7 septembre 2019

Le Coin de la Conjoncture du 7 septembre 2019

La manipulation des changes, une arme à double tranchant

Les États-Unis comme le Royaume-Uni ont un déficit extérieur structurel depuis de très nombreuses années. Ce déficit n’est supportable que par la capacité de ces deux pays à attirer en permanence des capitaux qui suppléent le manque d’épargne intérieure. Si les investisseurs internationaux choisissent ces pays, c’est en raison du bon rendement des placements et de la sécurité qu’il procure. Les États-Unis sont jugés fiables car ils sont la première puissance militaire mondiale, une démocratie et, en outre, leur économie reste dynamique. Le Royaume-Uni est choisi parce que sa place financière est reconnue et que le pays est géré de manière démocratique.

Si ces conditions n’étaient pas remplies, les Américains comme les Britanniques devraient réduire leurs dépenses afin de rétablir l’équilibre commercial de leur pays. Dans le système actuel, les Américains disposent d’un niveau de vie supérieur à celui qui serait le leur en retenant la production nationale. Le déficit de la balance courante aux États-Unis est d’environ 2 % du PIB. Ce solde devrait s’accompagner d’une dépréciation du dollar. Certes, entre 2002 et 2019, son taux de change effectif nominal s’est déprécié de 17 % mais cela n’est pas sans rapport avec l’importance du déficit commercial. Le déficit de la balance courante du Royaume-Uni est encore plus important, plus de 6 % du PIB. Ce déficit n’a pas entraîné une dépréciation de la livre sterling. Celle-ci a reculé par rapport aux principales devises non pas à cause du commerce extérieur mais en raison du Brexit.

Les États-Unis peuvent compter sur le rôle du dollar qui représente plus de 63 % des réserves monétaires mondiales. En outre, le pays est incontournable eu égard à son vaste marché intérieur. La tentation de Donald Trump de faire baisser le dollar par rapport aux autres monnaies peut se comprendre au regard de l’importance du déficit commercial américain. Au Royaume-Uni, les tenants du Brexit considèrent que la dépréciation de la livre sterling sera positive pour les exportations britanniques malgré l’instauration de droits de douane.

Une dépréciation d’une monnaie est une source d’appauvrissement.  Le pouvoir d’achat à l’extérieur du pays diminue, le prix des produits importés augmente, celui des biens exportés diminue. Pour être favorable, la dépréciation doit générer un surplus d’exportations compensant le manque à gagner. Elle suppose tout à la fois des capacités de production disponibles et des capacités de substitution au niveau de la production. En effet, pour limiter les effets de la hausse du prix des importations, l’appareil productif doit pouvoir répondre à la demande. Or, les États-Unis comme le Royaume-Uni disposent de peu de marges en la matière. Les deux pays sont en situation de plein emploi. Par ailleurs, compte tenu de l’éclatement des chaines de production, leur relocalisation ne peut pas être immédiate. En outre, les coûts de production risquent d’être supérieurs aux prix des produits importés. Au Royaume-Uni, le Brexit incite les entreprises nationales à réduire leurs investissements voire à délocaliser leur production, ce qui conduira à un accroissement du déficit commercial. Une dépréciation du dollar ou de la livre sterling peut dissuader les investisseurs de placer leurs capitaux dans ces pays d’autant plus si elle s’accompagne d’une baisse des taux. Les États-Unis attirent les capitaux car la rémunération est plus forte qu’en Europe ou au Japon. Si cet avantage est élimé ou disparaît et si, en outre, le risque de change augmente, les investisseurs seront en quête d’un nouvel havre de paix.

Une crise financière est-elle possible en zone euro ?

Depuis la « crise des subprimes » (2008-2009) et depuis la crise de la zone euro (2010-2013), la zone euro a mis en place de nombreux mécanismes défensifs pour éviter la réédition d’un crash financier. Les établissements financiers sont soumis à un contrôle de la part de la BCE et les obligations de fonds propres ont été renforcées. Le Mécanisme Européen de Stabilité (ESM) dispose de moyens importants pour intervenir en cas de crise grave. Par ailleurs, la Banque centrale européenne a la capacité de s‘engager dans des opérations de rachats massifs d’actifs.

Un des moyens les plus efficaces pour éviter la survenue d’une crise est l’abaissement des taux d’intérêt. Leur faible niveau rend solvable des États qui ne le seraient si ces taux étaient trois ou quatre points plus élevés. Dans ces conditions, une crise financière de la zone euro est peu probable.

Cette situation est-elle immuable ? Quelles sont les conditions qui pourraient provoquer une crise financière au sein de la zone euro ?

Une remontée des taux assez brutale aurait des conséquences dommageables du fait du stock d’obligations à taux négatifs. Les banques, les compagnies d’assurances et les États seraient rapidement confrontés à des problèmes de solvabilité. Les investisseurs en obligations devraient faire face à des pertes massives en capital.

Néanmoins, la surveillance des établissements financiers a été très fortement renforcée avec l’adoption de textes prudentiels comme Bâle III et Solvency II. Le ratio de fonds propres des banques sous Bâle III est ainsi passé de 7,2 à 14 % de 2008 à 2018. Au niveau des États comme des banques, les autorités européennes ont pris des dispositions pour éviter la réédition d’une crise potentiellement systémique. La BCE s’est vu confier une mission fédérale de contrôle de la place financière. Le Mécanisme européen de stabilité est entré en vigueur le 27 septembre 2012. Il prévoit de garantir la mobilisation de fonds pour faire face à une éventuelle défaillance d’un de ses membres. Il dispose d’une capacité initiale de prêt de 500 milliards d’euros sur la base d’un capital de 704,8 milliards d’euros (dont 80,55 milliards de capital « libéré » et 624,3 milliards de capital appelable). Il peut, à des taux d’intérêts plus faibles que sur le marché, accorder des prêts à un État en difficulté, acheter des obligations des États membres bénéficiaires (sur les marchés primaire et secondaire) ou encore fournir des prêts pour assurer la recapitalisation d’établissements financiers tels que les banques. En contrepartie, les États bénéficiaires doivent s’engager à prendre des mesures précises qui conditionnent l’octroi du prêt. L’ESM est intervenu auprès des banques espagnoles de novembre 2012 à décembre 2013 pour un total de 41,3 milliards d’euros. Il a versé 6,3 milliards d’euros de mars 2013 à mars 2016 à Chypre, et 61,9 milliards d’euros à la Grèce d’août 2015 à août 2018. La BCE exerce, par ailleurs, un pilotage pointilleux de la politique monétaire. Si son objectif reste la surveillance des prix, elle a intégré sans l’écrire d’autres facteurs comme l’emploi ou la croissance. Du fait de sa politique de Quantitative Easing, la base monétaire de la zone euro est passée de 1 300 à 3 200 milliards d’euros de 2015 à 2019.

La hausse des taux pourrait être provoquée par une augmentation de l’inflation. Celle-ci pourrait intervenir en raison d’un changement sur le marché du travail. Avec le plein emploi, avec le vieillissement de la population, les entreprises pourraient rencontrer des difficultés croissantes pour recruter et donc relever les salaires. Malgré tout, la menace inflationniste est faible. En effet, à l’échelle mondiale, les capacités de production excèdent la demande. Internet a généré un réseau de distribution, la vente en ligne, qui concurrence les grandes surfaces et le commerce de détail. Par ailleurs, les places de marchés digitaux permettent un accroissement de l’offre comme cela a été constaté au niveau des véhicules avec chauffeur ou en matière de location saisonnière. Le vieillissement de la population et la contrainte environnementale jouent en défaveur de l’achat de biens de consommation. Cela concourt également à la baisse des prix. À contrario, un choc pétrolier lié à une crise avec l’Iran pourrait avoir des incidences sur le niveau des prix.

Une crise peut survenir en raison d’une hausse inconsidérée de certains actifs déconnectée des rendements réels. L’immobilier est concerné par une potentielle bulle. De 2002 à 2018, le prix des maisons en zone euro a connu une hausse de plus de 60 % quand celle de l’immobilier commercial a progressé de 41 %. Les loyers ne suivent pas, loin de là, l’appréciation des prix. Il en résulte une diminution du rendement. Par ailleurs, les montants à emprunter pour acquérir dans les métropoles un bien immobilier augmentent. Cette progression est découplée de l’évolution des rémunérations. Certains estiment que le marché immobilier des métropoles s’est mondialisé. La clientèle s’élargirait du fait de la mondialisation. Cette analyse n’est pas sans limite. Les personnes les plus riches n’accumulent pas des logements à faible rendement locatif pour le plaisir ou au nom du principe de précaution, la pierre étant considérée comme une valeur refuge. Une récession réduirait les capacités de remboursement des emprunteurs et pourrait avoir une série de conséquences à commencer par la baisse des prix de l’immobilier. Elle engendrerait par ailleurs des difficultés au sein des banques et des assureurs, les premiers du fait de l’accumulation de créances douteuses, les seconds en raison du risque assurantiel qu’ils portent sur les crédits.

L’aversion aux risques se traduit également par un gonflement de la poche obligataire. L’encours d’obligations détenu par les résidents a fortement progressé en vingt ans passant de 98 à 155 % du PIB en moyenne au sein de la zone euro. La dette publique au sein de la zone euro est passée ces vingt dernières années de 65 à 87 % du PIB. Cette accumulation de titres obligataires peut à un moment avoir un contre effet, les investisseurs jugeant qu’elle est excessive et générant ainsi un mouvement de panique. L’excès d’épargne constitue aujourd’hui un garde-fou mais qui n’est pas sans limite.

La zone euro pourrait être également confrontée à une tension sur les taux du fait d’une crise politique ou sociale survenant dans un ou plusieurs États membres. En France, la crise des « gilets jaunes » est intervenue en dehors des schémas classiques de contestation. Les réseaux sociaux permettent des mobilisations rapides autour de thèmes précis. L’opinion apparaît très versatile et prompte à s’opposer au pouvoir en place. L’Allemagne n’échappe pas à la règle avec la montée en puissance du parti d’extrême droite. L’Italie avec une économie à l’arrêt depuis de nombreuses années, un fort taux de chômage et un système politique déstructuré constitue un maillon faible au sein de la zone euro. L’hétérogénéité des niveaux de vie entre les pays de la zone euro tend à s’accroître. L’écart entre l’Allemagne et la France en matière de PIB par habitant a augmenté depuis 1999 de 10 points au profit des allemands. L’hostilité des opinions face à la construction européenne s’accroît que ce soit dans les pays en difficulté comme l’Italie ou dans les pays du cœur de l’Europe comme l’Allemagne. Les populations européennes estiment que l’Union ne les protège pas assez face à la concurrence mondiale. La contraction de l’industrie est durement ressentie car elle est synonyme de baisse du niveau de vie.

Un des autres facteurs de crise est l’absence d’unité de la zone monétaire européenne. Depuis la crise grecque, la mobilité des capitaux a disparu entre les pays de la zone euro. L’excédent d’épargne de l’Allemagne et des Pays-Bas n’est plus prêté aux autres pays qui ont dû faire disparaître leur déficit extérieur. Cette absence de mobilité des capitaux supprime un élément clef de la solidarité financière et une des raisons d’être de l’euro. Une union monétaire sert à allouer l’épargne au financement des investissements efficaces, où qu’ils soient. Pour rétablir la mobilité des capitaux, il faudrait rétablir la confiance en Allemagne et aux Pays-Bas dans une solvabilité durable des banques et des États des autres pays. Le maintien de forts déficits en Italie et en France dissuade les investisseurs allemands et hollandais d’opter pour l’Europe du Sud. La France du fait de la taille de son économie et de la puissance de sa sphère financière, peu touchée par les créances douteuses, n’a pas de problème de financement de sa dette.

Les facteurs les plus susceptibles d’entraîner des tensions financières sont à moyen terme la remontée du chômage, la création de bulles d’endettement et l’accumulation de tensions politiques. La baisse graduelle du chômage réduit d’autant cette menace mais les emplois créés sont fragiles, précaires et peu rémunérés. En cas de retournement conjoncturel, le taux de chômage pourrait augmenter rapidement. Auparavant, les grandes structures économiques, en particulier industrielles, avaient les capacités de gérer dans le temps les licenciements. Dans une économie fonctionnant à flux tendus, la gestion de l’emploi s’est durcie. La prochaine crise pourrait donc avoir des impacts plus importants et rapides, ce qui exigera de la part des pouvoirs publics des capacités de réaction importantes. Or ceux-ci peinent à se remettre de la dernière crise.