9 juin 2019

Le Coin de la Conjoncture du 8 juin 2019

Le paradoxe des taux d’intérêt

Les taux d’intérêt, incluant les primes de risque, devraient toujours être supérieurs au taux de croissance. Or tel n’est plus le cas. L’État français emprunte à 0,2 % quand le taux de croissance est de 3 % inflation comprise. Aux États-Unis, les entreprises empruntent à 4 % quand le PIB augmente en valeur de 5 %.

Logiquement, les taux d’intérêt servent de guide pour apprécier la rentabilité à terme des investissements. Or, les très faibles taux d’intérêt modifient la valorisation des actifs, en particulier celle des actions et de l’immobilier.

Cette situation paradoxale peut être amenée à perdurer. Les taux d’intérêt réels à long terme sont très bas en raison de la situation déflationniste de l’économie mondiale. Il y a un excès d’épargne par rapport à l’investissement conduisant automatiquement à une diminution des taux d’intérêt réels. Le taux d’épargne mondiale a atteint 29,5 % du PIB en 2018 contre 26 % du PIB en 1998.

L’investissement est plus faible en raison d’une forte aversion aux risques des épargnants. Par ailleurs, la tertiarisation des économies a comme conséquence un moindre recours à l’investissement. La croissance de la production industrielle mondiale a été en vingt ans de 75 % quand celle du PIB a été de 125 %.

Les taux d’intérêt réels à long terme sont également très bas dans la mesure où les Banques Centrales s’engagent à les maintenir bas quel que soit l’environnement économique. La remontée des taux aux États-Unis est bien modeste compte tenu du niveau de la croissance et de la situation de plein emploi. Le moindre ralentissement de l’activité a amené les banques centrales à différer leur programme de relèvement des taux.

La menace déflationniste n’incite pas les banques centrales à relever les taux. Les investisseurs anticipent de plus en plus le maintien d’une faible inflation pour les prochaines années. Certains estiment qu’il n’y aura pas de redressement de la demande de biens et services suffisants pour sortir de la déflation. L’inflation mondiale est passée en vingt ans de 5 à 2,5 %. L’inflation sous-jacente qui est calculée en excluant les biens à forte variation est actuellement d’à peine de 2 % contre plus de 3 % en 2010.

Les niveaux d’endettement atteignent par les agents économiques et en premier lieu par les États rendent toute augmentation des taux réels difficile à mener. La dette publique à l’échelle mondiale est passée de 57 à 88 % du PIB de 1998 à 2018. Sur la même période, les taux d’intérêt réels à dix ans sur les emprunts d’État ont perdu plus de 2 points (0 % en 2018 contre 2 % en 1998). Il y aurait un consensus des banques centrales afin de poursuivre la monétisation des dettes publiques. La base monétaire mondiale est passée de 10 à 32 % du PIB preuve de cette monétisation croissante des dettes. Ce mécanisme est défendu par les partisans de la Théorie Monétaire Moderne. Les Banques Centrales s’engagent à mettre en place une création monétaire suffisante pour maintenir en permanence des taux d’intérêt à long terme très bas.

En se fondant sur l’exemple du Japon, les taux pourraient rester durablement bas et être insensibles aux variations de la croissance et de l’inflation. En 20 ans, les taux japonais des emprunts d’État à 10 ans sont passés de 2 à 0 %. Cette érosion s’est effectuée sans lien avec l’évolution de l’activité et des prix. Plusieurs économistes dont Patrick Artus estiment que les taux seront faibles tant qu’il n’y aura pas d’inversion des anticipations pour l’inflation. Cette dernière ne serait possible qu’en cas d’augmentation durable des salaires.

Le FMI demande à la France de réaliser des économies

Pour le FMI, la croissance française reste résiliente et riche en emplois malgré le recul constaté depuis l’année dernière. L’organisation internationale souligne l’effet positif des réformes engagées depuis 2014 en matière de droit du travail et de fiscalité. Elle s’inquiète des niveaux élevés des dettes publique et privée, de la persistance d’un chômage structurel important et d’une croissance atone de la productivité.

Le FMI prévoit pour 2019 une croissance de 1,3 % en France. Cette dernière pourrait à terme s’établir à 1,5 %. Malgré tout, il note que les risques ont augmenté, notamment ceux liés aux tensions commerciales, à l’issue incertaine du Brexit et à une reprise des tensions au sein de la zone euro. La rigidité accrue de l’opinion publique face aux réformes pourrait selon le FMI peser sur l’activité dans les prochaines années.

Malgré une baisse du déficit budgétaire à 2,5 % du PIB l’an dernier, la dette publique demeure élevée et le ratio dépenses publiques/PIB reste le plus élevé d’Europe. Pour le FMI, il n’existe pas de risque immédiat car le niveau actuel des taux d’intérêt rend soutenable la dette. Le problème provient de l’incapacité des pouvoirs publics à arrêter sa progression et cela malgré le retour de la croissance. La dette publique française est passée d’environ 20 % du PIB en 1981 à près de 100 % du PIB aujourd’hui. Les périodes d’expansion n’ont pas été exploitées pour annuler les hausses de dépenses réalisées pendant les phases de récession. Les gouvernements ne profitent pas des rentrées fiscales générées par la croissance pour assainir en profondeurs les finances publiques. Ils ont tendance à conforter les dépenses passées, voire à en engager de nouvelles.

Le FMI demande au Gouvernement de prendre des mesures afin de réduire le poids de la dette publique au sein du PIB. Pour cela, il est nécessaire de procéder à un effort budgétaire structurel ambitieux. L’effort sur le solde budgétaire primaire structurel devrait porter au minimum sur 0,5 point de PIB par an pendant la période 2020-23. Cet effort amènerait une réduction de la dette publique de près de 10 points. Le FMI s’inquiète du financement des mesures d’allégement fiscal annoncées dernièrement et qui contreviennent au processus de réduction des déficits. Entre les réductions d’impôt annoncées et les mesures en faveur de l’investissement et l’environnement, il y a un risque réel d’augmentation du déficit surtout en cas de ralentissement prononcé de l’activité. La réalisation d’économies est vivement recommandée. De même que la réforme de la fonction publique actuellement en examen au Parlement.

Le FMI se prononce en faveur de la réforme des retraites qui, à ses yeux, améliorerait la transparence, l’efficience et l’équité du système. Pour préserver la viabilité à long terme du système, améliorer l’équité entre les générations, accroître le taux d’activité et réaliser des économies budgétaires, le FMI juge nécessaire le relèvement planifié de l’âge effectif de départ à la retraite et le lien avec l’espérance de vie.

La réforme des allocations de chômage est également jugée nécessaire. Le FMI estime qu’elle pourrait produire des économies budgétaires à travers une révision des règles de calcul et de cumul des allocations, ainsi qu’une réduction du niveau de l’allocation maximale.

Le FMI suggère au Gouvernement de conduire des réformes afin de réduire les dépenses dans les domaines où l’écart avec les pays comparables est important (logement, transports, interventions économiques). Des efforts pourraient être également menés, en matière de santé (produits médicaux, hôpitaux, centres de consultation externe), tout en protégeant la qualité des services de santé publique et les dépenses de recherche-développement. L’organisation internationale considère, par ailleurs, que des progrès pourraient être réalisés en ce qui concerne l’efficience des dépenses d’éducation. Le FMI recommande la fusion de petites municipalités et l’élimination de doubles emplois entre les fonctions des collectivités locales et l’administration centrale.

Le FMI souligne que la France a pris des mesures efficaces pour garantir la sécurité de son système financier dont la taille est importante. Parmi les avancées principales figurent l’unification de la surveillance et de la résolution dans le cadre européen, l’établissement du Haut Conseil de stabilité financière, ainsi que la mise en œuvre de la directive sur la résolution et la restructuration bancaires et de Solvabilité II. Les banques ont amélioré leurs fonds propres et la qualité de leurs actifs.  Les bilans des banques et des assureurs sont résilients aux scénarios de stress simulés par les autorités européennes.

Le FMI demande la poursuite de l’intégration du contrôle financier et de la surveillance au niveau des conglomérats. La présence de conglomérats financiers alourdit les charges de contrôle tout comme les risques potentiels. Les effets de contagion seraient importants en France en cas de crise financière.

Le FMI estime que les pouvoirs publics suivent les risques potentiels liés à l’augmentation de l’endettement privé. Les autorités ont en particulier réduit le plafond de créances des entreprises endettées. L’organisation internationale invite le Gouvernement à être néanmoins prêt à prendre d’autres mesures afin d’éviter la constitution de bulles spéculatives. Une nouvelle réduction des avantages fiscaux prévus pour le financement par endettement plutôt que par fonds propres pourrait aussi contribuer à limiter l’endettement.

Vérité en deçà des Alpes, erreur au-delà

L’Italie fait l’objet d’une nouvelle menace de la part de la Commission de Bruxelles pour déficit excessif même si en 2019, ils sont inférieurs à ceux de la France. Cette situation renforce le sentiment anti-européen et anti-français qui traverse le peuple transalpin.

La Commission européenne prend en compte la trajectoire suivie par les finances publiques et la situation économique du pays pour enclencher une procédure pour déficit excessif contre l’Italie. Ainsi, il apparaît aux yeux de la Commission que le déficit public pourrait passer de 2,4 à 3 % de 2019 à 2020 en Italie contre respectivement 2,8 et 1,8 % pour la France. Le Gouvernement italien conteste les estimations bruxelloises. Il estime son déficit pour 2020 à 2,1 %. La dette publique des deux pays évolue différemment. Celle de l’Italie continue à augmenter en raison d’une croissance inexistante quand celle de la France stagne. La dette italienne devrait ainsi passer de 132,2 % du PIB, en 2018 à 135,7 % en 2020. Celle de la France devrait rester en-deçà de 100 % du PIB. Le potentiel de croissance est d’autant plus faible que la démographie italienne est étale. La coalition au pouvoir en optant pour une politique d’augmentation des dépenses ne rassure pas la Commission mais cette remarque vaut également pour la France.