou 4 % au Royaume-Uni (source Datastream-OCDE).

Le financement de la protection sociale s’effectue encore majoritairement en France par les cotisations sociales (330 milliards d’euros), la deuxième source étant la CSG qui rapporte plus de 90 milliards d’euros par an.

La France figure parmi les pays de l’Union européenne ayant les coûts du travail les plus élevés. Ce constat doit être corrigé par le fait qu’elle est également un des pays ayant une des plus fortes productivités.

Le coût du travail élevé associé à une forte exigence de productivité constituait un obstacle à l’embauche des actifs à faible qualification. C’est pour abaisser le mur de l’inemployabilité que les politiques d’allégement ont été mises en œuvre. Elles ont l’avantage d’être faciles à mettre en œuvre et de générer leurs premiers effets assez rapidement. Elles sont plus efficaces sur un point de vue statistique. En effet, les aides concentrées sur les bas salaires permettent de toucher un plus grand nombre de personnes que si elles concernaient les salaires moyens.

Les allègements de charges sociales ont été concentrés sur les bas salaires compris entre 1 et 1,3 fois le SMIC avant d’être étendus jusqu’à 1,6 fois le SMIC. Le pacte de responsabilité a prévu, de son côté, un abaissement de 1,8 point des cotisations familiales pour les salaires inférieurs à 3,5 fois le SMIC.

Les exonérations de charges aboutissent à réduire le coût du travail au niveau du SMIC de 18 %. Ainsi, le montant des charges patronales est, pour un salarié payé au SMIC, de 194,6 euros contre 605,6 euros hors exonération. Le coût du SMIC est, de ce fait, en 2016, de 1573,3 euros.

Le bilan complexe des exonérations de charges sociales

Les tenants des allégements ciblés de charges (étude de David Thesmar et Augustin Landier) mettent en avant la forte sensibilité de l’emploi aux coûts. De 200 000 à 550 000 emplois auraient été créés ou sauvegardés par cette politique. L’amplitude souligne la difficulté à en mesurer les effets réels. Les principaux secteurs bénéficiaires sont l’hôtellerie, la restauration, le commerce (avec la grande distribution), la construction et la Poste. Plusieurs de ces secteurs ne sont pas exposés à la concurrence internationale.

Pierre Cahuc, professeur à Polytechnique et à l’ENSAE-CREST, souligne que les travaux empiriques d’évaluation des politiques publiques sont assez peu probants car ils ne prennent pas assez en compte les facteurs tiers. Selon une étude datant de 2015, Pierre Cahuc conclut que les exonérations de charges ont un réel effet pour les salariés ayant un très faible niveau de qualification et se situant à proximité du SMIC. Il considère que l’effet sur l’emploi est quinze fois plus fort au niveau du SMIC qu’au niveau du salaire médian (environ 2000 euros).

De nombreux effets pervers

Certains économistes considèrent qu’en période de ralentissement économique, cette politique a peu d’effet car, à leurs yeux, c’est la demande qui commande l’emploi. C’est en particulier vérifié pour les secteurs de la distribution et de la construction. Pour d’autres économistes, les exonérations de cotisations provoqueraient des effets d’aubaine, les entreprises en bénéficiant auraient de toute façon embauché. Elles peuvent également contribuer à une hausse des salaires qui réduit d’autant l’avantage consenti.

La concentration des aides sur certains publics freinent l’adaptation de l’outil productif et sa montée en gamme. Il ralentit la mutation en faussant artificiellement les règles de la concurrence. La politique de baisse des charges n’a pas favorisé la montée en gamme des entreprises françaises. Elle serait, par ailleurs, responsable du déclassement d’une partie de la main d’œuvre française. En effet, de nombreux salariés qualifiés sont contraints d’occuper des emplois à faible qualification rejetant, par ailleurs, les personnes ciblées par les exonérations, au chômage. En France, plus du quart des actifs occupent un emploi exigeant un niveau de qualification inférieur à leur niveau de formation (cf. Lettre Eco du 24 septembre 2016).

Les effets de seuil générés par les politiques d’exonération freinent l’ascension sociale. De peur de perdre les réductions de charges, les employeurs sont incités à ne pas augmenter leurs salariés, ni à les faire professionnellement évoluer. Il en résulte une moindre croissance de la productivité et de la frustration.

La complexité des dispositifs et leurs coûts devraient inciter à leur refonte. La modification du barème des charges avec intégration des abattements serait une première simplification. Il est également suggéré de fusionner le CICE avec les allègements Fillon. Une autre solution consisterait à reprendre une proposition défendue en son temps par Bernard Bruhnes (ancien conseiller social de Pierre Mauroy 1981-1984) et par Hervé Novelli (secrétaire d’Etat en charge du commerce, de l’artisanat et des PME) dans le instituant un abattement de charges sur les 500 ou 800 premiers euros de salaire. Cette disposition aurait l’avantage de supprimer les effets de seuil. Elle rendrait le système de cotisations sociales légèrement progressif.

 Le retour de l’arme budgétaire

Depuis la grande récession de 2008 qui s’est traduite par une envolée des dettes publiques, l’heure était à l’assainissement des finances publiques. En Europe, aux États-Unis, des politiques de maîtrise de la dépense ont été appliquées. Les politiques monétaires accommodantes ont permis de desserrer l’étreinte de la dette tout en facilitant l’accès au crédit. Si ces politiques ont empêché l’enclenchement d’un cycle déflationniste, de plus en plus d’experts jugent qu’elles sont insuffisantes pour renouer avec une croissance durable. Certains pays, comme l’Allemagne, dégageant d’importants excédents au niveau de leur balance des paiements courants et étant revenus à l’équilibre budgétaire, disposent de marges de manœuvre pour relancer leur économie et ainsi celle de leurs partenaires. Si en 2008 et 2009, les gouvernements des grandes puissances économiques avaient agi de concert, depuis, la coordination des politiques publiques s’avère plus difficile.

Comme le FMI, l’OCDE demande aux pays avancés, en situation de le faire, de relancer budgétairement leur économie, en vue de conforter la reprise de la croissance. L’OCDE, en s’appuyant sur ses dernières prévisions économiques de septembre dernier, indique que les politiques d’assainissement des finances publiques mises en œuvre ces dernières années ont pesé sur la croissance.

L’organisation internationale considère qu’une relance de 0,5 point de PIB pourrait être financée pendant plusieurs années dans la plupart des pays sans accroître le ratio dette-PIB à moyen terme. L’impact serait encore amplifié si cette initiative était couplée à des réformes structurelles et si l’action était menée collectivement dans les pays. L’augmentation des dépenses publiques devrait avoir comme objectifs, la stimulation de la croissance comme celle des investissements dans des infrastructures de grande qualité, l’innovation, l’éducation et les compétences.

L’OCDE affirme qu’un renforcement du protectionnisme risquerait par ailleurs de mettre à mal la croissance déjà modeste des échanges mondiaux. « Le protectionnisme, et les inévitables mesures commerciales de rétorsion qu’il entraîne, annulerait une grande partie des effets bénéfiques que les initiatives budgétaires proposées pourraient avoir sur la croissance au niveau national et international » a ainsi  déclaré la Chef économiste de l’OCDE Mme Catherine L. Mann.

Le protectionnisme peut sauver à court terme quelques emplois mais aboutit à une augmentation des prix, ce qui réduit d’autant la compétitivité de l’économie et le pouvoir d’achat des résidents. Il en résulte de moindres rentrées budgétaires. À moyen terme, les effets négatifs l’emportent nettement.

Les taux d’intérêt exceptionnellement bas – voire négatifs – faussent le fonctionnement des marchés de capitaux et accentuent les risques à l’échelle du système financier dans son ensemble. La déconnexion entre la hausse des prix des obligations et des actions et la détérioration des anticipations de bénéfices et de croissance, conjuguée à la surchauffe des marchés immobiliers dans de nombreux pays, accentue la vulnérabilité des investisseurs en cas de forte correction des prix des actifs. La chef économiste de l’OCDE en conclut que « les États sollicitent beaucoup trop la politique monétaire. Ils doivent mettre en œuvre des politiques budgétaires et structurelles pour réduire le recours excessif aux banques centrales et assurer des opportunités et la prospérité aux générations futures ».

 L’Italie et l’Europe retiennent leur souffle

Ce dimanche 4 décembre, l’Italie se prononcera, par référendum, sur une révision de sa constitution engagée par le Premier Ministre, Matteo Renzi.

Cette révision constitutionnelle remet en cause le fonctionnement bicaméral du pouvoir législatif, réduit le nombre de parlementaire et supprime l’équivalent du Conseil économique et social. Avec cette réforme, seule la chambre des députés sera habilitée à donner et à retirer la confiance au gouvernement. Le Sénat passera de 315 à 100 membres qui seront élus par les Conseils régionaux. Le Sénat ne disposera d’une capacité de blocage que pour les projets constitutionnels.

Selon les derniers sondages, le non l’emporterait. En début de campagne, le Premier Ministre avait lié son sort au résultat de ce référendum, il se montre, depuis quelques semaines, beaucoup plus discret sur le sujet. En cas d’élections législatives anticipées, une victoire du mouvement « 5 étoiles » emmené par Beppe Grillo est pronostiquée. Pour les prochaines élections législatives, la nouvelle loi électorale, adoptée en 2016 s’appliquera : elle prévoit que le parti arrivé en tête, au premier tour, avec plus de 40 % des voix aura la majorité des sièges. Si aucun parti n’a atteint ce seuil, un deuxième tour est organisé entre les deux partis arrivés en tête pour obtenir la prime majoritaire, la répartition se faisant à la proportionnelle. L’objectif de cette réforme électorale est de dégager une majorité stable.

Le débat sur le référendum s’est transformé en un vote d’adhésion ou de rejet du Premier Ministre. Par ailleurs, le courant anti-européen avec le Mouvement 5 étoiles a utilisé la campagne pour promouvoir l’idée d’une sortie de l’Italie de l’Union européenne.

L’Italie, un pays qui n’en finit pas de soigner ses plaies

L’Italie a été un des pays les plus touchés par la crise de 2008. Son PIB est inférieur de 9 % à celui d’avant crise. Elle a connu, depuis 2007, 13 trimestres de récession. Son taux de chômage est de 11,7 % avec un taux d’emploi de 57 %.

2015 a été marqué par le retour de la croissance, +0,8 %. Cette année, elle ne devrait pas dépasser 1,1 %. Pour 2017 et 2018, le taux de croissance serait au mieux de 0,8 %. Ces mauvaises prévisions contribuent à l’impopularité du pouvoir en place.

Même si un assainissement budgétaire douloureux a été mis en œuvre, la dette publique dépasse toujours les 2 200 milliards d’euros soit plus de 130 % du PIB.

L’autre point de préoccupation en Italie est lié au poids des créances douteuses détenues par de nombreuses banques, créances évaluées à plus de 360 milliards d’euros. Selon le Financial Times, huit banques italiennes seraient menacées en cas de rejet du référendum. Du fait des liens avec de nombreuses banques françaises et allemandes, une crise financière au sein de la péninsule avec une forte progression des taux pourrait se propager à l’ensemble de la zone euro. La Monte dei Paschi di Siena, la troisième banque italienne, est celle qui est la plus fragile. A ce titre, les actionnaires de cette banque italienne, le plus vieil établissement financier du monde, ont approuvé un plan de sauvetage le jeudi 24 novembre dernier.

L’Italie paradoxale

Les difficultés financières, la faible croissance et le fort taux de chômage font de l’Italie, un pays en crise. Or, depuis le départ de Silvio Berlusconi, les gouvernements successifs ont entrepris de nombreuses réformes. Si certaines d’entre-elles se sont avérées des pétitions de principe, il n’en demeure pas moins que les efforts engagés sont importants. Le code du travail a été simplifié ; un contrat unique pour les nouveaux embauchés a été institué avec une protection croissante en fonction de l’ancienneté. L’indemnisation du chômage a été réduite. Une agence nationale de formation a été créée. Les délais de paiement, mal chronique de l’économie italienne, ont été réduits. L’impôt foncier et la taxe d’habitation ont été supprimés. L’impôt sur le revenu pour les contribuables les plus modestes a été allégé. Le taux de l’impôt sur les sociétés a été ramené à 24 %. Par ailleurs, un vaste programme de maîtrise des dépenses publiques a été lancé. Sur ce dernier point, la Commission de Bruxelles considère que les efforts ne sont pas suffisants. Le budget 2016 devrait enregistrer un déficit de 0,4 % du PIB avant paiement des intérêts de la dette quand la Commission avait demandé un excèdent de 0,5 % afin de pouvoir enrayer la progression de la dette publique.

La population est de plus en plus opposée aux mesures prises même si le chômage a reculé de plus d’un point en un an. Les tensions régionalistes ont tendance à s’accroître avec l’augmentation des inégalités entre le Nord très industrialisé et dynamique, en phase avec l’économie allemande, et les régions rurales pauvres du Sud du Mezzogiorno.

Le Brexit et l’arrivée de Donald Trump ont été jusqu’à maintenant bien supportés par les marchés ; il pourrait en être autrement avec la survenue d’une crise en Italie qui serait tout à la fois institutionnelle, politique, économique et financière. Les autres partenaires ont l’avantage d’être informés et impliqués. La présence d’un Président italien, Mario Draghi, à la tête de la BCE constitue, en outre, une chance pour le pays.