5 février 2022

Le Coin de la Conjoncture – inflation – formation – Chine

Inflation, stop ou encore

Depuis le milieu de l’année 2021, deux clans s’opposent. Le premier estime que l’inflation post-covid est temporaire quand le second imagine une vague inflationniste de longue durée. Les tenants de la première thèse qui avaient estimé que l’inflation disparaîtrait en fin d’année 2021 ou au début de l’année 2022 ont été contraints de réviser leur analyse en prévoyant un retour à la normale différé dans le temps. Les arguments en faveur d’une inflation transitoire ou durable sont nombreux rendant toute conclusion sur ce sujet fragile.

En ce début d’année 2022, l’inflation est au plus haut depuis une trentaine d’années aux États-Unis et en Europe. Elle atteint 7 % Outre-Atlantique et dépasse 5 % au sein de la zone euro. L’inflation sous-jacente qui exclut les biens et services à forte fluctuations (énergie, produits agricoles, tarifs réglementés, etc.) est désormais supérieure à 4 % aux États-Unis et à 2 % en zone euro. Depuis plusieurs mois, les économies occidentales enregistrent des taux d’inflation supérieurs au taux cible retenu par les banques centrales (2 %). Celles-ci ont décidé jusqu’à maintenant de ne pas surréagir en prenant en compte l’évolution des prix sur des périodes plus longues que dans le passé et les effets du rebond soudain de l’économie. La Réserve fédérale américaine a fait évoluer son analyse sur le sujet en admettant que la hausse des prix ne peut plus être considérée comme totalement temporaire.

L’inflation post-covid trouver ses origines dans la hausse des prix de l’énergie, des métaux, du bois, des semi-conducteurs et du transport. D’avril 2020 à janvier 2022, le prix du baril de Brent est passé de 17 à 90 dollars. Celui des métaux a plus que doublé sur la même période quand celui du bois doublait. Les semi-conducteurs ont connu entre la mi 2020 et la mi-2021 une multiplication de leur prix par trois. Ce prix est en net retrait depuis quelques mois tout en restant supérieur à celui d’avant crise. L’indice du coût du fret maritime a été, de son côté multiplié par six entre la fin 2020 et le milieu de l’année 2021 avant de redescendre légèrement. Celui du fret aérien a augmenté de 105 % depuis la fin de l’année 2019.

Cette envolée des prix est imputable à une augmentation brutale de la demande au moment même où l’économie mondiale sortait de plusieurs confinements qui ont désorganisé les chaînes d’approvisionnement. Dans un système avec des stocks faibles et reposant sur un éclatement des chaînes de valeur, le moindre grippage provoque des effets dominos dont le plus important est la pénurie. La stratégie de la Chine du « zéro covid » qui contraint les autorités à confiner épisodiquement des agglomérations crée des à-coups de production de la part de la première puissance industrielle mondiale.

Depuis plusieurs années, la demande était essentiellement tirée par les services. Avec les confinements, les ménages ont changé leurs habitudes en matière de consommation en privilégiant les biens industriels (électroménager, bureautique, meubles, produits de construction). Les ménages souhaitent améliorer leur logement et pouvoir télétravailler confortablement. Cette transformation de la demande a accentué le déséquilibre entre offre et demande et conduit à des hausses de prix. Avec le retour à la normale, ce déséquilibre devrait progressivement disparaître. L’inflation est également en partie spéculative. Les producteurs compensent leurs pertes des années 2020 et 2021 en raréfiant l’offre au moment où la demande explose.

Les goulots d’étranglement devraient s’estomper avec la diffusion de la vaccination et avec la montée en puissance de l’offre. La production pétrolière si elle n’a pas encore retrouvé son niveau d’avant crise, elle s’en rapproche. L’écart n’est plus que de 5 % quand il dépassait 10 % au second semestre 2021. La production de gaz en ce début d’année 2022 est en train de retrouver son niveau de 2019 à 3 400 millions de tonnes équivalent pétrole. Les prix de nombreuses matières premières (gaz naturel, minerai de fer, bois, semi-conducteurs, transport maritime) se sont retournés à la baisse. Les investissements sont en forte hausse de la part des industriels et des entreprises d’énergie pour répondre à la demande. L’entreprise de Taïwan TSMC a ainsi investi plus de 100 milliards de dollars pour produire des semiconducteurs, Intel a fait de même à hauteur de 30 milliards de dollars.

Avec la sortie des politiques monétaires et budgétaires exceptionnelles, la demande devrait s’assagir dans les prochains mois. La croissance est attendue en baisse ce qui devrait atténuer les tensions sur l’offre et donc les tendances inflationnistes.

La pérennité de l’inflation dépend de son éventuelle transmission aux salaires. Pour le moment, les salaires augmentent avec retard et moins vite que les prix. Aux États-Unis, ils progressent deux fois moins vite que l’inflation sur les biens. En Europe, une hausse commence à se faire ressentir mais elle reste mesurée par rapport à l’inflation.

Logiquement, une forte indexation des salaires sur les prix est nécessaire au déclanchement d’une spirale prix-salaires.

Plusieurs arguments incitent à penser que l’inflation pourrait avoir ses quartiers et demeurer présente au sein de l’économie mondiale quelques temps.

La crise sanitaire a modifié les rapports de force entre salariés et employeurs. Les premiers désertent les emplois pénibles ou à horaires décalés obligeant les employeurs à proposer de meilleures rémunérations. Les aspirations des actifs ont changé avec l’épidémie. Le souhait de trouver des emplois proches de leur domicile, voire de changer de lieu de vie amène une montée des démissions que ce soit aux États-Unis ou en Europe. Le vieillissement de la population conduit naturellement à des pénuries de main d’œuvre. La concurrence accrue sur le marché de l’emploi pousse à l’augmentation des salaires. Aux États-Unis, la moitié des entreprises peinent à recruter. En France, dans les secteurs de l’hébergement, de la restauration ou du bâtiment, 40 % des entreprises sont dans cette situation. La pandémie a changé le rapport au travail au point qu’aux États-Unis, deux à trois millions d’actifs n’ont pas repris le chemin du marché de l’emploi. Le taux de participation à l’emploi est 80 % début 2022, contre 82 % avant la crise sanitaire. Ce phénomène n’est pas constaté, en revanche, au sein de la zone euro. La politique de soutien à l’économie qui a été différente de part et d’autre de l’Atlantique peut expliquer cette différence. Au sein de la zone euro, les gouvernements ont privilégie le maintien des emplois quand, aux États-Unis, le gouvernement a pris en charge les chômeurs, dans le premier cas, les contrats de travail ont été sauvegardés quand dans le second ils ont été rompus. Quoi qu’il en soit, moins d’actifs dans un contexte de forte reprise génère des tensions salariales et alimente l’inflation. Si une indexation par rapport aux prix s’installait, l’inflation s’enkysterait au cœur de l’économie. Le vieillissement de la population induit des besoins importants en services à la personne qui sont les plus inflationnistes. Les dépenses de santé, de retraite, de dépendance ne peuvent qu’augmenter obligeant à recruter des médecins, des infirmiers, des aides-soignants etc.

La transition énergétique est par nature inflationniste. De manière quasi réglementaire, les entreprises, les ménages doivent passer des énergies fossiles à des énergies à zéro émissions ayant un coût supérieur aux premières. Cette transition oblige les États à substituer des énergies renouvelables aux énergies carbonées ce qui suppose la réalisation d’investissements coûteux et l’obsolescence d’équipements pas obligatoirement amortis. Par ailleurs, l’intermittence de la production électrique issues des énergies renouvelables nécessite des capacités de stockage ou l’existence d’équipements redondants, ce qui est  source de hausse des prix. Les matériels nécessaires à la transition énergétique (éoliennes, hydrolyseurs, batteries électriques, réseaux électriques) utilisent des quantités importantes de métaux (cuivre et nickel, cobalt et lithium). Le prix du cobalt a été multiplié par deux en trois ans et celui du lithium par cinq.

L’inflation autoréalisatrice

Le directeur de l’INSEE, Jean-Luc Tavernier a souligné lors d’un interview au quotidien « Les Echos » du 26 janvier 2022, que « plus on parle d’inflation, plus on risque d’alimenter la hausse des prix ». Si tous les acteurs anticipent la hausse des prix, celle-ci peut s’emballer. Pour le moment, tel n’est pas le cas mais l’inflation de sujet sur l’inflation indique que cela pourrait advenir.

Les arguments en faveur d’une inflation transitoire (recul des prix des matières premières, faible indexation des salaires aux prix) cohabitent avec les arguments en faveur d’une inflation durable (redressement du pouvoir de négociation des salariés, transition énergétique, anticipation autoréalisatrice). À ces dernières pourrait être également ajoutée l’inflation en provenance  des relocalisations. Si au niveau des discours, la tentation d’un protectionnisme industriel existe, dans les faits, celui reste mesuré au vu de la progression des importations tant des États-Unis que dans la zone euro. Pour autant, il est trop tôt pour mesurer les conséquences de la potentielle restauration de la souveraineté industrielle prônée par de nombreux États.

Les États-Unis et la zone euro ne sont pas égaux face à l’inflation. Aux États-Unis, un début de transmission aux salaires est constaté quand cette dernière demeure faible en Europe. La Réserve fédérale a plus de latitude d’actions que la Banque centrale européenne au niveau de sa politique monétaire du fait qu’elle agit pour le compte d’un seul pays quand la seconde doit intégrer la situation des dix-neuf États membres. Si en Allemagne ou aux Pays-Bas, l’inflation est honnie, elle l’est moins en Europe du Sud. Les premiers craignent une dépréciation de la monnaie quand les seconds y voient la chance d’alléger le fardeau de la dette. Dans la définition de sa politique monétaire, la BCE est obligée de considérer les conséquences d’un relèvement des taux sur la stabilité de l’ensemble de la zone. Si une augmentation est susceptible de freiner les prix, elle renchérit le coût de la dette publique et pourrait poser un problème de solvabilité pour certains États. Le précédent de la crise grecque en 2011 hante les esprits, nul ne souhaitant que la crise sanitaire ne débouche sur une crise financière de grande ampleur. La BCE est conduite à agir avec beaucoup de prudence pour éviter une envolée des écarts de taux entre les États membres et le développement d’un sentiment de défiance à l’égard du Sud de l’Europe.

La Chine sera-t-elle vieille avant d’être riche ?

La Chine connaît un vieillissement démographique violent. Celui-ci est la conséquence de la politique de l’enfant unique décidée sous le règne de Mao afin de lutter contre les famines. Son abandon n’a pas occasionné qu’une très légère remontée du taux de fécondité qui est passé de 1,6 à 1,7 de 1999 à 2020, soit un taux inférieur à celui de la France (1,9). Le taux de natalité est en Chine de 8 pour mille, contre 11 pour mille en France. Le non-renouvellement des générations provoque une montée en puissance des personnes de plus de 60 ans qui représentaient 19 % de la population totale, contre 9 % en 1995. les séniors devraient en 2040 représenter 30 % de la population. La proportion de personnes d’âge actif a commencé à baisser depuis le début des années 2020.

Les pouvoirs publics, en Chine, ont peu anticipé les conséquences de ce vieillissement démographique. Le pays se caractérise par la très faible taille des systèmes de retraite et de santé. Les dépenses publiques de retraite s’élevaient à moins de 6 % du PIB en 2020, contre plus de 11 % pour la zone euro. Il convient néanmoins de noter qu’elles ont été multipliées par près de trois en Chine lors de ces vingt dernières années. Les dépenses de santé représentaient dans ce pays moins de 4 % du PIB en 2020, contre plus de 7 % de PIB en zone euro. Elles ne sont en réelles augmentation en Chine que depuis les années 2010.

Faute de pouvoir disposer d’un système de retraite et de santé important, les Chinois sont contraints d’épargner des sommes importantes. Le taux d’épargne des ménages progresse depuis 2005 en passant de 25 à plus de 30 % du revenu disponible brut. Cet effort accru d’épargne conduit à un affaiblissement de la consommation.

Toute réduction de la population active est susceptible d’amener une érosion de la croissance potentielle. Celle-ci peut être endiguée par une hausse des gains de productivité. Depuis la fin des années 2000, ces gains sont en baisse. Ils sont passés de 9 à moins de 5 % par an. La croissance potentielle du pays décline et se rapproche de 2,5 % quand elle dépassait 6 % il y a quelques années. Cette chute est également la conséquence de la faiblesse des investissements des entreprises. Cette faiblesse s’accompagne du recul des investissements étrangers en Chine. Ils sont passés de 5 % du PIB dans les années 2000 à moins de 2 % ces dernières années. Ce recul est lié aux tensions croissantes entre Occident et Chine et au moindre intérêt économique à investir en Chine du fait de la montée des coûts. La multiplication des déséquilibres financiers en Chine freine également les investissements. La dette totale est passée de 90 à près de 300 % du PIB de 1995 à 2020. Elle est en partie liée aux investissements immobiliers peu rentables.

Comme le Japon ou l’Allemagne, la Chine n’a pas d’autre solution que de jouer la carte des exportations pour financer les dépenses générées par le vieillissement de sa population qui affaiblit la demande intérieure. Cette dépendance au commerce extérieur exige l’amélioration permanente de sa compétitivité. La Chine ne peut pas s’exposer à d’importantes rétorsions commerciales de la part des pays importateurs sans risquer de remettre en cause sa croissance. Cette situation pourrait inciter les autorités chinoises à être plus conciliantes sur le terrain de la géopolitique.

La difficile bataille de la formation

La zone euro est très hétérogène en matière de compétences des personnes d’âge actif. Selon l’enquête PIAC de l’OCDE, les pays d’Europe du Sud, France comprise, se clase au-delà de la 21e place quand ceux d’Europe du Nord figurent en tête de classement. L’Allemagne et l’Autriche sont, de leur côté, en milieu de classement.

Les pays dont le niveau de formation est le plus faible sont naturellement ceux qui ont un niveau de compétences des personnes d’âge actif le moins élevé. La France comme les États d’Europe du Sud est mal classée dans l’enquête PISA de l’OCDE.

Les pays d’Europe du Sud se caractérisent également par une proportion élevée de jeunes de 15 à 29 ans sans emploi et sans formation. En France, 16 % des jeunes étaient concernées en 2020. Ce taux est de 25 % en Italie et de 20 % en Espagne. Il est de 10 % en Allemagne. Il y a un lien direct entre le taux d’emploi, le niveau des compétences et la proportion des déscolarisés sans emploi. Les États d’Europe du Nord et de l’Est de l’Europe ont de forts taux d’emploi à la différence des États d’Europe du Sud.

Même si des progrès notables ont été constatés ces dernières années, le nombre d’apprentis reste faible en France. 10 % des jeunes dans l’enseignement secondaire sont apprentis, contre plus de 50 % en Suisse ou 40 % en Allemagne (source Eurostat 2017). La France est en train de rattraper son retard en matière d’apprentissage comme le confirme les dernières statistiques publiées par le Ministère du Travail. En 2020, 718 000 jeunes étaient en apprentissage en France, contre 300 000 en 2017. Cet essor est imputable à la réforme Pénicaud de 2018 qui a libéralisé la création des Centres de formation d’apprentis, les CFA. Les primes à l’embauche de jeunes décidées dans le cadre du plan de relance – 5 000 euros pour un mineur, 8 000 au-delà de 18 ans – ont incité les entreprises à maintenir de nombreux contrats d’apprentissage. L’apprentissage est de plus en plus utilisé par les diplômés pour compléter leur formation, néanmoins, une hausse de 21 % des contrats a été enregistrée pour les formations niveau baccalauréat ou infra. La part des entreprises de moins de 50 salariés reste prépondérante parmi toutes celles qui ont engagé un alternant (les deux tiers). Si tous les secteurs économiques sont concernés, le commerce, avec plus de 160 000 contrats est le secteur le plus actif dans ce domaine suivi du conseil et l’ingénierie (66 441) et de la banque, assurance, immobilier (48 522). Le succès inattendu de l’apprentissage en France oblige l’État à combler le déficit de plusieurs milliards d’euros de « France Compétences » qui est l’autorité de supervision. Le succès de l’apprentissage ne masque pas les faiblesses de la  formation continue qui a pourtant fait l’objet de multiples réformes ces dernières années.

La numérisation rapide de l’économie après la crise de la Covid  et la transition énergétique supposent un nombre plus important d’actifs dans des métiers à fort contenu technologique. L’essor du e-commerce exige de la part des entreprises des investissements conséquents. Ceux liés aux techniques de l’information et de la communication sont en augmentation rapide depuis la fin de l’année 2020. Ils représentent désormais plus de 3 % du PIB au sein de la zone euro, contre 2,5 % en 2014. La crise sanitaire a modifié la structuration de la demande, la composante biens industriels et d’équipement progresse désormais plus vite que celle des services. Les ménages comme les entreprises s’équipent en informatique. Le télétravail a entraîné un besoin d’équipement des logements. La transition énergétique impose la réalisation d’infrastructures à dominante technologique.