6 janvier 2018

Le Coin de la Conjoncture du 6 janvier 2018

Et si le prix du baril de pétrole augmentait ?

Le baril de pétrole (Brent) a terminé l’année 2017 à plus de 66 dollars, soit deux fois plus que son niveau du 20 janvier 2016 (28 dollars). En un an, il gagné 17 %. Néanmoins, son cours reste inférieur de 40 % à celui de 2012. Cette appréciation, fruit de l’accélération de la croissance mondiale et de l’accord de régulation de l’offre signé à la fin de l’année 2016, peut-elle se poursuivre et quelles en seraient alors les conséquences ? Les prévisionnistes ont retenu un cours stable autour de 60 dollars pour les prochaines années. Or, ce scénario n’est pas le plus certain.

Plusieurs facteurs jouent en faveur de la hausse des cours. L’écart entre production et consommation, qui avait atteint 2 millions de barils jour tend en 2016, à se réduire. Le marché serait à l’équilibre au cours de l’année 2018. Certes, l’importance des stocks lisse l’impact de ce retour à l’équilibre. Les stocks mondiaux se sont réduits de 130 millions de barils entre juillet 2016 et décembre 2017 à 2,97 milliards de barils, se rapprochant de leur niveau moyen à cinq ans (2,7 milliards de barils).

Du bon respect de l’accord de régulation

Le bon respect de l’accord de régulation de l’offre élaboré par l’OPEP et auquel participe notamment la Russie est une condition sine qua non, pour le moment, pour le maintien d’une tendance haussière. Les parties prenantes à l’accord jouent actuellement le jeu. Certes, en cas de forte augmentation, certains pays pourraient être tentés de maximiser leurs gains en s’affranchissant des limitations de production et de se comporter en passagers clandestins (en profitant des prix élevés liés à l’accord tout en ne le respectant pas). Le Nigéria, l’Irak et l’Iran (qui est confronté à une crise politique et sociale) ou le Venezuela figurent parmi les possibles mauvais joueurs.

Un équilibre qui dépend des producteurs de pétrole de schiste

La production cumulée de l’OPEP et de la Russie s’élève en ce début d’année 2018 à 43,6 millions de barils/jour, soit un niveau inférieur au record de la fin 2016 (plus de 44 millions de barils/jour). La production avait fortement augmenté à partir de 2012 où elle ne s’élevait qu’à 39 millions de barils/jour. La hausse était intervenue au moment même où la production américaine de pétrole de schiste connaissait une progression vertigineuse. Cette dernière est passée, de 2009 à 2014, de 0,5 à 4,8 millions de barils/jour. L’évolution du prix du pétrole, dans les prochains mois, dépend donc non seulement de la Russie et de l’OPEP mais aussi des Etats-Unis ainsi que du Canada. Si les producteurs de pétrole de schiste sont capables de relever rapidement leur niveau de production, les cours se stabiliseront autour de 60 dollars. A l’inverse, si un plafonnement intervenait, faute d’investissement et en raison de réserves limitées, le franchissement de la barre des 70 dollars pourrait intervenir durant l’année. Pour le moment, le premier scénario semble s’appliquer. Si la production américaine avait diminué de près d’un million de barils/jour de 2014 à 2016, depuis, elle a effacé cette baisse et atteint, en ce début de mois de janvier, près de 5 millions de barils / jour.

Un baril à 70 dollars est-il supportable ?

Un cours du baril à 70 dollars aurait des conséquences non négligeables pour l’économie mondiale. Une augmentation du pétrole entraîne automatiquement un transfert de croissance des pays importateurs de pétrole vers les pays exportateurs de pétrole. Les pays producteurs bénéficieraient d’un pouvoir d’achat supérieur ce qui leur permettrait d’accroître leur demande intérieure et extérieure. Même si leur marché intérieur s’est développé avec l’émergence d’une classe moyenne, l’impact de ce transfert sur l’économie mondiale serait négatif en termes d’activité.

Le passage du cours du baril de 60 à 70 dollars génèrerait un surcroît d’inflation de 0,4 point pour les pays importateurs. Cette dernière, du fait de la rigidité des salaires nominaux, provoquerait une baisse du pouvoir d’achat des ménages et une moindre croissance de la consommation. La hausse des prix pourrait inciter les banques centrales à resserrer leur politique monétaire ce qui pourrait freiner l’investissement. Le manque à gagner en termes de PIB serait de 0,3 à 0,4 point.

L’effet réel sur l’activité dépend de la vitalité de la reprise économique en cours. S’il s’avère que celle-ci n’est avant tout que la conséquence du pétrole bon marché et des faibles taux d’intérêt, l’éventuelle hausse du baril apparaîtra comme un grain de sable capable de gripper les économies occidentales convalescentes. Si, au contraire, ces dernières entament un cycle autoalimenté de croissance avec, à la clef, une augmentation des gains de productivité, l’appréciation du prix du pétrole pourra être assez facilement digérée. Un baril à 70 dollars n’est pas un prix excessif. De 2012 à 2014, le cours du baril de Brent dépassait sur moyenne période 100 dollars. Une augmentation du prix du pétrole offrirait, en outre, quelques avantages en facilitant la rentabilisation des investissements en faveur des nouvelles énergies et en incitant les entreprises à recourir à des modes de production décarbonés.

 La croissance face à son plafond de verre

Plusieurs pays dont les Etats-Unis, l’Allemagne et le Japon sont en situation de plein emploi ou presque ce qui fait craindre à certains que leur croissance s’étiole assez rapidement. En effet, du fait de la stagnation voire du déclin de la population active, les marges de manœuvre de ces pays sont faibles pour maintenir longtemps la croissance au-dessus de son niveau potentiel. Faute de bras, la production ne peut pas croître ; par ailleurs, la demande intérieure sera étale en raison de la stagnation de la masse salariale.

Compte tenu des fondamentaux des pays dits avancés, toute chose étant égale par ailleurs, la croissance pourrait rapidement revenir à 1,4 % par an aux Etats-Unis, à 1 % par an dans la zone euro et à 0,5 % au Japon.

Aux Etats-Unis, le taux de chômage est de 4,2 % et de 7,4 % au sein de l’Union européenne dans laquelle une dizaine d’Etats sont au plein emploi. Compte tenu des systèmes d’indemnisation et des qualifications des demandeurs d’emploi, certains pays européens à fort taux de chômage sont confrontés à des problèmes de pénurie de main d’œuvre. Si le taux de participation à l’emploi progresse encore en Europe, il est stable depuis plus de deux ans aux Etats-Unis prouvant la disparition des réserves. Dans les deux grandes zones économiques, la croissance de la population active ne s’élève qu’à 0,5 % par an et tend à s’affaiblir d’année en année.

Pour contrecarrer le scénario de la stagnation, une remontée de la productivité par tête est indispensable. Or, depuis 2012, en Europe, sa croissance est de 0,5 % en rythme annuel quand elle atteint 1,2 % aux Etats-Unis. Dans les deux cas, ces taux sont éloignés de leur niveau d’avant crise (respectivement 1,2 % et 2 %). Les emplois actuellement créés, notamment dans le secteur des services, génèrent de faibles gains de productivité. La digitalisation combinée à la mondialisation favorise des créations de nombreux emplois à faible qualification et, dans une proportion moindre, à celles d’emplois très qualifiés. Cette polarisation de l’emploi pèse sur les gains de productivité et sur la masse salariale. Certes, cette situation est une photographie à une date « t » qui ne saurait préjuger de ce qui se passera durant les prochaines années.

Pour conjurer la menace de la stagnation, les espoirs se portent sur le maintien d’un fort taux d’investissement. Actuellement, la progression de ce dernier est imputable au retard pris ces dernières années qui a entraîné un vieillissement des équipements. Si les entreprises parient sur une progression de la demande, elles pourraient passer d’un investissement de remplacement à un investissement de production. Ce changement de cap pourrait, à terme, relever le niveau de la croissance potentielle d’autant plus si la digitalisation améliore enfin la productivité.

Ce scénario positif peut être favorisé par l’absence d’inflation et par les faibles taux d’intérêt qui réduisent le coût de l’endettement. L’augmentation des taux devrait rester limité à moyen terme tout comme celle des prix. Une forte augmentation des taux d’intérêt ne pourrait être que la conséquence d’une crispation financière. Ainsi, si à un moment donné, il apparaît qu’il y a surinvestissement, la correction peut être importante d’autant plus que l’appréciation de la valeur des actifs (actions et immobilier commercial) a été forte.

Si le niveau de confiance est au plus haut pour le moment, de petits déséquilibres financiers apparaissent (hausse des défauts sur le crédit à la consommation aux Etats-Unis, spreads de crédit trop resserrés, etc.). Par rapport à 2008, plusieurs points doivent être pris en compte. Le niveau d’endettement des ménages américains a fortement baissé passant de 132 à 108 % du PIB. Celui des ménages de la zone euro a également baissé mais de manière moindre passant de 99 à 95 % du PIB. La dette des entreprises de la zone euro s’élève à plus de 100 % du PIB. Aux Etats-Unis, après avoir diminué de 2008 à 2013, elle augmente à nouveau pour atteindre 56 % du PIB. Le ratio, résultats futurs sur valeur de l’entreprise (PER sur résultats futurs) est élevé aux États-Unis, soit 20, quand il évolue depuis 2 ans autour de 15 en Europe. Pour les prix des maisons, les Etats-Unis ont presque atteint le niveau de 2007 et la zone euro l’a dépassé. Pour l’immobilier commercial, la hausse atteint près de 100 % aux Etats-Unis depuis 2010. Les prix sont supérieurs de 40 % à leur niveau de 2007. Pour la zone euro, l’appréciation depuis 2002 est de 40 %, les prix étant à leur plus haut niveau.

La capacité de relever le niveau de la croissance potentielle suppose une augmentation des gains de productivité ce qui suppose le maintien d’une progression de l’investissement productif. La question de la redistribution des fruits de la croissance sous forme de pouvoir d’achat se posera également afin de maintenir la consommation à un haut niveau. L’immobilier commercial qui pour le moment offre du rendement et qui bénéficie de l’engouement des investisseurs constitue une menace compte tenu de sa rapide appréciation. Un retournement économique pourrait entraîner une brutale correction sur ce segment , surtout aux États-Unis.