20 août 2022

Le Coin de la Conjoncture – emploi – Etats-Unis – transition énergétique

Pas assez d’actifs sur le marché du travail

Les entreprises des pays occidentaux sont confrontées à des problèmes de recrutement qui perdurent. La population active tend à stagner voire à diminuer au moment même où la crise sanitaire modifie le rapport au travail. Parmi les raisons mentionnées pour expliquer les problèmes de recrutement sont mis en avant le niveau des compétences, le recul de l’offre de travail, ou les règles du marché du travail.

Par rapport à la période d’avant crise sanitaire, au sein de la zone euro, les difficultés de recrutement des entreprises ont été multipliées par quatre. En France, plus d’une entreprise sur deux seraient concernées.

En France tout particulièrement, les employeurs mettent en avant la faiblesse des compétences pour expliquer leurs difficultés à recruter. Or, l’inadéquation des compétences des actifs aux besoins des entreprises ne semble pas dans la situation actuelle le problème numéro un. Des pays à faible niveau de compétence comme la France, l’Espagne, l’Italie ou la Grèce rencontrent un déficit de main d’œuvre au même titre que l’Allemagne, les Pays-Bas ou les Etats d’Europe du Nord qui figurent pourtant dans le haut du classement PIAAC de l’OCDE (classement mesurant le niveau de compétences des actifs).

Selon les données d’Eurostat, plus le temps de travail est faible, plus les difficultés de recrutement augmentent. Il en est de même fort logiquement avec le taux d’emploi. Aucune corrélation ne se dessine entre le montant ou la durée d’indemnisation et les difficultés de recrutement.

Les principaux facteurs d’augmentation des difficultés de recrutement, au sein de la zone euro, proviennent de l’attrition de la population active sur le marché de l’emploi. La réduction du temps de travail contraignant les employeurs à avoir plus de salariés que dans le passé, accentue cette situation.

Les Etats-Unis, toujours les plus forts ?

Depuis une quarantaine d’années, l’économie américaine résiste mieux aux chocs que l’économie européenne, grâce à une moindre dépendance aux importations énergétiques, à un marché plus homogène, et à une domination dans les secteurs de pointe.

Les États-Unis résistent mieux aux chocs que la zone euro

Après les crises de 1990/1992, 2000/2001, 2008/2009 et 2020/2021, les Etats-Unis ont rebondi plus vite et plus fort que l’Europe. L’écart de PIB entre les deux zones économiques se construit au début des cycles économiques. Les Etats-Unis mettent deux fois moins de temps que les Européens pour revenir au plein emploi. De crise en crise, l’Europe semble de moins en moins agile pour les surmonter. Les stigmates des crises de 2008/2009 et de 2011/2013 n’avaient été effacées qu’en 2019, et encore n’était-ce pas le cas pour certains pays comme l’Italie, l’Espagne, la Grèce, voire la France,

Une des premières explications de la résilience américaine provient de sa faible dépendance à l’énergie importée. Après avoir connu une forte augmentation des importations de gaz et de pétrole dans les années 1980/2000, les Etats-Unis sont redevenus exportateurs nets depuis 2015. La montée en puissance du pétrole et du gaz de schiste a modifié la donne. En 2022, la balance commerciale énergétique est déficitaire de 4 % du PIB pour la zone euro quand elle est excédentaire de 0,5 % du PIB pour les Etats-Unis. Ces derniers sont moins sensibles que les Européens aux augmentations de prix du pétrole.

La forte rentabilité des entreprises aux Etats-Unis contribuent à des crises plus courtes qu’en Europe. Le redressement des profits des entreprises y est beaucoup plus rapide après une récession. L’économie américaine se caractérise par une flexibilité plus grande des salaires réels et le redressement plus rapide de la productivité. Il en résulte un redressement plus rapide aussi de l’emploi, de l’investissement, donc de l’activité.

Après impôts et intérêts, avant dividendes, les profits des entreprises américaines s’élevaient à 18 % du PIB en 2021, contre 14 % au sein de la zone euro. En période de reprise, la progression de l’investissement est toujours plus forte aux Etats-Unis qu’en Europe. Il en est de même pour les créations d’emploi.

L’économie américaine en raison de son positionnement dans les hautes technologies génère des gains de productivité plus importants que celle de la zone euro. Depuis 1985, les gains de productivité se sont accrus de 95 % aux Etats-Unis contre 40 % au sein de la zone euro. La divergence des courbes est intervenue à partir des années 1995/2000 lors de la première révolution digitale. Les gains de productivité sont relativement étales en Europe depuis une dizaine d’années quand ils ont continué à augmenter aux Etats-Unis. La présence de gains de productivité rend la soutenabilité des dettes plus aisée aux Etats-Unis à la différence de l’Europe. Cette dernière est confrontée périodiquement à ce problème (1992-1995, 2010-2014). L’économie américaine supporte plus facilement des taux d’intérêt plus élevés qui sont également un gage de bonne orientation de l’épargne et de bonne rémunération de la prise de risque.

Les Etats-Unis exploitent les atouts que leur procure le dollar qui est la première monnaie mondiale tant pour les échanges que pour les réserves de devises. Le dollar demeure une valeur refuge qui s’apprécie durant les crises (2000-2002, 2008-2009, 2020-2022). Ce rôle d’actif refuge permet aux Etats-Unis d’éviter les crises de balance des paiements et limite les poussées d’inflation dues à la dépréciation du change. Les Etats-Unis peuvent financer une partie de la croissance grâce à l’épargne étrangère qui y est investie.

Les Etats-Unis restent une terre d’accueil pour les investissements mais aussi pour les talents internationaux, ce qui accentue leur domination en matière de technologie. Dans les secteurs des technologies de l’information et de la communication, de la santé ainsi que dans celui de la défense, les Etats-Unis demeurent en pointe et constituent la référence. Les dernières crises ont accentué la dépendance des Etats dans ces secteurs.

Pour contrecarrer les facteurs déclinistes, l’Europe doit impérativement résoudre son problème de dépendance énergétique et enregistrer des gains de productivité, ce qui suppose un effort conséquent en matière d’investissement. Le renforcement de l’euro serait souhaitable mais passe par une mutualisation accrue des dettes de la zone euro avec la mise en place de marchés financiers plus intégrés, en lieu et place des marchés nationaux segmentés.

Bas salaires : comment les augmenter ?

En France, la crise sanitaire a relancé le débat sur la question de la revalorisation des bas salaires. Durant des années, les gouvernements ont tenté de favoriser l’emploi des personnes sans qualification en multipliant les exonérations de cotisations sociales. Cette politique a freiné la montée en gamme de l’économie, et provoqué l’augmentation du nombre de salariés à faible rémunération. Pour augmenter les bas salaires et créer un écart entre ces derniers et les revenus de l’assistance, les pouvoirs publics ont mis en œuvre des dispositifs comme celui de la prime d’activité ?

En France, près d’un cinquième des salariés gagnent moins de 1500 euros net par mois et 30 % gagnent entre 1500 et 2000 euros. Plus des Deux tiers des actifs (68 %) gagnent mois de 2500 euros quand 1,6 % gagnent plus de 8000 euros par mois.  Les salaires nets sont inférieurs en France à la moyenne de la zone euro du fait de la spécialisation de l’économie dans les secteurs domestiques et du niveau élevé des cotisations sociales ainsi que des impôts de production.

Compte tenu de la progression des dépenses pré-engagées (dépenses récurrentes sur lesquelles les capacités d’arbitrage des ménages sont limitées. Ces dépenses comprennent celles liées au logement, aux abonnements et aux assurances. Ces dépenses sont passées de 2001 à 2021 de 27 à 33 % sachant qu’elles sont proportionnellement plus fortes pour les ménages à revenus modestes. L’augmentation du coût des logements explique cette évolution qui contribue au ressenti d’appauvrissement des Français.

Pour augmenter les revenus des ménages modestes, plusieurs solutions existent : le relèvement des salaires et notamment du SMIC ou la hausse des transferts sociaux.

Un des principaux canaux d’augmentation des salaires repose sur le processus de revalorisation du SMIC. Ce dernier est revalorisé chaque année en fonction de l’inflation mesurée pour les 20 % des ménages ayant les revenus les plus faibles et sur la base de la moitié du gain de pouvoir d’achat du salaire horaire moyen des ouvriers et des employés. Le Gouvernement a la possibilité de faire des ajustements en cours et des relèvements supérieurs à la formule. Les revalorisations du SMIC ont abouti à un écrasement des salaires. En 2021, le SMIC représentait 61 % du salaire médian, alors que ce ratio est inférieur à 50 % au sein de l’OCDE. Pour éviter cet écrasement, les pouvoirs publics peuvent inciter les entreprises à relever les bas salaires. En France, deux millions de salariés sont payés au SMIC, soit 12 % de la population salariée.

Une hausse généralisée des bas salaires

Ces dernières années, l’Etat a contribué à la hausse des salaires à travers les exonérations ou au transfert des charges sociales payées par les salariés. Cette politique peut être générale ou ciblée sur les bas salaires. Dans ce dernier cas, elle génère des effets de seuil qui freine l’ascension sociale. Elle maintient un nombre important de salariés dans des emplois à faible valeur ajoutée. L’Etat peut inciter les entreprises à verser des primes ou à proposer des heures supplémentaires. De telles mesures ne sont pas sans limites car elles peuvent nuire à la compétitivité prix. Les entreprises qui n’arrivent pas à dégager des gains de productivité suffisants ou qui n’arrivent pas à répercuter la hausse de leurs coûts sur leurs prix, sont contraints de comprimer leurs marges bénéficiaires. Celles des entreprises françaises sont traditionnellement inférieures à celles de leurs homologues européennes. Il en résulte de moindres capacités d’investissement et d’innovation. Le taux d’investissement net des entreprises françaises, malgré la reprise post-covid, reste anormalement bas depuis la crise financière.

La hausse sélective des salaires

Les entreprises ayant des marges élevées sont censées redistribuer une partie des gains de productivité au profit de leurs salariés. En France, les écarts de salaires entre les différents secteurs d’activité sont relativement faibles du fait de l’existence du SMIC et d’une forte pression égalitaire. Néanmoins, avec l’apparition de goulets d’étranglement en matière de main d’œuvre, la situation pourrait être amenée à changer. Les entreprises pour attirer et fidéliser leurs salariés devront leur offrir de meilleure rémunération. Les entreprises les plus productives seront ainsi favorisées ce qui amènera un renouvellement du tissu économique, renouvellement qui est traditionnellement lent en France.

Le renforcement des transferts publics

Pour compenser la modicité des bas salaires et accroître l’écart entre ces derniers et les revenus de l’assistance, les pouvoirs publics peuvent jouer sur les transferts publics aux ménages. Dans cet esprit, ils ont institué la Prime d’Activité en 2016. Elle prend la forme d’un complément de revenus en vigueur et dont les conditions d’accès ont été élargies lors de la crise des « gilets jaunes » en 2019. Pour en bénéficier, une personne célibataire doit percevoir moins de 1,5 SMIC. Le plafond mensuel est croissant en fonction de la situation maritale et du nombre d’enfants à charge. 4 578 700 touchaient la Prime d’activité en mars 2022. Le coût total pour les finances publiques est de 9,4 milliards d’euros (2019). L’Etat se substitue aux entreprises pour assurer une partie des revenus des ménages. Pour les 20 % des ménages les plus modestes, les prestations publiques représentent plus de 30 % de l’ensemble de leurs revenus. Cette socialisation n’incite pas les entreprises à relever les salaires et à monter en gamme. La France se caractérise par une forte inégalité salariale avant prestations et par une tout aussi forte égalité après prestations. Les agents économiques se sont ainsi défaussés sur l’Etat pour la réduction des inégalités. La socialisation des revenus contribue ainsi à l’augmentation des dépenses publiques, des prélèvements obligatoires et de l’endettement.

Les pouvoirs publics peuvent donc opter pour une hausse du salaire minimum, avec en conséquence soit une perte de compétitivité-prix, soit une compression des marges bénéficiaires. Ils peuvent choisir une augmentation des transferts publics (Prime d’Activité), avec le problème de coût pour les finances publiques ou inciter les entreprises à relever les salaires en tenant compte des gains de productivité. La troisième solution si elle a comme défaut d’être inégalitaire est la plus à même d’améliorer le contenu de la croissance.

La transition énergétique et ses obstacles

La réduction des émissions de CO2 dans les pays de l’OCDE est à peu près deux fois plus lente que ce qui était prévu dans les accords climatiques internationaux. En vingt ans, les Etats membres de l’OCDE n’ont réduit leurs émissions que de 20 %. Pour atteindre la neutralité carbone d’ici le milieu du siècle, des efforts majeurs sont indispensables.

Les Accords de Paris ont fixé un objectif de décarbonation des activités humaines. Ce pari visant à limiter le réchauffement climatique est un véritable défi comportant de nombreux obstacles. La décarbonation, qui impose de manière arbitraire et réglementaire une substitution d’énergie, est une première dans l’histoire économique contemporaine. 

La réduction des émissions des gaz à effet de serre passe par le développement des énergies renouvelables. Elle conduit à un sous-investissement dans les énergies fossiles qui demeurent indispensables durant la période de transition. Le montant des investissements pour la recherche pour l’exploration et la production de pétrole a été divisé par deux entre 2012 et 2022 au niveau mondial. Ce sous-investissement provoque une augmentation des prix de l’énergie, phénomène renforcé par la guerre en Ukraine. Pour pallier ce problème et échapper au risque de pénurie, les Etats sont tentés de recourir à des énergies polluantes, dont le charbon.

La transition énergétique est d’autant plus délicate à mener que la substitution des énergies carbonées par des énergies renouvelables ne s’effectue pas selon des critères de rentabilité immédiate. Avec le coût du stockage de l’énergie rendu nécessaire par l’intermittence de la production, les énergies renouvelables ont une efficience plus faible que les énergies carbonées. Le recours aux énergies renouvelables et aux équipements qui y sont associés (voitures électriques) conduisent à des inégalités fortes et nécessitent la mise en œuvre de politiques redistributives importantes.

La transition énergétique conduit à une forte augmentation de la demande pour certaines matières premières dont les métaux rares, indispensables pour la construction des réseaux électriques ou des batteries électriques. Cette demande s’accompagne d’une hausse des cours qui se répercute sur le prix des énergies renouvelables. En dix ans, le prix du lithium a été multiplié par dix, celui du nickel et du cobalt par plus de deux.

La décarbonation des activités économiques nécessite la réalisation de nombreux investissements. Leurs coûts sont évalués à 4 points de PIB chaque année pendant 30 ans avec, du moins à court terme, une faible rentabilité. Les entreprises industrielles devront modifier leurs équipements. La rénovation thermique des bâtiments touchera les particuliers et les entreprises. L’ensemble de la filière des transports est également concerné par la transition énergétique. La hausse des taux d’intérêt réels, en lien avec le changement de cap des politiques monétaires des Banques Centrales afin de lutter contre, renchérit le coût de ces investissements et impose probablement de recourir à de nouvelles sources de financement.

La transition énergétique repose sur des choix technologiques qui pourraient se révéler hasardeux. L’urgence impose d’opter pour des solutions techniques sur lesquelles des doutes existent ou qui pourraient être moins efficientes que d’autres qui exigent plus de temps pour leur développement. Le recours au moteur électrique pour les véhicules comporte de nombreux inconvénients (batteries polluantes et lourdes, autonomie faible, etc.) mais cette technique a l’avantage d’être relativement facile à déployer quand le moteur à hydrogène est plus complexe à généraliser (production d’hydrogène vert, création d’un réseau de stations à hydrogène, etc.).

Pour réussir la transition énergétique, le changement des comportements est jugé nécessaire. Or la croissance des deux cents dernières années s’est construite sur la base d’une énergie abondante et bon marché. Les ménages occidentaux ont pris l’habitude de se chauffer, de climatiser, de disposer d’un grand nombre d’équipements électroménagers, d’un ou plusieurs voitures, de prendre l’avion, etc. La remise en cause du mode de vie occidental sera délicate à mener dans un contexte où les consensus sont de plus en plus difficiles à façonner.