6 avril 2019

Le Coin de la Conjoncture du 6 avril 2019

Et si l’économie française nous surprenait ?

Pour 2019, la croissance française est estimée, selon les instituts de prévisions économiques entre 1,3 et 1,7 %. En début d’année, certains économistes ont mis en avant l’hypothèse que le taux de croissance puisse même ne pas dépasser,1,2 % en 2019. Plusieurs facteurs pourraient néanmoins contribuer à un rythme plus rapide que prévu de l’activité.

L’inflation devrait être moindre en 2019 que celle de l’année dernière. Elle devrait se situer entre 1,2 et 1,5 % contre 1,8 % en 2018. Dans le même temps, les salaires sont orientés à la hausse. Ils pourraient, en moyenne, connaître une revalorisation de 2 %, sachant que dans certains secteurs d’activité, rencontrant des problèmes de recrutement, la hausse serait supérieure. Dans certaines régions, telles que les Pays de la Loire et une partie de la Bretagne, les entreprises rencontrent des difficultés croissantes pour recruter.

Les taux d’intérêt restent à des niveaux historiquement bas du fait d’une politique monétaire restant expansionniste. Les taux de crédits des entreprises et des ménages qui étaient, en moyenne, de respectivement de 5 et 6 % en 2002 étaient, à la fin du premier trimestre 2019, de 1,2 et 1,7 %. Les agents économiques profitent de ces taux faibles en recourant de plus en plus aux crédits au point que la Banque de France a demandé aux banques d’être plus sélectives.

La croissance française sera soutenue par l’augmentation des dépenses publiques. En effet, l’économie devrait profiter, du moins de manière ponctuelle, des mesures annoncées au mois de décembre dernier, pour sortir de la crise des « gilets jaunes ». 10 milliards d’euros ont été ainsi distribués. Les ménages bénéficieront des exonérations des heures supplémentaires, de la prime défiscalisée et de la poursuite de la diminution de la taxe d’habitation. À cela s’ajoute la transformation du CICE et allègement de charges. Du fait des règles de décalage de l’ancien système, l’Etat a versé un double allégement aux entreprises en 2019.

La France sera moins touchée que l’Allemagne par le ralentissement cyclique mondial de l’industrie. En revanche, elle pourra profiter de la poursuite de la hausse des activités tertiaires. L’industrie française qui pesait 12 % du PIB au début du siècle n’en représente plus que 10,3 % en 2018. Le secteur tertiaire est responsable de la création de 78 % de la richesse française.

Après un net ralentissement de la croissance occasionné par l’augmentation des prix, la hausse des prélèvements obligatoires et la crise des « gilets jaunes », la France pourrait connaître au cours du premier semestre un rebond d’activité. Le taux de croissance pourrait ainsi se situer dans la fourchette haute des prévisions, c’est-à-dire autour de 1,5 point.

Redistribution sociale et lutte contre les inégalités font-elles toujours bon ménage ?

La France est un pays de particularités ne supportant pas les inégalités. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et surtout depuis le début des années 1980, la réduction des inégalités est de la responsabilité des pouvoirs publics : État, collectivités territoriales et régimes sociaux. De 1981 à 2018, les dépenses de prestations sociales sont passées de 24 à 33 % du PIB. Parmi les grands pays de l’OCDE, la France est celui où l’indice de Gini qui permet de mesurer les inégalités est le plus faible (0,291 contre 0,293 en Allemagne ou 0,391 aux États-Unis). S’il est en légère hausse depuis la crise de 2008, son augmentation est bien plus faible que chez nos partenaires. Cette faible inégalité après prestations cache une forte inégalité primaire (avant redistribution). La France est le pays où l’écart de revenus, avant et après redistribution (fiscale et sociale), est le plus élevé au sein de l’OCDE. Le Japon, la Suède mais aussi les États-Unis ont des écarts beaucoup plus faibles. L’indice de Gini avant redistribution est de 0,50 en France contre 0,36 en Suède, 0,42 aux Pays-Bas ou 0,50 en Allemagne ainsi qu’aux États-Unis. Il y a une corrélation très nette entre fort indice de Gini avant redistribution et les résultats aux enquêtes PIAAC de l’OCDE mesurant le niveau des élèves et de la formation. Les États ayant de bons résultats à l’enquête PIAAC ont, en règle générale, de bons résultats en termes d’inégalités primaires. Il en est ainsi pour l’Espagne, la Grèce, l’Italie et la France. Ces pays se caractérisent également pour leur fort taux de chômage. En revanche, le Danemark, les Pays-Bas et la Nouvelle Zélande qui sont bien classés au niveau de l’enquête PIAAC, se caractérisent par des faibles niveaux d’inégalités primaires. La corrélation est identique avec les enquêtes PISA sur la formation des actifs.

Les inégalités primaires élevées de revenu sont donc associées à un taux d’emploi faible, à des compétences faibles de la population active et à une efficacité faible du système éducatif. Ces inégalités sont liées à une société de plus en plus duale. L’exigence de productivité est forte pour entrer dans le marché du travail et rentabiliser le coût des prestations. Il y a évidemment une spirale infernale que les pouvoirs publics n’arrivent pas à stopper. Face à un problème, ils n’ont de cesse de vouloir créer de nouvelles prestations. Le SMIC joue, par ailleurs, un rôle de chape de plomb tout comme les allégements de charge qui y sont associés.  Pour rendre le travail financièrement attractif, les pouvoirs publics doivent mettre en place de véritables usines à gaz aboutissant à ce qu’une part croissante des revenus des personnes intéressées soit dans les faits socialisée (revenu d’activité, exonérations de charges, défiscalisation de la prime de fin d’année et des heures supplémentaires).

La France se caractérise par une pression fiscale forte et un poids élevé des cotisations sociales, amenant à un taux d’emploi faible. Les rémunérations directes sont également plus faibles que dans la moyenne des grands pays de l’OCDE.

Le débat politique en France est centré sur la question de la revalorisation des minimas sociaux et sur l’accentuation des prélèvements sur les plus riches au nom de la justice fiscale et sociale. Il porte rarement sur la question du positionnement de l’économie française, sur l’évolution salariale en fonction des compétences, etc. La France a choisi de socialiser une partie des revenus mais ce processus a un coût. Au regard des résultats économiques, il n’est pas certain que ce choix soit le meilleur.

La correction des inégalités par le système de redistribution est plus facile à mettre en œuvre que la réduction des inégalités primaires qui exige de la persévérance. Le temps politique étant court, cette seconde option est souvent préférée à la première. Dans une note récente, l’INSEE souligne que les effets macro-économiques et sociaux d’une revalorisation des minimas sociaux sont rapides.

Une étude de l’INSEE prouve l’intérêt de court terme pour les transferts socio-fiscaux. Ainsi, en recourant à leur modèle, les économistes de l’institut statistique français ont évalué qu’une hausse de 5 % du RSA diminuerait l’intensité de la pauvreté de 0,8 point le taux de pauvreté qui est de 14 % en France, un des plus faibles d’Europe. Une telle mesure coûterait 825 millions d’euros aux finances publiques. La hausse du RSA de 5 % rendrait éligibles de nouveaux ménages. En faisant l’hypothèse d’un taux de recours de 65 % pour les nouveaux éligibles, 135 000 ménages de plus bénéficieraient de cette allocation, soit une hausse de 5,5 %.

Si les pouvoirs publics décidaient d’augmenter de 5 % le montant de la base mensuelle de calcul des allocations familiales, le niveau de vie moyen des bénéficiaires augmenterait de 0,3 point et le taux de pauvreté baisserait de 0,2 point. Pour les 10 % les plus modestes, le gain de pouvoir d’achat serait de 0,5 point. Le taux de pauvreté de l’ensemble de la population diminuerait de 0,1 point. Le coût pour les finances publiques serait de 818 millions d’euros.

En cas d’augmentation de 5 % du barème des aides au logement, le taux de pauvreté de baisserait de 0,2 point. Cette mesure coûterait 780 millions d’euros. Le niveau de vie des personnes initialement bénéficiaires de ces aides progresserait en moyenne de 0,7 %. La hausse serait plus forte dans le bas de l’échelle des niveaux de vie. Pour les bénéficiaires appartenant aux 10 % les plus modestes de la population, le niveau de vie moyen augmenterait de 1,1 %.

Enfin, une hausse de 5 % des tranches de l’impôt sur le revenu (IR) augmenterait le revenu disponible total des ménages de près de 5 milliards d’euros, Plus d’un million de ménages initialement assujettis en seraient exonérés. Le niveau de vie des ménages qui augmenterait en moyenne de 0,7 %. Celui de l’ensemble de la population progresserait de 0,5 % en moyenne. Plus de 50 % des ménages étant déjà exonérés d’impôt sur le revenu, cette mesure contribuerait à accroître les inégalités car elle ne concerne qu’une petite partie de la population.

Ces différentes mesures auraient comme conséquence immédiate d’augmenter le nombre de bénéficiaires de prestations sociales ou d’exonération fiscale. De ce fait, elles aboutiraient à socialiser les revenus. Pour les ménages figurant parmi les plus modestes, plus de 40 % des revenus sont d’ordre public ; pour les 10 % les plus pauvres, ce taux dépasse 60 %. La poursuite d’une telle politique ne pourrait conduite à terme qu’à la légitimation du revenu universel.